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Société: les jeunes, les vieux et le street workout

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Jeudi, 9 Avril, 2015 - 05:54

Zoom. A Genève, un projet innovant rassemble les résidents d’un EMS et les jeunes d’un quartier pour bouger ensemble.

«Je ne crains pas les jeunes. Evidemment, je ne pourrai pas faire des barres parallèles. Les biscoteaux me manquent. Mais on va pouvoir montrer que la vieillesse sait faire autre chose que juste rester devant une assiette!»

L’œil vif et malicieux, la chevelure abondante et parfaitement coiffée, Erna Christinet, 91 ans, résidente de l’établissement médico-social (EMS) Les Mouilles, au Petit-Lancy, se réjouit du projet qui va être mis en place entre son EMS et les jeunes de l’association Izi-Fitness.

L’idée? Aménager un espace sportif intergénérationnel sur l’esplanade autour de Lancy-Centre, juste devant l’entrée du home pour personnes âgées. Il sera composé de divers engins, dont une série de barres, mais également de deux appareils qui permettent de faire travailler les bras et les poignets.

Le but est d’organiser une leçon de gymnastique qui réunira les aînés et les jeunes une fois par semaine. Les travaux commenceront en avril et l’inauguration de ce fitness en plein air est fixée au 3 juin. Le financement de ce nouvel aménagement est assuré par une fondation genevoise privée et la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle (FASe).

Se rencontrer et discuter

A l’origine de ce projet innovant: Abdoul Tchetdre, 24 ans, habitant du quartier originaire du Togo et président d’Izi-Fitness, une association regroupant des jeunes qui font du street workout, soit, littéralement, des «séances d’entraînement de rue».

Ce sport, qui se pratique en extérieur, allie exercices de force, d’équilibre et de souplesse. Les activités se pratiquent surtout sur des barres métalliques, mais en fait tout le mobilier urbain peut servir de terrain d’entraînement.

Comment lui est venue l’idée d’y associer des aînés? «Un jour, alors que je me rendais à l’entraînement, j’ai vu un vieux qui était perdu. Je l’ai ramené à l’EMS. Devant le bâtiment, plein de jeunes étaient là, comme d’habitude, entre eux, à discuter. Ils n’avaient rien vu.

Je me suis dit: «On est jeune, costaud, intelligent, ou pas. En face de nous, il y a des personnes qui ont besoin de notre aide. On va leur donner un coup de main.» Donner un coup de main? Cela veut dire créer la rencontre, établir un contact régulier avec des personnes, certes âgées et parfois peu mobiles, mais qui font partie intégrante du quartier.

«Même si un résident ne participe à la leçon qu’en bougeant un doigt ou en ne tournant que la tête, il sera le bienvenu. L’important, c’est de se rencontrer et de discuter.»

Ni une ni deux, Abdoul Tchetdre est allé trouver Humberto Lopes, animateur socioculturel et responsable des équipes du BUPP (Bus unité prévention parcs), un pool de travailleurs sociaux hors murs qui sillonnent les rues de onze communes genevoises, dont Lancy et Onex, pour s’occuper de jeunes qui se rassemblent dans des parcs, préaux ou autres lieux publics où des problèmes peuvent apparaître. «Humberto a appelé le directeur de l’EMS, Laurent Beausoleil, qui a tout de suite dit oui. C’est un truc extraordinaire, unique!»

Ce premier mercredi du mois d’avril, assis à une table de la vaste et lumineuse cafétéria de l’EMS Les Mouilles qu’il dirige, Laurent Beausoleil raconte les premiers contacts entre les jeunes et les résidents, l’été 2013, lors d’une soirée grillades précédée par une démonstration de street workout qui est restée dans les mémoires des séniors.

«Cela a donné lieu à une vraie rencontre entre les deux groupes. A partir de là, nous avons travaillé et évolué ensemble pour que le projet aboutisse.»

Au départ, les jeunes sont venus avec une modeste demande, eux qui ont l’habitude de s’entraîner avec trois fois rien. «Ils désiraient juste trois barres fixes», se souvient Mara Buson, responsable animation de l’Association des EMS de Lancy.

«Les aînés leur ont dit: «Mettez-nous en plein la vue!» se rappelle Laurent Beausoleil en souriant. Si certains se réjouissent de bouger, d’autres attendent plutôt «de la rencontre», comme Gérard Mermoud, résident de 68 ans, dont la mobilité est actuellement réduite.

«Ça va être une expérience! Qu’est-ce que je vais pouvoir leur donner, à ces jeunes? Ce sera peut-être nul à désespérer. Je suis un passionné de serpents. Le samedi, il m’arrivait d’aller dans les classes pour montrer mes reptiles aux élèves. Sur ce sujet, j’excelle.»

Expérience unique

De fait, les relations n’ont pas toujours été au beau fixe entre les jeunes et les résidents. Mara Buson: «Auparavant, les résidents avaient peur de ces jeunes en bandes qui étaient souvent sur l’esplanade. Certains avaient même piqué des fauteuils roulants. Mais maintenant ils se connaissent.»

Ergothérapeute, Régine Colin ne voit que des avantages dans cet échange. «Tout est un excellent prétexte pour faire bouger les résidents. Réaliser des mouvements donne de l’appétit et fatigue.

Une personne fatiguée a besoin de moins de somnifères. Et, si elle a du contact avec d’autres gens, elle aura moins besoin d’antidépresseurs. Un tel projet peut avoir un impact gigantesque sur la santé des personnes.»

Physiothérapeute, Christine Kung Veuillet explique que «marcher à l’extérieur, pour les résidents, ce n’est pas la même chose que déambuler dans un couloir. Et si des jeunes font de l’exercice à côté d’eux, ce sera encore une difficulté supplémentaire bienvenue.»

Mouiller le Maillot

Laurent Beausoleil est bien conscient qu’il faudra «mouiller le maillot» pour que le projet tienne la route à long terme. «Il ne faudra pas seulement dire: «C’est sympa, il y a des jeunes en bas.» Il s’agira d’organiser des leçons, de maintenir les activités, de se faire voir et connaître, de garder cet endroit attractif, vivant et ouvert à tous.»

Tout un programme, auquel adhèrent les jeunes du quartier qui participent aux entraînements donnés par Abdoul. Ce mercredi après-midi, Besart et Besnik, des jumeaux de 19 ans, Silvio, 19 ans, Saibou, 20 ans, et Ade, 23 ans, ont répondu présent, sous la houlette d’Humberto Lopes, pour expliquer leurs motivations. Saibou: «Chez nous, en Afrique, les personnes âgées sont sacrées. On ne les met pas de côté.

Cela fait partie de notre éducation d’en prendre soin.» Ade, lui, aimerait que d’autres jeunes se mobilisent et suivent leur exemple. «Ce serait super s’ils pouvaient s’occuper de différents EMS.» Besart, lui, espère «casser la monotonie de leur journée».

Son frère Besnik se réjouit d’entendre les résidents parler de leur passé. «Les personnes âgées sont encore utiles. A nous de valoriser leur expérience.» Et Silvio de conclure: «On donne, mais on reçoit aussi beaucoup de leur part.»

Tiens, tiens, l’esprit de Pâques serait-il descendu sur cette équipe de petits gars aux jolis biscoteaux? Sont-ils vraiment sincères? Humberto Lopes, qui connaît parfaitement ses troupes, confirme: «Ces jeunes font des choses sans rien attendre en retour.

Avant la soirée des grillades avec les aînés, ils avaient l’image de voyous «qui fument et ne servent à rien». Vingt-cinq jeunes qui squattent dans un endroit, cela fait naître un sentiment d’insécurité. Lors de cette rencontre en 2013, les résidents et le personnel de l’EMS ont découvert leur côté lumière.

L’association du quartier MixCité a commencé à vouloir les soutenir et les jeunes ont été intégrés dans la vie de l’endroit. L’esprit de village est revenu!»

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Nicolas Righetti Rezo
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