Alexis Favre
Portrait. Du haut de ses 27 ans, le conseiller municipal PLR et capitaine à l’armée part à l’assaut d’un bastion de gauche, l’exécutif de la Ville de Genève. Plan de bataille: réussir l’exercice du premier tour le 19 avril et offrir à la droite, au soir du 10 mai, le deuxième siège dont elle rêve depuis seize ans.
Adrien Genecand a encore du lait derrière les oreilles, il manque de charisme et d’épaisseur. Pis, le candidat PLR à l’exécutif de la Ville de Genève n’a d’autre vision à offrir que son obsession du moins d’Etat, d’autres valeurs qu’un libéralisme gestionnaire, d’autres horizons que la propriété par étages.
Voilà pour les amabilités, soufflées en chœur et à couvert par ses détracteurs, adversaires ou faux amis.
Sauf que. N’en déplaise aux zoïles, le conseiller municipal de 27 ans a trouvé le moyen de surnager dans une campagne noyée sous les slogans criards du MCG. Grâce à une promesse étalée sans vergogne à l’arrière des bus TPG: «10% d’impôt en moins».
Trop facile? Peut-être. Irréaliste? Probablement. Electoraliste? Evidemment. Mais certainement efficace, voire nécessaire pour ce capitaine d’artillerie parti à l’assaut d’une forteresse de gauche.
Depuis 1999, ladite gauche – socialistes, Verts et extrême gauche – truste quatre des cinq maroquins du Conseil administratif de la Ville. «Ça fait beaucoup», euphémise le cadre bancaire, qui s’y connaît en chiffres. Difficile de lui donner tort: la gauche n’occupe que 39 des 80 sièges du délibératif communal.
Au pays de la concordance, le bon sens mathématique et démocratique plaide pour un rééquilibrage de l’échelon supérieur. Surtout si les Verts, en déclin, «n’atteignent pas le quorum le 19 avril. La gauche n’aurait alors plus qu’une trentaine d’élus au Conseil municipal, calcule Adrien Genecand.
Le cas échéant, les quatre sièges de gauche à l’exécutif seraient totalement injustifiables.»
Et le cas échéant, surtout, ses chances de triompher aux côtés du PDC Guillaume Barazzone au soir du second tour deviendraient presque réelles, se prend-il à saliver en commandant une autre bière. Blanche, comme l’oie qu’il n’est plus depuis longtemps.
Chef du groupe PLR au Conseil municipal, Adrien Genecand a déjà une demi-vie de politique derrière lui. Une vocation née un soir d’été, se souvient-il, «dans le sud de la France, alors que mes parents et leurs amis débattaient du rôle de l’Etat.
Je devais avoir 13 ou 14 ans, et c’est là que j’ai compris que c’était un enjeu.» Il butine, se renseigne, et finit par choisir à 17 ans les Jeunesses radicales, aimanté par ses deux figures tutélaires: François Longchamp et, surtout, Pierre Maudet. «Je le trouvais plutôt smart et enthousiasmant, j’ai eu envie de m’engager pour lui.»
Rupture consommée
Le militant en herbe comprend vite que, «pour changer les choses, il n’y a que l’engagement réel, donc l’élection». Dopé par une candidature hardie au Conseil national, il entre au Municipal en 2008 comme premier vient-ensuite.
Continuité assurée, puisque son grand-père, Jean-Claude, était une figure du Parlement cantonal. Rupture consommée, aussi: issu d’une lignée démocrate-chrétienne ancrée dans l’humus d’Arare depuis que le monde est monde, Jean-Claude Genecand était chrétien-social, tendance théologie de la libération.
En préférant le radicalisme libéral, son petit-fils a rué dans les brancards familiaux.
Radicalisme libéral, d’ailleurs, ou libéralisme radical? Même s’il confesse «une certaine sensibilité de gauche», cultivée au contact de son épouse, Louise Kasser, élue verte à la Constituante genevoise, Adrien Genecand pourfend sans modération l’Etat glouton.
«Il s’est présenté comme un milicien radical, se souvient un conseiller municipal socialiste. Mais c’est en fait un libéral pur sucre.» L’élu de gauche se souvient d’une époque «où le groupe radical était capable de s’abstenir sur le vote d’un budget de gauche, pour le bien de l’Etat. Avec un Genecand, c’est impensable.»
Le jeune père de famille ne convoquera pourtant pas la doctrine; son libéralisme à lui est tripal et pragmatique. Forgé à l’école d’une vie professionnelle déjà longue: treize ans chez UBS, de l’apprentissage à la sous-direction, un échelon après l’autre. «J’ai payé mes premiers impôts très tôt», sourit-il. Et tout est dit.
Aux grands discours, Adrien Genecand oppose ainsi une vision dépouillée: «Genève ne sera plus jamais une petite ville. Il faut l’assumer, assumer la croissance, l’amélioration des infrastructures et la création de logements. C’est assez simple à comprendre.»
Construire de tout
Pour les infrastructures, une recette: «Comme dans Sim City, on commence par les voies d’accès, et le reste suit. Qui aurait pensé, quand on a lancé l’autoroute de contournement, qu’on pourrait un jour densifier Bernex-Nord? Et pourtant…» Mutatis mutandis, la densification de la rive gauche passera par la traversée de la Rade, celle de Meyrin ou de Satigny par l’extension de l’A1, prophétise le candidat.
Pour le logement, un credo: «Construire de tout, principalement de la PPE et du loyer libre.» Inutile de s’arcbouter sur le logement social, la main invisible brassera d’elle-même les cartes de l’offre et de la demande. Là encore, «c’est aussi simple que cela».
Député au Grand Conseil et administrateur de CGI immobilier, son père, Benoît Genecand, ne le contredira pas… Et tant qu’à faire, poursuit le fils, «au lieu de distribuer des logements en mode mairie de Paris pour acheter des électeurs, la ville ferait mieux de vendre son parc immobilier pour résorber la dette.»
La dette. Nous y voilà. Comment la faire fondre tout en baissant les impôts, alors que les recettes sont déjà menacées par la troisième réforme de l’imposition des entreprises? Ici, pas de botte secrète, mais une approche «bottom up, plutôt que top down».
Soit? «Impliquer les gens. Il faut parvenir à baisser les charges de 2% par année. Or, il n’y a pas mieux placé que le personnel de l’administration pour identifier le potentiel d’économies.»
Sachant qu’il compte bien, dans le même geste, geler les annuités de ce personnel, l’impétrant ne se fera pas que des amis. Qu’importe: à entendre l’un de ses adversaires, Adrien Genecand excelle à manœuvrer l’ennemi.
«Je me souviens de l’avoir vu voter une urgence absurde demandée par l’extrême-gauche en contrepartie de son soutien sur un autre objet. Il sait saisir les occasions.» Un sens politique qui ne sera pas superflu si Adrien Genecand devait réussir son pari au soir du 10 mai.