Zoom. La Suisse est absente du pays d’où provient l’immense majorité des réfugiés qu’elle accueille. Un vide à combler.
La Suisse n’existe pas à Asmara, capitale de l’Erythrée. Quand bien même près de 7000 Erythréens sont venus l’an dernier rejoindre une diaspora qui compte quelque 24 000 personnes. Quand bien même le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) dispose de 20 ambassades en Afrique, sans compter les bureaux de la Direction du développement et de la coopération (DDC).
Etrangement, nos liens avec l’Erythrée ressemblent à un gros trou qu’on approche une fois l’an, timidement, l’espace de quelques jours. Alors que la France, l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne ou l’Union européenne tiennent des ambassades sur place, c’est depuis Khartoum que Martin Strub, notre ambassadeur au Soudan, observe l’Erythrée.
Un petit groupe d’analystes du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a voyagé dans le pays en 2013. L’année dernière, Martin Strub y a passé pour se présenter au gouvernement. Et, accompagné d’une délégation, dont le vice-directeur du SEM, il y est retourné pour trois jours en janvier.
Côté coopération, depuis que la DDC a renoncé à soutenir des projets dans le pays en 2006, les ONG suisses sont parties peu à peu.
Des infos de première main
La situation devient kafkaïenne, tant nos autorités dépendent d’informations de pays tiers. On l’a vécu l’an dernier. Quand le Service d’immigration danois a publié un rapport sur l’Erythrée. Rapport très contesté et même renié par deux des trois collaborateurs qui y ont travaillé, mais qui laissait entendre que la situation s’était détendue.
Ignorant les critiques, UDC et PLR ont sauté sur l’occasion pour affirmer que les renvois devaient être examinés. Côté administration fédérale, autant au DFAE qu’au SEM, on était bien démuni pour rétorquer. Tant et si bien que désormais, au sein du Parlement fédéral, des voix s’élèvent pour rétablir des liens plus étroits avec l’Erythrée.
Il y a bien sûr ceux qui piaffent de renvoyer les demandeurs d’asile chez eux, tel l’Argovien Luzi Stamm (UDC). «J’ai demandé en commission de politique extérieure ce qui était prévu en Erythrée, on m’a répondu que notre ambassade au Soudan recevrait du renfort», s’énerve-t-il.
D’autres, ouverts à l’accueil des réfugiés, s’interrogent aussi, tel le président de la commission, Carlo Sommaruga: «La corne de l’Afrique sera prochainement à notre ordre du jour.» Ou le Vert Ueli Leuenberger: «Il serait utile de rétablir une présence suisse en Erythrée. Pas forcément une ambassade, d’ailleurs, une antenne de la DDC suffirait. Je vais poser la question au groupe de politique étrangère de la commission de gestion.»
A Asmara, diplomates et expatriés estiment que leur présence permet de dialoguer avec les autorités, également d’observer la vie quotidienne, la santé ou l’approvisionnement alimentaire. Bref, d’obtenir des renseignements de première main.
Les Erythréens, prudents envers les rares journalistes à obtenir des visas, osent parfois quelques confidences, notamment sur ce fameux service national qui les prive de toute liberté. On pense aussi à l’évolution du régime autocratique du président Issayas Afeworki.
En effet, si personne ne croit que l’ancien héros de l’indépendance sera renversé ou qu’il mettra sur pied des réformes, on rencontre des ministres conscients de la nécessité d’ouverture de l’Erythrée. Ne serait-ce que pour attirer des investissements dans une économie exsangue.
Enfin, l’Erythrée restant un des rares foyers de stabilité au cœur d’une corne de l’Afrique traumatisée, en Somalie comme au Soudan, il s’agit d’éviter des bains de sang, et même de songer à une transition démocratique. Nobles tâches.
A Berne, l’administration fédérale se réfugie derrière des arguments financiers pour expliquer la difficulté d’ouvrir une antenne à Asmara. Même si, au DFAE, on n’exclut rien: «Le réseau de représentations suisses à l’étranger fait l’objet d’une évaluation permanente.»