Interview.Pour Christine Le Quellec Cottier, spécialiste de littératures francophones à l’Université de Lausanne, le parler romand est peu connu en francophonie. La faute à une absence de politique culturelle volontariste, comme au Québec.
D’un point de vue de la langue, quelle est la place de la Suisse romande sur la carte de l’aire francophone?
On nous associe souvent aux Belges, notamment avec les huitante et nonante. La francophonie romande et son parler romand sont peu connus. C’est sans doute lié au fait que notre langue n’est pas menacée en Suisse romande, contrairement par exemple à celle des Québécois qui, eux, ont lutté pendant longtemps dans leur propre Province pour la faire exister. De plus, la Suisse a été très peu présente dans l’OIF, elle y est entrée tardivement et avec des réticences alémaniques.
Aujourd’hui encore, quand la Suisse est représentée à un sommet de la francophonie par Ueli Maurer, ministre alémanique et UDC responsable de l’armée, c’est se ficher des francophones, de leur identité linguistique et culturelle. Des régions comme le Québec ont été plus militantes d’un point de vue de la langue et de l’édition en langue française. Moins d’ailleurs contre la domination de la France que de la partie anglophone du Canada, cela dit. Mais le résultat est que l’on connaît la langue québécoise, son accent, ses tournures, son lexique, sa richesse, dont des auteurs français populaires comme Alexandre Jardin peuvent s’emparer pour en faire un roman comme Juste une fois, alors que ce n’est pas le cas du parler romand.
Notre langue n’est pas menacée, contrairement à celle des Québécois…
Nous sommes plus proches des Belges, effectivement, dans notre processus d’auto-nomisation du centre français, dans ce rapport d’amour-haine. Et bon nombre de nos premiers écrivains voulaient «juste» être des écrivains français!
Quel regard jettent les pays africains francophones sur la Suisse romande?
La Suisse romande parle le français depuis le XVIe siècle et n’a pas été colonisée, mais étonnamment un Ramuz, dans sa Lettre à Grasset, ne dit pas autre chose qu’un Ahmadou Kourouma qui revendiquait l’usage d’un français malinkisé et écrivait pour «contre-dire», pour aller contre la langue normée, comme Ramuz revendiquait la langue-geste des Vaudois… Tout comme
Ramuz a ouvert une porte dans l’appropriation du parler romand par les écrivains, Kourouma a libéré la plume francophone africaine en forgeant un nouveau rapport à la langue écrite. Aujourd’hui, on n’a plus besoin de prouver que l’on sait écrire en français, que l’on soit à Lausanne ou à Dakar; les productions portent des imaginaires et non plus des territoires. En même temps, les savoirs circulent et ceux qui travaillent sur la langue en Afrique s’intéressent aussi à ce qui se passe en Suisse romande. A l’Université de Lausanne, nous accueillons actuellement un chercheur du Cameroun qui dresse des parallèles entre la littérature francophone subsaharienne et la Suisse romande. Et j’ai un collègue sénégalais qui enseigne la littérature romande à Dakar.
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