Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Histoire: le petit Grec qui forgea la Suisse indépendante et neutre

$
0
0
Jeudi, 23 Avril, 2015 - 05:54

Georges Pop

Essai. Appelé au service du tsar Alexandre Ier, le Grec Jean Capo d’Istria participe au Congrès de Vienne où se redessine la carte de l’Europe après les guerres napoléoniennes. Cet habile négociateur parvient à apporter de la cohésion à la Suisse et à lui donner ses frontières actuelles.

Peut-on venir au monde à Athènes, sortir d’une couvée intégralement helladique et se convertir en Suisse acceptable, a fortiori lorsqu’on cumule, comme moi, les deux nationalités et que l’on éprouve une inclination pondérée pour la construction européenne?

Peut-on concilier l’affligeant atavisme d’une ethnie gaspilleuse, insolvable, assistée et querelleuse avec les prédispositions forcément héréditaires d’un peuple intègre, industrieux, indomptable et créatif?

Beaucoup de «vrais» Suisses pensent que NON! Que répliquer à ces irréfutables patriotes qui, dans la Weltwoche il n’y a pas si longtemps, avaient élevé le mot «grec» au grade d’invective pour déprécier sottement les Romands désignés «Grecs de la Suisse»?…

Les pourparlers européens…

Eventuellement pourrait-on leur suggérer, après le coutumier pèlerinage du 1er Août au Grütli – où probablement les trois Suisses jamais n’ont mis les pieds – et après aussi les sacro-saintes célébrations, le 15 novembre prochain, du 700e anniversaire de la bataille de Morgarten – qui consomma une querelle de droits de pâture bien plus qu’une prédisposition à la souveraineté –, d’aller disposer une couronne fleurie sous le monument de Jean Capo d’Istria. Afin de se réconcilier avec la mémoire réelle de leur pays!

Hein? Ce nom ne vous dit rien? Soit! Petit exposé historique, très, très succinct: Jean Capo d’Istria, mieux connu dans son pays d’origine sous le nom d’Ioannis Kapodistrias, était un petit Grec de Corfou très éclairé qui fut appelé au service du tsar Alexandre Ier au début du XIXe siècle.

Après les guerres napoléoniennes, dont le monarque russe fut un des incontestables triomphateurs, les puissances victorieuses se réunirent en congrès à Vienne, en 1814, pour redessiner la carte de l’Europe. Et le sort de la Suisse, disposée en Confédération vassale quelques années plus tôt par la seule fantaisie de Bonaparte, était pour le moins incertain. Fallait-il préserver ce précaire bricolage impérial?

Pour tout arranger, au début du congrès, les émissaires suisses ou affiliés conviés courtoisement dans la capitale autrichienne – mais réduits à la condition de simples spectateurs – passèrent le plus clair de leur temps à se crêper le chignon à la manière de gnomes hargneux et, pour certains, à toiser avec arrogance et écœurement (déjà) ces «juges» étrangers qui allaient pourtant décider de leur sort. Bref, la Suisse était menacée au mieux de guerre civile, au pire de désagrégation, voire d’extinction pure et simple en tant qu’Etat constitué!
 

Peut-on venir au monde à Athènes, sortir d’une couvée intégralement helladique et se convertir en Suisse acceptable, a fortiori lorsqu’on cumule, comme moi, les deux nationalités et que l’on éprouve une inclination pondérée pour la construction européenne? Peut-on concilier l’affligeant atavisme d’une ethnie gaspilleuse, insolvable, assistée et querelleuse avec les prédispositions forcément héréditaires d’un peuple intègre, industrieux, indomptable et créatif?

Beaucoup de «vrais» Suisses pensent que NON! Que répliquer à ces irréfutables patriotes qui, dans la Weltwoche il n’y a pas si longtemps, avaient élevé le mot «grec» au grade d’invective pour déprécier sottement les Romands désignés «Grecs de la Suisse»?…

Les pourparlers européens…

Eventuellement pourrait-on leur suggérer, après le coutumier pèlerinage du 1er Août au Grütli – où probablement les trois Suisses jamais n’ont mis les pieds – et après aussi les sacro-saintes célébrations, le 15 novembre prochain, du 700e anniversaire de la bataille de Morgarten – qui consomma une querelle de droits de pâture bien plus qu’une prédisposition à la souveraineté –, d’aller disposer une couronne fleurie sous le monument de Jean Capo d’Istria. Afin de se réconcilier avec la mémoire réelle de leur pays!

Hein? Ce nom ne vous dit rien? Soit! Petit exposé historique, très, très succinct: Jean Capo d’Istria, mieux connu dans son pays d’origine sous le nom d’Ioannis Kapodistrias, était un petit Grec de Corfou très éclairé qui fut appelé au service du tsar Alexandre Ier au début du XIXe siècle.

Après les guerres napoléoniennes, dont le monarque russe fut un des incontestables triomphateurs, les puissances victorieuses se réunirent en congrès à Vienne, en 1814, pour redessiner la carte de l’Europe.

Et le sort de la Suisse, disposée en Confédération vassale quelques années plus tôt par la seule fantaisie de Bonaparte, était pour le moins incertain. Fallait-il préserver ce précaire bricolage impérial?

Pour tout arranger, au début du congrès, les émissaires suisses ou affiliés conviés courtoisement dans la capitale autrichienne – mais réduits à la condition de simples spectateurs – passèrent le plus clair de leur temps à se crêper le chignon à la manière de gnomes hargneux et, pour certains, à toiser avec arrogance et écœurement (déjà) ces «juges» étrangers qui allaient pourtant décider de leur sort. Bref, la Suisse était menacée au mieux de guerre civile, au pire de désagrégation, voire d’extinction pure et simple en tant qu’Etat constitué!

… Et suisses

Par bonheur, notre petit Grec était là; prédominant parmi les plénipotentiaires de la délégation russe. Et le bonhomme aimait bien la Suisse, où il s’était auparavant attardé à la demande de son employeur pour pousser le pays à s’extirper de l’emprise napoléonienne. Mieux!

Le tsar Alexandre avait un petit béguin pour le canton de Vaud qui venait d’échapper à la mainmise bernoise – en même temps qu’Argovie – grâce au tricolore empereur déchu. L’érudit patriote et indépendantiste vaudois Frédéric-César de La Harpe, précédemment appelé en Russie pour instruire les bambins du monarque, avait patiemment catéchisé son hôte à la cause de l’émancipation vaudoise, dessein que le petit Grec de notre récit avait totalement embrassé.

Le plus malaisé pour lui fut donc de rabibocher les Suisses entre eux. Il dut copieusement user de la carotte et du bâton! Notamment à l’endroit des infatués patriciens bernois, nostalgiques de l’Ancien Régime, qui revendiquaient non sans hargne la restitution de leurs anciens dominions. Capo d’Istria fut intraitable: «Vous voulez Vaud? Vous ne l’aurez pas! Vous voulez Argovie?

Vous ne l’aurez pas!» Il semble même qu’il ait dû taper du poing sur le bahut de l’ours et menacer Berne de radiation de la Confédération…

Pour le reste, l’envoyé de Moscou (à vrai dire de Saint-Pétersbourg) se dépensa sans compter pour garantir la cohésion, préserver l’indépendance et instaurer la neutralité de la Suisse des XXII cantons, unique et authentique charpente de la Suisse contemporaine, attendu que la Constitution helvétique, à la rédaction de laquelle notre petit Grec contribua aussi, instaura pour la première fois une confédération de cantons indépendants unis par un seul traité commun et non plus par un enchevêtrement disparate d’alliances et d’allégeances.

Cerise romande sur le gâteau: Capo d’Istria pistonna Genève pour son incorporation à la Confédération et représenta le tsar, en 1815, à la signature du Traité de Paris, aux termes duquel la France céda au canton de Genève les souriantes communes de Collex-Bossy, du Grand-Saconnex, de Meyrin, de Pregny, de Vernier et de Versoix.

Eh oui! N’en déplaise aux champions de la mythologie indigène, la vraie Suisse indépendante et neutre est une pure exécution européenne, projet largement influencé par un habile aborigène hellénique…

Vaud et Genève firent du reste montre de gratitude à l’endroit du prévenant Capo d’Istria. Vaud le bonifia de sa première citoyenneté d’honneur; la ville de Lausanne lui dispensa sa première bourgeoisie d’honneur, tout comme la ville de Genève qui, ultérieurement, donnera son nom à un joli quai, entre le pont de Carouge et celui de la Fontenette, le long des berges de l’Arve.

L’avisé natif de Corfou finira d’ailleurs par s’exiler dans la ville de Calvin après sa répudiation par le tsar. Le souverain réprouvait son engagement en faveur de ses compatriotes qui avaient pris les armes contre l’oppresseur ottoman.

A Genève, Capo d’Istria s’était lié d’amitié avec le très prospère financier Jean-Gabriel Eynard qui, enflammé par la cause de l’indépendance grecque, consacrera une bonne partie de sa fortune et usera de son prestige pour soutenir les insurgés. En Grèce, aujourd’hui encore, le nom d’Eynard est béni comme celui d’un très loyal artisan de la libération nationale.

Une disparition brutale

Malheureusement, le protagoniste de notre narration finira mal! Une fois l’indépendance grecque acquise, il sera nommé gouverneur du jeune Etat et finira assassiné, victime de querelles partisanes.

Certains prétendent qu’il se serait rendu impopulaire en tentant d’introduire un impôt équitable pour renflouer les caisses désespérément vides (déjà!) de ses ministères. Il est de notoriété publique que les Grecs n’ont jamais beaucoup aimé les impôts!

Ioannis Kapodistrias succomba aux coups de poignard et aux balles de ses assassins le matin du 9 octobre 1831 sur les marches d’une église de Nauplie; cent huitante ans avant la publication, par un vertueux «Grec de la Suisse», Pascal Broulis, d’un best-seller vaudois intitulé L’impôt heureux, ouvrage qui n’a jamais été traduit en grec!

Ah, j’allais oublier: le 21 septembre 2009, un monument a été inauguré à Ouchy, le port de Lausanne, à la mémoire du petit Grec, pas loin derrière le buste de Jean-Pascal Delamuraz. Au cas où vous auriez envie d’y déposer un simple bouquet rouge et blanc… le 1er Août.

Par bonheur, notre petit Grec était là; prédominant parmi les plénipotentiaires de la délégation russe. Et le bonhomme aimait bien la Suisse, où il s’était auparavant attardé à la demande de son employeur pour pousser le pays à s’extirper de l’emprise napoléonienne. Mieux!

Le tsar Alexandre avait un petit béguin pour le canton de Vaud qui venait d’échapper à la mainmise bernoise – en même temps qu’Argovie – grâce au tricolore empereur déchu. L’érudit patriote et indépendantiste vaudois Frédéric-César de La Harpe, précédemment appelé en Russie pour instruire les bambins du monarque, avait patiemment catéchisé son hôte à la cause de l’émancipation vaudoise, dessein que le petit Grec de notre récit avait totalement embrassé.

Le plus malaisé pour lui fut donc de rabibocher les Suisses entre eux. Il dut copieusement user de la carotte et du bâton! Notamment à l’endroit des infatués patriciens bernois, nostalgiques de l’Ancien Régime, qui revendiquaient non sans hargne la restitution de leurs anciens dominions.

Capo d’Istria fut intraitable: «Vous voulez Vaud? Vous ne l’aurez pas! Vous voulez Argovie? Vous ne l’aurez pas!» Il semble même qu’il ait dû taper du poing sur le bahut de l’ours et menacer
Berne de radiation de la Confédération…

Pour le reste, l’envoyé de Moscou (à vrai dire de Saint-Pétersbourg) se dépensa sans compter pour garantir la cohésion, préserver l’indépendance et instaurer la neutralité de la Suisse des XXII cantons, unique et authentique charpente de la Suisse contemporaine, attendu que la Constitution helvétique, à la rédaction de laquelle notre petit Grec contribua aussi, instaura pour la première fois une confédération de cantons indépendants unis par un seul traité commun et non plus par un enchevêtrement disparate d’alliances et d’allégeances.

Cerise romande sur le gâteau: Capo d’Istria pistonna Genève pour son incorporation à la Confédération et représenta le tsar, en 1815, à la signature du Traité de Paris, aux termes duquel la France céda au canton de Genève les souriantes communes de Collex-Bossy, du Grand-Saconnex, de Meyrin, de Pregny, de Vernier et de Versoix.

Eh oui! N’en déplaise aux champions de la mythologie indigène, la vraie Suisse indépendante et neutre est une pure exécution européenne, projet largement influencé par un habile aborigène hellénique…

Vaud et Genève firent du reste montre de gratitude à l’endroit du prévenant Capo d’Istria. Vaud le bonifia de sa première citoyenneté d’honneur; la ville de Lausanne lui dispensa sa première bourgeoisie d’honneur, tout comme la ville de Genève qui, ultérieurement, donnera son nom à un joli quai, entre le pont de Carouge et celui de la Fontenette, le long des berges de l’Arve.

L’avisé natif de Corfou finira d’ailleurs par s’exiler dans la ville de Calvin après sa répudiation par le tsar. Le souverain réprouvait son engagement en faveur de ses compatriotes qui avaient pris les armes contre l’oppresseur ottoman.

A Genève, Capo d’Istria s’était lié d’amitié avec le très prospère financier Jean-Gabriel Eynard qui, enflammé par la cause de l’indépendance grecque, consacrera une bonne partie de sa fortune et usera de son prestige pour soutenir les insurgés. En Grèce, aujourd’hui encore, le nom d’Eynard est béni comme celui d’un très loyal artisan de la libération nationale.

Une disparition brutale

Malheureusement, le protagoniste de notre narration finira mal! Une fois l’indépendance grecque acquise, il sera nommé gouverneur du jeune Etat et finira assassiné, victime de querelles partisanes.

Certains prétendent qu’il se serait rendu impopulaire en tentant d’introduire un impôt équitable pour renflouer les caisses désespérément vides (déjà!) de ses ministères. Il est de notoriété publique que les Grecs n’ont jamais beaucoup aimé les impôts!

Ioannis Kapodistrias succomba aux coups de poignard et aux balles de ses assassins le matin du 9 octobre 1831 sur les marches d’une église de Nauplie; cent huitante ans avant la publication, par un vertueux «Grec de la Suisse», Pascal Broulis, d’un best-seller vaudois intitulé L’impôt heureux, ouvrage qui n’a jamais été traduit en grec!

Ah, j’allais oublier: le 21 septembre 2009, un monument a été inauguré à Ouchy, le port de Lausanne, à la mémoire du petit Grec, pas loin derrière le buste de Jean-Pascal Delamuraz. Au cas où vous auriez envie d’y déposer un simple bouquet rouge et blanc… le 1er Août.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
akg-images
DR
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles