Trajectoire. Chercheur à l’EPFL, le Camerounais Sylvain Lemofouet développe un projet de production électrique fonctionnant à l’air comprimé. Une technologie idéale
pour les pays en développement.
Comment stocker les énergies renouvelables efficacement et à moindre coût pour permettre notamment aux populations isolées des pays en développement d’avoir un accès facilité à l’électricité? C’est la première motivation de Sylvain Lemofouet (44 ans), cofondateur de la société Enairys Powertech, installée dans le parc scientifique de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
La difficulté du parcours professionnel de ce Camerounais au cœur généreux est à la mesure de son ambitieux projet. Fruit de sa thèse, ce dernier vise à utiliser l’énergie solaire ou éolienne pour comprimer l’air dans une bonbonne. Le souffle d’air ainsi emmagasiné permet à sa sortie de faire tourner un générateur lorsqu’il n’y a plus de soleil ou de vent.
Diplômé de l’Ecole normale supérieure de l’enseignement technique, une grande école de l’Université de Douala, Sylvain Lemofouet se tourne très tôt vers l’électronique. Fils d’un instituteur, il bénéficie d’un environnement familial très favorable aux études. Le baccalauréat technique en poche, il poursuit sa formation au rythme lent que lui impose le système camerounais.
A la fin du premier cycle, tout étudiant se doit en effet d’enseigner au minimum trois ans dans un établissement scolaire. Agé d’à peine 21 ans, Sylvain se présente au proviseur d’un lycée technique de Garoua, la capitale du nord.
Ce dernier lui fait vertement remarquer qu’il n’y a plus de place dans les classes de terminale. «Mais je viens comme enseignant prendre du service!» lui rétorque le jeune professeur. Ses talents pédagogiques sont une aubaine. En manque d’enseignants, l’administration lui demande de doubler la mise: six ans au lieu de trois.
De l’électronique à l’air comprimé
Mais le patient Camerounais demeure un chercheur dans l’âme. Parallèlement à ses cours, il offre ses talents à plusieurs entreprises, les aide à régler des problèmes techniques. Il contacte par ailleurs maintes universités européennes. La réponse positive viendra de Suisse.
Le professeur Alfred Rufer, qui dirige le laboratoire d’électronique industrielle de l’EPFL, accepte de l’accueillir en novembre 2001. Sylvain Lemofouet voit son rêve se réaliser. Il peut mener à bien une thèse de doctorat dans une école de renommée internationale. «Grâce notamment à un mécène qui a pris en charge les frais de ma vie quotidienne en Suisse», reconnaît-il volontiers.
Parti de l’électronique, le scientifique se concentre désormais sur l’air comprimé. Au sein du laboratoire de l’EPFL, comme partout dans le monde, le stockage de l’énergie reste un énorme défi à relever. L’air comprimé s’avère une séduisante option de rechange aux batteries. L’idée de créer une start-up fait son chemin.
Elle plaît à Alfred Rufer. Heureux lauréat d’un Innogrant, un programme de soutien de l’EPFL qui finance son salaire, Sylvain Lemofouet peut désormais travailler pleinement sur son projet d’entreprise.
La société Enairys Powertech, qu’il a cofondée avec le professeur Alfred Rufer, s’est alliée avec l’électricien bernois BKW pour mettre sur pied un projet pilote, lequel devait voir le jour en 2012. Mais là encore il faut faire preuve de patience.
«Nous avions sous-estimé les difficultés techniques et financières, soupire Sylvain Lemofouet, qui ne se décourage pas pour autant. Notre projet pilote devrait aboutir cet été 2015 à la centrale solaire de Mont-Soleil.»
Il sera suivi d’un deuxième, en partenariat avec les Services industriels de Lausanne. Les investisseurs privés ont apporté 1,3 million de francs, le canton de Vaud 1,6 million sur trois ans. C’est 100 fois moins que des concurrents américains… qui ne sont toutefois pas plus avancés techniquement que les chercheurs de l’EPFL!