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Enseignements: querelle d’allemand entre Paris et Berlin

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Jeudi, 30 Avril, 2015 - 05:57

Eclairage. Les autorités allemandes et leurs soutiens français se mobilisent contre la suppression programmée, en France, de classes spéciales favorisant l’apprentissage
de la langue de Goethe.

Germanophone, coquette distinction dans la classe politique française, le député UMP Bruno Le Maire est catégorique. «L’enseignement de l’allemand est un choix politique. Si l’on veut garder des liens étroits avec l’Allemagne, c’est une priorité absolue», déclare-t-il à L’Hebdo.

La solennité du propos est à la mesure du tollé que provoque, parmi les politiques, au sein du monde enseignant et chez le «partenaire» allemand, la décision du Ministère de l’éducation nationale de supprimer les «classes bilangues». Suppression inscrite dans la Réforme du collège (école secondaire) présentée en mars dernier et devant s’appliquer à la rentrée 2016.

Les classes bilangues: quèsaco? Cette appellation désigne des sections permettant d’apprendre deux langues étrangères dès l’entrée au collège, «en 6e», au terme des cinq années de primaire. Dans la majorité des cas, les deux langues enseignées dans ces classes, à raison de six à sept heures hebdomadaires, sont l’anglais, bien sûr, mais surtout, et c’est là l’intérêt de ce dispositif, selon ses défenseurs, l’allemand, qui peut tant rebuter en raison de sa difficulté légendaire.

Ces sections créées en 2002, au nombre d’environ 3500 en France, choisies par 15% du total des collégiens, ont permis d’enrayer l’effondrement des effectifs apprenant la langue de Goethe et de stabiliser cette dernière au rang de troisième langue vivante enseignée en France, derrière l’indétrônable anglais et son solide dauphin, l’espagnol.

En lieu et place des classes bilangues, jugées «dérogatoires» et «élitistes» par l’Education nationale, la ministre Najat Vallaud-Belkacem entend instaurer plus d’«égalité»: l’apprentissage de la première langue vivante étrangère commencera ainsi dès la première année de primaire (on suppose que ce sera très majoritairement l’anglais); celui de la deuxième langue sera dispensé en classe de 5e déjà (la deuxième année de collège), et non plus seulement à partir de la 4e (la troisième année de collège), comme c’est aujourd’hui le cas dans un cursus classique, hors classes bilangues.

La ministre promet que ce qu’elle tient pour un progrès ne se fera pas au détriment de la langue germanique et assure qu’«environ 300 nouveaux postes» de professeurs d’allemand par an verront le jour, «hors départs à la retraite».

Alliance historique

Ces arguments laissent les Allemands profondément sceptiques, qui nourrissent les plus grandes craintes et n’hésitent pas à invoquer le traité de l’Elysée de 1963. Ce texte scellant la réconciliation franco-allemande, si fort en symboles, prévoit en effet que les deux pays encouragent l’apprentissage de la langue de l’autre.

Il en va des partenariats économiques et culturels, renouvelés et développés dans l’Agenda 2020, un catalogue de «80 propositions» signé en 2010 par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel.

Le 20 avril de cette année, l’ambassadrice d’Allemagne en France, Susanne Wasum-Rainer, s’est «longuement entretenue», à sa demande, avec Najat Vallaud-Belkacem, qui a tenté de la rassurer.

Du côté français, les 59 députés membres du groupe d’amitié France-Allemagne de l’Assemblée nationale, dont le socialiste et ex-premier ministre Jean-Marc Ayrault, ancien prof d’allemand, ont publiquement critiqué le choix de la ministre.

Joint par L’Hebdo, Joachim Umlauf, directeur du Goethe-Institut de Paris, l’organisme public chargé de la promotion de la culture allemande à l’étranger, pratique bien peu la langue de bois. «On attendait cette réforme du collège, mais, là, on la découvre, dit-il, inquiet. Les Français ne sont pas très portés sur les langues étrangères.

Il y a bien eu un intérêt de leur part pour l’allemand après la chute du mur de Berlin, mais il fut de relativement courte durée. L’espagnol, préféré à l’allemand comme deuxième langue derrière l’anglais, a toujours été le choix de la

facilité. Sauf que, pour les débouchés socioprofessionnels, entre l’allemand et l’espagnol, il n’y a pas photo, l’allemand l’emporte. Or, ce que je comprends, c’est qu’avec l’abandon des classes bilangues l’enseignement de notre langue en France, à court et moyen termes, va encore reculer.»

Il faut s’attendre à des conséquences en Allemagne, appréhende notre interlocuteur. La fin programmée des classes bilangues est un mauvais signal envoyé à l’«ami» d’outre-Rhin. «Il y a dans mon pays des régions où l’apprentissage du français est en baisse, et la réunification n’a rien arrangé, constate Joachim Umlauf.

Cela dit, environ 20% des écoliers allemands apprennent le français et, chez nous, où l’instruction publique est du ressort des länder, certains d’entre eux font beaucoup pour l’enseignement de la langue française, à l’image de la Sarre, frontalière de la France, qui a décidé que, d’ici à 2043, tout Sarrois parlera tout aussi bien allemand que français.»

Le directeur du Goethe-Institut parisien organisera «une journée d’action», le 6 mai, pour rallier le public français à la cause de l’allemand. «Je pense inviter des metteurs en scène, des comédiens, des artistes, des chefs d’entreprise. Wim Wenders et Volker Schlöndorff pourraient être là, Patricia Kaas aussi», dit-il, pour l’heure cherchant encore qui inviter.

«Ce serait bien qu’il y ait des jeunes», ajoute-t-il, comme s’il redoutait que la «coopération franco-allemande, moteur de la construction européenne», n’intéresse plus que les «vieux».

Cette «querelle d’allemand» entre Paris et Berlin, avec ses dimensions matérielles, affectives et diplomatiques, n’est pas sans évoquer l’épineuse question de l’enseignement du français dans certains cantons suisses alémaniques et les tensions qui en résultent de part et d’autre de la Sarine.

Avec une différence notable: dans le cas franco-allemand, c’est la partie française qui donne l’impression de snober la partie germanique. Les choses s’équilibrent toutefois sur le plan économique: si les emplois sont en Allemagne, la démographie pour les pourvoir est en France, où sévit un chômage de masse.

Risque de privilégier le privé

Avant l’emploi, l’instruction. Le mauvais classement de l’école française dans l’évaluation PISA de l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques en Europe), aux abords de la 25e place, obligeait l’Education nationale à réformer le collège, décrit comme le «grand malade» du système éducatif hexagonal, où plus de 100 000 élèves décrochent chaque année.
L’accent a été mis sur la «maîtrise des compétences» et sur l’«interdisciplinarité» – au détriment de l’«apprentissage des disciplines», déplorent les tenants d’une vision plus classique de l’enseignement, qui voient avec horreur le latin et le grec se fondre dans le grand tout interdisciplinaire.

Réagissant à l’abandon des classes bilangues, l’essayiste Pascal Bruckner, qui passe pour un «réac» aux yeux des «progressistes», fulmine. «Au lieu de promouvoir l’excellence pour tous, qui était un des buts fondateurs de l’école publique, on ramène l’école au plus petit dénominateur commun, estime-t-il.

Le souci de l’égalité est un prétexte pour plonger les élèves dans une commune médiocrité. Outre la mauvaise manière faite à notre voisin allemand, on va accroître l’enseignement de l’ignorance, qui est désormais la règle à l’éducation nationale.»

La députée UMP Valérie Pécresse s’active pour le maintien des classes bilangues. «Si ces sections, qui exercent un pouvoir d’attractivité, disparaissent, le peu de classe moyenne encore présente dans certains collèges va partir dans le privé. Et qui en pâtira? Les populations défavorisées. Or, l’école a besoin de mixité sociologique.»

Présidente de l’Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France (ADEAF), elle-même prof d’allemand, Thérèse Clerc réfute l’idée selon laquelle ces classes seraient réservées à l’élite des «bons élèves». L’inscription y est libre, «même si parfois, dit-elle, des directeurs de collège ou des parents ne jouent pas totalement le jeu».

Transmis par Thérèse Clerc, le témoignage d’une professeure d’allemand au collège Albert Camus de Clermont-Ferrand, situé en zone d’éducation prioritaire, insiste toutefois sur l’universalité de ce dispositif aujourd’hui menacé.

«Cette année, seize élèves ont commencé la bilangue anglais-allemand dès la sixième, écrit Aude Becker-Thénot. Ils ont des niveaux très disparates. Certains sont excellents et d’autres sont en difficulté, voire en très grande difficulté. Il n’empêche que la progression qu’ils ont faite depuis le début de l’année est importante pour chacun d’entre eux – elle est même plus impressionnante pour les plus faibles.»

Le député socialiste Razzy Hammadi, membre du groupe d’amitié France-Allemagne à l’Assemblée nationale, ne tient pas à «[s]’exprimer» sur ce sujet. Mais, à l’entendre, le sort des classes bilangues ne serait peut-être pas définitivement scellé.

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