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Les sept revanches de Cristiano Ronaldo

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:51

Ballon d’or.Arrogant, puéril et prétentieux. Mais aussi bosseur, génial et ambitieux: la star portugaise n’a jamais su se faire aimer. Ronaldo est pourtant le meilleur joueur du monde.

Lorsque que son nom fut prononcé, lundi soir, il eut sur le visage un soulagement. Il serra à peine la main de Joseph Blatter, président de la FIFA, en montant sur scène. Il passa derrière lui pour étreindre Pelé. Il serra à peine la main de Michel Platini, à la tête de l’Union des associations européennes de football. Il se pencha pour prendre son fils de 3 ans dans ses bras, né d’une mère demeurée inconnue à laquelle il paya des millions pour disparaître. Et puis il balbutia, et se mit à pleurer ses remerciements.

Cristiano Ronaldo, 28 ans, de nouveau Ballon d’or (il le fut une première fois en 2008, avant quatre années d’hégémonie de Lionel Messi), pleure facilement. De rage, de désespoir, de déception et parfois de bonheur. Ce Ballon d’or, récompensant le meilleur joueur de l’année, était devenu autre chose qu’un trophée à (re)conquérir: un symbole, une obsession presque. Quatre fois, il était resté assis sur sa chaise, à regarder Messi sourire. Il n’en pouvait plus. Il trouvait cela injuste, il se voyait en victime d’un complot international. Il marquait pourtant de plus en plus de buts. Il voulait sa revanche. Il la voulait comme il avait voulu toutes les autres.

La première revanche de Cristiano Ronaldo, c’est de s’être extirpé de là d’où il vient. Quartier de Santo António, à quelques kilomètres du centre de Funchal, île de Madère, Portugal. Pas la misère, non, il ne faut pas exagérer, racontent ses amis. Mais «la classe moyenne basse», autrement dit pas grand-chose. Père jardinier et picoleur, qui aime le foot. Mère cuisinière.

Le gamin commence à jouer pour le tout petit club d’Andorinha, dont son père est l’homme à tout faire. Il apprend en pleurant. Cité par l’excellent magazine spécialisé So Foot, l’un de ses premiers entraîneurs, Pedro Telhinhas, témoigne: «Il ne savait déjà pas perdre. C’est quelque chose qu’il ne supportait pas, que ce soit en match ou à l’entraînement. Quand il perdait, il pleurait.» Et déjà, il le dit alentour: il veut être le champion et rien d’autre. Il quitte Madère.

La deuxième revanche est à Lisbonne. Il a 11 ans quand il y arrive, déjà repéré par le Sporting. Il fait ses classes mais rien n’est simple. Il doit subir une opération au cœur. On se moque de son accent madérois, cela le met dans des colères terribles: il lance une chaise sur l’un de ses professeurs. Sur le terrain, il impressionne de plus en plus. A 17 ans, le 29 septembre 2002, il joue enfin avec les pros du Sporting. Il marque deux buts. Lisbonne est à ses pieds.

Devenir le meilleur. En 2003, il quitte alors Lisbonne, direction le Manchester United d’Alex Ferguson. Quinton Fortune, qui le croisa à l’époque, se souvient: «A 18 ans, il disait à tout le monde qu’il deviendrait le meilleur footballeur du monde. Les autres joueurs de l’équipe le trouvaient plus amusant qu’arrogant. Ryan Giggs lui a dit de ne jamais dire ça en public, car il se mettrait une pression inutile; Ronaldo a rigolé.»

A Manchester, il apprend tout, la dureté, la résistance, la constance. Et aussi à marquer des buts qui ne sont pas tous les plus beaux: jaillir, récupérer, se jeter en avant. Et surtout, il gagne le respect. Parce que le seul secret de Cristiano Ronaldo, c’est qu’il travaille beaucoup plus que les autres. Mike Clegg, l’un des responsables physiques de Manchester United, le dit aussi à So Foot: «Sa vie est dédiée au football. Il avait recruté un chef pour s’assurer de bien manger tout le temps. Chaque jour, il arrivait en avance à l’entraînement. Après l’entraînement, il revenait dans la salle pour travailler encore ses cuisses. Ensuite, il rentrait chez lui, mangeait, faisait une sieste, puis il nageait. Pour récupérer et se développer. Tout ça pendant cinq ans. Il paraît qu’il faut dix mille heures de pratique pour être très bon dans une discipline, que ce soit la peinture, le piano ou le football. Cristiano a largement dépassé ce total. A Manchester, personne ne s’entraînait aussi bien que lui.»

Il fonctionne au défi: dès qu’il voit un joueur réussir un geste qu’il ne sait pas faire, il lui demande de lui montrer. Deux jours plus tard, il le fait mieux et plus vite.

La troisième revanche de Cristiano est une tristesse et un hommage. A son père qu’il adorait, et qui n’eut jamais d’autre ambition pour son fils que de le laisser libre de ses choix. Mais papa aimait trop le vin blanc de Madère et était alcoolique. Son fils lui paiera les plus fantastiques cliniques, au Portugal comme en Angleterre, pour l’aider à s’en sortir. En vain. Son père meurt fin 2005 à 52 ans, à Londres, tumeur au foie due à ses abus. Depuis, Ronaldo ne boit plus une goutte d’alcool, marche au Red Bull dans les soirées. Il s’occupera aussi des addictions à la drogue de son frère Hugo, le nommant ensuite à la tête du musée à sa gloire ouvert désormais à Madère.

Match avec Mourinho. La quatrième revanche de Ronaldo, c’est face à José Mourinho. Ronaldo est arrivé en star (94 millions d’euros, un record) au Real Madrid en 2009, après un premier Ballon d’or l’année précédente. A l’automne 2010, son association avec le nouvel entraîneur, Mourinho, Portugais lui aussi, est supposée magique. Mais les deux hommes ne s’apprécient pas, c’est un euphémisme. Ils se mènent une guerre.

Entre le petit gars de Funchal la pauvre et le seigneur de bonne famille de Setúbal, l’ambiance est électrique, tourne à la quasi-lutte de classes. Mourinho: «Ronaldo est un enfant immature et irrespectueux. Cela vient sans doute d’une enfance difficile lors de laquelle il n’a pas eu la meilleure des éducations.» Il le colle parfois sur le banc des remplaçants. Ils ne se parlent bientôt que par l’entremise de l’adjoint de l’entraîneur.

Mais Ronaldo lutte, tient, résiste, marque encore plus de goals, et dit son désaccord avec la tactique qu’il juge trop défensive. Après l’élimination contre Barcelone en demi-finale de la Ligue des champions, en 2011, les deux hommes manquent d’en venir aux mains. Le Real, cependant, est devenu de plus en plus Ronaldo-dépendant: 60 buts en 2011, 63 en 2012. C’est Mourinho qui craque, et repart pour l’Angleterre.

La cinquième revanche de Ronaldo, c’est Florentino Pérez, l’ombrageux président du Real, qui lui aussi est agacé par sa vedette. Mais il doit plier lorsque, le 16 septembre 2013, après avoir engagé à prix d’or le Gallois Gareth Bale, il signe à Ronaldo un contrat à 21 millions d’euros annuels jusqu’en 2018. Cristiano a un principe logique. Il bosse plus que les autres pour être le meilleur du monde. Alors il a droit au meilleur salaire de la planète football.

Ensuite, il y a Sepp Blatter à aplatir. En octobre 2013, à Oxford, le président suisse de la FIFA se moque stupidement en public de Ronaldo, disant aussi qu’il préfère Messi. Buzz mondial et courroux du joueur, qui y voit la preuve de l’ostracisme dont il est l’objet. Alors oui, ils se sont salués mardi soir à Zurich. Mais Blatter avait l’air très petit, et au bord de faire la gueule, à l’instant du triomphe du Portugais.

La dernière revanche, c’est contre Messi. Ronaldo est un travailleur acharné, on l’a répété à l’envi. Messi est un talent génialement naturel. Ils sont tous les deux extraordinaires, et leur duel à distance est l’un des plus beaux de l’histoire du jeu.

Showman. C’est son tour, cependant, c’est l’année du Portugais. De ses 69 buts en 2013. De ses accélérations géniales à presque 34 kilomètres à l’heure. De ses passements de jambes et de sa puissance. De ses provocations aussi, de son mauvais goût bling-bling siglé CR7, de ses pectoraux publicitaires, du mannequin russe Irina Shayk à son bras. C’est un showman en blanc royal dans un monde de shows. Et il faut l’aimer paradoxalement pour cela: cette incapacité à se faire aimer vraiment des foules, cette solitude étrange de l’idole égocentrique qui se met à pleurer de joie puérile en recevant son Ballon d’or. Mais quel joueur, quel spectacle que Sa Majesté Cristiano Ronaldo.

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Caroline Fourest déshabille Inna la Femen

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:52

Document. La journaliste et écrivaine livre avec «Inna» un portrait-enquête remarquable et personnel de la leader de Femen, l’Ukrainienne Inna Shevchenko.

Inna Shevchenko arrive en avance dans ce café du Marais parisien proche du domicile de Caroline Fourest. Col roulé moulant, bottines, 23 ans, blonde. Quelques minutes plus tard, Caroline, 38 ans, jean sage, la rejoint. La première fois qu’Inna est allée chez Caroline, courant 2012, celle-ci s’affole: ses amies portent toutes des chaussures plates et son parquet ne supportera pas les talons affûtés de l’Ukrainienne tout juste débarquée en France. Depuis, Inna n’a pas converti Caroline aux talons, pas plus que Caroline n’a convaincu Inna des bienfaits des cheveux courts. Si tout les rassemble – mêmes ennemis, mêmes rêves égalitaires –, beaucoup de choses les séparent, à commencer par leur méthode de combat. L’une pense, dénonce, débat; l’autre occupe la rue, se déshabille, activiste avant tout.

Mais c’est ensemble qu’elles présentent Inna, à paraître le 22 janvier chez Grasset. Signé Caroline Fourest, Inna est une plongée toute personnelle dans la vie et l’œuvre de la Femen, arrivée à Paris en août 2012 avec un visa de touriste, réfugiée politique depuis avril 2013.
Journaliste, rédactrice en chef de la revue ProChoix, figure incontournable du débat intellectuel, auteure d’une vingtaine d’essais consacrés à toutes les formes d’extrémismes (Les nouveaux soldats du pape, Frère Tariq, Marine Le Pen, Les anti-pacs), Caroline Fourest livre ici son premier livre consacré à une personnalité de son propre camp.

Choc des cultures. Inna est le roman vrai, passionnant, documenté, lyrique mais jamais naïf, d’une rencontre multiple: celle de deux personnalités fortes qui se battent depuis des années pour leurs convictions. Celle de deux visions du féminisme, cette nébuleuse en redéfinition permanente. Celle de deux manières, quasi irréconciliables, de faire passer ses idées. Inna constitue un document remarquable sur le choc des cultures: choc de la rencontre entre Inna Shevchenko et Caroline Fourest, choc de la rencontre entre Inna la Femen et la France, qui ne s’en est pas encore remise – la classe politique dans son ensemble réprouve la récente action dans l’église de la Madeleine, où une militante a mimé un avortement avant d’uriner… Inna est une déclaration d’amour forcément contrariée – les amazones ne s’embarrassent pas de sentiments. Inna est une affirmation: une armée de femmes guerrières est en marche et, à l’image de leur blonde leader, elles sont prêtes à tout.

Rencontre. Elles se rencontrent en 2012 à Paris, alors qu’Inna vient de tronçonner une croix en soutien aux Pussy Riot et de fuir son pays pour ne pas être arrêtée. Réalisatrice, Caroline suit ses premiers pas en France. Féministes, elles se bagarrent côte à côte pour sauver Amina des geôles tunisiennes. Elles passent ensemble sous les bottes des néofascistes lors d’une manifestation d’opposants au Mariage pour tous. Pendant de longs mois, Inna se laisse filmer pour le documentaire (Nos seins, nos armes) de Caroline. Laquelle a dû «batailler» pour vaincre la «méfiance maladive» d’Inna, elle-même «recevoir mille coups de poignard» au fur et à mesure qu’elle s’approchait.

Naissance. Page après page, on suit, entre Paris, l’Espagne ou le Vatican, Inna, mais aussi Oksana, Alexandra, Anna, la rousse fondatrice de Femen, leur copain de jeunesse Viktor, dont le rôle sera déformé et amplifié par les médias à la suite du film de Kitty Green, Ukraine is Not a Brothel, présenté au festival de Venise. On assiste à la naissance des Femen dans une partie de l’Ukraine restée soumise aux diktats du Kremlin. Fourest décortique leur activisme (un art de la performance hérité, tout comme chez les Pussy Riot, de l’actionnisme viennois des années 60 et 70), leurs codes, leur message, leur iconographie «efficace», qui réside dans la mise en scène de nouvelles femmes «puissantes et autonomes, loin de l’Eve tentatrice et de la Vierge Marie».

Surtout, on plonge dans la jeunesse d’Inna, née en 1990 à Kherson, port de Crimée de 300 000 âmes, seconde fille d’un ancien marin reconverti dans l’armée qui, tous les matins pendant un an, lave le nourrisson à l’eau glacée, pour le rendre fort. Inna raconte ce moment où l’élève modèle, diplômée en journalisme de l’Université de Kiev, punie pour avoir manifesté contre le candidat à la présidentielle Viktor Iouchtchenko, bascule dans la révolte et rejoint les Femen en 2009, un an après leur création. «Au début, je n’étais pas féministe, c’était par curiosité. Mais, quand j’ai perdu mon emploi à cause de mon engagement, j’ai compris que cette lutte était juste.» Quatre ans plus tard, Femen compte quelque 300 sextremists dans le monde, dont 70 en France. Inna a pris le lead sur le mouvement et supervise les onze antennes en Europe et au Canada.

Il ressort d’Inna le portrait d’une femme plus articulée, froide et volontaire que le folklore coloré servi par les médias. Une femme qui se déclare «100% activiste, 100% Femen», dont l’iPad est devenu le chez-soi. Certains enfants sont nés pour être «premiers en tout, enfant préféré, délégué de classe, futur patron ou leader». Inna est de ceux-là.

A Paris, elle et sept Femen viennent de quitter le bar-théâtre alternatif qui les avait accueillies, le Lavoir, pour occuper une maison dont elle garde «pour le moment» l’adresse secrète. La France est pour elle «une source d’inspiration et de déception» à la fois. «Dans la rue, j’ai droit aux mêmes commentaires mâles qu’en Ukraine. Ce n’est donc pas un problème politique, mais celui d’un monde fait par les hommes, pour les hommes.»

Au début, elle était contre les seins nus. Mais, action après action, la tenue s’est «imposée». «C’est efficace. Cela rend malade le monde patriarcal.» «Les Femen sont très bonnes dans l’iconographie, elles savent détourner les symboles en se déguisant en Barbie pour castrer une image millénaire», admire Caroline Fourest. Inna jure que Femen ne sélectionne pas ses membres au physique. «Pour avoir le courage de se dénuder, il faut une bonne dose de confiance en soi, toutes ne l’ont pas.»

Avenir. Inna court trois fois par semaine et a mis sur pied un entraînement hebdomadaire pour ses troupes chaque samedi. Au programme: self-defense et organisation de groupe. L’avenir? Inna n’y pense pas. «Je n’imagine pas quitter le mouvement. C’est ma vie. On nous reproche de n’avoir pas de stratégie. Regardez comment Femen s’est développé en trois ans!» Pour Caroline Fourest, ce mouvement peut «s’épuiser» comme s’étendre. «C’est un mouvement facile à développer, un groupe Facebook, une action bien faite. Il suffit de quelques femmes déterminées dans chaque pays. Pour l’instant, Femen n’a jamais franchi la ligne. Mais un jour, qui sait? Si son mouvement tournait mal, comme c’est arrivé à tant de groupes d’extrême gauche?»

Amoureuse. L’une des couches du récit dense de Caroline Fourest concerne leur relation personnelle. Elle avertit: «Les gens pensent qu’il faut se tenir loin de son sujet pour être un bon journaliste. C’est faux. Il faut être au plus près, tout en conservant du recul sur soi-même.»

La rencontre de ces deux femmes exemplaires, pionnières et révolutionnaires chacune à sa manière, est fascinante, autant que la lecture que chacune en fait a posteriori.

Caroline ne cache pas les «sentiments grandissants» qui l’ont animée, les «moments doux volés», puis la rupture, politique autant qu’amoureuse. «Je ne sais pas comment qualifier ce que nous avons vécu, avoue Caroline. Les lecteurs se feront leur propre idée. Nous nous voyons peu désormais. Trop de divergences et de rendez-vous manqués nous ont durcies l’une contre l’autre.»

«Caroline m’a appris beaucoup de choses sur la France, les médias, reconnaît Inna. Mais quand je l’ai rencontrée, elle était à mes yeux le modèle type de la féministe ennuyeuse. Tout brûlait autour de moi, et je me retrouvais à demander si je devais enlever mes chaussures en entrant chez elle! Elle a son propre mode d’expression, je ne souhaite pas qu’elle m’influence.» Amies? «Je n’ai pas d’amies. J’ai grandi ainsi, ce n’est pas parce que je suis une activiste. Je ne nie pas que nous avons eu une aventure, mais cela n’a jamais été davantage. Nous voyons notre relation passée d’une manière différente.» Côté cœur? «Je suis très mauvaise en matière de sentiments. Ne parlons même pas d’amour, je ne sais pas ce que ce mot signifie. J’ai les Femen.»

Elles se lèvent ensemble pour sortir du café. Caroline signera seule ce livre intitulé Inna.

«Inna». De Caroline Fourest. Grasset, 390 p.
En librairie le 22 janvier.

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Soutenir Assad: un moyen de mettre fin au conflit syrien

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:53

Analyse.Les Etats-Unis devraient apporter un appui à Bachar al-Assad pour faire cesser les combats, préparer les conditions de son départ et opérer une transition démocratique. Une solution que défend un ancien diplomate américain au Moyen-Orient.

Le 22 janvier s’ouvre à Montreux la Conférence de paix sur la Syrie. A ce jour, une trentaine de pays et diverses organisations politiques ont été invités, sauf l’Iran, pourtant puissance régionale et allié indéfectible de la Syrie. Et, sur le terrain, la situation se fait toujours plus confuse: les extrémistes de l’EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant) ont menacé de mort les membres de la Coalition de l’opposition syrienne et les combattants de l’Armée syrienne libre. Le but de l’EIIL, une sorte de dissidence d’al-Qaida en Irak, consiste à instaurer un califat islamique dans la région.

Face à l’imbroglio meurtrier qui saigne la Syrie, où l’on ne sait plus guère qui est l’ennemi de qui, l’ancien diplomate américain Gary Grappo propose sa solution, seule à même, selon lui, de pacifier le pays: soutenir le président Bachar al-Assad le temps de faire le ménage.


Gary Grappo

Il existe, en politique, une maxime bien connue: «Un mauvais plan vaut mieux que pas de plan du tout.» Cela a été clairement démontré dans le cas de la Syrie. Dans un article qui donne à réfléchir, Anne Barnard écrivait le 8 novembre dernier dans le New York Times que les Syriens étaient toujours plus nombreux à se réconcilier avec leur président Bachar al-Assad. C’est aussi le cas de membres et ex-membres des groupes d’opposition armés et même de l’Armée syrienne libre (ASL).

On en est là car aucun de leurs soutiens extérieurs, en particulier le gouvernement américain, n’a jamais eu de plan effectif pour renverser le tenace dictateur. Assad et sa coterie d’alliés – la Russie, l’Iran, le Hezbollah et les milices chiites irakiennes – avaient un plan, eux: recourir à tous les moyens, y compris les armes chimiques à l’encontre des non-combattants, pour tenter de bloquer, éventuellement de vaincre, les éléments d’opposition susceptibles de bénéficier du soutien des Etats-Unis et des pays du Golfe.

Terrain pour les extrémistes. Il n’y a pas eu de contre-plan. Et l’incapacité à former une opposition cohérente et unie a signifié l’abandon du champ de bataille et de l’espace politique soit à Assad, soit aux extrémistes. Les professions de foi du genre «Assad doit partir» ou les allusions à une «ligne rouge» évoquent, avec le recul, des disputes de petits caïds de cour d’école. On ne vire pas de cruels dictateurs avec des mots, très rarement par des menaces. Nous avons répondu à la situation par l’indécision et des phrases creuses. L’opposition démocratique syrienne et l’Armée syrienne libre nous ont crus. Pas Assad.

Pris depuis près de trois ans dans la nasse sanglante de leur guerre civile, les Syriens ne supportent plus de voir leur pays se réduire à un champ de bataille pour extrémistes violents, farouchement déterminés à détruire un pays pour y construire un Etat islamique illusoire, un Etat dans lequel les Syriens n’auraient ni liberté politique ni liberté personnelle. Ce serait le retour à une existence primitive du genre de ce que promettent les talibans. A ce point, ils préfèrent Assad, ils le connaissent.

Un chemin vers la démocratie. Du coup, si les Syriens sont prêts à partager leur sort avec le dictateur de Damas, que devraient faire les Etats-Unis et leurs alliés? Les options ne manquent pas. Assad veut de la légitimité, il en a même besoin. D’abord de la part des Syriens, puis de la communauté internationale. Les Etats-Unis peuvent jouer un rôle déterminant pour s’assurer que cette légitimité soit assortie de conditions. En voici quelques-unes.

Premièrement, Assad doit consentir à des élections libres et justes, assistées et surveillées, tant à la présidence qu’au Parlement, dans un délai de deux ou trois ans. Ce délai permettrait à la Syrie de se préparer et d’éviter les erreurs commises en Egypte et en Libye.

Puis, durant la période transitoire, les partis doivent être libres de s’organiser et de faire campagne. Aucun parti prônant la violence ou opposé à la démocratie, aucun groupe tribal, ethnique ou religieux ne serait autorisé à concourir. Les médias seront soumis aux mêmes règles et jouiront de la liberté d’expression. Ensuite, Assad ne devra pas être candidat et ne pourra se représenter qu’au terme d’une période convenue de, disons, dix ans. Avant les élections, les Syriens éliront leurs députés à une assemblée constitutante qui élaborera une nouvelle Constitution soumise au vote du peuple syrien.

Une cour pour juger les crimes graves. Il s’impose que des juristes syriens, choisis avec le blanc-seing international, se penchent sur les comportements criminels tant au sein de l’actuel gouvernement Assad que parmi les groupes d’opposition. Aucun Syrien coupable de crime violent ne pourra aspirer à participer à un futur gouvernement syrien. L’armée et la police syrienne resteront en place mais sous des commandements renouvelés. Le Moukhabarat, la sécurité intérieure et militaire, sera dissous. Les officiers accusés de crimes graves seront destitués avant d’être jugés par des juges syriens. La communauté internationale veillera de près sur le nouveau commandement de l’armée.

Finalement, si toutes ces mesures sont mises en œuvre, la communauté internationale devra songer à lever les sanctions. Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU confirmant la promesse d’Assad de respecter ces conditions serait le levier lui permettant de gagner cette légitimité qu’il veut à tout prix.

Le nécessaire engagement de la communauté internationale. Il se peut que les Etats-Unis et d’autres membres de la communauté internationale répugnent à s’accommoder de Bachar al-Assad. Mais, pour les Syriens, l’espoir de lui faire prendre la porte est une option qui comporte la certitude d’une violence atroce, de la faim, du désordre et d’une souffrance sans fin qu’ils ne peuvent plus tolérer.

Les Etats-Unis et la communauté internationale doivent s’engager à mettre fin à la guerre civile en Syrie. A la différence de ce que nous avons fait depuis qu’elle a débuté, nous devons désormais confirmer nos paroles par une action vigoureuse et concertée. Nous pouvons le faire. Nous pouvons mettre un terme à la détresse des Syriens. Et nous pouvons répondre à leurs aspirations à la paix, à la stabilité, à la liberté et à la démocratie. Un tel effort commence par un plan immédiatement suivi d’action.

© globalpost.com
Traduction et adaptation Gian Pozzy


Gary Grappo

Titulaire d’un diplôme de mathématicien, d’un diplôme de géodésie et d’un MBA effectué à Stanford, Gary Grappo, 64 ans, a notamment été chef de mission adjoint à l’ambassade américaine de Riyad (Arabie saoudite) et ambassadeur à Oman de 2006 à 2009.

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Keystone / SANA
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Dis-moi comment tu aimes, je te dirai comment tu gouvernes...

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:55

People et politique.Il y a bien une affaire François Hollande-Julie Gayet: celle d’un président français qui laisse faire les événements, rouler les scooters et courir courtisans, journalistes et conseilleurs. On jurerait du Feydeau.

 

Christophe Passer, avec Isabelle Falconnier et Chantal tauxe

Le début, c’est juste avant, dans le foyer du théâtre à l’ancienne, avant même la pièce. Une coupe de champagne, un verre de vin rouge, ou de l’eau plate trop tiède, c’est selon les goûts et les humeurs aux morosités changeantes comme l’opinion et les sondages. Le public patiente un peu, parlant de tout et de rien. La politique est évoquée, évidemment. Il n’y a pas mieux que le peuple de France pour faire du french bashing à l’encontre de son propre gouvernement.

Une fin d’année 2013 catastrophique. Jusqu’ici, tout va mal, dit la couverture d’un livre qui sort cette semaine. Il y a eu le numéro délirant de l’affaire Leonarda: cette jeune fille interpellée en pleine sortie scolaire et aussitôt expulsée au Kosovo. Une cata de com. Ensuite, la fronde fiscale, et l’écotaxe attaquée à grandes claques molles de bonnets rouges. Et puis ce chômage, dont on n’arrive guère à convaincre qu’il baisse vraiment, batailles de chiffres, querelles de courbes. Et alors Dieudonné, un os à ronger pour Manuel Valls, ministre de l’Intérieur qui adore qu’on le voie faire l’actif et le beau à l’extérieur. Ça compense un peu ce premier ministre gris comme un ministre suisse. Et ce président si normalement décevant. Il fait ce qu’il peut. Flanby un jour, Flanby… Il affecte de tenir la baraque avec calme. Il colmate. Sa Valérie Trierweiler s’est un peu calmée après son tweet freudien de l’été dernier à l’encontre de Ségolène Royal. Valérie a fait un régime pour mieux porter du Dior. Les Français ne l’aiment pas beaucoup, pour autant. Dure. Donneuse de leçons. Agressive. Elle s’essaie à faire sa Bernadette de naguère en allant dans les hôpitaux, en jouant au Noël de l’Elysée avec des enfants, mais rien n’y fait. On en est là. Les personnages sont en place.

 

Acte I
Monsieur chasse!

Créée en 1892 à Paris par Georges Feydeau, lui-même l’enfant d’un adultère (sa mère lui racontait qu’il était le fils de Napoléon III, qui avait ses maîtresses rue du Cirque, on n’invente rien…). Chez Feydeau, il y a presque toujours une indication simple, genre: décor bourgeois. Décor élyséen, pour le coup. Dans Monsieur chasse!, le mari raconte à sa femme qu’il va tirer du gibier. On imagine sans peine François Hollande disant des craques à Valérie: «Ma chère amie, cette présidence, quelle terrible affaire. Je suis éreinté toujours. Je dois partir encore. L’Etat d’abord. Ma maîtresse, c’est la France, qu’y puis-je? A demain.» Madame sort, porte droite de la scène, c’est plus élégant, ça donne du mouvement. Madame a des doutes sur la nature de la chasse, mais ne veut pas y croire.

Scène suivante, même endroit. Hollande est resté là et cause avec son garde du corps. Discussion chuchotée sur la couleur du casque, l’opacité de la visière, la fluidité merveilleusement discrète du scooter dans la circulation. C’est beau une ville la nuit, quand on va rejoindre Julie. Le public rit déjà. Une autre femme, évidemment. Une aventure. Du romanesque qui fait illico passer François Hollande du président normal au président si banal. Car les dirigeants français et les électeurs voient dans l’adultère petit-bourgeois autre chose qu’une faiblesse: une habitude, un attribut de fonction. Félix Faure, forcément, mort dans les bras d’une maîtresse en 1899. Plus près de nous, Giscard se prenait pour un play-boy. Mitterrand faisait dans la bigamie, les mystères vénitiens et la fille naturelle au premier rang des funérailles. Chirac donnait force aux plaisanteries style «Monsieur 10 minutes, douche comprise». Sarkozy affectait l’attitude napoléonienne: désertion de Cécilia, court exil intérieur, conquête et revanche Carla avec une femme-trophée, mariage express puis enfant, en avant toute! Hollande n’est pas Bonaparte, lui. Il croit faire moderne en n’épousant jamais. Avec son garde, ils quittent la scène comme deux étudiants qui vont faire des bêtises.

Scène trois. Feydeau ne se casse pas trop la tête: le décor ne change pratiquement jamais. On voit revenir Valérie, lasse un peu, qui s’affale sur un canapé. Un domestique entre, côté gauche. Il apporte un journal sur un plateau. C’est Closer. Valérie regarde. Elle ouvre grande la bouche effarée pour que les spectateurs du dernier rang voient comme elle fait bien la bafouée. Elle tombe au sol. Le rideau tombe.

 

Acte II
Un fil à la patte

Créée en 1894 par Feydeau. Gros succès à l’époque. Des maîtresses qui sont actrices et des amants dans le placard. Ça virevolte de partout. Des journaux annoncent des mariages, et la maîtresse ne savait rien: vie privée, vie publique, vie cachée, le génie de Feydeau avait déjà tout compris. Dans les rédactions d’aujourd’hui, comme celle de L’Hebdo, mêmes questionnements. Est-ce seulement du people, la révélation d’une liaison? Les chefs d’Etat sont-ils victimes de la transparence, de la vitesse, de l’époque, Facebook et paparazzis? A quel moment leur vie personnelle influe-t-elle sur leur travail de gouvernants? Doit-on toujours s’arrêter, doctrine Pompidou, à l’entrée de la chambre à coucher? La nuance, c’est que ce que l’on racontait sur l’épouse de Pompidou était faux et odieux, mais là? Une majorité de Français dit aujourd’hui ne pas trouver problème aux amours de François Hollande avec l’actrice Julie Gayet: c’est une affaire privée, voilà tout. Pour autant, l’histoire les passionne absolument: Closer a plus que doublé ses ventes.

Retour sur scène. Valérie est au lit, seule et en larmes. Elle passait pour voleuse d’homme auprès de Ségolène Royal, voilà l’arroseuse arrosée. Journaliste qui était – un comble – l’une des seules Parisiennes à ne pas savoir, si l’on en croit l’addition des rumeurs et allusions médiatiques depuis des mois.

Astuce de mise en scène, scène tournante, décor plus bohème, artiste un peu, rue du Cirque, un autre lit, heureux celui-là: Hollande et Julie babillent comme des étourneaux étourdis. Mais ils se demandent surtout quoi faire. Tenir salon, conférence, tout dire? Mais au nom de quoi, de quelle transparence vaguement totalitaire? Hollande aime laisser dire, faire les événements.
Dans la vraie vie, le président aurait tout avoué à Valérie Trier­weiler la veille de la parution du magazine. Mais ça ne change guère les questions: que choisir? Répudier ou pas la concubine officielle? Et comment va-t-elle réagir, après son passage en cure de repos à l’hôpital? Comment éviter que l’affaire n’éclipse les questions sérieuses de la vie des Français et ne finisse par rapidement les agacer?

 

Acte III
Le système Ribadier

Créée par Feydeau en 1892. Une histoire extraordinaire. Pour s’en sortir face à une femme à la jalousie paranoïaque, le mari utilise son don d’hypnotisme afin d’endormir sa légitime pour aller ensuite tranquillement faire ses escapades amoureuses.

Voici donc l’heure venant des possibles dénouements. Hollande en hypnotiseur de la France entière? Pas tout à fait.

Premier dénouement possible: retour à Valérie. Face à la fronde, aux féministes qui crient à la femme bafouée, il s’incline et revient au bercail. Il ne s’excuse pas. Il regrette un peu. Adieu Julie, qui reste chère, mais qui était une «erreur de jugement», une «passade». Hollande demande carrément Valérie Trierweiler en mariage. Evidemment, c’est aussi la solution du malheur, de l’ordre contre le désir, du devoir contre la passion romanesque. Avec un risque de catastrophe si Valérie, cocue traumatisée désormais, lui fait payer cette histoire en privé durant les vingt ans qui viennent. Pauvre François!

Deuxième fin possible: François Hollande choisit, pour une fois. Il veut Julie et répudie Valérie. Enfin l’homme d’action. Enfin l’amour. Las, las, voyez comme en peu d’espace, tout peut changer: Julie Gayet, terriblement échaudée par toute l’affaire, refuse son statut de Pompadour du moment, ne se voit pas une minute en dame du palais et le laisse froidement tomber. Catastrophe encore, Monsieur Hollande se retrouve tout seul, Calimero à l’Elysée.

Troisième piste: il choisit Julie, mais il comprend son époque. Avec Valérie Trierweiler, François Hollande a déjà raté une occasion unique de faire avancer de façon exemplaire l’idée d’un couple d’aujourd’hui en France, débarrassé des obligations maritales et protocolaires. Or, ils n’étaient pas mariés, mais ils faisaient tout comme s’ils étaient mariés. Valérie en première dame avec appartement et cabinet, chauffeur et bonnes œuvres, grands couturiers et position très officielle aux dîners d’Etat. Les ors de la République et la poussière postmonarchique.

Avec Julie Gayet, il peut comprendre, et décider de la laisser en paix, ailleurs dans Paris, vivre sa vie et sa carrière en complice et en femme amoureuse de lui. Elle est belle et enjouée, elle sera à son bras quand elle le voudra, sans caprice aucun, seulement par tendresse, les Français l’adoreraient, la popularité du président prendrait l’ascenseur. Parce que, alors, elle deviendrait autre chose qu’une liaison, qu’une pièce de Feydeau, portes qui claquent, photographes planqués. Et Hollande quitterait enfin ses moues d’éternel étudiant en poussée d’hormones, ou de vieux pas très beau chef d’Etat tombé pour tromperie petite-bourgeoise et compensatoire.

Il y aurait juste un homme et une femme d’aujourd’hui, tombés amoureux, marchant main dans la main dans le Jardin du Luxembourg en sifflotant du Stromae, sans qu’on l’oblige, elle, à surjouer faussement la première dame (lire encadré): elle est trop bonne actrice pour ça. Elle serait plutôt la dernière femme, une bienveillante, belle dansante à son seigneur qui saurait la légèreté de la vie et lui apporterait du courage. Oui, ce serait romantique, et alors? Un président confiant en lui, qui donnerait confiance à son gouvernement et aux Français. Hollande passerait d’un «dis-moi comment tu trompes…», désuète tradition du pouvoir, à un «dis-moi comment tu aimes…» qui illustrerait l’époque qui avance.

Dès lors, people ou politique? Les deux, mon capitaine. La vie privée donnerait naturellement son énergie à la vie publique. Les Français rêvent d’une histoire d’amour. Les foules feraient triomphe à cette pièce-là, parce qu’elle serait enfin moderne. On l’appellerait Julie et François, créée à Paris, en 2014.

 


PROTOCOLE
Ras-le-bol des premières dames

C’est une curieuse nostalgie qui étreint nos républiques modernes. A côté des présidents, il faudrait des présidentes, des premières dames, comme jadis les reines flanquaient les rois. Pour faire joli, pour la touche de glamour, pour humaniser la fonction suprême, pour qu’un peu de rose, de vert, de bleu, de rouge ou de jaune égaie les photos officielles.

Cette vanité héritée des royautés confine au plus haut ridicule, et nous devrions désencombrer nos démocraties de ces prétendues nécessités protocolaires. C’était bien la peine de couper la tête de Marie-Antoinette pour se retrouver avec des Valérie ou des Julie, au gré des foucades amoureuses d’un monarque républicain velléitaire!

Evitons tout malentendu: derrière chaque chef d’Etat, homme ou femme, il est vital et heureux qu’existe un cercle d’intimes d’une loyauté totale, d’une bienveillance infinie, famille et/ou amis, qui soutient de manière inconditionnelle l’élu(e). Mais il n’y a aucune nécessité à leur donner un rôle public.

La Suisse a vécu il y a quelques jours un emballement médiatique pour Friedrun Sabine Burkhalter qui témoigne bien de cette envie contemporaine de pouvoir exhiber ou contempler une «first lady». C’est devenu une question de standing international, semble-t-il: à chaque pays sa réplique de Jackie Kennedy, même si, dans le cas suisse, le pouvoir d’un président de la Confédération est éphémère, et n’a absolument rien à voir dans sa substance avec celui d’un président des Etats-Unis. On tient un «couple présidentiel» pour un an: quelle aubaine! Mais cela va changer quoi, au juste?

Cet engouement un peu niais obéit plus aux lois du people, à une envie de jouer à la poupée avec les puissants qu’à des impératifs institutionnels ou politiques. Il n’y a nul besoin de potiches et de dames patronnesses, pas plus que de pseudo-princes consorts, pour que nos politiques gouvernent (si possible bien). Ceux-ci disposent de staffs de conseillers pour leur prodiguer toutes sortes de recommandations de fond ou de style sur les affaires en cours. Les poètes et les créateurs ont parfois des muses. Les présidents ont surtout besoin de courage et d’esprit de décision.

Le succès de l’Allemagne d’Angela Merkel démontre la vacuité de l’hystérie autour des «first ladies». Tout comme nos présidentes de la Confédération qui ont ringardisé l’habitude protocolaire en affichant peu ou pas du tout leur époux.

Les reines de jadis avaient au moins une fonction cruciale: engendrer un héritier. Nos démocraties ne gagnent rien à mettre en scène les épouses des élus en sympathiques coquettes muettes, sauf à réduire les femmes actuelles à une anachronique insignifiance.

Chantal tauxe

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Deux tiers des avortements se font par pilule

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:56

Initiative.La plupart des interruptions de grossesse sont réalisées par voie médicamenteuse tandis que leur nombre total est en baisse constante. Lumière sur les chiffres que les antiavortements omettent de mentionner.

Sou’al Hemma

C’est un fait occulté par les partisans de l’initiative «Financer l’avortement est une affaire privée», soumise au vote le 9 février prochain: les frais relatifs aux interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont sensiblement baissé au cours des dernières années, en raison notamment de la diffusion de la pilule abortive (Mifegyne), mise sur le marché en 1999. Au-delà de ses avantages financiers, la Mifegyne permet une intervention au stade le plus précoce, soit dans les sept premières semaines d’une grossesse. Sa prescription varie d’un canton à l’autre: elle peut être administrée en milieu hospitalier ou, dans des cas plus isolés et à des conditions strictes, en cabinet médical privé.

Des coûts minimes. Ainsi, les interventions par voie médicamenteuse ont peu à peu pris le dessus sur les interventions chirurgicales. Elles représentaient 67% des interruptions de grossesse en 2012, contre 49% en 2004. Cette différence est particulièrement marquée dans certains cantons, notamment à Berne (75%) ou Neuchâtel (84%). Or, avec des frais allant de 600 à 800 francs, la méthode médicamenteuse est bien moins onéreuse que la voie chirurgicale qui, elle, tourne autour de 1000 à 1600 francs.

Selon le Département fédéral de l’intérieur, le coût total des interruptions volontaires de grossesse effectuées en Suisse, qu’elles soient médicamenteuses ou chirurgicales, se monte ainsi à 8 millions de francs par année, ce qui équivaut à 1 franc par an ou 10 centimes par mois et par adulte assuré. Ces 8 millions de francs ne représentent aussi que le 0,3 pour mille des quelque 26 milliards de francs à charge de l’assurance obligatoire. Une somme minime, n’ayant qu’un léger, voire aucun effet sur les primes. D’autant plus que les femmes concernées financent elles-mêmes directement une partie de ces 8 millions par le biais de leur franchise (qui varie entre 300 et 2500 francs) et de leur quote-part (10% des coûts qui dépassent la franchise).

De fait, ni la mise sur le marché de la Mifegyne ni l’entrée en vigueur du régime du délai n’ont provoqué la hausse des chiffres prophétisée par les détracteurs de l’avortement lors de la campagne de 2002. Au contraire, de 11 769 cette année-là, le nombre d’IVG des femmes résidant en Suisse est passé à 10 477 en 2012. Avec 6,7 interruptions de grossesse pour mille femmes de 15 à 44 ans (2012), la Suisse a l’un des taux d’avortement les plus faibles d’Europe. Cela est particulièrement vrai chez les adolescentes. En 2012, les 15-19 ans ne représentaient que les 9% du total des femmes ayant subi une IVG. Les moins de 15 ans, quant à elles, ne constituaient que le 0,14% du total.

Des risques collatéraux. Bien que cette baisse du nombre d’IVG, objectivée par les chiffres, soit nette, accepter l’initiative «Financer l’avortement est une affaire privée» comporte de nombreux risques. Cela reviendrait à lier le remboursement (ou non) d’une prestation aux convictions morales d’un groupe d’assurés. Sous prétexte d’économicité, d’aucuns pourraient alors s’empresser de remettre en question la prise en charge financière de personnes âgées atteintes de graves cancers, de maladies liées à l’alcoolisme ou à la fumée et tant d’autres situations propres aux conflits de conscience.

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Les satellites de Davos gravitent autour du monde

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:57

Echanges.Le World Economic Forum n’organise pas seulement la célèbre rencontre dans les Grisons, mais aussi une multitude d’événements régionaux qui disséminent sur les cinq continents les idées développées à Davos.

Geneviève Ruiz

Le World Economic Forum: une puissante machine qui tourne toute l’année et sous toutes les latitudes. Son centre opérationnel: Genève. Ses points d’ancrage: New York, Pékin et Tokyo. Son action la plus visible: le sommet de Davos, qui attire chaque année plus de 2000 personnalités du monde économique, politique, académique, médiatique et artistique, ainsi que des leaders religieux et des représentants des ONG. Un rendez-vous qui sonnera de nouveau, du 22 au 25 janvier prochains, le branle-bas de combat dans la station grisonne où 3000 soldats seront chargés d’assurer la sécurité des invités.

Alors que le rassemblement «davosien» prend toute la lumière, il n’est en réalité qu’une petite partie des événements que le WEF, piloté par son fondateur Klaus Schwab, organise à travers la planète.

Parmi ces rencontres, il y a tout d’abord le «Davos de l’été». Programmé chaque mois de septembre en Chine, il est considéré comme le plus important événement d’affaires global d’Asie.
Il est suivi en novembre par le «Sommet de l’agenda global», qui rassemble aux Emirats arabes unis 1500 experts académiques, économiques et autres, pour participer «au plus grand brainstorming du monde».

En plus de ces événements fixes, le WEF a aussi développé des forums économiques régionaux dès la fin des années 70. D’abord organisés à Genève, ils ont été peu à peu déplacés dans les pays ou les régions du monde concernés. En 2013, pas moins de neuf forums de ce type ont eu lieu en Ukraine, en Russie, en Mongolie, au Japon, en Birmanie, en Jordanie, en Afrique du Sud, au Pérou et en Azerbaïdjan. Certains concernent uniquement le pays, alors que d’autres sont en lien avec toute une région, voire un continent. Ils réunissent entre 500 et 1000 participants.

Des mini-Davos.«Nous choisissons les pays en fonction dedifférents critères comme l’actualité économique ou politique, explique Alois Zwinggi, directeur des forums économiques régionaux au WEF. Le soutien des gouvernements hôtes est également important. C’est souvent après une suggestion de leur part que nous organisons l’événement.»

Pour quelles raisons le WEF met-il sur pied ces forums régionaux dans des pays émergents? «Ces plateformes sont en quelque sorte des mini-Davos, répond Alois Zwinggi. Elles servent à poursuivre les discussions entamées en janvier dans les contextes spécifiques de ces pays. Notre objectif consiste à donner un écho local aux idées de Davos et à pouvoir faire participer aux discussions les acteurs économiques, politiques ou culturels qui peuvent avoir un impact décisif dans le développement de ces régions, mais que, faute de place, nous ne pouvons pas recevoir en Suisse. Si nous organisons ces conférences uniquement dans les pays émergents, c’est parce que la demande pour ce type d’événement y est plus forte. Et il est plus facile de motiver les leaders européens ou américains à y venir, car il existe davantage d’événements similaires dans les pays développés.»

Les thèmes abordés dans les forums régionaux du WEF sont globalement les mêmes qu’à Davos, c’est-à-dire la croissance économique, les problèmes sociaux et environnementaux, les facteurs de risques, les différences de genre… «Nous adaptons l’agenda fixé chaque année à Davos en fonction des régions, précise encore Alois Zwinggi. Par exemple, lors de notre prochain sommet africain, le thème phare sera la création d’emplois. Et au Panamá, il sera question de la diversification de l’économie.»

Occasions uniques. Quels sont les résultats concrets de ces conférences, que le WEF définit sous le terme de «plateformes de discussion globales»? «Ils sont nombreux. Mais ils ne sont souvent pas perceptibles en raison de la complexité des problèmes internationaux et régionaux, relève Christophe Weber, ancien représentant du WEF en Chine de 2009 à 2013. L’objectif du WEF est de créer un agenda mondial commun dans lequel de nombreux acteurs de la société interagissent pour trouver des solutions. Il est difficile de quantifier les résultats, mais la richesse des échanges lors de ces plateformes est telle que la légitimité du WEF ne peut pas être remise en cause. Un entrepreneur social, un professeur d’université ou un chef d’entreprise peuvent se retrouver assis à côté d’un président ou d’un ministre sans aucun protocole, une situation peu envisageable dans la rigidité d’un cadre diplomatique. Les sommets régionaux du WEF permettent en moins de quatre jours de rencontrer les meilleurs experts, politiciens, entrepreneurs ou acteurs culturels d’une région. Il faudrait au moins une dizaine de voyages et énormément de temps pour rencontrer toutes ces personnes indépendamment.»


En chiffres

Le WEF, qui fête ses 44 ans en 2014, emploie plus de 400 personnesà Cologny (Genève), 100à New York, une vingtaineà Pékin et 3à Tokyo. Son budget atteint les 160 millions de francs par année. Son financement est assuré par ses 1000 entreprises membres, principalement des multinationales, qui paient une cotisation annuelle comprise entre 50 000 et 500 000 francs.


Les rendez-vous de la galaxie WEF en 2014

Dès que le sommet de Davos se termine, les discussions développées dans cet immense incubateur d’idées vont se poursuivre lors des forums économiques régionaux. Ces différents événements sont organisés comme des mini-Davos et représentent des plateformes d’échanges informels pour les élites politiques, économiques et culturelles des pays émergents.

Au programme du WEF pour 2014:

World Economic Forum on Latin America Panamá, du 1er au 3 avril: sommet réunissant entre 500 et 1000 des principaux acteurs politiques, économiques et culturels d’Amérique latine. Thème principal: la diversification économique.

World Economic Forum on Africa Abuja, Nigeria, du 7 au 9 mai: sommet réunissant entre 500 et 1000 des principaux acteurs politiques, économiques et culturels d’Afrique. Thème principal: la création d’emplois.

World Economic Forum on East Asia Manille, Philippines, du 21 au 23 mai: sommet réunissant entre 500 et 1000 des principaux acteurs politiques, économiques et culturels d’Asie du Sud-Est.

Annual Meeting of the New Champions «Summer Davos» Tianjin, Chine, du 10 au 12 septembre: le plus important sommet d’affaires global de tout le continent asiatique, qui réunit 1500 participants.

World Economic Forum on Eurasia Istanbul, Turquie, du 28 au 30 septembre: sommet réunissant entre 500 et 1000 des principaux acteurs politiques, économiques et culturels d’Europe de l’Est et d’Asie centrale.

World Economic Forum on India New Delhi, Inde, du 4 au 6 novembre: sommet réunissant entre 500 et 1000 des principaux acteurs politiques, économiques et culturels d’Inde.

Summit on the Global Agenda Abou Dhabi, Emirats arabes unis, du 17 au 19 novembre: rencontre qui rassemble 1500 experts économiques, politiques, sociaux, culturels du monde entier dans une immense session de brainstorming sur les problèmes et les risques globaux.
 

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Age d’entrée au ciné: le grand bazar

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:58

Films. Depuis janvier 2013, une commission nationale fixe l’admission dans les cinémas suisses. Problèmes: les âges varient encore d’un canton à l’autre et les exploitants dénoncent les effets négatifs de cette nouvelle pratique.

«Quelles sont les andouilles qui fixent l’âge d’admission au cinéma?» Voilà la question que s’est posée la mère de deux adolescentes romandes de 12 et 14 ans, après avoir vu Les garçons et Guillaume, à table! Age légal: 12 ans. Le problème? Deux scènes de sexe assez crues. En lisant le programme cette semaine-là, les deux jeunes filles auraient préféré voir Tel père, tel fils qui raconte l’échange, à la maternité, de deux bébés entre une famille aisée et une autre plus modeste. Le hic? Le film est réservé aux 16 ans et plus.

La mère est donc allée le voir seule. Violent et truffé de scènes de sexe, cette histoire japonaise qui a reçu le prix du jury à Cannes en 2013? Au contraire: les images ne choqueraient pas un enfant de 6 ans. Alors comment expliquer cette incohérence? Qui sont ceux qui, depuis une année, fixent un âge légal pour les films diffusés dans tous les cinémas suisses?

Röstigraben cinématographique. Soixante-cinq personnes de la Commission nationale du film et de la protection des mineurs s’occupent de cette tâche. L’une d’elles, Umberto Tedeschi, également directeur de la programmation chez Pathé Suisse, explique: «Ce sont des gens de tous bords, de tous âges et de toutes les régions linguistiques. Pour chaque film, trois personnes donnent leur opinion. Mais nous remarquons qu’entre les Alémaniques et les Romands, les résultats sont assez différents. Nous n’avons pas la même sensibilité. Les Alémaniques sont beaucoup moins permissifs. De même, les éducateurs et les enseignants veulent protéger les plus faibles, alors que d’autres veulent tout mettre à 8 ans. C’est parfois le jour et la nuit entre des personnes d’un même canton. Au bout d’un moment, une heure parfois, nous tranchons.» Et le Vaudois de citer les discussions au sujet de Nymphomaniac: certains ont trouvé ce film poétique, d’autres pornographique. «Alors essayez de mettre un âge entre les deux…»

Exceptions cantonales. A ces trois personnes se joint une quatrième pour les cantons de Vaud et de Genève uniquement. Sa mission? Donner un âge recommandé, qui n’est pas le même que l’âge légal. Quant aux exploitants alémaniques, ils ajoutent un âge accompagné à l’âge légal. Un exemple? Pour Les garçons et Guillaume, à table!, en Suisse, l’âge varie de 10 ans (âge accompagné) à 14 ans (âge recommandé), avec des mentions obscures comme 10/12 sur des sites internet comme Cineman. Bonjour la confusion!

Vice-président de la commission nationale, le Vaudois Fabrice Wulliamoz commente: «Les membres alémaniques de la commission estiment qu’un enfant a le droit de voir un film s’il est capable de le comprendre. Il y a vraiment un diktat de la Suisse alémanique qui refuse d’introduire un âge suggéré.» A cela s’ajoute le fait que deux cantons ne suivent pas toujours les directives de cette commission nationale: Zurich et le Tessin.

Frais importants. Du côté des exploitants, la grogne monte depuis l’introduction de cet âge unifié. Parmi eux, Yves Moser, à la tête de Cinérive (Vevey, Montreux, Aigle). «Age conseillé, accompagné et légal: c’est le capharnaüm. J’ai également l’impression que l’on nous prend pour des irresponsables et que l’on veut nous protéger de tout. Aujourd’hui, le sexe passe assez bien, ce sont la drogue, l’alcool et la violence gratuite qui sont les critères importants pour fixer un âge.»

Le Vaudois explique qu’il n’y a pas un jour sans problèmes aux caisses. «Les gens ne comprennent pas que l’on impose un âge.» De l’avis général, cette unification a provoqué une hausse de l’âge légal. Umberto Tedeschi: «Certains adultes qui voient “16 ans” se disent qu’il y a trop de violence et de sexe, donc ils ne viennent pas. Cela fait vite des milliers d’entrées en moins au niveau national.»

Dans les cas où un distributeur – pour des raisons financières – refuse de payer 640 francs pour que la commission nationale visionne l’un de ses films, ce dernier recevra automatiquement la mention «âge légal 16 ans», sans avoir fait l’objet d’aucun jugement. C’est ce qui est arrivé à Tel père, tel fils.

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Béatrice Schaad: «Un patient compris et entendu guérit mieux»

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:59

Ecoute.Le bureau des doléances du CHUV s’inscrit dans un mouvement général, explique sa créatrice Béatrice Schaad. Cap sur la réhumanisation de la médecine.

Recueillir les réactions de ses clients est devenu un passage obligé pour tout manager qui se respecte. Mais il y a manière et manière. Quel a été votre modèle pour l’Espace Patients & Proches du CHUV?
L’idée de l’EPP est née le jour où j’ai rencontré le responsable qualité du Massachusetts General Hospital (MGH) de Boston. Sa conviction est que les enquêtes de satisfaction ne suffisent pas à améliorer la qualité de la prise en charge. Sa méthode est à l’opposé d’une démarche standardisée: il choisit un patient au hasard parmi ceux qui sont sortis de l’hôpital. Il lui demande de venir raconter son séjour, accompagné des personnes de son choix, proches ou amis, également touchées par la prise en charge. Il écoute et récolte des données qui n’auraient eu aucune chance de ressortir dans un questionnaire à choix multiples. Grâce à lui, j’ai compris que c’est la liberté du récit qui fait la différence.

Votre manière de faire est pourtant bien différente de celle de l’hôpital bostonien.
Effectivement, puisque nous recevons des personnes qui frappent à notre porte quand elles ont un problème. Mais, comme au MGH, notre priorité est de préserver la liberté de la narration, y compris dans la manière que nous avons de restituer le résultat de notre activité: les tableaux standardisés par types de doléances, c’est bien, mais ça ne dit pas tout. Il y a des expériences, résumables en un mot anodin, qui représentent des drames absolus dans la vie d’une personne. Le pari que nous faisons, c’est de donner la priorité à la subjectivité. On est à l’opposé de l’esprit qui a longtemps dominé dans la médecine. Qu’un hôpital accepte cette démarche est en soi une nouvelle formidable.

Ne nous dites pas que les médecins ont accueilli votre projet les bras ouverts! Leur difficulté à admettre la critique est une doléance des patients.
Bien sûr, il y a eu des inquiétudes. On nous a dit: vous allez donner la parole à des perceptions, pas à des faits. Nous avons mis un grand soin à nous présenter et à expliquer notre démarche dans les différents services. Un an plus tard, je peux dire que le personnel médical a fait preuve à notre égard d’une acceptation et d’une plasticité qui m’émerveillent. Je n’ai reçu aucune critique sur l’EPP, et le dialogue avec les services a déjà permis de régler bien des problèmes.

Les patients souffrent de la déshumanisation des soins, votre travail le montre. La médecine peut-elle se «réhumaniser»?
Elle a misé, ces dernières décennies, sur la haute technicité, et elle a fait des progrès spectaculaires. Mais, aujourd’hui, même aux Etats-Unis qui en sont le haut lieu, on touche aux limites de cette technicité. On prend conscience que la relation entre médecin et malade n’est pas un luxe inutile, qu’elle fait partie intégrante du traitement: un patient compris et entendu guérit mieux et plus vite. La multiplication des espaces de médiation dans les hôpitaux est un indice de cette prise de conscience. Le directeur du CHUV, Pierre-François Leyvraz, est le premier à exprimer cette conviction: l’enjeu d’avenir est de conserver une dimension d’humanité à la médecine.

Dans la formation, cette dimension est négligée…
Il faut revaloriser la dimension relationnelle dans la formation. C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis. Ici aussi, il me semble que, d’année en année, on progresse dans ce sens. Par exemple, les futurs médecins suivent un cours sur la manière d’annoncer un diagnostic. Je suis persuadée que la clé du problème est dans un changement du cursus d’études.

La spécialisation, la technicité, c’est une tendance lourde…
Oui. Mais n’oublions pas les bénéfices que nous tirons de cette évolution. Soyons honnêtes: qui choisirait d’être soigné dans un hôpital d’il y a cinquante ans? Et aussi, gardons-nous d’idéaliser le passé. La relation entre médecin et patient était-elle tellement meilleure que ça, avant?


Béatrice Schaad

Elle a été journaliste et cadre dans plusieurs titres de la presse romande, dont L’Hebdo. Après un master en santé publique à la Harvard School of Public Health, elle est devenue, à son retour de Boston, directrice de la communication du CHUV, où elle a conçu l’Espace Patients & Proches. Elle prépare une thèse sur la communication entre médecin et patient.


Ce sujet vous intéresse? Lisez également l'artice d'Anna Lietti:

Mal-être hospitalier: "Je ne suis qu'un numéro"

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Patrick Dutoit / CEMCAV-CHUV
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Mal-être hospitalier: «Je ne suis qu’un numéro!»

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 06:00

Santé.Tolérants envers les ratés des soins, les patients souffrent du manque d’écoute et d’information. C’est le bilan du nouveau bureau des doléances du CHUV. Bonne nouvelle: ce genre de dispositif se multiplie, signe qu’on va vers le mieux.

La plupart du temps, quand ils frappent à la porte, ils sont très en colère. «Il m’arrive d’ouvrir la bouche après vingt minutes d’entretien seulement, raconte Thierry Currat, l’un des trois médiateurs de l’Espace Patients & Proches du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Ils ont besoin de vider leur sac, j’écoute.»

Qu’entend-il? Des choses qui ravivent des souvenirs désagréables chez bien des gens passés par là. Du type: «C’est la cinquième fois que je raconte la même chose, il n’y a pas de transmission d’informations entre les services?» Ou bien: «Il aurait suffi qu’il me dise qu’il est désolé de ce qui m’arrive pour me calmer, mais il n’en est visiblement pas capable!» Et aussi: «Attendre cinq heures, passe encore. Mais se voir refuser un verre d’eau sans explications (…), c’est insupportable.» Ou encore des cris du cœur exacerbés: «Je suis un steak pour eux (…), j’ai l’impression de n’être rien.»

Bienvenue à l’hôpital, cette grande machine où la souffrance vient de la maladie, mais aussi du manque d’écoute, de l’information défaillante, du sentiment de n’être plus tout à fait une personne mais seulement un corps en morceaux.

La bonne nouvelle, c’est que le diagnostic vient, courageusement, de l’hôpital lui-même. Les citations ci-dessus sont en effet tirées du premier rapport d’activité de l’Espace Patients & Proches (EPP), sorte de bureau des doléances ouvert il y a un an dans le hall d’entrée du CHUV.

Les cinq hôpitaux universitaires de Suisse sont désormais dotés de dispositifs similaires, et ce n’est pas un hasard. Ici comme ailleurs, une prise de conscience gagne du terrain: la prestation médicale toute nue ne suffit pas, ce que le patient ressent a autant d’importance, pour sa guérison même, que son taux de glycémie. Longtemps obnubilée par la technicité, la médecine aurait en somme touché le fond de la piscine de la déshumanisation. C’est la conviction de Béatrice Schaad, créatrice de l’espace d’écoute du CHUV: l’avenir est à la relation retrouvée (lire son interview).

Le rapport du CHUV a été mis en ligne sur le site de l’établissement lundi 13 janvier, consultable par tout un chacun (www.chuv.ch). Le nombre de plaintes qu’il recense – 335 en une année pour 46 000 hospitalisations – correspond à la moyenne suisse et rappelle que, globalement, la qualité de la prise en charge reste excellente. Ce qu’il met en évidence de manière frappante, c’est que le grand corps hospitalier souffre d’abord du mal d’écoute.

Tolérance remarquable. Etonnement: on imagine des patients-clients prêts à courir chez leur avocat à la moindre piqûre de travers. Il n’en est rien: les malades et leurs proches font preuve d’une tolérance remarquable vis-à-vis des ratés de l’hôpital, erreurs médicales comprises. Ils admettent que le métier de soignant est compliqué et dangereux. «L’erreur est humaine», disent-ils, sensibles à la charge de travail de leurs interlocuteurs – «Le personnel fait tout ce qu’il peut, on voit bien qu’ils sont surchargés».

Ce qu’ils ne supportent pas, en revanche, c’est qu’à une prise en charge déficiente s’ajoute le sentiment de ne pas être entendu. L’erreur est humaine, à condition qu’elle soit assumée. Le rapport donne le contre-exemple d’un enfant ayant subi un accident grave lors d’une intervention: ses parents disent ne pas en vouloir au médecin «parce qu’il nous a annoncé la nouvelle les larmes aux yeux». A l’inverse, les professionnels sont souvent perçus comme «défensifs», et les médiateurs les sentent «inquiets de voir toute expression de regret perçue comme un aveu de culpabilité».

Si l’on arrive à faire la différence entre l’une et l’autre, on va vers l’apaisement du conflit, observent ces professionnels de l’écoute. Pas toujours facile. Aux Etats-Unis, pays de la judiciarisation à outrance, une loi spécialement conçue, la «loi de l’excuse», permet désormais aux médecins de dire leurs regrets sans donner prise à une plainte pénale (lire l'encadré ci-dessous).

Mais les pannes de communication ont, la plupart du temps, des causes plus anodines. Les intervenants sont innombrables, et tout se passe comme si le devoir d’information tombait dans le trou entre l’un et l’autre: «Je ne suis qu’un numéro: croyez-vous que quelqu’un m’aurait donné les raisons pour lesquelles on a annulé mon opération?» La circulation défaillante de l’information entre les services fait dangereusement monter le taux d’angoisse. Tel se voit prescrire des examens qu’il vient de subir, tel autre dit son désarroi face aux indications contradictoires de différents spécialistes: «Certains m’ont dit d’opérer, d’autres pas. Je ne sais plus qui croire.»

Pour l’essentiel, ce premier bilan de l’EPP du CHUV recoupe celui de l’Espace médiation de l’hôpital de Genève, également disponible sur le site de l’établissement (www.hug-ge.ch): «Les problématiques liées aux relations interpersonnelles et à la communication au sens large viennent en première place», y lit-on. Le mérite du rapport vaudois est d’en rendre compte de manière particulièrement sensible, notamment en faisant entendre la voix des patients et de leurs proches.

Changements concrets? Ces derniers sont aussi nombreux à se plaindre que les hospitalisés. Ils souffrent d’être mal pris en compte et mal informés, surtout s’ils n’ont pas un lien familial reconnu avec le malade. Ainsi, cette femme dont l’ami proche est mort seul, car personne ne l’a prévenue. Son nom était pourtant inscrit partout dans le dossier.

Entendre les plaintes, c’est bien, mais est-ce que cela sert à provoquer des changements concrets? Thierry Currat insiste sur le fait que ses collègues et lui ne sont pas là pour établir des faits, qu’ils travaillent sur le «ressenti». N’empêche: il y a des plaintes récurrentes, qui désignent des zones particulièrement douloureuses du corps hospitalier. Les urgences et les services traitant les personnes en fin de vie. La gestion des entrées et du report des rendez-vous. La fragmentation des interlocuteurs, qui peut devenir dramatique en cas de poly­morbidité. Le contact défaillant avec le médecin traitant, auquel il arrive d’apprendre par les annonces mortuaires le décès de son patient.

La com, ça marche.«Le but est de transformer les données recueillies en projet clinique, dit Béatrice Schaad. Le pire serait que tout ce travail ne débouche sur rien. Les sujets de doléances récurrents font tous l’objet de discussions avec la direction, et certains projets sont déjà en cours. Par exemple, la communication entre l’hôpital et les médecins traitants s’est déjà améliorée. Et le projet de désigner un médecin de référence par patient est à l’étude.»

La nouvelle réjouissante, c’est que, de par son existence même, l’EPP du CHUV réussit à résoudre un nombre considérable de problèmes. La moitié des doléances trouvent une solution simplement par l’écoute, un complément d’information ou la restauration de la communication entre les parties, sans médiation active. «Notre rôle est aussi de responsabiliser les patients, note Thierry Currat. Il arrive qu’ils se scandalisent de manquer d’une information qu’ils n’ont pas songé à demander.»

Autre indice d’efficacité pour l’équipe des trois «coordinateurs», venus d’horizons divers mais tous formés à la médiation: un cas sur deux est réglé en moins d’une heure. Tel médecin, se rendant compte que son patient ne sait plus à qui s’adresser, décide d’endosser le rôle d’interlocuteur de référence. Tel autre s’écrie simplement: «Ah oui, je ne m’étais pas rendu compte, merci de me dire!» Et lorsque le patient, fumant de rage, est prêt à cogner le médecin, qui l’envoie silencieusement aux pives? «L’important, c’est de réussir à faire baisser la tension, poursuit Thierry Currat. Ensuite, tout devient possible. Très souvent, d’ailleurs, le patient, calmé de s’être senti écouté, précise qu’il a aussi eu affaire à tel infirmier extraordinaire ou tel médecin sympa.»

Le soignant, lui, entre en matière d’autant plus volontiers qu’il a l’impression d’avoir affaire à un interlocuteur neutre, qui n’est pas là pour juger son travail. Indice positif encore: les professionnels sont de plus en plus nombreux à s’adresser spontanément à l’équipe (5% dans le rapport).

A l’évidence, la cellule des doléances du CHUV a réussi à endosser le rôle délicat de rétablisseur de courant. La qualité de son travail jouit d’un taux de satisfaction stratosphérique (90%). Un médecin de famille lui fait ce compliment: «C’est du bon boulot que vous avez fait. Vous avez réconcilié mon patient avec l’institution.»

L’expérience le prouve, cher docteur: la relation est un puissant médicament.


Fragmentation des soins
Hommage à la femme de ménage

Dans un beau livre* qui raconte sa traversée de la maladie et son hospitalisation, le professeur de psychologie Rémy Droz rend un hommage vibrant à la femme de ménage qui nettoyait sa chambre: la seule personne, dans la grande machine hospitalière, avec qui il ait entretenu un rapport humain digne de ce nom.

Eric Bonvin, psychiatre et directeur général de l’Hôpital du Valais, lui fait écho lorsqu’il considère l’évolution de l’institution hospitalière: «Il n’y a pas si longtemps, bien des hôpitaux étaient, comme en Valais, gérés par des congrégations religieuses. Les sœurs étaient là en permanence. Aujourd’hui, il y a un tel morcellement des interlocuteurs que le personnel de nettoyage acquiert une importance insoupçonnée: souvent, la femme de ménage est la seule personne stable dans la vie du patient.»

Comment en est-on arrivé là? C’est, analyse Eric Bonvin, la conséquence logique de l’évolution d’une discipline qui a voulu, à juste titre, s’affranchir de la figure du médecin tout-puissant et paternaliste. «La médecine contemporaine s’est fortement engagée dans la voie de l’objectivation. On l’a voulue evidence-based, fondée sur des données quantifiables. C’est sa grande force, mais c’est aussi sa faiblesse.» Car, au centre de cette médecine-là, il y a la prestation, et non plus la relation. «Et même si aujourd’hui on prend conscience de l’immense importance de la dimension relationnelle, il est difficile, pour des médecins formés dans l’idéologie du contrôle et de l’objectivation, d’accepter de faire place à la part incertaine et subjective du métier.»

Mais Eric Bonvin diagnostique un autre point douloureux, dans la relation du médecin à son propre métier cette fois: «Derrière l’exigence que chaque acte soit basé sur des données objectives, il y a, au fond, l’idée qu’on ne fait plus confiance ni au patient ni au médecin.» D’une certaine manière, le médecin est poussé au détachement, dessaisi qu’il est de son rôle de protagoniste. «C’est l’Etat, aujourd’hui, qui porte le souci sanitaire de la population. Et, à l’hôpital même, le médecin n’a plus un rôle central. Qui dirige aujourd’hui les établissements? Un médecin à la tête d’un hôpital, c’est devenu une exception.»

* «Mon cerveau farceur». De Rémy Droz. L’Aire, 1996.


La confiance progresse: indices

En France: Depuis 2002, en vertu de la loi Kouchner, tous les hôpitaux disposent d’une cellule de médiation. Idem en Belgique.

Aux Etats-Unis: L’Apology Law permet, dans 35 Etats, à un médecin de s’excuser sans que cela soit pris comme une preuve d’erreur. Bénéfique pour l’âme et le porte-monnaie.

Au Royaume-Uni: Care Connect, une plateforme de notation en ligne des hôpitaux dont le design rappelle celui de TripAdvisor, va être généralisée à tous les établissements du pays. Ces derniers s’engagent à répondre aux doléances des plaignants.

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Philippe Gétaz
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Hebdo.ch » revue de blogs de la semaine

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:49

Blogs » Politique »
Politique migratoire

La saison des soldes

L’immigration augmente- t-elle ou diminue-t-elle en Suisse? Voilà la plus basique des questions à traiter avant tout débat sur le thème.
Étienne Piguet

(...) En consultant l’infographie du site de la Radio télévision suisse (RTS), on croit comprendre que le solde migratoire annuel (…) a diminué de 26% entre 2010 et 2012! Mais, en consultant le site de l’initiative UDC «Contre l’immigration de masse», le solde migratoire (appelé bilan) (…) a pour la même période augmenté de 13%! (…) La RTS, chaîne d’Etat, fait-elle de la propagande? L’UDC, en pleine campagne, manipule-t-elle les chiffres? Remontons d’un cran: la RTS donne comme source l’Office fédéral de la statistique (OFS), l’UDC l’Office fédéral des migrations (ODM). (…) Dans le calcul de son solde migratoire, l’ODM considère comme des immigrants les étrangers qui entrent en Suisse physiquement avec un permis durable (≥ 1 an), mais aussi les étrangers déjà en Suisse avec un permis non permanent (< 1 an) (…). Depuis 2011, l’OFS procède différemment de l’ODM et ne considère (…) que les personnes qui entrent effectivement en Suisse au bénéfice d’un permis de longue durée (> 1 an). (…) En conclusion, il n’y a pas de solde plus juste ou plus faux que l’autre, disons que celui de l’OFS est techniquement plus exact, mais que celui de l’ODM reflète mieux l’impact effectif de l’immigration surla population. A titre personnel, c’est une troisième démarche que je privilégie. Elle consiste à calculer (…) un solde migratoire total par différence entre l’accroissement de la population et les soldes naturels (naissance, décès), sans distinction entre immigrants/émigrants, Suisses et étrangers. (…) Mes chiffres sont inférieurs à ceux du solde de l’ODM (…), ils sont par contre supérieurs à ceux du solde migratoire de la population résidante permanente de l’OFS (…). Conclusion de l’enquête: pas de scoop! Après une croissance marquée en 2007/8 qui coïncide avec la levée des contingents pour les quinze anciens Etats membres de l’UE et avec une vigoureuse croissance économique, l’immigration en Suisse est d’une remarquable stabilité. (…)


Blogs » Politique »
Une Suisse en mouvement

Une Suisse entreprenante à Bruxelles: vers un «Swissnex» politique?

La Suisse devrait faire connaître les recettes de son succès économique, social et politique.
Johan Rochel

(...) A Bruxelles, au cœur du pouvoir politique de l’UE, la Suisse lancera fin janvier un cycle de conférences intitulé «Une Suisse entreprenante pour l’Europe du futur». En collaboration avec l’Université libre de Bruxelles (ULB) et la Mission suisse auprès de l’Union, cette série de conférences vise à «mieux appréhender et comprendre» la relation entre la Suisse et l’UE. (…) La manœuvre mérite d’être complimentée. La Suisse est un modèle de réussite économique, sociale et politique. Si elle ne confond pas fierté et vantardise, compétences et prétentions, elle a raison de faire la promotion de ses succès. (…) Le cycle de conférences vise toutefois à aller plus loin que la simple promotion du modèle suisse sur un mode publicitaire (…) et cherche à mettre en place une véritable stratégie de diplomatie «second track». (…) L’académie peut jouer pleinement son rôle de transmetteur de savoir et faciliter, politiquement, la «reprise» de ce savoir auprès des différents partenaires. (…) Si la direction choisie est la bonne, elle mériterait d’être poussée plus avant. Les «Swissnex» ont permis à la Suisse scientifique de se faire connaître aux points névralgiques de la production du savoir. Pourquoi ne pas chercher à faire de même avec le «modèle suisse», à savoir les recettes qui font le succès économique, social et politique de notre pays? (…) A quand un «Swissnex» des compétences économiques et politiques, installé à Bruxelles, et réunissant centres de recherches et think-tanks de Suisse et d’Europe?


 

Blogs » Politique »
La Suisse à 10 millions d’habitants

Immigration: l’UDC ou le retour des statisticiens du dimanche

Il y aura 16 millions d’habitants, dont une majorité d’étrangers, en 2060, clame l’UDC. Du grand n’importe quoi.
Pierre Dessemontet

Ce samedi 18 janvier, les Vaudoises et les Vaudois ont pu découvrir en page 5 de leur quotidien cantonal une grande annonce signée de l’UDC, intitulée «Bientôt plus d’étrangers que de Suisses», et qui claironne que «faute d’un contrôle de l’immigration, il y aura dans moins de cinquante ans en Suisse plus de 16 millions d’habitants» et «plus d’étrangers que de Suisses». A l’appui, un graphique et des chiffres fantaisistes, inventés de toutes pièces (…). Non contente de raconter n’importe quoi, l’UDC a même le culot de citer comme source l’Office fédéral de la statistique (OFS) (…). Nul doute que, pris à partie de telle manière, l’OFS réagira. Soyons clairs: (…) personne n’a jamais parlé d’une Suisse à 16 millions d’habitants, ni pour 2060, ni pour aucune autre année, et pour cause: elle fait partie du domaine de la légende, de la fantaisie héroïque, de la dystopie ou de la science-fiction – mais certainement pas de la panoplie des futurs possibles. De cela, bien sûr, les dirigeants et les experts de ce parti sont parfaitement au courant. Honte à eux, dès lors, soit pour s’être livrés eux-mêmes à ce fieffé mensonge, soit pour l’avoir cautionné ou laissé publier en pleine campagne de votation: c’est un comportement indigne de notre démocratie. (…)


Blogs » Economie »
L’économie pour tout le monde

FAIF: Une question de temps!

Les opposants prétendent que les coûts de ce fonds d’infrastructures ferroviaires sont faramineux. Comparons-les donc à ce que l’on gagne.
Samuel Bendahan

(...) Il y a trois sources de financement supplémentaires pour FAIF, qui vont nous coûter quelque chose. D’abord, les cantons vont devoir mettre la main à la poche pour 200 millions
de francs. Pour estimer le coût pour une personne, je suis parti du principe que les cantons allaient utiliser leurs recettes fiscales pour payer cette somme. Pour une personne avec un revenu médian (c’est-à-dire qui gagne 6000 francs brut par mois), la part d’impôt que cela lui coûtera est d’environ 2 francs par mois. (…) Si la personne qui gagne 6000 francs de revenu dépense pour 4000 francs dans des biens imposables en TVA, cela lui coûterait 4 francs par mois. (…) Donc au total, 6 francs par mois de coût. Si l’on convertit cela au salaire horaire que touche une personne avec un revenu médian, c’est l’équivalent de 9 minutes et 40 secondes de travail (ou environ 30 secondes par jour). Ce que rapporte FAIF, par contre, est incommensurable. (…) Au total, on parle de milliers de places de travail (…). Ces projets visent à augmenter massivement les cadences, c’est-à-dire le nombre de trains par heure, mais aussi la capacité (nombre de passagers qu’il est possible de transporter sans trains bondés). De plus, cela réduira les retards et accélérera plusieurs temps de parcours. Enfin, il ne faut pas oublier que plus un réseau de transports publics est efficace, plus les gens l’utilisent au détriment de la voiture. (…) Un trajet en voiture qui est une minute plus rapide par trajet, c’est 40 minutes économisées par mois. Un train qui passe tous les quarts d’heure au lieu de 30 minutes, c’est en moyenne 5 heures par mois de gagnées. Un train qui gagne 2 minutes par trajet, c’est 1 heure 20 de gagnée par mois. Bref, les gains concernent tout le monde et sont bien plus élevés que les 9 petites minutes de travail calculées ci-dessus. (…)


 

Blogs » Culture »
Les miroirs de l’ailleurs

«Elysium» ou Comment «lire» la science-fiction

La fiction est un dispositif dont la fin principale est de générer émotions humaines et scénarios humains.
Marc Atallah

Deux événements m’ont décidé à écrire ce billet de blog: la vision, récente, du film Elysium (Neill Blomkamp, 2013) et l’acquisition du tout aussi récent essai du philosophe des sciences Gilbert Hottois (Généalogies philosophique, politique et imaginaire de la techno science, Vrin, 2013). Ce dernier cherche par tous les moyens à comprendre, avec rigueur, comment la science-fiction pourrait nous être utile, aujourd’hui, dans ce monde saturé de technoscience. (…) Il est évident qu’une fiction intéressante est une fiction qui provoque des émotions: on vibre, on rit, on pleure, on angoisse, on espère, on désire, on attend, on… Bref, on éprouve un récit – on ne le subit pas. (…) Mais la fiction produit aussi des scénarios grâce auxquels (…) nous arrivons mieux à cerner ce que nous sommes en train de vivre. Elysium est à cet égard un film intéressant. Rappelez-vous: une élite minoritaire vit dans une station spatiale et exploite une humanité restée sur Terre, qui, évidemment, n’a pour unique souhait que de pouvoir rejoindre la colonie de riches à l’aide de navettes de fortune. Comment fonctionne la science-fiction? Facile. L’élite, ce sont les riches; les terriens, ce sont les pauvres; entre deux, c’est le vide sidéral. Or, qu’y a-t-il entre les riches et les pauvres? La classe moyenne. Le film semble donc nous dire que la direction prise par l’humanité démocratique est de supprimer, petit à petit, la classe moyenne (le vide spatial) mais que, si cette suppression passe inaperçue, c’est parce qu’il reste l’espoir, pour les pauvres, de devenir, un jour, membres de l’élite. (…) Nous acceptons les disparités sociales car nous rêvons à la possibilité d’être de l’autre côté de la barrière. (…) La science-fiction de Blomkamp est donc une «machine» à décrypter ce qui fait l’humanité actuelle – c’est-à-dire ses fonctionnements intimes – et non (…) la technoscience: celle-ci est en effet une excuse pour imaginer un scénario humain intéressant.

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Yverdon: mort d’un ado

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:50

▼Les faits
Jeudi 16 janvier à Yverdon, un jeune homme de 17 ans est mort des suites d’un coup qu’il a reçu à la tête par un autre adolescent, un Suisso-Colombien de 16 ans qui habite la région. Motif de l’agression: la victime portait une veste de la marque Lonsdale, que certains lient aux milieux d’extrême droite en raison de quatre lettres centrales NSDA, allusion au Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, parti nazi.

▼Les commentaires
Le Régional donne la parole au pasteur Jean-Marc Savary, qui connaissait la victime. «Je ne comprends pas. Ce n’était pas un garçon violent et il débordait de bonheur. D. n’avait pas peur de s’investir et était très apprécié. Lors du dernier camp du groupe de jeunes du Nord vaudois, il nous a fait la cuisine et énormément rire.» La mère de la victime s’exprime dans 24 heures: «Dylan n’a jamais été un bagarreur. Il n’y a eu aucune altercation, ils ne se sont rien dit. Dylan n’a même pas vu l’autre arriver. Il n’a pas pu se préparer au coup qu’il a reçu à la figure et qui l’a assommé.» Elle rejette en bloc la signification que la marque Lonsdale a pour certains. «Mon fils me parlait de tout. Jamais il n’a évoqué cela. Il n’était pas fasciste, je le sais. C’était quelqu’un de gentil, toujours prêt à aider les autres.»

▼A suivre
L’ado risque jusqu’à quatre ans de privation de liberté.

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Chantal Dervey / 24 HEURES
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Finma: démission surprise

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:51

▼Les faits
A la surprise générale, Patrick Raaflaub, le directeur de la Finma, l’autorité de surveillance des marchés financiers, annonce sa démission pour le 1er février. En fonction depuis 2009, il a mené de front la création de l’institution, qui résultait de la fusion de trois entités séparées, et un resserrement sans précédent de la réglementation financière suisse.

▼Les commentaires
«La Finma a gagné avec Raaflaub le respect international. Pourtant, elle reste fortement critiquée par l’industrie financière en Suisse», écrit la NZZ. Qui salue néanmoins ses mérites: «Un bon surveillant doit avoir la peau dure. Il ne doit pas être aimé de la branche, mais respecté.» Témoignant de l’atmosphère tendue à Genève, Le Temps espère que «l’arrivée d’un nouveau directeur offrira l’occasion de restaurer un dialogue plus serein et constructif», avant de livrer le nom d’un papable à la succession: le professeur de droit bancaire Luc Thévenoz. La Schweiz am Sonntag lâche le nom de Daniel Roth, juriste en chef du Département fédéral des finances. Finanz und Wirtschaft croit savoir que le Conseil fédéral est prêt à nommer Mark Branson, actuel chef de la surveillance des grandes banques à la Finma, à titre définitif et non pas seulement ad interim.

▼A suivre
La Finma doit aussi se préparer à la succession d’Anne Héritier Lachat, sa présidente, dont le mandat échoit en 2015 et qu’une rumeur annonçait prête à quitter sa fonction avant terme. Le Parlement doit se prononcer sur une révision du mandat de l’autorité pour inclure la promotion de la place financière.

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Pablo Martinez Monsivais / AP PHOTO
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Justice internationale: procès Hariri ouvert

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:52

▼Les faits
Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) juge depuis le 16 janvier les auteurs présumés de l’attentat contre l’ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, tué en 2005. Les accusés, quatre membres du Hezbollah, sont jugés par contumace, le parti chiite estimant que le TSL est politisé. Le premier jour du procès, un attentat à la bombe a fait trois morts et une trentaine de blessés dans un fief du Hezbollah au Liban.

▼Les commentaires
«Ces premières séances du TSL ne sont qu’un pas sur une route que l’on sait bien longue. Mais c’est tout de même un pas de géant, se félicite L’Orient-Le Jour. Si les exécutants de Rafic Hariri sont désormais bien connus, il faut en identifier les commanditaires. (…) Il n’en reste pas moins que, dans cette épreuve marathonienne, c’est la justice qui emporte, haut la main, la première manche.» Pour le quotidien anglophone The Daily Star, ce procès est plutôt l’occasion de remettre en question la sécurité et les institutions judiciaires libanaises: «La situation au Liban aurait-elle continué à déraper si, durant les assassinats politiques qui ont précédé celui de Hariri, les autorités locales avaient été capables de faire face aux criminels sans peur de représailles et sans compromis?» Aux Etats-Unis, alors même que Bachar al-Assad accuse le TSL de vouloir faire pression sur le Hezbollah, allié du régime en Syrie, The New York Times estime que le procès exacerbe les «profondes divisions qui caractérisent la plupart du Moyen-Orient». De même, The Jerusalem Post écrit que le procès «divise et enflamme des conflits brûlants entre les sunnites et les chiites libanais».

▼A suivre
Saad Hariri, fils de Rafic et ex-premier ministre libanais en exil, se dit prêt à gouverner avec le Hezbollah si cela permet au Liban de sortir d’une impasse politique longue de neuf mois.

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Affaire Giroud-Tornay: pas vu, pas pris

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:53

▼Les faits
Dans les dossiers fiscaux délicats concernant l’affaire Giroud et la commune de Leytron, le Conseil d’Etat valaisan a tenu une conférence de presse pour affirmer que, dans l’ensemble, les procédures avaient été respectées.

▼Les commentaires
Le Nouvelliste est le seul journal à se montrer relativement amène dans ces affaires. «Dans le grand oral qui s’apparentait à une opération mains propres, le gouvernement valaisan s’est voulu convaincant. Il l’a été. Mais pas sur tous les plans», écrit le quotidien valaisan. Nettement plus corrosif, le blog de L’1 Dex souligne que «personne ne pourra admettre qu’un chef du Département des finances puisse être simultanément l’actionnaire d’une société fiduciaire spécialisée dans l’optimisation fiscale. (…) Monsieur Tornay, lâchez prise et osez votre démission.» Entre ces deux extrêmes, les éditorialistes s’en prennent au gouvernement valaisan dans son ensemble. Lequel, écrit Le Matin, «s’est privé de la possibilité de tuer dans l’œuf cette impression persistante de clientélisme qui colle aux basques du Valais». Dès lors, observe Walliser Bote, «en resserrant les rangs autour de Maurice Tornay, les autres membres du gouvernement se sont rendus vulnérables». Et cela d’autant plus, note Le Matin Dimanche, que «rien n’indique que le Conseil d’Etat valaisan va corriger les carences révélées depuis trois mois».

▼A suivre
Des commissions parlementaires vont maintenant se saisir de ces affaires. Le tapis des notables valaisans sous lequel il est de coutume de planquer la poussière devrait être plus transparent.

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Aline Staub / Keystone
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Ringier mise sur l’Afrique

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:54

Numérique.Le groupe suisse de médias compte populariser sur le continent de nouveaux sites de vente en ligne et de divertissement, calqués sur leurs équivalents suisses.

 

Serge Maillard

Un internaute suisse visitant le site nigérian de divertissement Pulse sera sans doute frappé par son étrange similitude avec celui du… Blick. Logique: tous deux appartiennent à Ringier. Le groupe de médias suisse (propriétaire de L’Hebdo) a lancé en 2011 une nouvelle division numérique en Afrique subsaharienne, qui regroupe sept sites dans trois poids lourds économiques du continent: le Nigeria, le Kenya et le Ghana.

Tous s’inspirent de plateformes déjà établies par Ringier en Suisse. Par exemple, PigiaMe et Kiramu sont des Anibis ou Scout24 kényan et nigérian (annonces classées); Rupu et Tisu des DeinDeal kényan et ghanéen (ventes groupées).

«A nos débuts, nous avons aussi testé des activités que nous n’avions pas en Suisse, comme les plateformes pour étudiants. Mais nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il valait mieux tabler sur celles où nous avions une expertise», précise Robin Lingg, Head of Business Development chez Ringier. A l’exception notable des activités journalistiques. «Nous avons écarté l’idée de sites d’actualités ou d’activités print: c’est très compliqué de se mêler de politique en Afrique, et la distribution physique n’est pas à la hauteur.»

Le hub kényan. Le groupe entend profiter de l’expérience acquise lorsqu’il avait investi par le passé en Europe de l’Est ou au Vietnam, alors très loin des standards occidentaux. «Nous avons été attirés par l’accès en hausse à l’internet, des économies en cours de stabilisation, et des niveaux acceptables de démocratie.» Le Kenya, en particulier, se profile toujours plus comme un hub des technologies de l’information pour toute l’Afrique subsaharienne.

Parmi les principaux obstacles à surmonter figure le peu d’expérience des populations pour ces nouvelles formes d’achat et de vente en ligne. «Il y a souvent un manque de confiance. Beaucoup de gens viennent même à nos bureaux avant de mettre quelque chose en ligne, pour s’assurer que nous existons vraiment!»

Numéro un du e-commerce en Afrique de l’Est, le site kényan Rupu fait figure de fleuron des activités de Ringier sur le continent. Au Nigeria, pays africain le plus peuplé, Pulse compte, lui, plus de 150 000 visiteurs uniques par semaine. Ces sites ne sont pas encore bénéficiaires: «Nous espérons que ceux qui fonctionnent sur la publicité le seront en 2015. Pour les petites annonces, cela prendra plus de temps.» Pour la suite, Ringier va prochainement investir au Sénégal. «Ce qui nous permettra de mettre un pied en Afrique de l’Ouest francophone.»

Largeur.com

 

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Dans la Silicon Savannah

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:55

REVOLUTION NUMERIQUE.Grâce au téléphone mobile et à l’internet, l’Afrique est désormais connectée au monde entier. Et capable de lui en remontrer en matière d’astuce.

 

Jan Puhl

Aux longues tables de bois s’alignent des jeunes gens absorbés par les écrans de leurs ordinateurs portables. Pas des geeks ni des nerds, juste des filles aux couettes tressées et des garçons aux T-shirts bigarrés. Ils sont tous étudiants, futurs blogueurs, programmeurs ou concepteurs de sites. Et ça ne se passe pas en Californie mais à Ngong Road, Nairobi (Kenya).
Ici, au iHub, se retrouvent ceux qui œuvrent à l’avenir de l’internet en Afrique. Des gens comme Wesley Kirinya. Cet entrepreneur de 30 ans a laissé tomber il y a trois ans ses études de médecine pour fonder la société Leti Games et emploie désormais six personnes sur le continent. Il a loué une table devant la fenêtre. Tant que Leti Games est encore en phase de start-up, c’est dans cet immeuble qu’est domicilié le siège de sa société, à quelques mètres du café du iHub où il va se tirer un latte macchiato à la machine en payant 100 shillings kényans (1 franc) par SMS. Il tape le numéro de téléphone du bistrot, puis un code secret et appuie sur la touche de connexion: payé!

Le système de paiement s’appelle M-Pesa, M pour mobile, pesa pour argent comptant dans l’idiome local, le swahili. M-Pesa fait du téléphone mobile à la fois un compte en banque, une carte de crédit et un porte-monnaie. Mis au point au Kenya, il est désormais en usage dans presque tous les pays en développement. Un tiers des échanges commerciaux au Kenya se déroulent déjà par le biais de M-Pesa, alors qu’en Europe de tels systèmes de paiement aux caisses des parkings en sont encore au stade expérimental dans quelques grandes villes.

Croissance inouïe. Le dernier projet de Wesley Kirinya, qui programme des jeux mobiles, se nomme Ananse: un être aux allures d’araignée tiré de la mythologie ghanéenne y traque les politiciens corrompus. Lancé sur le marché au Ghana et au Kenya en octobre, le jeu s’est déjà vendu à plus de 100 000 exemplaires. Dès janvier, il devrait rapporter de l’argent car Wesley demandera alors 1 dollar pour le télécharger, sans parler des mises à jour. Le versement se fera évidemment par M-Pesa.

Wesley Kirinya s’est déjà fait un nom dans le petit monde branché. Et pas seulement en Afrique. En mars, il s’est rendu avec des copains à une foire spécialisée à San Francisco: «Ils nous ont pris parfaitement au sérieux, nous autres Africains.» Bien sûr, les Américains ont beaucoup d’avance et travaillent dans des conditions dont le jeune entrepreneur ne peut que rêver. «Et nous avons remarqué qu’ils savent apprécier ce que nous réalisons avec nos possibilités.» Notamment des appareils ne nécessitant pas de grands moyens techniques, comme ceux qu’il développe pour le marché africain. «Ça leur a un peu rappelé leur propre époque de pionniers.»

Wesley travaille douze heures par jour au iHub, sa femme est furieuse et les enfants rouspètent. Malgré tout, il caresse déjà un nouveau projet: créer un portail d’informations africain pour téléphone mobile.

 

Postes de travail à louer. Au iHub, ils sont un peu tous comme Wesley. La structure, un ancien supermarché, a été soutenue en 2007 par Pierre Omidyar, le fondateur d’eBay. Les postes de travail y sont à louer. Le modèle est né en Inde où, dans les années 80, l’essor des technologies de l’information (IT) a fait de ce pays émergent un laboratoire où ils sont des millions à développer des logiciels, à programmer des jeux et à travailler dans des call centers.

Au Kenya, le secteur IT contribue déjà à plus de 5% de la performance économique. Des groupes globaux comme Google, Microsoft, Cisco et IBM se sont installés dans le voisinage et Ngong Road a été rebaptisée Silicon Savannah.

Le fait est que l’Afrique subsaharienne connaît la plus forte croissance de la planète en matière de téléphonie mobile, tablettes et ordinateurs portables. On y compte plus de cartes SIM qu’en Amérique du Nord. Près de la moitié de la population a moins de 15 ans et l’on estime que, d’ici à 2050, la région comptera plus d’un milliard d’utilisateurs supplémentaires.

En à peine dix ans, la téléphonie mobile et l’internet ont bouleversé la vie des Africains, au moins autant que leur indépendance des puissances coloniales. A l’époque, ils espéraient s’ouvrir enfin au reste du monde mais, après cinquante ans de crises, de guerres, de corruption et de famine, c’est la première fois que l’objectif paraît réalisable. Car les smartphones permettent ce que les gouvernements ont négligé de faire: ils remplacent une infrastructure lacunaire, principal obstacle au développement.

Là où la téléphonie mobile fonctionne, il faut moins de routes, de cliniques et d’écoles, car un téléphone est à la fois une filiale bancaire, une station météorologique, un cabinet médical, une boussole, un manuel scolaire, une station de radio et de télévision. Par une simple pression sur une touche, les Africains envoient de l’argent à travers jungle et savane, les commerçants comparent les prix sur les marchés, les paysans enregistrent des données climatiques et se font conseiller par le vétérinaire. Blogueurs et membres des réseaux sociaux contrôlent les puissants. Pour tous ces services, il suffit d’une antenne, évidemment pas installée par les gouvernements mais par des entreprises privées.

«De nos jours, il est plus facile d’alimenter un village en accès internet qu’en eau potable», souligne Mo Ibrahim, un des artisans de la révolution numérique africaine, un Soudanais que le magazine Time considère comme l’un des hommes les plus influents de notre temps. En juin dernier, il participait à la réunion présidée par Bill Clinton qui réunissait à New York le chanteur Bono, la présidente du FMI Christine Lagarde et la patronne de Facebook Sheryl Sandberg sur le thème du VIH.

Mo Ibrahim a fondé en 1998 la société Celtel, un des premiers prestataires de téléphonie mobile d’Afrique. Quand, en 2005, il a vendu Celtel à son concurrent koweïtien MTC pour la bagatelle de 3,4 milliards de dollars, la société était présente dans treize pays, comptait 24 millions d’abonnés et employait 5000 personnes.

Mo Ibrahim croit fermement que l’Afrique se développera grâce à l’internet et à la téléphonie mobile. «Ce sont des instruments essentiels à la société civile. Si, à la frontière, un douanier te rançonne, photographie-le et mets son portrait sur la Toile. Pareil si, lors d’élections, quelqu’un entend te dicter ton vote.»

Pour lui, même les tensions tribales ou ethniques peuvent être surmontées quand les villages sont connectés, au lieu de mariner dans leur isolement: «Plus nous en saurons des uns et des autres, plus il sera difficile de semer la zizanie. Par la communication moderne, les Africains apprendront qu’il vaut mieux commercer les uns avec les autres que de se haïr.» Le milliardaire Mo Ibrahim et l’entrepreneur Wesley Kirinya incarnent tous deux la nouvelle Afrique: avec une bonne idée, le premier a déjà pris pied dans l’avenir, le second se met tout juste en chemin pour faire de même. Et avec lui toute une génération d’Africains.

On voit de plus en plus d’Africains s’exprimer aux conférences de donateurs, non plus comme demandeurs mais comme experts des IT. Leur savoir est précieux car, chez eux, les développeurs doivent être particulièrement créatifs. Le problème majeur est que sur leur continent, à ce jour, seule une petite partie des téléphones sont connectables à l’internet. Mais les programmeurs africains ont trouvé moyen de tirer davantage de fonctionnalités des téléphones les plus simples: un programme spécial permet de convertir les SMS en courriels; les informations entrantes sont traitées par des hautes écoles ou des banques, par exemple, avant d’être réacheminées sur la Toile.

Assistance pour bovins. En Afrique du Sud, c’est ainsi que fonctionne le réseau social Mxit. Pour participer à des chats ou télécharger des posts, les plus de 7 millions d’utilisateurs envoient simplement des textos. Mxit propose ses propres chatrooms qui connectent les utilisateurs ou les branchent sur Facebook ou Yahoo.

Autre application africaine qui cartonne: le programme iCow. L’éleveuse kényane Su Kahumbu en a eu l’idée et une fondation britannique l’a financée. Aujourd’hui, les petits paysans de tout le pays s’annoncent avec le code *285# pour enregistrer leurs bovins en indiquant leurs âge, race, poids, sexe et dernier vêlage. ICow leur envoie alors des conseils développés par des vétérinaires sur des sujets comme la nourriture, les possibles maladies et les cycles de fertilité. Afin de ne pas exclure les analphabètes, le système fonctionne même sur commande vocale. Le nombre d’utilisateurs atteint des dizaines de milliers.

 

Médecins en ligne. L’internet choie aussi les humains malades. De nos jours, presque aucun médecin ne pratique autrement qu’en ligne. Même les cabinets villageois envoient désormais leurs relevés de laboratoire à des cliniques universitaires et reçoivent en échange diagnostics et propositions de thérapie. De tels systèmes d’alerte donnent la possibilité d’enrayer la naissance d’une épidémie ou, du moins, sa propagation. Même topo pour vérifier l’authenticité et la qualité des médicaments: en Afrique, les contrefaçons tuent chaque année des milliers de personnes.

Des informaticiens du Ghana ont développé à ce propos un programme de sécurité élémentaire: à l’aide de leur téléphone, les patients scannent un code-barres sur l’emballage ou relèvent le numéro d’enregistrement. Ils l’envoient à une centrale qui vérifie et renvoie le résultat, y compris la posologie idoine. Baptisé MPedigree, le système est soutenu par les autorités sanitaires en Afrique de l’Ouest.

Sur le continent, la téléphonie mobile n’assiste pas que les malades, les paysans ou les enfants. En cas de guerre ou de catastrophe, elle sait aussi sauver des vies. Exemple: l’invention de la société Ushahidi au Kenya, dont les bureaux sont aussi au iHub de Ngong Road. En swahili, ushahidi signifie déclaration de témoin et c’est aussi le nom du programme qui permet de signaler des combats, des crimes ou des épidémies. Ushahidi propose une application gratuite au moyen de laquelle des cartes de catastrophe interactives peuvent être constituées, aidant les victimes, témoins et sauveteurs.

Cerner les conflits et combattre la corruption. Le politologue Daudi Were a participé au développement d’Ushahidi. Il était un des blogueurs les plus réputés du pays il y a six ans, quand le Kenya a élu son nouveau président et que la nuit de la Saint-Sylvestre s’est terminée en explosion de violence entre les partisans de l’un et de l’autre candidat. En l’espace de quelques heures, même Ngong Road se mua en champ de bataille et plus de 1500 personnes furent tuées dans l’ensemble du pays. «Nous étions secoués, se souvient Daudi Were. Personne ne connaissait l’étendue des violences et nul ne se fiait aux informations du gouvernement.» Il s’est alors mis au boulot avec des amis programmeurs et, en six jours seulement, ils ont développé le logiciel Ushahidi. Plus de 5000 témoins et victimes des violences ont fait connaître par SMS ce qu’ils avaient vécu.

Il existe aujourd’hui quelque 45 000 cartes constituées sur la base de ce programme bricolé en quelques jours par une bande de copains. L’ONU, les experts en droits de l’homme, les services d’aide en cas de catastrophe le mettent en service dans le monde entier. Même les rebelles libyens qui ont eu la peau de Mouammar Kadhafi en 2011 ont fabriqué leurs cartes des combats et des mouvements de troupes avec Ushahidi. En Macédoine, l’ONG Transparency Watch utilise le programme pour enregistrer les cas de corruption. La chaîne de télévision Al Jazeera a cartographié à l’automne 2011 les dégâts causés par un séisme dans la province de Van, en Turquie. Et des scientifiques de l’Université de Heidelberg ont rassemblé sur une carte Ushahidi l’ensemble des ravages causés par le typhon Haiyan aux Philippines.

«Ces cartes ont deux fonctions, explique Daudi Were. Elles servent à avoir une vue d’ensemble de l’importance d’une crise et permettent aux équipes de sauvetage d’entrer en contact avec les victimes et les témoins. On a ainsi pu sauver bon nombre de vies.» Cela parce que les personnes qui interviennent peuvent laisser leur numéro de téléphone ou leur adresse électronique.

Le prochain projet des fondateurs d’Ushahidi s’appellera Brck, contraction du mot anglais brick: un appareil de la taille d’une brique contenant un routeur en mesure de connecter à l’internet jusqu’à 20 téléphones mobiles, laptops et tablettes, y compris dans les villages les plus perdus. Il est pourvu d’un accumulateur capable de suppléer une coupure de courant pendant huit heures. Les premiers prototypes sont en phase de stress test dans les conditions extrêmes relativement courantes au Kenya.

Commencera alors la production en série, sans doute en Asie. Mais Daudi Were compte bien qu’un jour ce type de production soit rapatrié en Afrique. Le Brck serait alors le premier composant hardware produit par des Africains chez eux. Les précommandes sont déjà au nombre de 700, venues d’organisations d’assistance et de l’ONU. Daudi Were estime que les possibilités d’exportation sont gigantesques: 4,3 milliards de terriens ne sont toujours pas connectés. Et de conclure: «Ce qui fonctionne en Afrique peut fonctionner n’importe où!»

©Der Spiegel
Traduction et adaptation Gian Pozzi

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«50 000 immigrés par an au maximum»

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:56

Heinz Brand.Le conseiller national grison, ancien chef cantonal des migrations et grand spécialiste de la question à l’UDC, esquisse pour la première fois la manière dont il envisage la mise en œuvre de l’initiative.

La Suisse affiche un solde migratoire annuel d’environ 80 000 personnes. Quel serait le plafond acceptable selon vous?
Il faut mettre en corrélation l’immigration avec l’émigration. Je peux m’imaginer qu’on fixe le nombre d’immigrés au niveau de celui des émigrés de l’année précédente, ce qui permettrait de stabiliser la situation. De toute façon, on ne devrait pas dépasser 40 000 à 50 000 immigrants par année.

Vous ciblez surtout le regroupement familial pour limiter l’immigration. Quelles propositions faites-vous?
Nous devrions établir des critères plus sévères sur le regroupement familial des pays tiers, de manière à pouvoir rester plus souples envers les ressortissants européens. Pour ces derniers, je propose d’introduire un délai d’attente avant d’autoriser le regroupement familial, mais ne dépassant pas douze à dix-huit mois.

Cela ne dissuaderait-il pas les Européens très qualifiés de venir travailler en Suisse?
L’expérience montre que, malheureusement, il y a encore trop peu de cerveaux qui viennent en Suisse. Cela dit, le marché du travail suisse reste très attrayant pour un cadre supérieur, de sorte que même des gens qualifiés sont prêts à s’accommoder de restrictions temporaires. D’ailleurs, dans la pratique, ces cerveaux ne font pas venir tout de suite leur famille en Suisse.

Et pour les pays tiers?
Ici, le législateur est beaucoup plus libre d’agir concernant le regroupement familial. Nous pourrions fixer des critères qualitatifs à l’image du système par points adopté par le Canada. Celui-ci ne prévoit le regroupement familial que pour certaines branches, exige des connaissances linguistiques ou ne permet la venue du conjoint qu’à des conditions très strictes, ce qui permet aussi de mieux lutter contre les mariages forcés.

Dans le cas où votre initiative serait acceptée le 9 février prochain, que devra faire le Conseil fédéral si l’UE refuse de renégocier l’accord sur la libre circulation des personnes?Aucun pays en Europe n’est aussi touché par les effets de la libre circulation que la Suisse, ce qui remet peu à peu en question notre identité nationale. Si l’UE refuse à tout prix les mesures prévues par notre initiative, alors ce sera à elle de dénoncer tous les accords touchés par la clause guillotine, ce qui aurait aussi des conséquences négatives pour elle. C’est la raison pour laquelle je pense que l’UE entrera en matière. Il y a des précédents. Le Liechtenstein a ainsi introduit des quotas très restrictifs pour certains permis.

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Le grand retour du statut de saisonnier

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:57

Immigration.En Suisse alémanique, la remise en question du regroupement familial par l’UDC donne un nouveau tour insidieux à la campagne.

 

Ce vendredi 17 janvier, on croyait revivre le psychodrame de l’Espace économique européen en assistant au débat de l’émission de la TV alémanique Arena sur l’initiative «Contre l’immigration de masse». Comme en 1992, deux camps irréconciliables, un débat passionnel dominé par des peurs exacerbées et surtout cette propension réciproque à prédire l’apocalypse si les citoyens devaient «mal voter».

Outre-Sarine, la campagne a pris un ton beaucoup plus dur qu’en Suisse romande. Mais la discussion publique n’y gagne pas en clarté. Au contraire. L’UDC ne donne pas l’impression de savoir ce qu’elle veut. Son initiative réclame des contingents, fixés en tenant compte de la préférence nationale lors des engagements. A quelle hauteur en fixer le plafond? Même si, à la demande de L’Hebdo, le conseiller national Heinz Brand a enfin cité un chiffre concret (lire en page 24), les dirigeants de son parti se refusent à préciser la portée de leur texte. Et pour cause: ils ne sont pas d’accord entre eux. Christoph Blocher fait partie des plus restrictifs: en aparté, il souhaite une immigration d’au maximum 40 000 personnes par année, soit moins de la moitié du solde actuel (85 000 en 2013).

L’aile très libérale de son parti se veut en revanche plus généreuse. Selon elle, l’économie n’aurait pas à pâtir de l’introduction de contingents, qui devraient être fixés selon ses besoins, et surtout pas en dessous. Tentant une acrobatique synthèse, le président Toni Brunner a lancé une propo-sition lors de l’émission Tagesgespräch de la radio alémanique du 11 janvier dernier: «Il faut créer un nouveau permis de travail de six à neuf mois n’autorisant ni le regroupement familial ni l’accès à l’aide sociale.»

Accueillir des bras, des cerveaux, mais pas les proches parents qui vont avec. Tel est le désir finalement avoué de l’UDC. Ressurgissent du coup les images en noir-blanc du documentaire d’Alexander Seiler Siamo Italiani, sorti en 1964! «C’est le retour du statut du saisonnier et de la Suisse des baraquements, une tache dans l’histoire économique du pays», s’offusque le président du PS Christian Levrat. «Cette idée d’une immigration logée dans des conditions précaires et sans logique d’intégration, c’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire», ajoute-t-il.

Inefficace. L’idée de Toni Brunner n’est pas seulement rétrograde, elle est inefficace. D’abord, parce que la part due au regroupement familial dans le bilan de l’immigration n’est plus que d’un tiers, alors qu’elle pesait pour moitié dans la décennie précédente. Ensuite, parce que l’UDC ne vise dans son initiative que les citoyens européens, ceux précisément qui recourent beaucoup moins au regroupement familial (23%), du fait de la proximité de leurs pays d’origine, contrairement aux ressortissants des Etats tiers (52%). Enfin, il est irréaliste de croire que l’UE accepterait des restrictions au regroupement familial pour ses ressortissants.

Le durcissement du regroupement familial fait pourtant recette, bien au-delà des cercles de l’UDC. Dans une prise de position datant de mai 2013, le PLR l’aborde, en mettant l’accent sur les pays tiers toutefois, exigeant que ceux qui y ont droit aient «un revenu suffisant pour subvenir à l’ensemble de leur famille sans l’aide de l’Etat».

Même à gauche, on n’est plus très loin de flirter avec cette idée. Voilà deux mois, Rudolf Strahm, ex-conseiller national du PS, chroniqueur influent outre-Sarine, a fait hurler beaucoup de camarades. Ce proche de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga s’est demandé – sans répondre à la question – s’il ne serait pas utile de déposer un «oui tactique de gauche» à l’initiative de l’UDC, ne serait-ce que pour réveiller le gouvernement, qu’il accuse de ne pas lutter contre les effets négatifs de la libre circulation des personnes. «Chaque migrant qui n’a pas appris un métier ou n’est pas prêt à en apprendre un, et qui n’apprend pas une langue nationale est un migrant de trop», a-t-il déclaré dans Schweiz am Sonntag. On vient en Suisse pour travailler, point barre, pas pour y rejoindre sa famille.

En Suisse alémanique, la campagne prend ainsi un tour insidieux; on laisse croire que, même avec des contingents, l’économie pourrait recruter les bras ou les cerveaux dont elle a besoin, en recréant une sorte de statut du saisonnier. Une vie de mercenaire solitaire qui ne correspond pourtant guère au standing auquel la main-d’œuvre européenne qualifiée peut prétendre. Celle-ci rechignerait dès lors à venir travailler en Suisse.

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le vote des Romands sera décisif

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:58

Votation du 9 février.Depuis 2000, le soutien des Romands à la libre circulation des personnes a toujours compensé l’avis des Neinsager. Mais le doute s’est installé.

 

«Les exécutifs cantonaux oublient parfois de faire campagne, et après ils doivent gérer la catastrophe.» Ce mercredi 15 janvier, les sept conseillers d’Etat vaudois sont alignés pour tenir conférence de presse. Il est tout à fait inhabituel qu’ils se présentent in corpore pour délivrer leur recommandation sur des votations fédérales; d’habitude, ils se contentent d’un simple communiqué, ou du message d’un ou deux d’entre eux. Mais l’heure est grave, explique le président, Pierre-Yves Maillard: en remettant en cause la libre circulation des personnes avec l’Union européenne (UE), l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse» menace un des principaux facteurs ayant contribué au redressement vaudois amorcé depuis 2002.

Ce qui est vrai pour ce canton vaut pour toute la Suisse romande: alors que le PIB national a connu une hausse de 20,4% (cumulés en termes réels) entre 2002 et 2012, celui des Welsches a bondi de 24,5%. Le taux d’immigration est lui aussi supérieur à la moyenne des cantons alémaniques ou même du Tessin (voir les infographies 3 et 4). Vaud, Valais, Genève et Neuchâtel ont enregistré les plus fortes progressions (avec Bâle-Ville, Zurich et Zoug). La croissance de la population, facilitée par la libre circulation, a incontestablement dopé celle de l’économie.

L’essor est d’autant plus spectaculaire qu’un certain marasme – que l’on occulte volontiers aujourd’hui – avait caractérisé la décennie précédente. Depuis 2002, la Suisse romande a non seulement rattrapé son retard par rapport à la Suisse alémanique, mais également généré un dynamisme plus robuste.

Retour sur investissement. Ce faisant, les Romands ont bénéficié d’une sorte de retour sur investissement. Comme le montre l’analyse des cinq votations européennes qui se sont égrainées depuis 2000, ils ont de manière décisive renfloué le camp du oui aux accords bilatéraux, compensant l’hostilité des Neinsager aiguisée par l’UDC. (voir infographie 2).

Après le refus de l’Espace économique européen (EEE) en 1992, les négociations avec l’UE ont tardé à s’ouvrir et à se conclure. En mai 2000, les Suisses entérinent donc volontiers les résultats de ce laborieux processus, dans un scrutin qui a valeur de réparation. Ils disent oui à 67% aux sept premiers accords bilatéraux, qui instituent une mise en place progressive de la libre circulation des personnes et de nouvelles règles pour les marchés publics, l’agriculture, la recherche, les transports terrestres et aériens, ou encore les obstacles techniques au commerce.

Chez les Romands, le soulagement de voir les relations avec l’UE remises sur de bons rails, qui garantissent l’accès au grand marché européen sans discrimination, grimpe à 75,9% de oui.

En 2005, lors des votes sur Schengen-Dublin et l’extension de la libre circulation à dix nouveaux pays membres, la tendance est la même: les Romands acquiescent à respectivement 62,5 et 59,3%, alors que la moyenne nationale est à 54,6 et 56%. L’engouement pour la voie bilatérale est retombé, le scepticisme grandit outre-Sarine, mais l’ouverture des Romands empêche le naufrage.

En 2006, le milliard de francs pour le fonds de cohésion obtient de justesse, à 53,4%, l’onction populaire; là encore, les Romands se sont montrés plus disposés à jouer le jeu de l’UE, à 57,9% en moyenne.

Le poids des sceptiques. Le vote de 2009 sur la reconduction de l’accord sur la libre circulation et son extension à la Roumanie et à la Bulgarie enregistre un sursaut, le oui flirte avec les 60%. De part et d’autre de la Sarine s’est imposée l’idée que les accords bilatéraux sont une aubaine pour l’économie (voir l’infographie 5). La perspective de voir tomber l’édifice bilatéral construit avec l’UE a agi comme un repoussoir.

 

Malgré ce satisfecit général, le débat sur les conséquences négatives de l’immigration européenne en matière de dumping salarial, de logement ou d’engorgement des infrastructures de transports n’a cessé de gonfler. Ou plutôt de s’envenimer, avec la publication de statistiques pointant le pourcentage d’étrangers à 23% de la population et leur nombre absolu à bientôt 2 millions, des seuils symboliques qui négligent le fait que, bien avant l’introduction de la libre circulation, la part d’étrangers dans la population était déjà très élevée (voir l’infographie 1).

Fin décembre dernier, un sondage de l’institut Isopublic donnait la mesure des sentiments ambigus que nourrissent les Suisses, et les Romands en particulier, à l’égard de la libre circulation. Il révèle certes 53,5% de non à l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse», mais chiffre le nombre d’indécis en Suisse romande à 20%.

Le 10 janvier dernier, l’institut gfs.bern donne toujours le non gagnant à 55% (contre 37% pour le oui), mais encore 13% de Romands n’ayant pas décidé de leur vote. Le signe que, s’ils ont beaucoup profité de l’arrivée d’une main-d’œuvre européenne qualifiée, ils en ont aussi subi le poids et la concurrence. Les succès de l’UDC et du MCG lors des élections cantonales en Valais, à Neuchâtel et à Genève attestent d’un scepticisme grandissant sur les bienfaits d’une croissance «qui n’aurait pas bénéficié à tous».

Dès lors, le risque existe que cette fois-ci les cantons romands ne renflouent plus suffisamment le camp de la libre circulation pour compenser le vote favorable au retour au contingentement de la main-d’œuvre étrangère. Le 9 février, ils pourraient renouveler leur fidèle soutien à la voie bilatérale – personne, même parmi les partisans du texte de l’UDC, n’imagine qu’un canton romand pourrait voter oui –, mais dans une proportion bien plus faible que par le passé. La part des Alémaniques attachés à la voie bilatérale ne s’étant guère renforcée, le scénario catastrophe d’un vote favorable à l’initiative se dessine, avec le renfort des petits cantons europhobes qui lui offriront la double majorité.

Historien de formation, Pierre-Yves Maillard, le président du Conseil d’Etat vaudois, souligne que les courbes de croissance comme celle de l’immigration ne montent jamais indéfiniment vers le haut, il arrive toujours un moment où elles se retournent. «C’est pourquoi, détaille le socialiste, il faut profiter des périodes fastes comme celle que nous traversons pour investir dans les infrastructures, renforcer la protection des travailleurs et raffermir la cohésion sociale; cela permettra d’affronter les crises lorsqu’elles surviendront.»

Retour des vaches maigres? Depuis l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes, a-t-il martelé avec ses collègues, Vaud a fait fondre sa dette de 9 milliards de francs à presque rien, il a doublé les montants dévolus aux subsides à l’assurance maladie et aux allocations familiales, et enregistré la création de 5500 emplois par an.

Vaud a connu une immigration faible, a-t-il conclu. C’était dans les années 90, une période de morosité économique, avec un chômage élevé, des finances publiques en crise. Les Romands veulent-ils le retour des vaches maigres? Le 9 février, eux à qui la libre circulation des personnes a plus apporté qu’au reste du pays ont plus à perdre qu’à gagner. L’ampleur de leur vote contre l’initiative de l’UDC sera décisive.





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Salvatore Di Nolfi / Keystone
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Christian Arnsperger: Quel genre d’humains voulons-nous être?

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:59

Critique.Le professeur à l’Université catholique de Louvain estime que notre système économique, qui tente vainement de répondre à un vide existentiel, engendre un énorme gaspillage des ressources.

 

Auteur de nombreuses publications, notamment sur la transition écologique et la croissance économique, Christian Arnsperger gagne au fil des années une écoute à l’échelle européenne. Sa vision d’une nouvelle société à imaginer suscite maints débats.

Que reprochez-vous au système économique de nos sociétés que vous qualifiez de «consumériste-productiviste-croissanciste» (CPC)?
Ce n’est nullement un reproche, c’est un constat: le système économique que nous avons érigé depuis la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle est une réponse à nos inquiétudes et plus particulièrement à notre peur de manquer. Il agit en quelque sorte comme un colmatage existentiel. Nous consommons, nous produisons toujours plus pour combler un sentiment de vide qui nous vient de la conscience de notre mortalité, et que rien d’autre dans notre culture ne vient apaiser.

 

Nous n’avons donc pas le choix?
Bien sûr que si! Il y a des alternatives au système CPC. Mais nous devons d’abord réaliser à quel point ce dernier est la source d’un grand gaspillage macroéconomique. Dans sa logique de fonctionnement, il faut qu’un nombre relativement limité d’individus s’accaparent un maximum de richesses pour ensuite les redistribuer à la collectivité, vaille que vaille. «Soyez créatifs, dynamiques, innovants», dit la social-démocratie à ces élites économiques, à ces gagnants du système. Le prix à payer pour la possibilité d’ensuite redistribuer les richesses, c’est qu’il faut laisser à ces élites la possibilité d’engendrer toujours davantage de croissance – sans quoi elles se sentiront «vidées» et vivront la solidarité comme une source d’angoisse. Cela conduit à un énorme gaspillage des ressources.

Aurions-nous un comportement collectif contre nature?
Au sens propre du terme, assurément. Dans le système CPC, la nature est perçue comme une immense réserve de ressources dans laquelle nous pouvons puiser à volonté et rejeter nos déchets. De même qu’il n’y a pas de solidarité spontanée entre les êtres – l’appât du gain et la maximisation de la production sont la règle – il n’y a pas non plus, dans notre culture, de relation authentiquement positive avec la nature. Nous éprouvons de la méfiance, voire de la haine à son égard. Elle est la négation de nos fantasmes d’éternité.

 

Nous croyons donc devoir la dominer pour ne pas mourir?
Il nous faut en effet prendre le pas sur la nature. Nous vivons une nouvelle époque où l’influence de l’homme sur le système terrestre est devenue prédominante. C’est une époque que le Prix Nobel de chimie Paul Crutzen et, dans la foulée, une partie de la communauté scientifique ont nommée Anthropocène, qui succède à l’Holocène. L’être humain lui-même est devenu une force géologique. La nature n’est plus sa condition mais son produit. Donc il la détruit, inexorablement.

Aurions-nous touché le fond?
Non, pas encore. Les mondes politique, académique et scientifique ont développé une telle foi dans la toute-puissance du système CPC que ce dernier a encore quelques beaux jours devant lui, si l’on peut dire. Avec suffisamment d’ingéniosité, pensent-ils, nous finirons toujours par trouver des remèdes techniques à la dégradation du tissu social, à la surconsommation, à la destruction des équilibres écologiques et à notre mobilité effrénée.

Par exemple?
Le capitalisme vert nous encourage à développer l’efficience énergétique, les énergies renouvelables à l’échelle industrielle, les technologies de dépollution, etc. Mais il se garde bien de toucher à notre modèle de production et de consommation, de remettre en question le principe d’une croissance matérielle sans limites. Après avoir tenté de combattre les injustices sociales par une redistribution toujours en danger d’être remise en question, la social-démocratie verte cherche désormais à combattre les graves atteintes à l’environnement par un foisonnement technologique, sous l’impulsion d’un appât du gain généralisé.
A terme, cela n’est pas tenable.

 

Vous êtes donc un adepte de la décroissance?
Non. Certes, le système CPC épuise la Terre dont les habitants s’épuisent. Il n’est pas concevable de continuer à vivre comme si nous disposions de plusieurs planètes. A un niveau macroéconomique, une contraction des flux de matière s’impose afin de retourner dans des limites soutenables. Mais il ne faut surtout pas renoncer à la croissance au niveau microéconomique. Les acteurs de la finance alternative, les coopératives, les produits organiques devraient par exemple croître fortement. Pour autant, attention à l’«effet rebond»: inonder indéfiniment la planète de toujours davantage de marchandises bios n’aurait pas de sens. Au nom de la durabilité mondiale, je prône donc une croissance sensible, mais contrôlée, de certains secteurs d’activité.

Stopper net toute croissance économique, ce serait donc stupide?
Ce serait en effet suicidaire dans le système CPC qui ne peut s’en passer. Nos besoins élémentaires – nous nourrir, nous vêtir, nous loger – ne seraient même plus satisfaits.

 

Alors que faire, attendre que le ciel nous tombe sur la tête?
Je ne crois pas à la grande catastrophe qui va tous nous anéantir. Nous allons vraisemblablement assister à un délitement progressif de notre système économique. Des secteurs entiers vont s’effriter, les uns après les autres. Mais d’autres, dont on voit déjà les premiers signes, vont surgir. Le feront-ils assez vite?

Vous laissez donc une petite place à l’espoir?
L’écosystème de rechange clé en main n’existe pas. En revanche, de nouvelles expériences se multiplient un peu partout dans le monde. Voyez ces banques, comme la Banque alternative suisse, qui fonctionnent sans rechercher une maximisation de leurs profits, voyez ces associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) qui rapprochent solidairement producteurs et consommateurs, voyez les monnaies complémentaires qui répondent à des critères différents de ceux du système bancaire, voyez les écoquartiers, les villes en transition, etc. Toutes ces initiatives forment un ensemble bigarré, pour l’instant encore peu cohérent. Mais elles préfigurent l’émergence d’une nouvelle conscience écologique et sociale qu’il serait judicieux d’encourager.

 

Comment?
Il serait souhaitable d’inscrire le droit à l’expérimentation dans les droits fondamentaux du citoyen.

Ce droit n’existe pas?
La plupart du temps, celles et ceux qui expérimentent des modes de vie différents prennent d’énormes risques. Rejetés par le système, ils ne sont plus socialement protégés par ce dernier. Si cela tourne mal, ils n’ont plus droit aux assurances chômage et maladie, à toutes les allocations liées au système CPC. La collectivité les considère comme des marginaux prenant des risques inconsidérés alors qu’en réalité ils sont des pionniers qui tissent de nouvelles relations économiques et sociales. L’Etat devrait donc les protéger.

De quelle manière?
L’Etat pourrait par exemple verser un soutien de revenu aux initiatives de transition, qui mettrait ces expérimentateurs d’un «vivre autrement» à l’abri de la précarité. Il s’agirait d’une allocation d’un montant suffisant pour couvrir les besoins essentiels pour tout citoyen démontrant sa volonté de changer de mode de consommation et de production.

 

Vous affirmez que notre besoin de produire et de consommer sans limites est une réponse à notre inquiétude face à un vide existentiel. Par quoi le combler?
Commençons par nous poser la question: quel genre d’humains voulons-nous être? La pseudo-spiritualité économique où la croissance matérielle occupe une place prédominante n’est-elle pas une impasse? Comme économiste traitant de questions anthropologiques, je considère que la spiritualité demeure une réponse fondamentale à notre inquiétude. A nous de trouver des réponses «non croissancistes» à nos inquiétudes humaines, individuellement et collectivement. Cette reconstruction anthropologique sera sans doute l’un des grands défis du XXIe siècle.


Christian Arnsperger
Né en 1966 à Munich, Christian Arnsperger, de nationalité allemande et docteur en sciences économiques, est chercheur au Fonds national de la recherche scientifique belge et professeur à l’Université de Louvain. Il est aussi conseiller scientifique auprès de la Banque alternative suisse.

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