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Schneider-Ammann: ministre en sursis

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Jeudi, 6 Février, 2014 - 05:53

▼Les faits
Le ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann est rattrapé par le passé de son ancienne entreprise. L’émission de la TV alémanique Rundschau révèle que le groupe Ammann qu’il dirigeait s’est adonné à de l’optimisation fiscale en créant une société boîte aux lettres sur l’île anglo-normande de Jersey, cela de 1996 à 2009.

▼Les commentaires
Certes, ce n’est pas cette affaire qui devrait coûter son poste au conseiller fédéral PLR, même si les jeunes socialistes réclament déjà sa démission. La Basler Zeitung le défend et rappelle qu’un chef d’entreprise doit «maintenir les coûts aussi bas que possible pour garantir les investissements». De son côté, la Schweiz am Sonntag note: «Il serait étonnant que les autorités fiscales bernoises, qui ont accordé de nouveaux privilèges au groupe Ammann en lui permettant de créer une société de domicile lorsqu’il a rapatrié son argent en Suisse en 2009, condamnent aujourd’hui les pratiques de cette entreprise.» Il n’empêche que cette affaire laissera des traces. «Ce qui est légal n’est pas forcément légitime, surtout pour un politicien», rappelle le professeur d’éthique de l’Université de Saint-Gall Florian Wettstein dans la Zentralschweiz am Sonntag.

▼À suivre
Déjà affaibli par l’affaire de corruption qui frappe son département, Johann Schneider-Ammann, cet ancien entrepreneur «responsable» ayant toujours critiqué ses pairs lorsqu’ils touchaient des salaires exorbitants, a désormais perdu sa crédibilité. C’est de mauvais augure pour sa réélection en décembre 2015, date à laquelle il devra résister à l’assaut de l’UDC qui voudra à tout prix récupérer son deuxième siège au gouvernement.

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Ruben Sprich / Reuters
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Des layettes made in Switzerland

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Jeudi, 6 Février, 2014 - 05:54

Reportage.Des habits entièrement fabriqués en Suisse? Ça existe! Au cœur de l’Emmental, l’entreprise Frilo produit manteaux, grenouillères et chaussons pour bébés.

 

Huttwil, village de 4740 habitants dans l’Emmental, dans le canton de Berne. Dans un quartier près de la gare, le Friloweg. Bordé de champs enneigés d’un côté et de coquettes maisons de l’autre, il mène à une grande bâtisse à la peinture un peu défraîchie. C’est là, dans ce vaste bâtiment avec vue sur les forêts environnantes, que l’entreprise Frilo produit des habits pour bébés en tricot.

Pas de sous-traitance à l’étranger: tout est fabriqué sur place, de A à Z, par une équipe de 9 ouvrières, dont 3 travaillent à domicile.

A la tête de cette PME, Patrizia Vietri, 37 ans, et son époux Mauro, 35 ans. Elle a terminé une formation d’employée de commerce, poursuivi des études à l’Ecole suisse du textile, à Wattwil, avant de s’occuper des achats de vêtements pour des magasins comme Vögele, Loeb et les boutiques Kaktus. C’est son grand-père, Fritz Loosli, qui, en 1927, a fondé l’entreprise à laquelle il a donné son nom (FriLo).

Fils d’immigrés italiens, Mauro Vietri, lui, a fait un apprentissage de photographe avant de travailler dans la vente d’équipements pour les garages.

«Je gagnais bien ma vie lorsque mes parents ont commencé à se demander ce qu’ils allaient faire de leur PME», raconte  Patrizia Vietri. L’entreprise bernoise produit alors des articles pour les marques Bonpoint ou Tartine et Chocolat et pour son propre label, Frilo. «Mais le chiffre d’affaires baissait et mes parents ont cessé d’investir. Plus personne ne croyait qu’il était possible de produire en Suisse.»

Patrizia et Mauro Vietri refusent de laisser couler l’entreprise familiale. Ils veulent y croire. La jeune femme quitte son poste et se lance dans un tour de Suisse à la rencontre des clients de la marque – soit des magasins – la collection dans ses bagages. Elle pose des questions, sonde les envies des acheteurs, une dizaine de boutiques spécialisées, et gagne de nouvelles enseignes. «Mes interlocuteurs me disaient: “Si vous nous amenez de nouveaux modèles et couleurs, nous passons commande.”»

De retour à Huttwil, elle se met au travail, imagine d’autres modèles, enrichit la palette des coloris, édite un catalogue.

A l’assaut du marché international. Même si les clients suisses sont fidèles, ce n’est cependant pas suffisant: le couple décide alors de partir à l’assaut du marché international. Patrizia et Mauro Vietri participent à une première foire d’habits pour enfants à Amsterdam, la Kleine Fabriek. «Nous en sommes revenus avec 20 000 francs de commandes.» Suivront celles de Paris et de Florence, la plus importante. «Quand j’ai vu les stands, immenses, des autres exposants, j’ai dit à mon mari: “C’est la honte avec nos deux valises. Repartons!” Mais j’ai changé d’avis en voyant les quelques mètres qui nous étaient réservés dans le secteur plus modeste des petites marques. Les acheteurs sont venus à nous.»

Aujourd’hui, Frilo vend ses habits dans le monde entier: Etats-Unis, Canada, Russie, Ukraine, Allemagne, France, Norvège, Benelux, Autriche, Angleterre et Japon. «En Suisse, nous venons également d’entrer dans les magasins Globus. Nous sommes très contents.»

Mais évidemment, pour le couple, pas question de se reposer sur ses lauriers. Des couvertures aux grenouillères en passant par les brassières et les chaussons, Frilo propose aujourd’hui trente modèles, en laine de mérinos ou en coton, dans six couleurs différentes. Le jeune couple vient également d’imaginer des habits avec le point perle et d’autres avec des torsades. Il faut innover pour avancer.

«Par collection, nous proposons 12 silhouettes pour les filles et 12 pour les garçons.» Au rez-de-chaussée, huit machines – dont trois de la dernière génération – produisent les tissus en maille nuit et jour. C’est Mauro Vietri, parti se former en Allemagne, qui les pilote depuis un ordinateur au centre de l’atelier.
La laine provient du nord de l’Italie.

Au premier étage du bâtiment ce jeudi matin, trois femmes travaillent assidûment: l’une est à la coupe, une autre s’affaire derrière une surfileuse et une troisième brode des couvertures pour bébé à l’aide d’une machine spéciale. Des ouvrières à domicile s’occuperont des finitions.

La petite équipe ne chôme pas. Fin janvier, la nouvelle collection pour l’été devra avoir été livrée aux clients, alors qu’à la mi-mars, toutes les commandes seront rentrées et la petite entreprise pourra se lancer dans la production de la collection d’hiver. Un rythme qui a de quoi contredire la légendaire lenteur des Bernois...

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Béatrice Devènes
Béatrice Devènes
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L’homme qui encre les rêves sur la peau

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Jeudi, 6 Février, 2014 - 05:55

Portrait.Cet hiver, à Lausanne, le plus ancien tatoueur de Suisse fêtera les 34 ans de son salon. Il revient sur quarante ans d’évolution d’un art maudit devenu très populaire.

Il a ouvert le 1er mars 1980, à l’avenue d’Echallens, à Lausanne. Depuis, le petit salon de Dominique Lang, dit Tom, n’a pas changé. C’est le plus ancien établissement de tatouage suisse en activité. Y pénétrer, c’est remonter le temps. Il y a Radio Nostalgie en bande-son. Au mur, des modèles ramenés de New York, il y a près de quarante ans: têtes de tigre rugissant, aigles, voiliers, poignards… La plus pure tradition de l’old school, ces motifs popularisés par les marins redevenus à la mode ces dernières années. Et puis l’ancienne chaise de dentiste. Après l’arrachage de dents, certains clients y ont connu les affres des piqûres. «Rarement, mais cela arrive, ils tombent dans les pommes parce qu’ils ont peur. Quand ils deviennent tout blancs, il faut arrêter. Mais je devine quand cela va arriver, je sens la personne dès que je touche sa peau.»

Le même que Rihanna. En début de soirée, la porte s’ouvre toutes les vingt minutes. Hommes et femmes, entre 16 et 50 ans, veulent modifier leur corps par le dessin.

En ce moment, beaucoup de femmes souhaitent adopter le même motif que la chanteuse Rihanna. Les jeunes pères de famille demandent les prénoms de leurs enfants, comme les footballeurs. Il y a vingt-cinq ans, les clients venaient avec des photos de Johnny. Il y a trente ans, peu de femmes passaient la porte… Et si l’on remonte plus loin encore, il y a trente-quatre ans, avant que le tatouage ne se démocratise, vous auriez vu ici mauvais garçons, voyous un peu assassins, macs ou toxicomanes. Les seuls qui osaient alors se faire encrer la peau.

Des pieds à la tête. Dominique Lang a connu toutes les modes. Certaines renaissent. Comme l’old school, dont plus personne pourtant ne voulait. Car Dominique Lang, artisan soigneux à la technique parfaite, sait tout faire. Mais il prie pour qu’on ne lui demande plus de tête de panthère noire, comme dans les années 80. Et plus de dauphin, comme dans la décennie suivante. Il en a soupé.

Quant au tatouage de Rihanna, pas question. Surtout ceux qu’elle a fait graver sur le profil de ses doigts («Love», sur le majeur gauche, et «Shhh…» sur l’index droit). A cet emplacement, la peau prend mal l’encre et le risque est grand d’avoir un dessin à moitié effacé. D’autres n’ont pas ces scrupules…

Au moment où il en parle, la porte du salon s’ouvre. C’est un couple. Elle amène une photo de l’omniprésente chanteuse. Son ami, en costume cravate, veut crâner. Vaguement inquiet en voyant la chaise de dentiste, il demande à Dominique Lang, goguenard, s’il tatoue aussi les testicules. Calmement, le maître des lieux lui répond: «On ne me l’a encore jamais demandé.» Ils reviendront.

Puis c’est un grand brûlé, qui aimerait se réapproprier son corps avec des dessins qui parleraient de force et de courage. Une jeune femme, une musicienne, patiente depuis dix minutes déjà. Elle a élaboré le dessin dont elle rêve, plein de volutes et de clés de sol.

Son meilleur client est venu pendant vingt ans. Lui seul a eu droit à se faire encrer les mains (mais pas les testicules). Son nom: Etienne Dumont, ancien journaliste à la Tribune de Genève, l’un des tatoués les plus connus au monde. Il a passé ici mille heures sous les aiguilles. «Peu de tatoueurs ont cette chance. Je n’en retrouverai pas un autre comme lui.» Pour autant, Dominique n’a pas l’impression de connaître ce personnage réservé, qui ne partageait pas son sens de l’humour.

Mauvais genre. Mécanicien, Dominique Lang a d’abord travaillé en usine. La première fois qu’il a vu un tatouage, il est resté fasciné. C’était au camping d’Orbe, en 1964, sur le biceps d’un maître nageur. Il avait 10 ans. Lui, il a commencé par un serpent sur l’avant-bras, aux Etats-Unis, dans les années 70. A Miami, il découvre des magasins entièrement consacrés à la gravure corporelle. Il fait l’acquisition de sa première machine. «On s’est motivés mutuellement, avec mon pote Jacques Nicod. Sans lui, je n’aurais peut-être jamais ouvert de salon.»

Pendant trois ans, les deux hommes travailleront ensemble, jusqu’à la disparition de Jacques. «Il était projectionniste. On a commencé à tatouer dans la cabine du cinéma Palace, à Lausanne, pendant les films. Le projecteur couvrait le bruit. Puis on a loué un appartement pour faire ça le samedi. La clientèle a augmenté. On s’est aperçu qu’il y en avait assez pour ouvrir un salon.»

A l’avenue de la Gare, une gérance leur refuse une boutique. Les scarifications, c’est mauvais genre. La police du commerce leur annonce que de tels salons sont interdits. «Nous sommes allés voir un avocat, qui nous a assuré que rien, dans la loi, ne s’y opposait.» Amusant, quand on voit, aujourd’hui parmi les chalands, banquiers, notaires ou avocats…

Quelques mois après l’installation de Tom Tattoo, la famille Leu s’installe à Lausanne et la ville devient un centre reconnu du tatouage. Le métier évolue vite, et connaîtra encore, dans les années à venir, d’autres mutations.

Le 1er janvier, la France a interdit 59 encres de couleur. La Suisse réfléchit à une nouvelle régulation et à une professionnalisation de la branche, en accord avec les tatoueurs. En 2011, sur les 167 encres testées par le laboratoire cantonal de Bâle, spécialisé en la matière, 37% se sont révélées nocives pour la santé. La faute à des pays producteurs sans législation, comme les Etats-Unis.

Dominique ne veut pas de disciple. La seule personne qu’il aurait acceptée, comme élève, c’est sa fille. Elle n’a pas désiré suivre ses pas (ce qui ne l’empêche pas de sortir avec un tatoueur). Elle a fait son premier tatouage chez son père, à 22 ans. Une fleur de lotus et des roses. «Je l’ai prévenue: vas-y carrément. Un grand tatouage vieillit mieux qu’un petit. Il a plus d’impact, plus de détails. Et les grands tatouages esthétiques, on ne peut pas les regretter.»

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Darrin Vanselow
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Isabelle Chassot: "La qualité ne se mesure pas au seul nombre d’entrées au cinéma"

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Jeudi, 6 Février, 2014 - 05:56

Constante.Isabelle Chassot veut transmettre au plus grand nombre le goût des arts et des langues. Rencontre avec une humaniste, qui dirige désormais l’Office fédéral de la culture.

Propos recueillis par Catherine Bellini et Chantal Tauxe

Un air solide, une fibre sensible, elle supporte mal l’excès de lumière. Bienvenue dans l’univers d’Isabelle Chassot, qui vient d’accrocher une œuvre qui lui ressemble dans son nouveau bureau. «On dirait du cuir et pourtant c’est du lin», dit-elle devant le travail de l’artiste Maya Andersson. Quelque chose de déroutant, comme la Fribourgeoise Isabelle Chassot, nouvelle directrice de l’Office fédéral de la culture, ex-conseillère d’Etat à Fribourg, ex-présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de l’éducation. Elle aime les chœurs, la musique, le théâtre mais aspire au silence quand elle se retire au couvent du Carmel, en Gruyère, pour se ressourcer. Une communauté de femmes, joyeuses mais cloîtrées, à la fois hors du monde et en communion avec lui. «J’y vais parce que c’est un endroit de silence et de prière. Dans le monde d’aujourd’hui, il est indispensable de pouvoir faire silence de temps en temps.»

Dans son bureau bernois sis dans le même bâtiment que la Bibliothèque nationale, elle nous confie, dans un de ces euphémismes qui lui sont propres, qu’elle ne «déteste pas» avoir quitté la représentation permanente qu’impliquait la fonction de conseillère d’Etat. Quelques jours plus tard, aux Journées cinématographiques de Soleure, c’est pourtant dans le brouhaha de la foule et sous le crépitement des flashs qu’elle prononcera son premier discours en qualité de directrice nationale de la Culture.

Tout en abordant certains chantiers du message culture qui déterminera la politique de la Confédération pour la période 2016-2019, Isabelle Chassot nous raconte son itinéraire culturel et les valeurs qu’elle continuera de défendre. On perçoit déjà les accents qu’elle mettra dans son travail. Même si la politicienne chevronnée se montre prudente, consciente que ce n’est plus elle, mais bien le conseiller fédéral Alain Berset, qui, désormais, donne le la.

ÉDUCATION CULTURELLE
Comment la nouvelle directrice de l’Office fédéral de la culture (OFC) s’est-elle éveillée au monde de l’art?
Par la lecture. Chaque jeudi, jour de congé, je suivais mon frère et ma sœur à la Bibliothèque pour tous. J’y ai lu toute la collection rose, puis la verte, la comtesse de Ségur et Tintin. Très encouragée par ma famille, j’ai dévoré aussi tous les contes. Puis, au gymnase, j’ai fait grec et latin, découvert L’Iliade et L’Odyssée. Nos professeurs nous ont fait découvrir les littératures française et allemande. Je suis très reconnaissante envers cette école, exigeante, qui permet à tous les jeunes d’avoir accès à la culture. Parce que ce qu’on découvre à cet âge-là, c’est pour la vie. Personne ne vous le reprendra.

Et aujourd’hui, que lisez-vous?
En vacances, je commence toujours par un roman policier, par exemple Fred Vargas ou Donna Leon, cela me permet de sortir du format A4 du bureau. J’aime beaucoup l’écrivain Andreï Makine. J’avais lu son Testament français. Puis j’ai voyagé en Sibérie, relu ce livre et compris à quel point son amour de la langue française lui avait donné des repères et des racines. Je vais souvent chez le libraire, je prends du temps, je flâne, y compris au rayon enfants, je me fais conseiller. Deux livres se trouvent sur ma table de chevet actuellement: Compartiment no 6 de Rosa Liksom, où la Finlandaise raconte son voyage à travers la Sibérie. Et Martin Suter, Le temps, le temps, sur la maîtrise du temps et son imprévisibilité.

Y a-t-il des œuvres artistiques, des auteurs qui ont changé votre vie?
En lisant le très beau texte de Stefan Zweig Die Welt von gestern, j’ai compris qu’un régime politique dévie quand il commence à museler ses artistes et s’en prend à eux. Peu après, l’auteur s’est suicidé en Amérique du Sud, il avait quitté l’Europe pour fuir le nazisme. Les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar m’ont marquée elles aussi. Cette lettre d’un empereur qui se meurt dans un monde qui change est une méditation sur le bonheur, le destin, le pouvoir, la liberté, l’amour et la mort.

CINÉMA
Vous venez de vivre votre première grande sortie publique au festival du cinéma suisse de Soleure. Comment s’est construite votre éducation cinématographique?
Mon éducation a surtout commencé avec mon inscription au cinéclub. Le film qui m’a marquée alors fut Prova d’orchestra de Fellini.
J’avais 15 ans, j’ai été frappée par l’image et l’ambiance, ces répétitions avec un chef d’orchestre insupportable et des musiciens incapables de jouer ensemble, tous convaincus que leur registre était le plus important. J’y ai vu une satire de la société. C’est en le revoyant plus tard que j’ai compris que Fellini avait aussi exprimé une révolte artistique. De manière générale, je suis bon public. Je regarde les films jusqu’au bout, même s’ils ne me plaisent pas. La seule fois que je suis sortie d’un cinéma avant la fin, c’était à Indiana Jones, au moment où ils ouvrent un crâne de singe pour manger sa cervelle. Mais, rassurez-vous, j’aime bien James Bond… Je trouve d’ailleurs Daniel Craig très bon, il a donné de la profondeur au personnage.

Si vous n’aimez pas trop l’action, vous devez adorer les Journées de Soleure et le cinéma suisse!
Le cinéma scandinave, qui rencontre beaucoup de succès, est plutôt introverti, lui aussi. Oui, j’ai beaucoup apprécié Soleure, une occasion formidable de rencontrer l’ensemble des partenaires du cinéma.

Et les films: un coup de cœur?
Entre autres, j’ai aimé le film en dialecte Der Goalie bin ig, tiré du roman de Pedro Lenz.

Pourquoi? Un faible pour les losers?
Parce qu’il raconte un destin humain qui pourrait être celui de votre voisin de palier. Il est extrêmement bien joué et touche à l’universel.
Les films suisses nous interrogent sur nous-mêmes et notre rapport aux autres. Prenez Tableau noir d’Yves Yersin. Par ma précédente fonction de conseillère d’Etat chargée de l’Instruction, je pensais connaître les problèmes de l’école, des fermetures de classes aux méthodes pédagogiques modernes. Or, la caméra m’a dévoilé autre chose, ce qui se passe autour, au sein de la communauté.

Le problème du cinéma suisse est qu’il touche peu de public. Parmi les gens qui fréquentent les cinémas, seuls 8% sont allés voir des films suisses en 2013. Une «bonne» année. En 2012, c’était 5%…
Je fais partie de ceux qui disent que la qualité ne se mesure pas au seul nombre d’entrées au cinéma. Ou alors tous les blockbusters seraient bons. La présence des films dans les festivals, notamment à l’étranger, compte aussi. D’ailleurs, le public afflue dans les festivals et ces derniers se multiplient. Et un film compte aussi pour ce qu’il laisse dans les mémoires.

Vous avez déjà appris la réponse toute faite de l’administration.
Je n’ai pas commencé à penser au cinéma en arrivant à l’administration! Je suis consciente cependant du fait que le film doit rencontrer son public. Il nous appartient d’améliorer sa visibilité et sa qualité. Nous devons raconter de bonnes histoires.

Peut-être faudrait-il aussi concentrer l’aide, sélectionner davantage. Huitante films sont sortis l’an dernier, idem en 2012. C’est énorme, proportionnellement beaucoup plus que dans les autres pays.
Deux tiers des films sont des documentaires, qui sont vus à la télévision encore des années après leur sortie. Nous avons des documentaristes de tout premier plan en Suisse, très reconnus également à l’étranger. Par ailleurs, la Suisse, c’est trois régions linguistiques, avec des sensibilités différentes, des histoires propres. Voyez L’expérience Blocher, il a eu beaucoup plus de succès en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. Ce film est pour moi important. N’aurait-il pas dû sortir?

MUSIQUE ET LITTÉRATURE
En politique, à gauche surtout, on a souvent rêvé de démocratiser la culture. Or, la fréquentation des théâtres, de l’opéra ou des concerts classiques, des genres hautement subventionnés, reste souvent une activité de classes privilégiées. Allez-vous faciliter l’accès au monde artistique?

Plutôt que d’accès, je préfère parler de participation à la vie culturelle. Le rôle de la politique, de la collectivité, est de permettre à tous de participer. Et c’est encore plus important dans une démocratie directe. La culture nous offre une clé importante de compréhension du monde et des autres. Prenons la musique. A Fribourg, j’ai eu la chance de voir à quel point les chœurs et les ensembles musicaux d’enfants et de jeunes leur permettaient de vivre la musique, d’apprendre à vivre ensemble. De la comprendre aussi, grâce à une véritable formation. Je trouve aussi très important de saluer tous ceux qui s’engagent de manière privée, mécènes ou bénévoles, dans les associations musicales ou théâtrales.

En 2012, le peuple suisse a largement accepté l’article constitutionnel sur l’encouragement à la musique. Où en êtes-vous de sa mise en œuvre?
Un groupe de travail réunissant des représentations des associations de musique, auquel ont été associés les cantons, vient de nous remettre un rapport contenant 37 propositions. Nous les analysons et en discuterons tous ensemble fin mars, l’objectif étant d’améliorer la qualité de la formation musicale, mais aussi de soutenir les talents qui émergent. Le Conseil fédéral décidera des mesures à retenir pour le message culture 2016-2019 qui sera soumis à consultation au début de l’été.

Vous êtes très attendue aussi dans les milieux littéraires, particulièrement parmi les libraires de Suisse romande. Qu’allez-vous entreprendre pour le livre?
Plutôt que de parler de livre, il faut parler de littérature. Le rôle de la Confédération est de soutenir la littérature suisse dans toute sa diversité. S’agissant des librairies, nous devons prendre en compte le résultat négatif de la votation sur le prix fixe du livre. C’était là la vraie mesure de soutien en leur faveur, mais le peuple l’a refusée.

Drôle d’attitude pour une amoureuse des librairies…
La discussion autour du prix du livre a eu au moins le mérite de sensibiliser la population. Il y a eu une prise de conscience du fait que nous sommes tous responsables des difficultés des librairies, si nous préférons commander nos livres par internet.

Mais on ne peut pas imaginer que la Confédération soutienne les librairies, on s’immiscerait dans la liberté d’entreprise et des activités commerciales. Cela pourrait être en revanche le rôle des collectivités de proximité, comme c’est le cas à Genève. L’idée d’une Fondation romande de la littérature émerge, à l’image de la Fondation romande pour le cinéma qui réunit les aides des cantons et des grandes villes. Je tiens aussi à relever l’apport des mécènes privés qui, par des soutiens à des particuliers ou des manifestations, mérite notre reconnaissance.

Vous allez donc vous contenter de distribuer des prix à la ronde?
Le soutien de la Confédération à la littérature ne passe pas par les seuls prix. Les prix suisses de littérature mettent en évidence toute la diversité de la littérature suisse. Ils révèlent des auteurs, et des auteurs sur le plan national, et ils aident à les faire connaître sur le plan international. Mais nous agissons aussi à d’autres niveaux. Le soutien de Pro Helvetia est en particulier très important.

Fin décembre, nous avons publié un panorama sur ce qui existe en Suisse, à tous les échelons, pour promouvoir la littérature. Nous avons identifié de vraies lacunes, notamment dans la traduction littéraire. La traduction – que la Confédération soutient déjà via Pro Helvetia – pourrait devenir une de nos priorités dans le prochain message culture. Parce que c’est elle qui assure les échanges et permet d’élargir les horizons des cantons. Quand j’ai découvert Der König von Olten d’Alex Capus, ou Martin Suter, personne n’en avait entendu parler dans mon entourage. Alors qu’ils étaient déjà connus dans tout l’espace germanophone, bien au-delà des frontières suisses.

D’autres lacunes?
Les éditeurs ont également besoin d’aide dans le travail immatériel qu’ils accomplissent, par exemple en accompagnant l’écriture, en permettant à de nouveaux auteurs d’émerger. Un lectorat de qualité est important.

Tous ces livres vont-ils trouver leur public?
Il faut donner le goût de lire. Après l’école et la bibliothèque vient le temps de la médiation et du travail des critiques qui éveillent l’envie de découvrir. Personnellement, la lecture de critiques littéraires m’inspire beaucoup dans mes choix.

Auriez-vous une marge de manœuvre pour aider la presse?
Nous sommes conscients des enjeux des médias, qui doivent affronter une réduction de leurs recettes financières qui se répercute dans les pages culturelles. Nous y réfléchissons, mais la question du soutien à la presse dépasse ce seul cadre.

Revenons aux prix littéraires et leurs sept lauréats. La renaissance de la politique de l’arrosoir?
Le 20 février, nous les attribuerons pour la deuxième fois, ici à la Bibliothèque nationale. Notre mission est double: mettre en avant, avec les prix remis sur concours, la qualité d’auteurs suisses publiés en 2013. Et, avec des ouvrages et auteurs de toutes les régions linguistiques, avec les grands prix suisses, reconnaître un parcours exceptionnel. Les prix donnent de la visibilité aux artistes.

Cette année, pour la première fois, nous donnerons des prix suisses de théâtre, lors des premières Rencontres suisses du théâtre qui se dérouleront du 22 au 31 mai à Winterthour. Suivront les prix de musique décernés pour la première fois à Lausanne le 19 septembre. Nous mettons ainsi en avant ce qui se fait de meilleur dans chaque discipline artistique. Toutefois, nous ne nous contentons pas d’attribuer des prix, nous travaillons aussi à la promotion artistique en organisant des tournées avec Pro Helvetia et d’autres plateformes. Pour les lauréats des prix littéraires, des lectures sont actuellement organisées dans une vingtaine d’endroits en Suisse.

LES LANGUES
Vous-même, vous incarnez l’échange des cultures, vous citez Zweig et comprenez l’italien. D’où vient cette ouverture?

Plus le temps passe, plus on découvre les chances qu’on a eues enfant. Ma maman étant Autrichienne, toute mon enfance a été ponctuée par les déplacements en Autriche où il m’arrivait de passer des étés entiers chez mes grands-parents. J’étais complètement implantée en terre fribourgeoise, mais avec des racines que je savais ailleurs. A l’époque, j’étais une des rares binationales de ma classe. Arrivaient les premiers camarades italiens et espagnols.

Plus tard, j’ai opté pour l’italien en cours facultatif et j’ai vécu dans une famille au bord du lac de Côme. Mes parents m’ont encouragée à partir seule en Italie. Je leur en suis reconnaissante.

Votre vie en a-t-elle été changée?
Cela donne une ouverture réelle aux autres. Contrairement à une partie des migrants, mes origines ne se voient pas sur mes traits mais cette réalité est ancrée en moi. J’ai pu marier deux traditions d’une manière tout intérieure.

Vous allez pouvoir poursuivre votre combat pour la diversité des langues, puisque l’OFC est responsable de l’application de la loi et de l’ordonnance sur les langues.
Oui, cette continuité me réjouit. Je suis consciente que nous avons un rôle subsidiaire à celui des cantons. Mais si nous devions constater que le compromis national, soit l’enseignement des langues nationales dès le primaire, n’était pas respecté, nous aurions la compétence d’intervenir.

Dans les régions, les initiatives se multiplient pour remettre en cause la place du français. Ne pensez-vous pas qu’il est trop tard?
Non. Dans un Etat fédéral, il faut faire confiance aux cantons. La Suisse romande termine la mise en vigueur du Plan d’études romand; la préparation du Plan d’études 21 est en cours en Suisse alémanique. La Confédération suit avec attention les développements.

Comment réinsuffler le goût pour les cultures romande et française?
Par l’école et la promotion des échanges. A tous les niveaux, comme nous le vivons avec la culture, les prix nationaux, les traductions. La SSR a aussi une mission dans ce sens. Et les médias. Mais je constate ici également que des économies sont réalisées sur les postes de correspondants dans les autres régions linguistiques. Personnellement, je le regrette profondément. Parce que nous avons besoin de nous comprendre.

On insiste sur la diversité des langues à l’école, pour se retrouver à l’université où l’enseignement se donne, de plus en plus, en anglais. Contradictoire?
Il est vain de vouloir opposer les langues nationales à l’anglais, langue de la science et de l’excellence scientifique. Il faut qu’elles cohabitent. Interdire les cours en anglais dans les universités conduirait à un recul de la place scientifique suisse. Les universités sont conscientes de leur responsabilité et de l’importance des échanges au sein du pays comme de la présence d’une université bilingue français-allemand, celle de Fribourg (et d’esquisser un grand sourire de Fribourgeoise).

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Béatrice Devènes
Béatrice Devènes
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Les émergents submergés

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Jeudi, 6 Février, 2014 - 05:57

Brésil, Chine, Inde. Terres natales de 40% de l’humanité, ces pays passaient pour le moteur de l’économie mondiale. Ils sont aujourd’hui à la peine. Faut-il y voir une occasion pour une nouvelle politique?

Erich Follath et Martin Hesse

Voilà douze ans, Jim O’Neill a eu une idée géniale. Banquier d’affaires chez Goldman Sachs, il se disait convaincu que, après le 11 septembre, les Etats-Unis et l’Europe étaient condamnés au déclin économique. Il pensait que des pays émergents tels que le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine seraient les locomotives de l’économie mondiale. Il entendait conseiller à ses clients d’investir leurs avoirs dans ces marchés prometteurs, mais il lui fallait encore leur trouver un nom qui fasse tilt. Il lui suffit de prendre l’initiale des quatre pays pour construire l’acronyme BRIC, comme la brique qui sert à bâtir un empire.

Jim O’Neill a eu du nez: entre 2001 et 2013, la performance économique de ces quatre Etats a grimpé de 3000 à 15 000 milliards de dollars. Sans les BRICS (l’Afrique du Sud a été ajoutée au club), notre prospérité aurait peut-être été mise en danger. «La montée en puissance du Sud s’est faite à une vitesse inouïe et dans une mesure jamais vue», se félicitait il y a quelques mois encore le Rapport sur le développement humain de l’ONU.

Cependant, il semble que l’on soit arrivé à un tournant. Depuis 2013, le désenchantement est à la porte. Les taux de croissance des BRICS ont été divisés par deux par rapport à leurs records: de 14 à tout juste 7% en Chine, de 10 à moins de 5% en Inde, de 6 à 3% au Brésil. Des valeurs certes plus alléchantes que celles de l’UE, mais tellement moins impressionnantes. Un nouveau «mot qui fait tilt» fait le tour de la City, lancé par James Lord, expert en devises chez Morgan Stanley: les «Fabulous Five» sont devenus les «Fragile Five». Il met en garde contre les lézardes visibles en Inde, au Brésil et en Afrique du Sud ainsi que le risque d’effondrement en Turquie et en Indonésie.

Chute des valeurs. Dans ces pays, les mauvaises nouvelles jaillissent en cascade. Le 28 janvier, inopinément, la Banque centrale d’Inde tirait sur les rênes de la politique monétaire pour juguler l’inflation. La nuit suivante, la Banque centrale de Turquie augmentait brutalement son taux directeur à 10%. Peu après, l’Afrique du Sud emboîtait le pas à la hausse. Les pays émergents sont perturbés, ils s’opposent de toutes leurs forces à la fuite des investisseurs et à la dégringolade de leur devise.

Paradoxe: après que des centaines de milliards d’obligations ont déferlé sur les pays émergents parce que, dans les économies occidentales, les revenus étaient maigres, il a suffi en mai dernier de quelques mots du patron de la Réserve fédérale américaine (Fed), Ben Bernanke, pour inverser le flux. Il avait simplement annoncé qu’il se pourrait que sa banque centrale injecte bientôt un peu moins d’argent dans la pompe à «phynances» (terme utilisé par Alfred Jarry dans Ubu roi) si la reprise se poursuivait aux Etats-Unis.

Une première vague d’investisseurs quitte alors les pays émergents. Six mois plus tard, quand Ben Bernanke annonce que la Fed va bel et bien fermer un tout petit peu le robinet de la politique financière accommodante, un second reflux se produit, qui a bientôt l’air d’un tsunami. Le réal brésilien, la livre turque et le rand sud-africain perdent un tiers de leur valeur. Pour ces Etats, il y a le feu à la maison.

Mais les chiffres ne sont pas seuls à causer du souci aux gouvernants des pays émergents. De Pékin à Brasília en passant par New Delhi et Istanbul, les populations ont pris de l’assurance à la suite de l’essor économique et il en résulte un vrai mouvement populaire: une classe moyenne nouvelle a vu le jour, qui réclame du bien-être, des salaires plus élevés, une bonne gouvernance. Autant dire plus de responsabilité de la part des gouvernants et plus de participation du peuple aux décisions politiques.

On le voit en particulier au Brésil: avec le boom économique, le chômage a décru, les programmes d’aide aux plus pauvres fonctionnent. Mais les gens veulent plus: ils observent la corruption des classes dirigeantes et s’indignent des gaspillages dans les constructions somptuaires pour le Mondial de foot 2014. Au point que ce peuple passionné de sport proteste tant contre l’événement footballistique que contre les JO de 2016 car, plutôt que des stades tape-à-l’œil, il préférerait de meilleures écoles pour ses enfants et des assurances sociales abordables. Tant que ces manifs restent pacifiques, la présidente Wilma Rousseff ne peut que promettre, en grinçant des dents, des améliorations sociales. Pour peu qu’il y ait encore de l’argent pour cela.

En Inde, c’est pire. Le pays se divise entre, d’un côté, universités du meilleur niveau mondial et entreprises de premier plan et, de l’autre, communautés villageoises arriérées. Malgré tout, dans cet Etat aussi, la société civile s’est renforcée au gré de l’essor économique dont les acteurs sont nombreux à souhaiter qu’après les élections de ce printemps, que l’opposition remportera sans doute, les choses aillent mieux.

La situation est peut-être plus aiguë encore en Chine où, avec la hausse des salaires, l’introduction de l’assurance maladie et des retraites, le modèle économique voulu par un Etat autoritaire a atteint ses limites. Le PC a besoin d’une réorientation et de mécanismes juridiques en mesure de satisfaire à la prochaine étape de développement. Jusqu’ici, le contrat tacite était: nous veillons à l’amélioration de vos conditions de vie et vous ne vous mêlez pas de politique.

Des effets collatéraux. Un affaiblissement notable de la conjoncture dans les pays des BRICS ne susciterait pas seulement des troubles au sein de 40% de la population de la planète: il concernerait sensiblement l’Occident et toutes ses entreprises qui réalisent une bonne partie – parfois la majorité – de leurs profits en Extrême-Orient.

Pour Jim O’Neill, l’ex-capitaliste pur et dur qui a quitté son job chez Goldman Sachs, la ligne de partage des eaux n’est désormais plus entre pays industrialisés et émergents, mais bien entre riches et pauvres. Il a lu les mots du pape François et ceux du nouveau maire de New York: «Il faut que les petites gens voient leur revenu progresser à l’aide de la fiscalité et des revenus minimaux. Nous devons y veiller en tant qu’investisseurs mais surtout en tant qu’humains.»

© Der Spiegel
Traduction et adaptation Gian Pozzy

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Yvan Perrin: "Jamais sans mon Canard"

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Jeudi, 6 Février, 2014 - 05:58

Neuchâtel.Il siège au Château depuis dix mois, mais n’en a pas pris pour autant la grosse tête. Il adore toujours «Le Canard enchaîné», qui n’arrête pas de se payer celle des politiciens.

Il y a le politicien qui s’est forgé une réputation de tenant de la ligne dure de l’UDC dans le sillage de Christoph Blocher. Et puis il y a la face plus méconnue du personnage, celle de l’homme féru d’histoire, de littérature, mais surtout d’humour. Ce même homme, c’est Yvan Perrin, conseiller d’Etat neuchâtelois depuis dix mois maintenant. Il révèle à L’Hebdo sa lecture favorite: Le Canard enchaîné, dont il est un fidèle lecteur depuis vingt-sept ans!

Dans son bureau au Château de Neuchâtel, la lumière est tamisée en cette fin d’après-midi hivernale. Le nouveau magistrat suit une luminothérapie pour lutter contre la dépression saisonnière, une maladie dont souffre 2% de la population. Il a donc fait installer quatre lampes d’un coût de 1000 francs.

Qu’on se rassure. Yvan Perrin se sent comme un poisson dans l’eau au sein de la nouvelle équipe du gouvernement. «L’ambiance est bonne. Je ne me rappelle pas avoir vécu une votation correspondant à l’actuel rapport de force politique, soit trois à deux pour la gauche», se réjouit-il. La pression est lourde à porter pour le chef du Département territorial et de l’environnement, mais Yvan Perrin a fait de l’humour une thérapie secrète: pas un jour ne s’écoule sans qu’il trouve quelques minutes pour s’évader sur le Net et découvrir la dernière séquence de 120 secondes.

Quant à la lecture du Canard enchaîné, elle est sacro-sainte. Pour rien au monde il ne renoncerait à sa ration hebdomadaire de coups de bec et de «minimares», ces brèves parfois assassines qui épinglent les gens de pouvoir dans l’Hexagone. «Je le lis depuis 1987; je n’en ai loupé que deux numéros jusqu’à aujourd’hui.»

Les raisons? D’abord la liberté de ton du volatile envers tous les partis politiques. Le Canard, si jaloux de son indépendance qu’il renonce à toute publicité dans ses pages, n’épargne personne, qu’il soit de gauche ou de droite. «De l’ex-ministre socialiste Jérôme Cahuzac à Nicolas Sarkozy, tout le monde en prend pour son grade. C’est très œcuménique», jubile Yvan Perrin.

Et puis, au début des années 2000, lorsque le flic Yvan Perrin se décide à faire le grand saut dans l’arène politique, il joint l’utile à l’agréable. L’hebdomadaire satirique a été pour lui un magnifique outil de formation politique. En soulignant toutes les sottises des hommes de pouvoir, Le Canard est indirectement une bible des erreurs à ne pas commettre. Yvan Perrin en a tiré la leçon: «Il faut profiter des erreurs des autres, car on ne devient pas assez vieux pour les faire toutes soi-même», sourit-il.

Un puissant rayon de soleil. Il n’y a pas de miracle. Lorsqu’ils s’adressent à lui et à son département, les citoyens sont plus enclins à le couvrir de critiques que de fleurs. Dès lors, «l’humour est un puissant rayon de soleil qui illumine le quotidien, tout en permettant de relativiser les soucis», apprécie Yvan Perrin.

Il surgit parfois là où on l’attend le moins. Ainsi, le magistrat a fini par sourire en découvrant, le 7 août dernier, qu’il avait signé «un document qui demandait l’exact contraire de ce que je souhaitais». Que s’est-il passé? Le courrier interne dans lequel le magistrat exige des corrections s’égare, tandis que son destinataire s’impatiente et renvoie le même texte original au chef du département. Qui le signe le cœur léger en supposant que ses ordres ont été suivis. Un magnifique malentendu dont on a fini par s’apercevoir à temps.

Les excuses des chauffards. Pour le reste, il n’y a guère que la lecture des recours des citoyens contestant un retrait de permis qui déride Yvan Perrin dans sa fonction. Comme son département fait office d’instance de recours, c’est lui qui doit trancher. Or, les fautifs se révèlent très inventifs afin de prouver leur innocence. Ainsi, un citoyen peu doué au volant, dont le véhicule avait terminé sur le toit après avoir dérapé sur une plaque de verglas, a affirmé qu’il ne saurait être sanctionné: il venait d’un coin de pays – le sud de l’Espagne – où il ne gèle jamais!

Et lorsqu’il quitte son bureau? Outre Le Canard enchaîné, Yvan Perrin consomme suisse, et même local. Il y a les sketchs de 120 secondes de Veillon et Kucholl qu’il visionne chaque jour sur le Net, mais aussi l’humour décalé de Plonk & Replonk, même s’il avoue s’être fait des ennemis à vie au sein de la police en déclarant publiquement avoir adoré une de leurs expositions sur la police à la caserne de Colombier. «L’une de leurs caricatures montrait une bouteille d’absinthe dans un meuble métallique couleur gris-vert de la police. C’était criant de vérité», raconte Yvan Perrin. Mais certains pandores neuchâtelois n’ont pas apprécié.

La nuit est tombée sur le Château de Neuchâtel, l’heure pour le conseiller d’Etat de se replonger dans des dossiers bien plus sérieux. Juste le temps de rappeler qu’il a reçu un jour un Champignac de bronze pour une déclaration fracassante sur la menace terroriste en Suisse: «On ne peut exclure des réseaux souterrains sur notre sol.»

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Xavier Voirol
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La véritable héritière de Delanoë, c’est NKM

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Jeudi, 6 Février, 2014 - 05:59

France. La candidate de l’UMP Nathalie Kosciusko-Morizet aux élections municipales de Paris incarne, davantage que la socialiste Anne Hidalgo, l’esprit novateur qui a fait le succès du maire sortant.

L’égalité, en politique, on a beau dire, ce n’est pas l’indifférence devant le sexe. Candidate à la mairie de Paris, certes, mais tellement femme. C’en est frappant. On ne peut gommer cet aspect de la nature chez Nathalie Kosciusko-Morizet. Il se dégage d’elle un côté floral et botticellien. Son teint de porcelaine parsemé de fraîches nuances de rose confère une rare délicatesse à son visage. Ses longs cheveux blonds, autrefois tressés et ramenés en un chignon austère, sont depuis peu libres de toute attache et lui donnent un petit air sauvage.

Elle reste chic cependant, comme ce lundi matin du 20 janvier qui la trouve à sa permanence de campagne. Là, en corsage et pantalon, elle fait parapher une «charte d’éthique» aux personnes de son camp engagées dans la bataille parisienne. Allons, Messieurs, signez maintenant, semble-t-elle ordonner à ses rivaux réunis autour d’elle.

Vainqueur en juin dernier, au premier tour, de la primaire désignant le chef de file de l’UMP aux élections municipales des 23 et 30 mars prochain dans la capitale, elle distribue des tracts, fait du porte-à-porte, tape la discute sur les marchés. Il ne faut pas se fier à son apparence délicate: c’est gorge virile, sans écharpe, qu’elle se meut dans son manteau continuellement ouvert, comme insensible au froid. Le sigle de son nom, NKM, sur toutes les lèvres, apporte ce qu’il faut de modernité et d’allant camionneur à sa campagne.

Son adversaire se nomme Anne Hidalgo, préparée comme rarement à la fonction de maire. Elle occupe en effet depuis treize ans le poste de première adjointe de Bertrand Delanoë, qui a décidé de ne pas briguer un troisième mandat. La socialiste, 55 ans, part toujours favorite, mais Nathalie Kosciusko-Morizet se rapproche à grands pas.

Un sondage publié le 8 janvier la donnait battue au second tour, mais en tête au premier. Le mode de scrutin par arrondissement, indirect, semblable à celui qui régit la présidentielle américaine, fait d’ailleurs que le gagnant en nombre absolu de voix à Paris peut ne pas être élu maire s’il n’obtient pas la majorité des «grands électeurs». Le découpage électoral favoriserait la gauche. Soit, mais Anne Hidalgo est-elle l’héritière légitime que l’équipe sortante s’emploie peu ou prou à présenter comme telle?

Comment paraître nouvelle et porteuse de propositions originales quand on a été aux affaires deux mandats de suite? A l’inverse, comment ne pas prêter le flanc aux procès en inexpérience quand, à 40 ans, l’âge de Nathalie Kosciusko-Morizet, on vise le poste de première magistrate d’une ville prestigieuse, comptant plus de deux millions d’habitants? D’un handicap apparent, les politiques savent généralement faire un atout.

Hommage et pique. NKM, c’était attendu, se présente en candidate du «renouveau» et de l’«alternance». «Aujourd’hui, dit-elle à L’Hebdo, on est à la fin d’un cycle. Paris, on y vient ou on y reste pour qu’elle nous donne plus d’énergie qu’elle ne nous en prend. Cette promesse-là n’est pas totalement réalisée. L’addition des contraintes, le stress, la pollution, les difficultés de logement, le sentiment de déclassement aussi font qu’on a l’impression que les plateaux de la balance s’inversent un peu. On voudrait que Paris soit une ville à énergie positive. C’est ça, l’enjeu de ma campagne.»

Offensive mais pas offensante: Nathalie Kosciusko-Morizet se garde bien de dénigrer l’héritage «Delanoë», qui comprend des événements et réalisations plutôt appréciés et copiés à l’étranger, tels Paris-Plage ou la Nuit blanche. La candidate UMP rend hommage à l’icône tout en plaçant sa pique: «Les Parisiens, qu’ils aient voté ou non pour Bertrand Delanoë, émettent en général une opinion assez favorable sur son premier mandat. Qui a été vécu comme un moment d’une assez grande créativité. Et puis il y a eu un moment de rupture, qui a été l’échec de la candidature aux Jeux olympiques de 2008, le sentiment à partir de là que le maire était moins investi dans sa ville, qu’il avait peut-être d’une certaine manière moins de désir pour elle.» Son message subliminal envoyé aux Parisiens: ne cherchez plus, Delanoë c’est moi, en plus jeune, en plus énergique, en mieux.

Où qu’elle soit, avec qui que ce soit, NKM se doit d’être à l’aise. Surtout ne pas paraître coincée ou, pire, hautaine, ces reproches adressés machinalement à la bourgeoise que voilà. Si bien qu’elle a tendance à en rajouter dans le genre décontracté, comme lors de cet impromptu du bitume parisien où on la voit blouson de cuir sur le dos fumer une cigarette en compagnie de SDF polonais. La Pologne est d’ailleurs une partie d’elle.

Fille de notables rompus à la politique, elle a, explique-t-elle, de lointaines origines juives polonaises côté paternel, marquées à gauche. Françaises et provinciales, catholiques et traditionnelles côté maternel. «Deux milieux qui ont eu probablement leur influence sur moi et qui ont été présents en tout cas dans mon éducation.»

Quant à ses grands-parents, ils sont le fruit de la «méritocratie républicaine», un principe cher à ses yeux. N’a-t-elle pas intégré Polytechnique, cette grande école au statut militaire, l’un des creusets de l’élite? Elle en est sortie ingénieure, «spécialisée dans les eaux et forêts et les questions d’environnement». Elle sera secrétaire d’Etat puis ministre sous la présidence de Nicolas Sarkozy, dans des domaines d’avenir, l’écologie et l’économie numérique, notamment. En comparaison, le CV d’Anne Hidalgo, Française d’origine espagnole, est plus modeste. Son profil académique est de type «fac». Elle a passé des concours administratifs qui lui ont permis de gravir les échelons jusqu’au sommet. Un parcours également méritoire.

«Vous bossez dans quoi?» Etre «nature» dans ses contacts avec les gens, c’est primordial pour NKM. Ce 20 janvier encore, elle visite la Ruche, une pépinière d’entrepreneurs sociaux. Elle est un peu la grande sœur. «Bonjour, je m’appelle Nathalie Kosciusko-Morizet… Je vous fais le coup des alcooliques anonymes», dit-elle, dans un trait d’humour, aux jeunes gens et jeunes femmes qui lui font face. Elle est à l’écoute de leurs revendications, montre de l’intérêt pour ce qu’ils font: «Vous bossez dans quoi?» demande-t-elle à l’un d’eux, comme prête à bûcher sur le dossier.

Elle maîtrise à n’en pas douter les codes de l’«innovation sociale», croit dans le «big data», l’analyse de milliards de données informatiques, nouvelle poule aux œufs d’or, promet qu’elle facilitera l’accès aux marchés publics, aujourd’hui verrouillés par la bureaucratie qui avantage les grosses boîtes. Elle affirme avoir des «amis» dans le «très social», le «très capitalistique» ou «entre les deux», son frère, Pierre Kosciusko-Morizet, est l’un des créateurs du site de vente en ligne PriceMinister.

NKM avoue sa sympathie pour «les idées un peu subversives» et cite en exemple «les nouvelles monnaies». Il est 2 heures de l’après-midi, la réunion est terminée. La candidate, qui n’a pas mangé, dévore deux clémentines en quittant les lieux.

Comme dans «Friends». Nathalie Kosciusko-Morizet a indéniablement envie d’agiter le bocal parisien. Attachée au «modèle républicain», mais libérale dans sa vision des choses, elle s’inspire de ce qui se fait de mieux à New York et surtout à Londres, dont on a appris récemment qu’elle avait détrôné Paris en nombre de touristes. Un argument électoral pour NKM. Les «classes moyennes» – soit, dans son esprit, un couple, deux revenus, un ou deux enfants ou sur le point d’en avoir – sont le poumon économique de Paris et doivent être traitées prioritairement dans la politique du logement. Elle dit «rêver de zones franches en matière de droit du travail, non pour qu’il n’y ait plus de droit du travail mais pour en inventer d’autres». Elle veut libérer les énergies mais a le souci de la sécurité, du confort et de la propreté des rues, l’un des sujets les plus épineux de la bataille électorale, tant il convoque la notion, mise à mal, de civisme.

Elle créera de nouvelles zones piétonnes dans le centre de Paris, favorisera l’implantation de «lieux culturels alternatifs» dans les stations désaffectées du métro. NKM pense «village», cocon, voisinage harmonieux.

A l’écouter, on se croirait dans un épisode de Friends, la série un peu bohème et légèrement régressive, dont l’action se situe à Manhattan, cité de tous les possibles, à condition de se bouger…

La candidate UMP est résolument mainstream sur les questions sociétales, au diapason de la gauche urbaine. Le quinoa, le féculent en vogue, a sa place dans la cuisine du domicile familial, situé dans le XIVe arrondissement. Elle veille à la bonne alimentation de ses deux jeunes fils, inscrits «à l’école publique». Elle est une adepte du «frais» et a régulièrement à ce propos des «débats avec [sa] belle-mère», de la «génération Picard-Findus», qui vit chez elle et son mari, Jean-Pierre Simon, un énarque de dix-huit ans son aîné, officiellement retiré de la politique.

S’agissant du «mariage pour tous», combattu par son parti, l’UMP, elle s’était abstenue lors du vote mais n’y était pas hostile. Elle a comme il se doit des amis gays, son équipe de campagne étant «à l’image de la capitale», précise-t-elle. Si, absente de l’Assemblée nationale dans la nuit du 21 au 22 janvier, elle n’a pas pu voter l’amendement supprimant, contre l’avis de la droite explicitement catholique, la notion de «situation de détresse» figurant dans la loi sur l’avortement, elle était néanmoins favorable à sa suppression, confie-t-elle à L’Hebdo. «Je trouve que le droit à l’IVG doit être absolument garanti.»

Son côté «Twilight». Entre midi et deux à la Ruche – la pépinière d’entrepreneurs sociaux –, elle enchaîne en début de soirée avec un porte-à-porte dans un immeuble de standing du XIVe arrondissement. Le XIVe est l’un des «swing states» de la capitale, tenus par la gauche et qui, lui ou un autre, devra tomber dans l’escarcelle de la droite pour permettre à NKM de l’emporter. «Bonsoir, se présente l’impétrante, je suis Nathalie Kosciusko-Morizet, la candidate aux élections municipales des 23 et 30 mars. Avez-vous des préoccupations particulières? Des remarques?» Des portes restent fermées, d’autres s’ouvrent brièvement, ou plus longuement. L’accueil est toujours poli, parfois chaleureux, la candidate y met du naturel, s’enquiert du quotidien, cherche à savoir si l’enfant a pris son bain.

En bas, dans le hall, une femme d’une cinquantaine d’années, sorte de Mary Poppins en imperméable et chapeau Burberry, ne cachant pas sa préférence pour le Front national et qui semble prête à négocier sa voix, attire l’attention sur un fait selon elle scandaleux: l’Aide médicale d’Etat (AME) accordée aux étrangers en situation irrégulière. NKM déconstruit point par point le discours de cette électrice fâchée avec le système, fait valoir les risques d’épidémie en cas de refus de soins, mais ne désespère peut-être pas tout à fait son interlocutrice en trouvant anormal que l’AME s’applique aux femmes clandestines recourant à la procréation médicalement assistée.

La journée s’achève par une rencontre et un repas avec des représentants et familles de la «communauté asiatique», dans un restaurant chinois du quartier haut en couleur de Belleville. Ambiance velours et tables laquées. Nathalie Kosciusko-Morizet flatte ses hôtes, dont l’abnégation au travail n’est plus à démontrer. Pour beaucoup de commerçants, elle les protégera contre les «délinquants» du coin, qu’elle ne désigne pas mais dont la chronique a retenu qu’ils étaient plutôt jeunes, d’origine maghrébine ou sub­saharienne.

NKM a sur le coup des accents intransigeants de ministre de l’Intérieur. Son côté Twilight à la nuit tombée, sûrement. Et l’indice, peut-être, d’une ambition qui ne saurait se satisfaire de l’Hôtel de Ville de Paris, la tentation élyséenne l’emportant sur tout le reste à l’approche de 2017. L’ambition dévorante prêtée à NKM pourrait heurter les Parisiens, qui se sont habitués à ce que leur maire leur soit fidèle.

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Judaïté: qui est Juif?

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Jeudi, 6 Février, 2014 - 06:00

Appartenance.La question se fait de plus en plus pressante pour les juifs du monde entier. D’autant que le débat entourant la réponse modèlera la société israélienne, ses relations avec la diaspora, la taille et le visage de la communauté juive dans son ensemble. La Suisse n’échappe pas à cette problématique.

Renverser la perspective
Que signifie aujourd’hui être juif? Comme le montre l’affaire Dieudonné en France, et ses débordements en Suisse, trop d’inconscients croient le savoir. Trop d’incultes plaisantent sur la Shoah en brandissant une «liberté d’expression» vidée de toute dimension de responsabilité.

En publiant l’enquête parue dans The Economist, nous avons voulu renverser la perspective et donner à voir la manière dont les communautés juives affrontent la question identitaire. Une plongée dans un questionnement existentiel ou religieux, à cent lieues des caricatures et des sarcasmes gratuits.


Corpulence frêle, lunettes de myope, tempérament cordial, le rabbin Itamar Tubul n’a pas la bobine d’un aventurier. Pourtant, son collègue Ziv Maor, porte-parole du Grand Rabbinat d’Israël, assure que, en tant que responsable du Département du statut personnel et des conversions, Itamar Tubul joue un rôle aussi cardinal dans la protection de l’Etat que les forces armées. Sur son bureau de Tel-Aviv se trouvent une kétoubah (attestation de mariage) venue d’Allemagne ainsi que la déclaration d’un rabbin finlandais. Le rôle d’Itamar Tubul est de déterminer si les personnes que ces documents (et beaucoup d’autres) concernent sont juives ou non.

Qui est juif? La question se fait de plus en plus pressante pour les juifs du monde entier. On croirait une question purement religieuse, mais elle est liée à l’histoire, à la politique israélienne et aux multiples diasporas. Y répondre, c’est décider si l’assimilation est une menace mortelle, comme le pensent beaucoup de juifs, ou un phénomène dont on peut s’accommoder. Le débat entourant la réponse modèlera la société israélienne, ses relations avec les communautés juives d’ailleurs, la taille et le visage de la communauté juive dans son ensemble.

Pour des juifs orthodoxes comme le rabbin Tubul, la solution est simple et remonte à la nuit des temps: tu es juif si ta mère est juive ou si ta conversion au judaïsme s’est faite conformément à la halakha, la loi juive. Les gentils (non-juifs ou goyim) seront surpris que, pour les juifs de naissance, ce test traditionnel ne fait aucune référence à la foi ou au comportement. Les juifs peuvent être athées – bon nombre le sont: l’apostasie est une tradition juive ancienne – et rester juifs. Joel Roth, un rabbin conservateur du Jewish Theological Seminary de New York, compare ce critère nativiste à celui de la citoyenneté américaine: les Américains l’appliquent indépendamment de l’idée qu’ils se font de la démocratie et de leur Constitution. Les rabbins plus stricts estiment d’ailleurs qu’un enfant n’est pas juif s’il est certes né d’une mère juive mais d’un ovule donné par une non-juive.

Certains leaders juifs le concèdent en privé: cette formule a un fond racial inconfortable. Ils s’en accommodent cependant en disant qu’elle ne lèse personne. Peut-être, mais dans un monde laïque c’est maladroit. Il y a quelques années, par exemple, des écoles juives d’Etat en Grande-Bretagne ont été obligées de modifier leurs règles d’admission après un jugement concluant à la violation du Race Relations Act. Les préceptes halachiques sont d’ailleurs de plus en plus gênants pour les juifs eux-mêmes.

Pour bien des Israéliens, le problème ce sont les rabbins. Par une concession visant à élargir le soutien au nouvel Etat d’Israël à peine créé, ses fondateurs laïques ont confié au rabbinat des questions telles que le mariage, le divorce et les inhumations. Le rabbinat décide qui est admis à ces rites et c’est lui qui les célèbre, de sorte que les futurs époux doivent faire la preuve de leur judaïté. Fournir les documents et les témoins nécessaires peut être un obstacle exaspérant: les gens ont l’impression de devoir prouver ce qu’ils savent vrai. L’immigration a rendu le système non seulement agaçant mais intenable.

Les juifs éthiopiens, par exemple, qui ont émigré en Israël dans les années 1980-1990 au péril de leur vie et en perdant des proches au cours du voyage, ont affronté des doutes persistants quant à leur qualité de vrais juifs selon la doctrine et leurs ascendants. «J’ai l’impression d’être le juif que je veux être, proteste Fentahun Assefa-Dawit, de l’association de défense Tebeka, qui représente 130 000 membres. Je ne permets à personne de me dire comment on doit être juif.»

Les immigrés occidentaux sont eux aussi parfois suspects. Le rabbinat juge certains rabbins américains trop laxistes pour se porter garants de leurs fidèles et rejette leur attestation. Il estime inadéquates bon nombre de conversions survenues à l’étranger. Les Israéliens sont nombreux à redouter l’impact de ce dédain sur le soutien politique et financier de leur Etat par la diaspora.

Une bombe à retardement. L’essentiel du problème naît des conséquences fracassantes de deux grandes ruptures dans l’histoire du XXe siècle: l’Holocauste et l’implosion de l’Union soviétique. En vertu de la loi du retour de 1950, quiconque a, ou dont l’épouse a, au moins un grand-parent juif peut requérir la citoyenneté. (Ce texte a expressément pris pour modèle les critères de persécution des lois nazies de Nuremberg de 1935.) La loi sur le retour reconnaît aussi des conversions que le rabbinat rejette. La vague d’immigration russe de ces deux dernières décennies indique à quel point la divergence entre ces deux manières de voir est devenue flagrante.

On compte désormais plusieurs centaines de milliers d’Israéliens ex-Soviétiques qui étaient assez juifs pour qu’on les laisse entrer mais pas assez juifs aux yeux des rabbins. La plupart sont découragés par les lenteurs de la conversion halachique et la complexité intellectuelle des questions. Et le fait que certaines conversions admises soient parfois annulées pour cause de violation du sabbat ou d’autres règles religieuses n’aide pas.

Vu qu’Israël ne connaît pas le mariage civil, ces Israéliens et leurs partenaires vont se marier à l’étranger, comme le font les couples qui préfèrent éviter le passage par la synagogue. La population est en train de se diviser en trois groupes: les juifs halachiques, les Arabes et les «autres». Pour Yedidia Stern, juriste à l’Israel Democratic Institute, cette scission en trois est «une bombe à retardement».

Certains Israéliens souhaitent que les immigrants restent intégrés en facilitant les conversions. Les libéraux tels que Ruth Calderon, députée à la Knesset du parti centriste Yesh Atid, pensent qu’il faut tenter de séparer l’Etat de la synagogue. Pour l’heure, elle parraine une loi qui ferait de l’union civile une alternative au mariage religieux. Titulaire d’un doctorat en étude du Talmud, elle entend contester aux rabbins leur pouvoir de censure sur la judaïté. Elle assure que les élus politiques comme elle ne sont plus disposés à négocier le droit de s’exprimer sur le sujet en échange des votes de la droite dans un Parlement aux trop nombreux minipartis.

Pour les Israéliens, le choix à long terme est épineux entre un modèle de judaïté différent et un modèle d’Etat juif différent dans lequel le mariage mixte, jusque-là considéré comme l’infortune de la diaspora, deviendrait inopinément un souci pour eux-mêmes.

Une diaspora qui s’effiloche. Au sein de la diaspora aussi, l’histoire a redimensionné les critères de la judaïté. Dans une bonne partie de l’Europe de l’Est, les restrictions de l’ère communiste rendaient le culte périlleux et la pratique lacunaire. Même la circoncision était découragée. Quand l’empire soviétique a implosé, bien des juifs avaient oublié l’essentiel de leur héritage. Pourtant, ils se considèrent toujours comme juifs.

A l’Ouest, la liberté a ouvert sa propre brèche entre l’histoire et la halakha. Le Pew Research Centre a récemment sondé les juifs américains, qui comptent pour près de la moitié de la population juive mondiale. Leurs réponses montrent que la judaïté n’est pas essentiellement affaire de foi: 22% des juifs américains se disent sans religion. Même parmi les croyants déclarés, deux tiers ne pensent pas qu’il soit nécessaire de croire en Dieu pour être juif. Et pour accroître encore l’inquiétude communautaire, l’institut de recherche a constaté que les mariages mixtes explosaient et qu’ils sont désormais majoritaires parmi les jeunes. Hormis les juifs orthodoxes (10% du total américain), 72% des juifs mariés depuis 2000 avaient divorcé.

Rien d’étonnant, donc, à ce que certains rabbins américains révisent leurs définitions. Depuis 1983, le Reform Movement reconnaît les enfants nés de père juif mais, comme pour d’autres mouvements progressistes, le sang ne suffit pas. «La judaïté ne peut pas être un simple hasard [de naissance]», juge le rabbin Rick Jacobs, président de l’Union pour le judaïsme réformé. Pour certains, l’ingrédient supplémentaire est la foi: bizarrement, là où la conception orthodoxe de la judaïté ignore la foi, les communautés plus libérales l’incluent. Pour d’autres encore, la judaïté est un concept plus large que la foi ou la filiation.
Le rabbin Andy Bachman, de la Congregation Beth Elohim, synagogue œcuménique pleine de vie de Brooklyn, estime qu’une «définition exclusive des juifs par la foi est une vue de l’esprit des goyim, une tentative d’insérer les juifs dans une catégorie identifiable. L’attachement à l’histoire et à la culture juives suffit aussi», pense-t-il. Dans ce contexte, les épouses non juives et les convertis sont les bienvenus. L’histoire biblique de Ruth, une non-juive qui embrassa la religion de sa belle-famille israélite, est une parabole exemplaire.

Les mariages mixtes sont aussi une réalité croissante dans les pays qui abritent les plus grandes communautés juives, France, Grande-Bretagne, Australie et Canada. Dans l’histoire, la communauté britannique fut plus congrue, plus silencieuse et plus sclérosée que l’américaine. Depuis les années 50, elle s’est réduite sous l’effet du vieillissement et de l’intégration. Mais son état d’esprit est en train de changer. Prenez JW3, un nouveau centre communautaire élégant du nord de Londres: pour une institution juive en Grande-Bretagne, l’immeuble qu’elle occupe est ostentatoire et affiche le mot «juif» bien en évidence sur sa façade.

Raymond Simonson, son directeur, esquive les questions doctrinales. Pour lui, l’objectif de JW3 est de permettre au visiteur de se sentir aussi juif qu’il le souhaite, sans souci de son passé. «Nous ne vous demandons pas de vous déculotter ni de nous montrer la kétoubah de votre mère.» Un des cours de formation pour adultes, prévu pour les épouses non-juives, est intitulé «Le juif du hasard». Mais il est surtout question de cuisine et d’art. «Je ne prétends pas que vous puissiez nourrir entièrement une identité juive en écoutant Amy Winehouse ou Neil Diamond, souligne Raymond Simonson, mais c’est une possible porte d’entrée dans la judaïté, avec le Talmud, Israël et l’histoire juive.»

Si opposés que paraissent les novateurs et les traditionalistes, ils partagent pourtant un même but: assurer la continuité juive. «Notre travail est de combattre l’assimilation qui a été le plus grand ennemi du judaïsme depuis 2000 ans», dit le rabbin Maor, du Grand Rabbinat d’Israël. Pour les libéraux, le fait que les communautés de la diaspora s’effilochent rend anachronique l’application stricte des règles; pour les orthodoxes, cela montre que l’approche libérale a d’ores et déjà failli.

Ces deux attitudes laissent entrevoir deux futurs très différents. Les orthodoxes, avec leur conservatisme à tous crins et leur taux de natalité élevé, constitueront une part accrue de la population juive (en Grande-Bretagne, les haredim, ultra-orthodoxes, comptent pour 40% des naissances juives); ils seront toujours plus isolés des moins pratiquants qui s’en éloigneront pas à pas, ce qui veut dire que la population totale stagnera ou diminuera. Les liens entre Israël et la diaspora devraient alors faiblir.

«Combien restera-t-il de juifs?» Dans l’autre scénario, les juifs deviennent plus pluralistes et tolérants les uns vis-à-vis des autres, ménageant de l’espace pour ceux dont l’identité juive vacille au fil de la vie.

Par conséquent, à la question «Qui est juif?» en succède une autre non moins cruciale: «Combien restera-t-il de juifs?» Et une troisième: «C’est quoi, un juif?» Pour certains, les juifs sont les adeptes d’une foi antique à la définition biologique bancale. Pour d’autres, ils sont quelque chose de moins formel: les membres d’une civilisation dispersée qui se distingue par une tradition éthique et un état d’esprit particuliers; par un héritage de persécutions, une vision du monde tragique et un sens de l’humour qui en est le contrepoint; par certains goûts culturels et alimentaires.

Pour l’ancien ministre israélien de gauche Yossi Beilin, les juifs sont une famille étendue. Pour lui, le fait d’en être membre dépend moins du sang et de la foi que du désir d’appartenance. «Après l’Holocauste, c’est une méchante blague que de dire à des gens qui se sentent juifs qu’ils ne le sont pas.»

Il pense que cette famille étendue devrait proposer une cérémonie de conversion purement laïque – «Je ne veux pas embêter le Bon Dieu, il a tant d’autres choses à faire.» Bon nombre de juifs n’ont pas la foi, pourquoi devraient-ils se convertir? se demande-t-il. Yossi Beilin est un personnage singulier mais, peut-être, plus pour très longtemps.

© The Economist Newspaper Limited, London (Jan 2014)
Traduction et adaptation
Gian Pozzy


Réaction
«Il y a près de 18 000 juifs en Suisse»

Sabine Simkhovitch-Dreyfus, vice-présidente de la Fédération suisse des communautés israélites.
«Selon les chiffres officiels qui ne recensent que les juifs qui se déclarent comme tels, il y a aujourd’hui près de 18 000 juifs en Suisse. En cent ans et malgré plusieurs vagues d’immigration, le nombre de juifs habitant notre pays a légèrement baissé, alors que la population suisse en général a quasiment doublé. Cette situation s’explique essentiellement par le fait que bon nombre de juifs sont partis dans d’autres pays, Israël notamment, par l’augmentation des mariages mixtes et par l’assimilation. Au cours des dernières décennies, plusieurs petites communautés ont disparu (en Suisse romande, par exemple Delémont, Yverdon et Vevey), d’autres peinent à maintenir un minimum d’activités. Ce sont dans les villes, Zurich et Genève en tête, mais aussi Lausanne, Bâle et Berne, où ils peuvent vivre leur judaïsme activement, que se concentrent majoritairement les juifs.

Les communautés orthodoxes, présentes essentiellement à Zurich, représentent une minorité du paysage communautaire juif dont la majorité est constituée par les communautés dites traditionnelles, souvent vieilles de cent cinquante ans, dont chacun des membres vit le judaïsme à sa façon.

Si la pratique de la religion reste primordiale pour certains, d’autres se définissent davantage par leur identité culturelle, les traditions et leur sentiment d’appartenance. D’autres sont déjà très éloignés du judaïsme. Au cours des vingt dernières années, des communautés libérales ont vu le jour à Genève, Zurich et Bâle et réunissent des juifs qui souhaitent assouplir les pratiques. Les grandes communautés offrent une panoplie de services et d’activités dont notamment des synagogues et cimetières, des cours pour adultes et enfants, des activités sociales pour les jeunes et les personnes âgées, un service social, des bibliothèques, etc. Du fait de sa longue présence et de son attachement à notre pays, la population juive y est très bien enracinée.»

propos recueillis par Sh


Témoignage
«Juif de naissance ou converti, cela n’a pas d’importance»

Une question de loyauté, de fierté et de responsabilité. C’est ainsi qu’Esther Fantys, chorégraphe et danseuse de 41 ans, ressent sa judaïté. Rencontre.
Tout a commencé dans les années 90 lorsque Esther Fantys, née à Genève d’un père Américano-Irlandais et d’une mère Française, découvre, au détour d’une phrase mal placée, qu’elle est non pas catholique, comme son livret de baptême l’a toujours indiqué, mais juive. Une révélation qui change alors le cours de sa vie. «C’était viscéral, j’ai senti que c’était ce que j’étais réellement.» S’ensuivent des recherches qui viendront confirmer cette intuition inexplicable:  sa mère, dont la grand-mère polonaise était venue se réfugier en France dans les années 30, était bel et bien de confession juive.

Abandonnée par son père, délaissée par sa mère, Esther Fantys, alors âgée de 18 ans, trouve refuge dans cette nouvelle spiritualité. Deux ans plus tard, accompagnée de son premier mari, juif séfarade d’origine tunisienne, elle part vivre en Israël. Le couple s’installe à Méa Shéarim – quartier de Jérusalem où seuls des juifs ultraorthodoxes vivent – et s’ancre peu à peu dans les règles les plus strictes de sa religion. «Nous voulions explorer nos convictions au maximum et sommes devenus plus orthodoxes que les orthodoxes.»

Malgré la rigueur de son engagement, la jeune femme ne perd pas ses principes d’humanité. Cette danseuse de formation, qui porte désormais perruque, vêtements noirs et amples qui caractérisent sa condition, n’hésite pas à travailler comme sage-femme pour les mères palestiniennes vivant dans les territoires occupés. Un poste qui lui vaudra les foudres de son entourage.

Huit ans plus tard, las des remarques intolérantes et soucieux de protéger ses trois enfants, le couple renonce à la convivialité et à l’entraide, propres à cette communauté qui était pourtant devenue la leur.

De retour en Suisse, la jeune mère de 27 ans fait face à de nombreux doutes que son compagnon ne partage pas. Ils divorcent. Une tragédie selon la vision juive, mais une démarche acceptée du moment que l’harmonie entre les époux est brisée. Esther Fantys décide alors de se distancer du milieu orthodoxe, puis de le quitter définitivement. «J’ai réalisé que nous étions allés trop loin, j’avais besoin de prendre du recul, de retrouver un judaïsme qui corresponde à mes valeurs.»

Au fil des ans, elle a fini par trouver une voie qui soit en accord avec ses convictions personnelles et peut aujourd’hui mieux définir ce que représente pour elle la culture de ses ancêtres. «Etre juif, c’est donner un sens à sa vie. Que l’on soit juif de naissance ou converti, cela n’a pas d’importance. C’est une question d’âme, qui ne s’explique pas.»

Remariée et mère de quatre fils, Esther Fantys a eu à cœur de construire son foyer sur les piliers du judaïsme qui lui sont restés chers: le respect du sabbat et des fêtes juives, la charité, les études, l’art, la compassion, la bienveillance, la bonté. «J’ai transmis tout cela à mes garçons. Maintenant, libres à eux de mener leur vie et de faire leurs propres choix. Quant à la communauté juive, je m’en suis éloignée. C’est important pour moi d’avoir ma propre manière de croire et d’exercer ma foi aussi ouvertement et humainement que possible.»

Sou’al Hemma


Réaction
«L’identité juive ne peut se détacher de ses repères vitaux»

Lionel Elkaïm, grand rabbin de la Communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud.
La question «qui est juif?» est une interrogation récurrente, qui préoccupe nombre de penseurs, surtout depuis l’émancipation des communautés juives d’Europe au XIXe siècle. Depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948, de nouveaux enjeux ont fortement amplifié le débat.

Comme le disait le rabbin Elie Munk, «l’âme juive se sent comme ballottée au vent de l’histoire». Elle est en constante recherche de la réalisation de son unité malgré les vicissitudes d’un peuple disséminé. Depuis deux millénaires, elle tend à concrétiser son idéal culturel et sa vocation historique. Pour ce, elle ne peut se désolidariser de ses repères vitaux. Son attachement à la Loi de Moïse constitue la substance même des valeurs auxquelles elle s’identifie. Son lien à la terre d’Israël lui permet de donner corps à ces valeurs morales.

Je suis entièrement convaincu qu’aujourd’hui, bien plus qu’au cours des siècles derniers, ces repères identitaires sont fortement présents dans la conscience des communautés juives, dans toute leur diversité. Le message du judaïsme a le privilège de rendre le croyant optimiste et confiant en l’homme. L’histoire d’un Israël en proie à tant d’écueils à travers les âges a toujours miraculeusement réussi à défier les lois des statistiques, c’est l’une de ses spécificités; une raison supplémentaire d’appréhender l’avenir avec sérénité.

propos recueillis par Sh

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Hebdo.ch » revue de blogs de la semaine

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:47

Blogs» Politique»
Le futur, c’est maintenant

Notre corps n’appartient pas à l’État

Les gouvernements ne doivent pas légiférer sur la propriété du corps.
Guy Sorman

Mon corps, à qui appartient-il? Cette interrogation envahit soudain le champ politique en Espagne, en France, aux Etats-Unis. On manifeste dans les rues, à Paris, Madrid ou Washington, pour et contre le droit à l’avortement, le mariage homosexuel, la procréation médicalement assistée, l’adoption des enfants par des parents homosexuels et l’euthanasie choisie. Aux Etats-Unis, des référendums d’initiative populaire ont légalisé l’usage personnel du cannabis (au Colorado et à Washington). Cette réactivation de débats que l’on croyait éteints – hormis aux Etats-Unis où l’avortement a toujours été un clivage essentiel entre partis politiques – saisit et surprend les acteurs et commentateurs de la vie publique: nul en vérité ne s’attendait à cette résurgence des questions dites de société dans le monde occidental. Les explications qu’on en donne, à gauche généralement, me semblent superficielles: une droite dite réactionnaire, en panne d’idéologie, tenterait de rassembler ses troupes autour de thèmes passionnels. Mais n’est-ce pas la gauche qui serait fautive d’avoir imposé de nouvelles normes légales à des nations qui n’en demandaient pas tant? (…) Car appartient-il véritablement aux Etats de statuer sur l’amour, la vie et la mort? Désignons-nous nos gouvernements pour qu’ils décident de notre droit de nous marier, d’enfanter, de consommer ou non certaines substances, de mourir à notre heure? L’Etat ne devrait avoir le droit et le devoir de légiférer dans toutes ces circonstances que si je nuis à autrui et si autrui me nuit. (…) Ce n’est pas préconiser l’anarchie que d’inviter les gouvernements à se retirer de tous ces débats sur la propriété du corps, mais les inciter à se recentrer sur ce que l’Etat seul peut faire: garantir la sécurité collective et assurer un minimum de justice sociale, sans laquelle il ne saurait y avoir de sécurité durable. S’emparer à tout prix du corps des citoyens au lieu d’assurer leur sécurité illustre combien les gouvernements ont perdu tout sens de leurs missions et tentent par artifice idéologique d’en réinventer de nouvelles. (…) Cette révolte contre l’Etat est une exigence de liberté, celle de disposer de notre corps: ne serait-ce pas la moindre des choses que l’Etat nous la rende?


Blogs» Culture»
Les lumières de la ville

De la Suisse (qui a voté) à Berlin: Histoire de la peur

La peur de l’autre se trouve au-delà. En Suisse comme à Buenos Aires.
Frédéric Maire

Ils vivent dans un de ces quartiers aisés de la ville, entourés d’une clôture en métal, avec un gardien qui fait sa ronde sur du gazon bien taillé. Mais le moindre événement qui sort de l’ordinaire leur fait peur. Un petit trou taillé dans la clôture, une alarme qui se déclenche, un visiteur inattendu, les aboiements de chiens sans maître… C’est le premier long métrage du cinéaste argentin Benjamin Naishtat, présenté en compétition, qui s’intitule Historia del miedo (histoire de la peur), et que je viens de voir ce dimanche après-midi. Juste au moment où sont tombés les résultats de nos votations. Ils pourraient être Suisses, les personnages du film. Avec la même peur de ce qui vient d’au-delà de la clôture. Les autres. Ceux qui, semble-t-il, viennent voler notre travail, notre argent, notre bien-être. (…) Les autres, ce sont aussi ceux que l’on ne voit pas, que l’on ne connaît pas. Qui ont fait le trou dans la clôture. Ou qui jettent des ordures et les incendient de l’autre côté de la barrière. On ne les voit pas. On ne les connaît pas. Ils font donc encore plus peur. Au point que l’on est prêt à sortir les armes. Historia del miedo est un remarquable précis de cette instabilité qui nous fait prendre des décisions extrêmes. Comme celle que certains d’entre nous ont prise en votant en faveur de cette initiative de l’UDC. Ce que nous enseigne le film – et l’histoire – c’est que la peur est mauvaise conseillère. (…) Ici, à Berlin, j’ai de nouveau un peu honte d’être Suisse dans cette Europe qui nous accueille plutôt bien et que nous ne voulons plus vraiment. Ou alors du bout des doigts. Pour faire le ménage et tailler le gazon.


Blogs» Economie & Finance»
L’économie pour tout le monde

Le salaire de la peur

Dans l’isoloir, cette émotion nous pousse à donner un signal plutôt qu’un avis.
Samuel Bendahan

Après avoir fait s’envoler sa prospérité grâce au reste du monde, la Suisse choisit de s’écraser de ses propres ailes. Le oui à l’initiative de l’UDC est un signal fort qu’à force de jouer avec le feu nous avons perdu le contrôle. Face à la politique de la peur menée par l’UDC, l’ensemble des autres acteurs aurait dû avoir un discours clair contre la vision de l’étranger qui causerait tous nos maux. Nous devrons assumer toutes les conséquences de ce choix du peuple suisse, mais certainement que nous n’en serions pas là si la majorité politique avait combattu clairement les problèmes tels que le dumping salarial et le travail au noir. (…) Alors que notre pays s’en sort bien dans une Europe particulièrement morose, nous arrivons encore à être contrôlés par la peur. Lorsque l’UDC en a fait son beurre électoral, nombreux sont ceux qui ont suivi. La peur, c’est rapide, efficace, convaincant. Mais l’abus de cette source de voix nous pousse à voter en voulant «donner un signal» plutôt qu’en choisissant une politique. A faire un «coup de gueule» plutôt que donner un avis. Comment devons-nous nous relever de ce nouveau dimanche noir? Certainement pas en nous plaignant. Si nous voulons retourner cette situation, il faut agir, et montrer que ces actes ont plus d’effet que le rejet de l’autre. Bien sûr, nous verrons dans cinq ans que les conséquences de ce choix seront négatives, et nous pourrons observer cette nouvelle barrière à la prospérité, même si certains s’en sortiront. Mais il faudra aussi tirer les conséquences: si nous voulons continuer à profiter de ce que nous apportent nos relations internationales, nous devons répartir cette valeur équitablement. Des mesures comme le salaire minimum, les contrôles des conditions de travail, la lutte contre le travail au noir (et pas contre les travailleurs) doivent maintenant devenir une priorité. L’économie devrait porter elle aussi ces projets, pour qu’elle puisse bénéficier de nouveau pleinement des avantages de la libre circulation et de relations amicales avec les autres pays de ce monde.


Blogs» Politique»
Politique internationale

Démocratie: mode d’emploi à rappeler!

Voter, ce n’est pas simplement donner un signal. C’est aussi un changement – ou un refus de changement – légal.
Martine Brunschwig Graf

La démocratie suisse est un trésor précieux. Elle nous réserve son lot de satisfactions et, parfois, de mésaventures. En ce sens, l’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse» ne doit pas laisser la place à l’amertume, mais à l’acceptation du résultat quel qu’il soit. Et là, s’agissant de notre politique à l’égard de l’immigration, il reste tout à faire! Trois ans pour une loi d’application, moins bien sûr pour trouver des solutions avec l’Union européenne. Le retour aux contingents apporte avec lui de bien mauvais souvenirs, car certains ont oublié les marchandages difficiles pour obtenir les emplois nécessaires, la bureaucratie et la lenteur inhérente au système, les incertitudes pour les entreprises et particulièrement dans des branches à succès comme l’horlogerie, mais aussi dans les services publics… Inutile de s’étendre sur les difficultés mais il est temps de relever une déviance du système démocratique. Les vainqueurs de ce vote du 9 février rappellent qu’il s’agit avant tout d’un signal! Mais de quel signal parle-t-on dans un système démocratique où ce que l’on accepte comme initiative populaire s’inscrit directement dans la Constitution? J’ai le fort sentiment que les auteurs de l’initiative eux-mêmes ne souhaitaient pas forcément un succès mais surtout un de ces résultats où les cantons acceptent mais le peuple refuse! Cela aurait été le rêve, un succès d’estime mais aucune responsabilité à assumer. Quant à ceux qui pensent vraiment qu’en votant oui ils donnent un signal, il est temps qu’ils sachent que le vote entraîne aussi l’acceptation ou le refus d’une norme constitutionnelle. Le droit de vote, en Suisse, ne se confronte que très rarement au scrutin consultatif. Et le scrutin du 9 février n’en était pas un. Ce que les citoyens ont émis, c’est une instruction de changer de pratique en matière d’immigration. Quelles qu’en soient les conséquences, il faudra s’y conformer. C’est bien moins confortable pour les initiants, mais personne n’a dit que gagner était toujours un avantage!

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Dario Cologna en or: sa plus belle victoire

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:48

▼Les faits
Le Grison Dario Cologna a offert à la Suisse sa première médaille d’or des Jeux olympiques de Sotchi en remportant le skiathlon (2 x 15 km) après un magnifique sprint final.

▼Les commentaires
Dans l’euphorie du direct, les commentateurs de RTS Un n’ont pas cherché à minimiser l’exploit du fondeur: «Dario Cologna rentre dans l’histoire non seulement du ski suisse, mais aussi dans l’histoire du ski mondial. Quel panache!» Il faut dire que cette médaille d’or «vient de loin», pour reprendre un titre de L’Equipe, qui rappelle que, «à 27 ans, le Suisse a remporté son deuxième titre olympique (après celui du 15 km libre en 2010) au bout d’un hiver compliqué par une blessure à la cheville». Et le quotidien de survoler en quelques dates la saison de Cologna, de sa lésion ligamentaire le 11 novembre 2013 lors d’un jogging à sa médaille d’or, en passant par son double titre suisse en 15 km classique et libre il y a un mois. «C’est une grande victoire, peut-être la plus grande de ma carrière», a d’ailleurs lancé le champion olympique juste après sa course, comme le rapporte l’agence Sportinformation. Interrogé par la Basler Zeitung, l’orthopédiste et chef de clinique André Leumann, qui a opéré le fondeur l’automne dernier, estime que si sa victoire «n’est pas un miracle, elle a par contre tout du conte de fées». Si le Grison a pu récupérer aussi vite, c’est parce que la charge imposée au corps est en ski de fond relativement faible. «Pour un coureur de marathon, un tel come-back serait impossible.»

▼A suivre
Visiblement épuisé par sa victoire en skiathlon, Dario Cologna a chuté à deux reprises durant l’épreuve du sprint libre, ce qui lui a valu une élimination dès les quarts de finale. Mais il a encore d’autres chances de médaille, le 14 février à l’occasion du 15 km classique, puis le 23 lors du 50 km.

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Carlos Barria / Reuters
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Schneider-Ammann: crédibilité entamée

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:49

▼Les faits
Le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann est sorti de son silence après les révélations de l’émission de la TV alémanique Rundschau sur les pratiques d’optimisation fiscale de son ancien groupe. Il affirme que l’entrepreneur qu’il a été a toujours agi en toute légalité, tout en rejetant toute faute morale.

▼Les commentaires
Après s’être complu durant dix jours dans le mutisme, le ministre de l’Economie a accordé des interviews à la NZZ, au Temps et au SonntagsBlick. «Tout était légal, tout a été transparent, tout s’est fait au su des autorités fiscales bernoises», souligne-t-il dans les trois médias. Le conseiller fédéral, qui «ne [s]e rappelle plus par cœur» le nombre de millions qui ont échappé aux fiscs bernois et suisse, insiste sur le fait qu’il a toujours agi dans le seul but d’assurer les 1300 emplois du Groupe Ammann à Langenthal. Pourtant, la presse dominicale a encore révélé que l’ancien conseiller national n’avait pas fait figurer ses filiales offshore dans le registre des parlementaires. La socialiste bernoise Margret Kiener Nellen en est très remontée. «Il n’aurait pas été élu au Conseil fédéral si nous l’avions su», confie-t-elle à la SonntagsZeitung.

▼A suivre
«Schweiger-Ammann» (Ammann le muet), le «conseiller fédéral offshore», «Schneider-en-panne»: jamais un conseiller fédéral ne s’était vu affubler de surnoms si peu gratifiants en si peu de temps. Aura-t-il suffisamment de crédibilité pour mener la campagne contre l’initiative de la gauche sur les salaires minimaux, soumise au peuple le 18 mai prochain? On peut en douter.

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Steffen Schmidt / Keystone
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Citroën renoue avec l’esprit de la 2 CV

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:50

Nouveauté.Simplicité, économie, ingéniosité: la marque tente de revenir à ses valeurs d’origine avec la C4 Cactus. Il était temps. 

Comme le groupe auquel elle appartient (PSA), la marque Citroën n’est pas au mieux. Elle a perdu des parts de marché en Europe, où elle ne vend plus que 600 000 véhicules par an, contre 900 000 en 2005. Elle en gagne en revanche en Chine, notamment grâce à sa gamme premium DS, qui est même une marque à part entière dans le premier marché automobile de la planète. Estimée également en Europe, la ligne DS a toutefois eu un effet négatif: «Elle a terni le reste de notre offre», concède le directeur de Citroën, Frédéric Banzet. L’autre offre? La gamme C plus simple, des C3 ou C4 toutes concurrencées par des modèles DS bien plus séduisants.

La situation est problématique pour l’image de marque du constructeur. Citroën a certes toujours proposé, comme le rappelle le responsable des produits Thomas d’Haussy, des voitures très différentes les unes des autres: «Nous sommes tout de même les seuls à avoir proposé dans le même espace de vente des 2 CV et des DS. Ou des Berlingo et des C4 Picasso. De l’extérieur, on peut avoir l’impression que nous avons aujourd’hui deux marques au lieu d’une. Ce n’est pas pour nous déplaire.»

Marquer sa différence. Reste que Citroën opère un retour à ses origines avec le dévoilement, l’autre soir à Paris, de sa C4 Cactus. Comme si le constructeur s’était rendu compte qu’il était allé trop loin dans le premium et qu’il fallait en revenir, pour marquer sa différence, à l’esprit pionnier de la 2 CV. C’est-à-dire un véhicule léger, efficient, pratique, non agressif, peu puissant, doté d’un petit moteur économique, offrant le nécessaire au détriment du superflu. Une voiture pour période de crise au coût d’achat et d’usage réduit. Un modèle qui préfère des banquettes plutôt que des sièges. Et propose des solutions ingénieuses, rappelant qu’André Citroën, le fondateur, était un polytechnicien qui privilégiait toujours l’audace.

Ce retour aux valeurs historiques de la marque aux chevrons, qui devrait se confirmer dans les prochaines années, s’incarne dans la C4 Cactus. Mi-berline, mi-SUV, ce véhicule compact d’un peu plus de 4 mètres de longueur multiplie les originalités. Il est caparaçonné sur ses flancs, sa poupe et sa proue d’un revêtement souple en thermoplastique uréthane. Ces «airbumps» gonflés d’air affirment la personnalité graphique de la voiture tout en la protégeant des petits chocs, supprimant d’éventuels coûts de réparation. En logeant l’airbag passager dans le pavillon, au-dessus du pare-brise, les concepteurs de la Cactus ont dégagé un espace de rangement généreux dans la planche de bord.

La voiture pèse 200 kilos de moins qu’une C4 conventionnelle, passant en dessous de la barre de la tonne. L’absence de lève-vitres électriques à l’arrière, au profit de vitres entrebâillantes, permet de gagner 11 kilos. La banquette arrière monobloc? Moins 6 kilos. L’absence d’un rideau qui occulterait le toit en verre, dont le filtre anti-UV est équivalent à des lunettes de soleil de catégorie 4? Moins 6 kilos aussi. Les diffuseurs de lave-glace intégrés à l’extrémité des balais d’essuie-vitres? Moins 1,5 kilo. Et ainsi de suite grâce à l’emploi d’aluminium et d’aciers légers haute résistance. Ou du petit moteur à essence 3 cylindres de 82 chevaux à moins de 100 grammes de CO2 par kilomètre.

Attention au poids, mais aussi au coût et à la connectivité. La C4 proposera en France (mais pas en Suisse dans un premier temps) des solutions d’achat au forfait mensuel ou au kilomètre. Un site de partage du type Trip­Advisor permettra aux clients de donner leur avis en ligne. Les commandes de bord ont été réduites grâce au recours à une tablette tactile de 7 pouces disposée sur le tableau de bord. Toutes les fonctionnalités seront offertes sur l’écran, y compris, selon le niveau de finition, un guide vers la station-service la plus proche ou la moins chère, ou la recherche d’un restaurant.

Sans doute proposée à un peu moins de 20 000 francs lorsqu’elle arrivera en Suisse au printemps, la C4 Cactus présente un design lisse, simple, calme, sans affirmation de puissance ni de sportivité. Incorrigible, Citroën dévoilait lors de la même soirée parisienne un autre véhicule de sa gamme C: la voiture de course WTCC de 400 chevaux, un bolide superagressif. Brouillant du même coup le message de la nouvelle sagesse de la marque…

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Comment épouser un riche (et le garder)

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:52

Couple.Et si le fantasme «Pretty Woman», elle sublime, lui richissime, était celui de chacun d’entre nous? Pour vivre et faire durer le rêve, il faut développer le meilleur de soi-même. Inattendu et déculpabilisant.

C’est fou ce que la recette du conte de fées est éculée. Saint-Valentin 2014 et toujours les mêmes ingrédients. Une enfance de misère, une force de caractère et un coup de foudre entre une pauvrette et un tombeur du compte en banque. Dans l’actu rose, ces temps, il y a l’exemple de la top-modèle russe Natalia Vodianova, en couple avec Antoine Arnault, l’héritier de LVMH. Un bébé au printemps. Enfant, le visage du parfum Shalimar vendait des légumes sur le marché de Nijni Novgorod. A 19 ans, ne perdant pas le nord, elle épouse un jeune lord anglais richissime. Dont elle divorce, trois enfants plus tard, pour devenir la belle-fille de la première fortune de France.

Autre réussite, celle de Margarita Bogdanova, née à Leningrad, orpheline à 7 ans. Des études d’économie et un mariage éclair avec un Suisse allemand la conduisent à Zurich. En 1989, elle économise sou à sou pour aller à New York en Concorde. Inquiète par le retard du vol pour Londres où l’attend le supersonique, elle interroge son voisin de siège, au style négligé. Coup de foudre. Robert Louis-Dreyfus est une grosse fortune du négoce de matières premières. En 2014, «MLD» est veuve, mère de trois fils, patronne de l’Olympique de Marseille et troisième fortune de Suisse avec plus de 5 milliards de francs.

La piste biologique. Recette éculée mais efficace. Et si c’était cela, le secret des histoires d’amour, cette attirance entre la beauté et la réussite, la féminité et le confort, la sensualité et l’argent? Et si les couples stars qui font rêver étaient ceux que l’on rêve de former soi-même? Epouser un beau parti, c’est peut-être d’abord répondre à une attirance qui va de soi, depuis la nuit des temps.

Yves-Alexandre Thalmann est un psychologue fribourgeois et un auteur reconnu pour ses guides de développement personnel (Editions Jouvence, Odile Jacob, Grasset…). Plusieurs de ses 30 ouvrages parlent de l’amour, du couple, de la séduction. A la question «Comment épouser un beau parti?», il évoque d’emblée… la biologie, qui ferait la loi depuis Cro-Magnon. Ces câblages neuronaux et ces «logiciels» de cerveaux homme/femme qui réagissent différemment en période de séduction et de reproduction. «Le logiciel homme est sensible au physique de la femme, à ses formes et à sa jeunesse, garants d’un taux de fécondité élevé. Tandis que le logiciel femme la dirige vers un mâle dominant, rassurant, plutôt chef que sous-fifre.» Oui, affirme le psychologue, on a hérité de ça. Cela continue de fonctionner inconsciemment ainsi.

Et Yves-Alexandre Thalmann, féru d’études scientifiques anglo-saxonnes, de rapporter cette observation: aux Etats-Unis, des danseuses de lap dance, qui notaient leur cycle menstruel, ont vu leurs pourboires bondir du simple au double le jour de leur ovulation. En revanche, aucun bonus pour leurs collègues sous contraceptif. Au pic de leur fécondité, les femmes seraient beaucoup plus attirées par des mâles bourrés de testostérone que par des hommes moins virils. Et les intéressés reçoivent des signaux.

L’ascenseur social façon star, Ilham Wawrinka l’a pris récemment. Grâce à son mari, qui ne manque pas d’hormones masculines, devenu désormais vedette mondiale avec sa formidable victoire à Melbourne. Ce nom de famille, celui que son époux lui a offert en guise de dot, a ainsi fait la une du magazine Paris Match: une consécration de papier glacé. Sur une pleine page intérieure, elle est radieuse, aussi bronzée que brumisée, elle étreint son homme. Cela n’a pas été facile, mais l’ancien mannequin et speakerine de la TSR se retrouve ainsi avec un beau parti. Au moment des noces, en 2009, Stanislas était un tennisman prometteur, et il a tenu ses promesses. Ilham et Stan, beauté et réussite, le couple qui fait rêver, du Gros-de-Vaud à Rarogne.

Les célibataires riches et célèbres sont ainsi très sollicités. Et rarement seuls. Les stars du sport optimisent leur capital (virilité, argent, notoriété) avec une compagne à la plastique parfaite. C’est primordial désormais pour la com, le marketing et leur reflet dans le miroir au saut du lit. Dans le tennis, Djokovic sort avec une top-modèle. Berdych sort avec une top-modèle en Louboutin. Nadal sort avec une jolie Espagnole de son village natal. Elle l’avait quitté au début. Elle est revenue après qu’il a gagné son premier tournoi du Grand Chelem. Dans le foot, c’est la même chose. Pas de chômage sexuello-affectif, de la sollicitation permanente. Alors faut faire gaffe. «Quand un de mes joueurs flashe sur une fille, je lui dis une seule chose: mets un préservatif», raconte cet agent sportif installé sur la Riviera vaudoise.

Se sentir vivant. Mais les femmes (et les hommes) qui recherchent le beau parti ne sont pas toutes vénales. Trop simple. Cette attraction répond plutôt à un besoin très fort, un besoin générationnel et qui touche l’époque que nous vivons tous, qu’on ait 20 ou 60 ans. Le besoin de vibrer. De ressentir, de se sentir vivant. Une notion très forte pour ceux de la génération Y qui ont entre 25 et 30 ans. Une sensation que la génération X ne recherchait pas en priorité.

Véronique Corniola, la cinquantaine, dirige à Paris l’Ecole française de séduction, rue Cambon, à deux pas de chez Chanel. Elle est coach et sexothérapeute gestalt depuis vingt et un ans. A la fin des années 80, elle était conseillère matrimoniale. Elle a vu l’évolution de la demande. Aujourd’hui, ses clientes ont bac +5, sont chirurgiennes, avocates, juristes internationales. Une génération de femmes belles, actives et indépendantes financièrement. Ce qu’elles recherchent toutes? «Un homme d’un bon niveau car ainsi, disent-elles, il va me faire rêver. Ensuite, l’argent. Ensuite, le sexe.» Les femmes qui traquent le millionnaire, elle en a vu très peu venir chez elle, et elle a refusé de les coacher. «Paresseuses de l’intellect, elles ont en revanche une intelligence pratique développée. Elles connaissent les hommes mais ne les aiment pas forcément. Elles ont besoin d’être gratifiées aux yeux de la société.»

Epouser un riche pour assurer ses rêves? Encore faut-il savoir quel type de riche. Les nouveaux milliardaires savent faire de l’argent, mais ne sont pas cultivés, dit-on. Ils ne veulent pas d’une femme qui leur fasse de l’ombre. Les hommes richissimes, héritiers de père en fils, se font rarissimes et se marient dans leur caste, dit-on aussi. Et pourtant, des unions existent entre deux partis qu’un monde sépare a priori. Comment une femme, ou un homme, font-ils pour séduire un(e) millionnaire?

En 1961, à Paris, Nadine Tallier, 26 ans, comédienne séduisante et rieuse, est invitée à un dîner. Elle ne veut pas y aller. Elle saisit son téléphone, compose le numéro qui sonne occupé. Et occupé. Ne pouvant annuler, elle s’y rend. «J’ai failli rater ma vie», dit-elle aujourd’hui, dans un petit salon du château de Pregny, près de Genève. Ce soir-là, à table, elle est assise à côté d’Edmond de Rothschild, 33 ans, «marié depuis un an et déjà en train de divorcer». Nadine deviendra baronne un an plus tard. Comment épouser un beau parti, Madame? Une seule exigence: du travail, du travail, du travail. Etre ravissante est un atout? «Une femme belle, c’est quinze jours de gagnés sur une femme intelligente.» Avoir les faveurs du destin? «Cinq minutes de chance, la sixième, c’est du travail.» Alors, comment? «J’ai passé ma vie à écouter mon mari.»

Savoir se sacrifier. Nadine de Rothschild est restée mariée trente-six ans, jusqu’au décès de son époux, l’un des hommes les plus convoités du monde. «J’ai fait d’énormes sacrifices. Et j’ai compris que les hommes ont besoin de retrouver la tendresse et la chaleur de leur mère dans les bras d’une femme. Aujourd’hui, la femme veut parler, parler d’elle, c’est moi, moi, moi. Alors que c’est à elle de faire parler l’homme, de s’intéresser à lui, de lui poser des questions sur son métier. Il faut arrêter de parler de soi et se faire désirer. Puis accepter les défauts de l’autre. Ce sont toujours les femmes qui mettent les hommes dehors. Qui demandent le divorce. Les hommes, eux, veulent tout garder. Alors attention, car si, avant on pouvait dire “Un de perdu, dix de retrouvés”, aujourd’hui, c’est “Un de perdu, aucun de retrouvé”. La concurrence féminine est beaucoup plus rude.» Et enfin: «Je n’ai jamais imposé quoi que ce soit à un homme, je ne suis jamais entrée dans sa vie privée. C’est à vous de faire VOTRE bonheur.»

Beaucoup de candidats, peu d’élus. Attendre du beau parti qu’il réalise nos rêves, c’est peut-être faire fausse route, non? Et si le beau parti était celui qui contribue à nous révéler à nous-même? A faire de nous un être plus accompli, plus libre? Dans un livre qui sort ce 13 février, Tout à fait homme – Le bonheur, c’est le désir (Ed. Odile Jacob), 200 hommes, riches et moins riches, confient ce qu’ils attendent des femmes à la Genevoise Barbara Polla, galeriste et écrivain. Elle retient comme quintessence de son enquête les mots de Julien, 32 ans, tailleur de pierres dans un château du nord de la France: «Que sa partenaire augmente son degré de liberté, qu’elle le stimule constamment plutôt qu’elle ne l’enferme. Le beau parti est celui qui va le rapprocher de ses vrais désirs.»

Qu’on rêve de vacances à l’île Moustique ou de purification des chakras, pour épouser un beau parti (et le garder), il faut d’abord s’aimer soi-même. S’être trouvé pour trouver son alter ego. On peut épouser pour prendre l’ascenseur social. Cela ne marche pas à tous les coups. Beaucoup de candidats, peu d’élus. En revanche, lorsqu’on est monté, on n’épousera plus que dans sa classe de fortune. C’est bien connu, on épouse presque toujours dans son milieu.

Margarita Louis-Dreyfus est une milliardaire à vie. C’est à Davos qu’elle a rencontré son nouveau partenaire, un habitué de la station. Il s’appelle Philipp Hildebrand, il était patron de la Banque nationale suisse. Pour certains, le lift ne s’arrête qu’au dernier étage.


Berkeley international
L’agence tout fric

Pour certains, l’amour se gère comme un portefeuille d’actions. Pour eux existe une sorte d’agence matrimoniale de luxe, créée en 1998, affichant des armoiries façon grande marque de tabac et un nom sonnant intello décoincé. Cette entreprise, Berkeley International, installée dans les grandes capitales occidentales, y compris Genève, propose aux hommes et aux femmes trop pressés pour vivre de leur trouver «l’âme sœur» parfaite. Parce que ces membres paient leur abonnement de 10 000 euros (pour qu’on leur trouve un élu dans leur pays) à 50 000 euros (recherche dans le monde entier), et qu’ils déclinent tout de leur intimité (acte de divorce, salaire, biens immobiliers, actions, niveaux culturel et intellectuel, etc.), ils ont la garantie que cet amour sur mesure ne pourra les arnaquer: c’est dans le vivier de l’agence que les célibataires sont puisés pour se rencontrer, au rythme de huit tête-à-tête par année. Trois cents Suisses ont déjà souscrit. «Pour aider chaque couple naissant à s’épanouir, (l’entreprise) proposera prochainement un service de conciergerie amoureuse.» Pour tenir la chandelle ou dérouler la capote?


Ferrer la proie, mode d’emploi

Si vous êtes un homme
- Apprenez des rudiments de russe.
- Investissez dans une paire de chaussures trop chères pour vous.
- Apprenez à écouter au lieu de la ramener: donnez à votre interlocutrice le sentiment que sa vie est incroyable.
- Lisez Marcel Rufo, le pédopsy: un rôle de beau-père vous pend au nez si Madame, qui a l’âge d’être votre mère, est une quadra divorcée.
- Sapez-vous et faites les boutiques de luxe: riche et très seule, elle appréciera votre avis d’expert.      

Si vous êtes une femme
- Inscrivez-vous au club de golf local, même si vous ne fréquentez que le resto.
- Souriez, encore et toujours, même si vous souffrez le martyre: l’homme riche ne supporte pas que vous salopiez son nirvana par une méchante humeur.
- Abonnez-vous au «Financial Times». Soyez potiche, mais potiche éclairée.
- Prenez un abonnement dans un spa/fitness de palace. En peignoir et claquettes, Monsieur baisse la garde.
- Dégainez une carte de visite classe. Bristol blanc, typo noire, minimaliste. En votre absence, elle rappellera votre élégance.

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Profession: «désenvoûteur»

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:53

Expérience.«L’Hebdo» a suivi pendant une journée un médium qui «nettoie» les maisons et les entreprises romandes de leurs «entités surnaturelles». Regard sans a priori sur une pratique secrète mais répandue.

Il a un look de biker, avec sa queue de cheval. Il porte une sacoche. A l’intérieur, une pierre «programmée» pour le rendre plus fort dans les cas extrêmes. Il roule dans une Porsche Cayenne d’occasion, qui ne vaut plus grand-chose à l’Argus. Parfois, il se parque hors des places, mais n’a jamais d’amende. Il était major à l’armée; gérant d’un grand magasin d’alimentation. Et un jour, Frédéric Jacquat, 43 ans, a tout laissé tomber. C’était il y a dix ans.

Depuis, il travaille pour une boîte de nettoyage. Façon de parler. Il est médium guérisseur. Il consulte, dans son cabinet d’Yvonand (VD), et se déplace pour «nettoyer» maisons, immeubles et fermes. Incognito, il a aussi exercé ses dons dans des banques, une bibliothèque, une menuiserie, des bâtiments cantonaux, un office de placement pour les chômeurs… Une clientèle qui n’aime pas la publicité.

Ou le siège de Ringier Romandie (éditeur de L’Hebdo), sur la demande d’employés. Le tout avec l’aval et le financement de la direction, sceptique mais ouverte. C’est à cette occasion que nous l’avons rencontré. Il a accepté qu’on le suive pendant une journée, pour aller «dégager» des «entités» gênantes et «désenvoûter» des maisons privées, ainsi qu’une entreprise valaisanne de stores.

Puits d’énergie.«Ma technique est simple: j’appose les mains contre les murs. Je vais dans leurs mémoires. Autour de nous, il y a des entités qui veillent sur nous. Il peut aussi y en avoir de mauvaises, qui se nourrissent de notre énergie. J’ai le don d’aller déloger ces mauvaises entités sur les personnes et les objets et de les libérer du mal.» On le regarde, dubitatif.

A la rédaction de L’Hebdo, Frédéric Jacquat a repéré un «puits d’énergie». Troublant, car à cet emplacement, trois collègues ont connu dernièrement de graves problèmes de santé. «C’était puissant, ce qu’il y avait, avec le pont Bessières tout proche (le pont lausannois tristement connu pour ses suicides, ndlr). Les travaux pour creuser le métro, juste en dessous, ont fait remonter pas mal de choses. J’ai neutralisé les énergies mauvaises, pour remettre du bon.» Frédéric Jacquat ne donne pas d’autres explications. Il est plutôt pragmatique, même s’il dit toutes sortes de choses que la science réprouve. Nous n’entendons ni les démontrer ni les infirmer. Décrire, simplement.

La voix du guide.«Parfois, je me dis: je vais me réveiller, ce n’est pas réel. Mes patrons sont dans l’invisible. Je n’ai pas de sortie de boîte, de syndicat, rien.» Ses patrons? «Ce sont mes guides, Dieu, la sainte Trinité. Ce sont eux qui m’ont donné le don, pour que je travaille et que j’aide les autres.» Plutôt exigeants, comme employeurs, non? «Enfant, j’avais tout le temps quelqu’un à côté de moi, une présence. Je ne jouais jamais seul. Mais je voyais dans les yeux de mes parents qu’ils ne se rendaient compte de rien. Moi qui pensais que chacun entendait une voix, dans sa tête… J’ai dû apprivoiser la mienne. Certains n’y arrivent pas et finissent fous.»

Lorsqu’il a commencé à travailler comme guérisseur, sa famille lui a tourné le dos. Sa copine aussi. Son amie actuelle, c’est autre chose. Elle parle avec les morts. «On est sur la même longueur d’onde.»

Par humour, il a hésité à coller sur sa voiture un autocollant des films Ghostbusters, qu’un enfant lui a offert. Et puis non, ça ne faisait pas très «sérieux».

De la baie vitrée du café de l’Evêché, à Lausanne, il regarde si une contractuelle de passage lui colle une contravention. Non, elle passe tout droit. Il a demandé de rendre la Porsche momentanément «invisible». «C’est pratique», dit-il, un peu farceur. Mais pourquoi accepter qu’un journaliste le suive? «J’ai pris conseil auprès de mon guide, pour l’interview. Je suis réticent, j’ai toujours refusé de parler aux journalistes… Mais cette fois, mon guide m’a dit: “Tu dois le faire.” Cela veut dire que des personnes seront aidées par cet article. Les autres, les personnes trop critiques, elles ne le verront tout simplement pas.»

On sent quelque chose. Des frissons. Un picotement froid. «C’était pour voir si vous êtes réceptif.» On a passé le test. On peut partir à la chasse aux fantômes.

Le jour dit, départ à 6 heures du matin pour une villa à Vex, en Valais. Puis viendra l’entreprise Roch Stores, à Sion. Un appartement dans la même ville. Puis la villa d’un vendeur de voitures dans la campagne vaudoise. Et, enfin, à Grandvaux (VD), l’appartement d’une thérapeute, Colette Dumas. La petite entreprise de Frédéric Jacquat ne connaît pas la crise, mais lui coûte beaucoup d’efforts aussi. Ses prix n’ont pas varié depuis dix ans. Il demande 100 francs pour un soin dans son cabinet. Pour «nettoyer» un appartement: 150 francs. Plus cher si c’est une maison, une ferme, un château… «J’en vis, c’est mon travail. Mon guide m’a dit: “Demande un salaire, mais juste”.» Il nettoie deux jours par semaine. Il a besoin de temps pour se régénérer.

«Faut être open». Dans la villa de Vex, le propriétaire et sa compagne ne se sentent pas bien. Elle, surtout, se réveille la nuit. Et puis, confie-t-elle, «il y a des bruits bizarres». Frédéric Jacquat passe d’une pièce à l’autre, en commençant par la cave, applique les mains sur les murs, ferme les yeux, expire. L’air amusé, il nous suggère: «Si vous voulez sentir quelque chose, entrez dans cette pièce.» C’est une petite chambre vide. Aussitôt, l’impression de ne plus pouvoir respirer, d’être pris en tenailles, étranglé. C’est bon, on a vu. «Quelqu’un a fait des incantations ici, pour appeler le malheur sur la maison.»

A l’entreprise Roch Stores, le patron, Béat Roch, assume. Oui, il a recours aux services d’un médium. Un employé est en arrêt maladie. Un autre a «pété les plombs». Il dit simplement: «Faut être open», et propose l’apéro. Non, pas pendant le service. Après le tour du propriétaire, Frédéric Jacquat précise: «Si ce n’est pas complètement réglé, appelez-moi. J’interviendrai à distance. C’est dans le service après-vente. (Sourire.)»

A Grandvaux, la thérapeute Colette Dumas, elle non plus, n’est pas à l’aise dans son appartement. «Je me sens apathique. Alors, peu importe la méthode, pour moi, ce qui compte, c’est de me sentir bien chez moi.» De la chambre à coucher, la voix du médium nous parvient, réjouie: «Déjà trois entités!» Et la maîtresse de maison de répondre: «Vous pourriez en profiter pour faire mes vitres, pendant que vous y êtes! On nettoie ou on nettoie pas!»

En fin de journée, Frédéric Jacquat a des renvois. «C’est la délivrance, les entités me traversent.» Il sourit encore. En voiture, il précise: «Après cette journée, vous aurez besoin de beaucoup de sommeil. Je lancerai à distance un programme de nettoyage, pour que les entités que nous avons croisées ne vous dérangent pas.» On lui demande de remercier son guide de notre part.

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Florian Javet
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Les griffes de la censure sur Balthus

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:54

Beaux-arts.Prévue en avril à Essen, l’exposition des dernières études du peintre de Rossinière a été annulée. En cause, le contenu «pédophile» des polaroïds pris par le maître.

Le gros livre rouge est posé sur la table du salon du Grand Chalet, à Rossinière, dans le Pays-d’Enhaut. Il contient un bon millier de photos polaroïds qui ont été prises dans le même chalet, il y a une vingtaine d’années. Leur auteur était le peintre Balthus (1908-2001), propriétaire des lieux, qui travaillait à l’époque à ses dernières toiles.

Très âgé, l’immense artiste avait de la peine à tenir un crayon. Sa vue baissait. Alors, lui qui abhorrait les technologies modernes a tiré parti d’un appareil polaroïd pour réaliser ses études préparatoires. Avec comme modèle invariable Anna, une enfant de Rossinière. Entre l’âge de 8 et 16 ans, dans les années 90, Anna a posé tous les mercredis pour Balthus dans le Grand Chalet. Parfois habillée, parfois un peu déshabillée. Rien d’inconvenant, rien d’obscène. C’était juste un rituel serein avec celui qui est devenu un ami, raconte Anna dans un beau texte du gros livre rouge.

Celui-ci accompagne une exposition des polaroïds de Balthus qui vient de se terminer à la Galerie Gagosian de New York. Sans problème aucun.

Alors même que, aujourd’hui aux Etats-Unis, les gardiens de la morale dégainent leurs interdits à la moindre image d’enfants ou adolescents nus. Demandez aux photographes Jock Sturges, Sally Mann ou Larry Clark ce qu’ils en pensent, eux qui ne peuvent plus exposer leurs nus juvéniles sans être frappés par la censure.

En revanche, l’exposition des mêmes polaroïds au Musée Folkwang d’Essen, en Allemagne, n’aura pas lieu. Les responsables de ce musée public ont renoncé à l’accrochage prévu en avril prochain. Par crainte, a dit le directeur du musée, le Suisse Tobia Bezzola, de «conséquences juridiques». Tobia Bezzola a pris sa décision après s’être entretenu, notamment, avec les services de protection de la jeunesse à Essen.

Le déclencheur de ce geste d’autocensure a été un article de Die Zeit paru en décembre. L’hebdomadaire de Hambourg s’en prenait aux «photos obscènes» de Balthus, qui «apparaissent comme les témoignages de la concupiscence d’un pédophile» et dont le destin appartient plutôt «à un dépôt ou à Orcus», c’est-à-dire au dieu des enfers. L’article a fait grand bruit. Et grand effet: l’annulation de l’exposition d’Essen sur les Dernières études de Balthus (lire l’interview de Tobia Bezzola sur notre site www.hebdo.ch).

Une place dans l’histoire de la photographie. Dans le salon du Grand Chalet, Benoît Peverelli feuillette le livre rouge qu’il a réalisé, avec l’artiste romand Nicolas Pages, pour les Editions Steidl à Göttingen. Un premier tome montre 1200 polaroïds dans leur chronologie et leur progression sérielle, tous témoins de la quête obsessionnelle d’un peintre qui cherchait la position parfaite d’une main ou d’une tête.

Le second tome propose une sélection des mêmes images, agrandies pleine page, et retenues pour leurs qualités esthétiques.

Mari de la fille de Balthus, Harumi Klossowska de Rola, le Suisse Benoît Peverelli est un photographe réputé. Il travaille comme portraitiste pour les meilleurs magazines et collabore avec des créateurs comme Karl Lagerfeld. Il a tout de suite vu l’intérêt photographique des études de Balthus, longtemps rangées dans une pièce du Grand Chalet.

Avec l’accord des autres membres de la famille du peintre, il a pris la décision de les publier et de les exposer: «Elles ont leur place dans l’histoire de la photographie, de l’image en général et de l’art de Balthus. Elles montrent l’utilisation d’une technique dans un but défini: l’étude préparatoire à un tableau, cet effort incroyable qui consistait pour Balthus à faire coïncider une image mentale préalable avec l’observation d’une pose précise. Certains des polaroïds sont magnifiques, indépendamment du contexte de la prise de vue. A un moment donné, une image vit sa propre vie. Elle s’impose au regard par son propre contenu.»

Soupçonnée par Die Zeit d’avoir cherché le scandale et le profit, la famille de Balthus se défend de mauvaises intentions. Les petits polaroïds de Balthus sont certes vendus 20 000 dollars pièce par Gagosian. Mais c’est le galeriste qui a dicté ces conditions, pour l’heure sans beaucoup de succès (les images se sont peu vendues pendant l’expo new-yorkaise). Et Steidl produit à perte un livre ardu à réaliser, tiré à 1500 exemplaires seulement et vendu 480 euros pièce.

L’affaire est surtout préoccupante dans son fond. Balthus a été maintes fois soupçonné de pulsions pédophiles. Il a peint nombre de jeunes filles dans des postures équivoques, rêveuses, alanguies. Ces doutes n’avaient jusqu’ici jamais atteint l’intégrité artistique d’un maître qui voyait l’adolescence comme le symbole de la métamorphose, de l’avenir, du devenir. C’est fini. Pour quelques images pourtant bien prudes, le nouveau puritanisme salit la postérité de l’un des plus grands artistes du XXe siècle. Nous sommes d’accord: le scandale de la pédophilie a mis trop longtemps à sortir des ténèbres dans lesquelles il était tapi. Les enfants et les adolescents doivent être mieux protégés, notamment par les lois. Certains artistes, comme dernièrement le peintre britannique Graham Ovenden, ont profité de leur statut pour violenter des enfants. Il ne faut pas être dupe. Mais accuser Balthus d’être un pédophile avide, c’est céder à l’hystérie, de celles dont on fait les meilleures chasses aux sorcières. Plus grave: c’est ne rien comprendre à rien.

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Harumi Klossowski de Rola
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Eveline Widmer-Schlumpf: "La place financière ne facilite pas notre travail"

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:55

Fiscalité.Malgré la dureté des attaques, la ministre des Finances annonce une mise en conformité de la Suisse aux standards internationaux d’ici à quatre ans.

Propos recueillis par Yves Genier et Michel Guillaume

Derrière son bureau, un cactus, une plante qui s’épanouit même dans les environnements les plus arides. Dans un coin de la pièce, une armoire vitrée abrite quelques bibelots, dont trois figurines de Schtroumpfs en plastique. Impossible cependant d’apercevoir la Jungfrau de la fenêtre de son bureau en ce jour pluvieux de février. De toute façon, l’attention d’Eveline Widmer-Schlumpf est ailleurs, du règlement de la réforme de la fiscalité des entreprises à l’interminable question du secret bancaire. Entretien.

On vous compare au personnage de Birgit Nyborg, héroïne de la série TV danoise «Borgen», qui met en avant le destin d’une femme devenue premier ministre en dépit d’un faible soutien parlementaire.
On m’a parlé de cette série. J’ai aussi rencontré plusieurs fois Mme Helle Thorning-Schmidt, premier ministre du Danemark. On peut noter quelques similitudes entre ces deux parcours.

Etes-vous la Birgit Nyborg de la Suisse?
J’ai vécu une autre vie! Mais certains points de nos parcours sont semblables. Notamment en ce qui concerne les difficultés avec le parti, la manière de trouver des compromis et de former des majorités parlementaires.

Vous vous êtes décrite comme le «père Fouettard» de la Suisse devant un parterre de banquiers à Genève en novembre dernier. En souffrez-vous?
Non. Le rôle du méchant va avec la fonction de ministre des Finances: on ne se fait pas que des amis! Je me bats pour les idées et les valeurs de la Suisse et pour trouver des solutions en faveur des générations futures.

Vous comptez beaucoup d’ennemis: la grande majorité des banquiers, des cantons, la droite du Parlement…
C’est l’impression qu’ils donnent quand ils parlent en public et qu’ils défendent leurs intérêts. En privé, le ton est très différent! Nous avons des discussions constructives avec les banquiers. Certes, nous ne sommes pas toujours du même avis, mais l’atmosphère n’est pas du tout à la bataille. Je m’entends aussi très bien avec les directeurs cantonaux des Finances, dont j’ai fait partie avant d’accéder au Conseil fédéral.

Les frondes sont innombrables. Pensez-vous y survivre?
Jusqu’à présent, j’ai toujours survécu! L’atmosphère s’est considérablement détendue depuis mon arrivée au gouvernement il y a six ans.

La Suisse n’a jamais pu entrer au G20, sauf l’an dernier, lorsqu’elle a été invitée à la réunion des ministres des Finances en février 2013. Cela pourra-t-il changer?
Lors de cette réunion, j’ai pu défendre les intérêts et les revendications de la Suisse au moment où débutaient les discussions sur l’instauration de normes mondiales sur l’échange de renseignements fiscaux. Nous avons obtenu, avec le soutien d’autres pays, que la discussion se concentre sur un seul standard international, celui de l’OCDE, alors que des membres de l’Union européenne voulaient aussi instaurer le leur et qu’il existait aussi un projet au niveau de l’ONU. Nous avons également obtenu que la protection des données figure au menu de la discussion au sein de l’OCDE, ainsi que la réciprocité des échanges et la transparence des ayants droit économiques.

Et pour l’avenir?
Cette année, nous ne pouvons plus suivre l’avancement des discussions au niveau ministériel car l’Australie, qui préside le G20, a décidé d’associer les pays asiatiques voisins. Mais nous participons à plusieurs groupes techniques. Cependant, nous avons bon espoir d’intégrer de nouveau les discussions ministérielles l’an prochain, alors que le G20 sera présidé par la Turquie. J’entretiens de bons contacts dans ce sens avec le vice-premier ministre et ministre des Finances Ali Babacan.

A quand une présence permanente de la Suisse?
Nous ne sommes pas le seul pays candidat au G20! Lorsque nous participons aux discussions, c’est au détriment d’autres pays. Nos amis suédois et luxembourgeois par exemple ont ainsi été déçus de ne pas pouvoir s’asseoir à la table. C’est déjà bien d’être invité aux réunions des ministres des Finances et au comité fiscal.

Quelle direction prend la réforme III de la fiscalité des entreprises: baisse de taux d’imposition ou multiplication de statuts spéciaux?
Nous proposons d’introduire un système de taxation privilégiée des produits de licence (licence boxes) au niveau de la fiscalité des cantons. Le principe est acquis, mais nous devons encore définir leur périmètre. Il n’est cependant pas prévu de les étendre au niveau fédéral: les pertes de rentrées fiscales seraient trop élevées et ne permettraient plus à la Confédération de partager les compensations avec les cantons. Cependant, ces derniers nous demandent d’étudier la question.

Allez-vous satisfaire l’exigence des cantons qui vous demandent de participer à 50% à leurs futures pertes fiscales?
La Confédération va participer à leurs pertes. Mais avant de parler de chiffres, nous devons définir le périmètre des licence boxes. Notre objectif est d’offrir un système fiscal attractif pour les sociétés étrangères et qui garantisse l’équité pour les entreprises suisses.

Allez-vous introduire une taxation des gains en capitaux pour compenser les pertes?
Cette proposition figure au catalogue des solutions possibles, tout comme une augmentation du nombre de contrôleurs fiscaux rattachés au Département fédéral des finances (DFF), une réduction du nombre des exonérations et une hausse de la TVA. Mais cette dernière idée n’est pas une option, à mon avis, car ce n’est pas aux individus de compenser les baisses d’impôts des entreprises. Ces idées servent de base à une discussion ouverte pour trouver une solution acceptable par tous.

Les cantons doivent-ils se mettre d’accord sur une fourchette de taux d’imposition, voire un taux unique?
Le principe de base reste celui de la concurrence fiscale, un pilier du fédéralisme. Certains, comme Genève, veulent fortement abaisser le taux d’imposition, parfois jusqu’à 13%. Mais cette solution est combattue par d’autres. Les cantons sont libres de choisir leur taux, tout en prenant garde à conserver les moyens suffisants pour accomplir leurs tâches!

Les cantons vous reprochent de ne pas leur dire assez clairement où vous voulez aller. Les comprenez-vous?
Je comprends que certains d’entre eux aient le sentiment d’un manque de clarté. Mais le DFF a effectué des projections qu’il est en train de discuter avec chacun. Si le système des licence boxes convient très bien à Bâle-Ville, il ne satisfait pas autant Genève ou le Tessin par exemple. Il faut donc trouver d’autres formules, tout en gardant en tête que la souveraineté fiscale cantonale nous interdit de dicter des conduites à suivre.

L’UE veut une solution rapidement. Quand sera-t-elle prête?
Dès que possible, dans le respect de nos processus de décision. Si tout va bien, le projet sera mis en consultation en août prochain. Un rapport détaillé sur nos projets sera remis à l’UE au premier semestre de cette année.

Comment vous expliquez-vous le rejet de la Weissgeld-strategie (stratégie de l’argent propre, ndlr), et notamment de l’autodéclaration fiscale, par le secteur bancaire, alors que c’est lui qui l’a initiée?
Ce n’est pas le seul dossier sur lequel la place financière a changé de position. Voyez le précédent de Rubik. Ces retournements viennent de la très grande rapidité des changements dans ce domaine. Il y a un an, lorsque j’ai commencé à parler d’échange automatique d’informations, j’ai subi de fortes attaques. Aujourd’hui, c’est notre politique officielle. Mais nous ne pouvons l’appliquer qu’avec des Etats garantissant la sécurité de l’information et la réciprocité. Avec les autres, nous devons mener une politique différente. Avec eux, l’autodéclaration fiscale pourrait être un instrument adapté.

Avez-vous un sentiment de trahison de leur part?
Pas de trahison. Mais je peux dire qu’ils ne facilitent pas notre travail. Notre but, c’est d’avoir une place financière stable, compétitive et intègre. Pour l’atteindre, nous devons instaurer l’échange automatique d’informations tout en régularisant le passé dans le respect de notre droit. Certaines banques seraient prêtes à livrer de nombreuses informations. Pour moi, il est central de respecter la protection des données.

Les banquiers ne savent-ils pas ce qu’ils se veulent?
La difficulté majeure vient de ce que la place financière n’exprime pas une opinion unique. En matière de règlement du passé, par exemple, les réponses des banques privées sont différentes de celles des deux grandes banques, qui n’ont pas le même avis que les banques cantonales! Trouver une solution qui obtienne une majorité des établissements bancaires est un défi.

Quand prévoyez-vous l’introduction de l’échange automatique?
L’OCDE va présenter son projet de norme internationale jeudi 13 février. Elle fera l’objet d’une décision politique à l’automne, aussi bien à l’OCDE qu’au G20. Plus de 40 pays souhaitent l’appliquer très vite, en 2017 au plus tard.

Et la Suisse?
Ce sera un peu plus lent, vu notre fonctionnement. Nous devons élaborer une loi d’application qui sera soumise aux Chambres.

Est-il envisageable de l’appliquer dès 2018?
Cela dépend du Parlement, mais c’est une perspective raisonnable.

Craignez-vous un référendum?
Je ne crains jamais un référendum. C’est une règle du jeu avec laquelle il faut compter.

N’a-t-on pas manqué l’occasion, en 2010 déjà, de négocier l’accès au marché financier européen en contrepartie de l’échange automatique d’informations avec l’UE?
Cette discussion ainsi que celle du règlement des avoirs non déclarés déposés de longue date dans les banques suisses doivent être menées maintenant, avant que les autres pays n’introduisent l’échange automatique à leur tour. Lorsque l’échange automatique sera institutionnalisé au niveau mondial, il sera trop tard. Nous n’aurons plus rien à offrir en contrepartie.

Hormis une adaptation à froid de la réglementation indigène, quelles possibilités s’offrent à la Suisse pour accéder au marché?
Cela dépend des détails techniques des règles définies par l’UE. Le projet en cours de la réforme de la directive MiFID tel que discuté actuellement nous paraît favorable. S’il venait à changer, nous aurions du travail devant nous.

Le directeur de la Finma, Patrick Raaflaub, a démissionné. Deux noms sont souvent mentionnés pour lui succéder: votre chef juriste Daniel Roth et le directeur par intérim Mark Branson. Qui préférez-vous?
Daniel Roth a certes fait partie de la direction de la Finma avant de rejoindre le DFF en 2009, mais il n’a jamais été candidat pour succéder à Patrick Raaflaub. Mark Branson a toutes les compétences requises. Mais cette nomination dépend du conseil d’administration de la Finma, pas du Conseil fédéral, qui se contente d’approuver le choix.

Comprenez-vous l’opposition des milieux qui ne veulent pas d’un non-Suisse à ce poste?
Le critère de la nationalité n’entre pas en compte à mon avis. L’important, c’est l’indépendance de la personne, ses compétences, son expérience, son engagement et son identification aux valeurs du pays. N’oublions pas, par exemple, que le gouverneur de la Banque d’Angleterre est Canadien.

Le mandat de la Finma doit-il être revu pour inclure la promotion de la place financière, comme l’exige une large part du Parlement?
Cette tâche figure déjà dans la loi. Je ne vois pas ce que l’on peut ajouter.

Le 6 mars prochain, vous recevrez les ministres français Pierre Moscovici, des Finances, et Bernard Cazeneuve, du Budget, dans un climat détestable, marqué par le rejet, par le Conseil national, de la convention bilatérale contre les doubles impositions des successions. Qu’allez-vous leur dire?
Le climat n’est pas aussi détestable que vous le dites. Nous avons certes des visions différentes, mais nous nous parlons, ce qui est déjà beaucoup! Nous trouvons des solutions à nos problèmes bilatéraux. Lorsque nous avons entamé les discussions autour de la convention, il paraissait impossible d’aborder les autres sujets tant qu’un accord n’était pas trouvé sur ce point. Aujourd’hui, les deux parties sont prêtes à élargir le dialogue. Même si le Conseil des Etats confirmait, lors de la session de mars, le rejet de la convention. Nous devons accepter le désir de la France d’abroger ce texte, qui date de 1953.

On vous reproche d’avoir mal défendu les intérêts de la Suisse. Que répondez-vous à cela?
Je suis convaincue que la ratification de la nouvelle convention reste une bien meilleure solution qu’une totale absence d’accord, au moins pour protéger les intérêts des nombreux Suisses qui vivent en France. Certes, le nouveau texte est moins avantageux que le précédent, mais les temps ont changé.

Vos détracteurs affirment au contraire qu’un vide juridique est mieux que la nouvelle convention.
Un vide juridique permettrait à la France d’utiliser ses propres critères de choix, qui sont différents des nôtres. Elle pourrait taxer des individus et des entreprises à son aise sans que nous n’ayons rien à dire. Il est inutile de chercher à négocier un nouveau texte, car les Français ont clairement dit qu’ils ne le voulaient pas.

Quel jugement portez-vous, en tant que ministre des Finances, sur les entreprises qui recourent à des sociétés offshore à des fins d’optimisation fiscale?
Ces pratiques sont autorisées par la loi, dans certaines limites. Celles-ci sont plus étroites aujourd’hui qu’il y a quelques années.

Etes-vous candidate à votre réélection au Conseil fédéral prévue à la fin de l’année prochaine?
C’est une question que l’on me pose souvent et à laquelle je ne réponds jamais. Je fais mon travail et ne souhaite pas être toujours en campagne.

Avez-vous toujours du plaisir à faire votre travail en dépit des nombreuses attaques?
Si ce n’était pas le cas, je ne serais plus ici! J’ai du plaisir à me battre pour les valeurs de la Suisse, et la critique est indissociable de ma fonction, en dépit des attaques que je subis tous les jours.


«Impossible n’est pas Suisse!»

Après le vote sur l’immigration massive, Eveline Widmer-Schlumpf soutient une reprise du dialogue avec l’union européenne.

Votre mission à Bruxelles devient-elle impossible?
Non. Impossible n’est pas suisse! Le dialogue avec Bruxelles n’est pas rompu.

Pensez-vous qu’il sera encore envisageable de négocier un accès aux marchés financiers après ce vote de défiance face à l’UE?
Oui. Nous ne sommes pas en train de négocier un accord bilatéral sur les marchés financiers. Il est important que la Suisse continue à s’engager auprès de l’UE pour que les pays européens ne restreignent pas l’accès à leurs marchés. Les discussions actuelles au sein de l’UE vont dans la bonne direction.

La Suisse est-elle condamnée à faire des concessions sans contrepartie désormais?
Non. La Suisse doit expliquer à son partenaire européen la dynamique politique liée aux effets d’une votation populaire.


Eveline Widmer-Schlumpf

1956 Naissance à Coire.
1981 Licence en droit à l’Université de Zurich.
1991 Première femme présidente du Tribunal de Trins.
1998 Conseillère d’Etat du canton des Grisons.
2007 Election au Conseil fédéral.

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L’union n’a rien à gagner en se montrant compréhensive

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:56

Réaction.Le correspondant du quotidien français «Libération» à Bruxelles commente sans ménagement le vote «suicidaire» des Suisses.

Jean Quatremer

Qui peut contester le droit de la Suisse d’envoyer promener l’Union européenne? Personne et il ne viendrait à l’idée de personne de le faire. Les citoyens suisses ont parfaitement le droit de se désengager des traités internationaux qu’ils ont signés, que ce soit les accords bilatéraux conclus avec l’Union, la charte de l’ONU ou la Convention européenne des droits de l’homme. Ils sont libres d’expulser les délinquants étrangers, libres d’interdire la construction de minarets, libres de maintenir le secret bancaire, ou libres d’interdire aux femmes de voter s’ils leur prenaient l’envie de revenir sur cette conquête récente. La souveraineté de la Suisse n’est pas un sujet de débat.

Valeurs fondamentales. Mais ce qui est vrai pour la Suisse l’est évidemment aussi pour l’Union et pour les Etats qui la composent. En clair, nous sommes tout aussi libres que la Suisse de décider des conséquences pour l’avenir de nos relations de la votation de dimanche. Et celles-ci seront désagréables pour la Confédération, ne nous le cachons pas. La Suisse s’est, en effet, attaquée à l’une des valeurs fondamentales de l’Union qu’elle a faite sienne en 2000 (par 67,2% de oui), la libre circulation qui implique pour tout citoyen le droit de chercher un travail dans un autre pays, de s’y installer et d’y faire venir sa famille.

L’Union avait pressenti qu’un jour ce principe pourrait être remis en cause par les forces populistes à l’œuvre en Suisse, d’où la «clause guillotine» introduite dans les accords bilatéraux: si un accord n’est pas respecté, c’est l’ensemble du paquet qui tombe. Le message est d’une simplicité biblique: on ne peut vouloir exporter librement ses marchandises, ses capitaux, ses services et refuser les hommes. Certes, me direz-vous, l’Union signe des accords de libre-échange avec le reste de la planète, accords qui ne prévoient nullement la libre circulation des travailleurs. Mais aucun d’entre eux ne va aussi loin que ce qui a été accordé à la Suisse devenue un véritable Etat membre fantôme de l’Union. Sa position géographique explique en grande partie ce traitement préférentiel.

Il ne faut cependant pas perdre de vue qu’il a été accordé à la Suisse à sa demande. Pour le dire très brutalement, la puissance, ici, c’est l’Union et non une confédération enclavée qui effectue 60% de ses échanges avec elle. «La Suisse toute seule ne représente pas une puissance économique considérable», a ainsi lâché Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française. Son collègue allemand, Frank-Walter Steinmeier, a surenchéri en soulignant que c’est la Confédération qui sera «pénalisée en premier lieu» d’un rafraîchissement des relations bilatérales, car elle «bénéficie économiquement de son image de pays au cœur de l’Europe et ouvert sur le monde». La menace est limpide: vous ne voulez plus de nos citoyens? Vous pouvez oublier les relations privilégiées que nous avons nouées avec vous et votre économie va en pâtir.

Changer d’avis au rythme des votations. C’est là où ce vote de repli sur soi apparaît dans sa dimension suicidaire, puisque le «miracle» suisse tient en grande partie à l’ouverture totale des frontières avec l’Union qui a suivi la mise en œuvre des accords bilatéraux. Le taux de chômage en Suisse, en dépit d’un afflux impressionnant de travailleurs européens (mais le Luxembourg fait bien mieux) est l’un des plus bas du monde développé et, rappelons-le, aucun citoyen européen ne peut s’installer en Suisse s’il n’a pas un travail: en clair, personne ne vole le pain des Suisses et les Européens ne sont pas une charge pour le pays, bien au contraire.

Sans cette main-d’œuvre que nous avons formée, les entreprises suisses auraient du mal à produire et à rester compétitives. Cerise sur le gâteau: on ne peut pas dire que ces travailleurs qualifiés, culturellement proches des Suisses, vont peupler des banlieues difficiles. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les centres urbains, romands ou alémaniques, là où vivent ces populations immigrées, ont voté contre l’initiative de l’UDC.

Il n’y a donc aucune raison que l’Union, en position de force dans cette affaire, laisse la Suisse faire du cherry picking, c’est-à-dire choisir les politiques qui lui plaisent, et changer d’avis au rythme des votations. Il en va de ses principes fondamentaux. Cette intransigeance prévisible est renforcée par sa situation politique intérieure: se résigner à ce que la Suisse torpille l’un de ses principes fondamentaux donnerait des idées à d’autres pays tentés par une Europe à la carte, la Grande-Bretagne pour ne pas la citer. Dit autrement, la Suisse n’a rien à offrir à l’Union en compensation et cette dernière n’a rien à gagner en se montrant compréhensive à l’égard d’un pays qui ne respecte pas ses engagements.

Il va donc falloir que la Confédération choisisse entre l’isolement et le maintien dans un marché unique qui lui a été très profitable. Les 50,3% de Suisses qui ont voté pour l’initiative de l’UDC peuvent en rêver, mais ils n’auront pas le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.


Jean Quatremer

Né en 1957 à Nancy, correspondant de Libération à Bruxelles. Son blog Coulisses de Bruxelles est riche en analyses aussi précises que mordantes sur les enjeux de l’Union européenne.

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Maurer à Bruxelles

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:57

Conseil fédéral.A Berne, on réfléchit aux moyens de mettre l’UDC devant ses responsabilités et à l’impliquer davantage dans les négociations.

Comment mettre l’UDC devant ses responsabilités? Comment éviter que l’UDC ne discrédite dans quelques mois tout résultat de renégociation avec l’UE obtenu par Didier Burkhalter et ses diplomates?

Après l’accablement de dimanche soir, une idée, lancée notamment par le conseiller national Roger Nordmann (PS/VS), fait son chemin au Palais fédéral: confier la négociation à Ueli Maurer, seul représentant du parti vainqueur au gouvernement, en le plaçant à la tête du Département des affaires étrangères.

Un gag? Pour ce faire, le Conseil fédéral peut décider d’une rocade entre départements, au besoin par un vote contraignant Maurer à accepter ce changement, comme naguère Adolf Ogi avait été obligé d’abandonner les Transports pour l’Armée.

Un gag? Dans les hautes sphères fédérales, il y a bien quelques doutes sur ce que cela amènerait car le ministre UDC ne connaît pas ces dossiers, lui qui a pris grand soin de ne pas mettre un orteil à Bruxelles pendant toute son année de présidence. Mais cela permettrait, souligne-t-on, qu’il se rende compte – et avec lui l’UDC – des difficultés concrètes dans les négociations, «qu’on ne peut pas se contenter de dire “ya ka”».

Par la suite, Maurer devrait soit assumer que l’initiative est inapplicable faute de volonté de négocier de l’UE, soit que le prix de son application est exorbitant en regard des avantages dont jouissait le pays jusqu’au 9 février dernier. Il serait acculé à admettre que l’UDC a menti sur la possibilité de restaurer sans fracas le contingentement de la main-d’œuvre étrangère ou reconnaître que la volonté populaire ne pourra être respectée.

Donc mettre Maurer à la place de Burkhalter. Ou pourquoi pas de Simonetta Sommaruga ou de Johann Schneider-Ammann, autres coresponsables du dossier Suisse-UE? Ces variantes auraient pour avantage de ne pas toucher au Neuchâtelois en pleine année de présidence de la Confédération et de l’OSCE.

Blocher, ambassadeur spécial. Elles s’inscrivent dans la droite ligne de la suggestion émise dès dimanche soir par le PLR: envoyer carrément Christoph Blocher discuter à Bruxelles en lui conférant un titre de secrétaire d’Etat. Difficilement réalisable, il faudrait qu’il démissionne du Parlement, a rétorqué Burkhalter. Il existe pourtant une possibilité plus informelle de le confronter aux réalités bruxelloises, le nommer envoyé ou conseiller spécial, comme le fait de temps à autre le gouvernement lorsqu’il délègue à certains anciens ministres des tâches de représentation.

Sur Teleblocher, le principal intéressé s’est défilé: «On ne peut pas jeter quelqu’un du Conseil fédéral et lui dire après que c’est à lui d’agir.»

Dans les couloirs bernois, une autre piste prend forme: incorporer Maurer à la délégation de trois personnes du Conseil fédéral chargée de s’arranger avec l’UE. On ne bousculerait ainsi aucun ministre, tout en associant l’UDC.

«Institutionnellement, précise un haut fonctionnaire, ce ne sont en principe pas les conseillers fédéraux qui négocient mais bien les représentants des gouvernements. Soit le secrétaire d’Etat, mais aussi des directeurs d’office, des secrétaires généraux, des ambassadeurs.»

Les conseillers fédéraux sont informés de l’évolution des négociations, ils sont appelés à trancher les points politiques, ou élargir le mandat de négociation initial. La conduite de la politique étrangère est de la responsabilité de l’ensemble du collège. Le défi consistera pour ses collègues à obliger Maurer à s’impliquer dans le dossier, et pas seulement à signifier son opposition.

La pression sur le collège va monter d’un cran. Didier Burkhalter, Simonetta Sommaruga, Doris Leuthard, Johann Schneider-Ammann et Eveline Widmer-Schlumpf qui sont au front pour négocier les dossiers bilatéraux, mais aussi Alain Berset, dont on connaît l’intérêt naturel pour la politique étrangère, jouent leur destin personnel dans la résolution de la crise ouverte par le vote du 9 février.

Seul jusqu’ici Ueli Maurer pouvait se permettre de snober Bruxelles, la Défense étant un des rares secteurs non coordonnés entre la Suisse et l’UE, puisque en rien attaché au grand marché européen.

C’est à ce mépris de l’un des leurs pour un enjeu crucial que les six autres doivent trouver le moyen de mettre fin.

Collaboration Catherine Bellini

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Peter Schneider / Keystone
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Quatre scénarios d’avenir

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:58

Prospective.L’heure est grave. Didier Burkhalter, qui rêvait de «rénover» la voie bilatérale, est condamné à devoir la sauver.

C’est une crise majeure que celle qui a éclaté entre la Suisse et l’Union européenne (UE) après le oui du peuple suisse à l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse». Pour le ministre des Affaires étrangères Didier Burkhalter, la «rénovation» de la voie bilatérale prend soudain l’allure dramatique d’une opération de sauvetage, ni plus ni moins. Si tant est qu’elle ait repris le contrôle de son immigration, la Suisse a en tout cas perdu la maîtrise de sa politique européenne, qui dépend désormais du bon vouloir de Bruxelles. L’Hebdo esquisse les principaux scénarios du futur.

01. L’enlisement

Dans les couloirs de Berlaymont, au siège de la Commission européenne, la menace qui plane sur la Suisse claque en trois mots: «mini-clause guillotine». Dont les premières victimes seraient les chercheurs et les étudiants.

La vraie clause guillotine, c’est cette épée de Damoclès imaginée lors du premier paquet de sept accords bilatéraux pour inciter Berne et Bruxelles à les respecter. Si l’une des parties dénonce l’un des accords, l’autre a la possibilité de déclarer caducs tous les autres. C’est ce que risque la Suisse, obligée de violer l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) à la suite du vote de ce week-end.

Cette sanction ultime, l’UE ne va pas y recourir avant de savoir comment la Suisse compte mettre en œuvre l’initiative. En revanche, elle peut geler les dossiers en cours. En principe, Bruxelles aurait dû approuver son mandat de négociation sur la question institutionnelle cette semaine. Cela ne sera certainement pas le cas. Pire encore: Bruxelles peut suspendre la reconduction de la participation suisse à deux programmes cruciaux pour les chercheurs et les étudiants: Horizon 2000 et Erasmus plus. Ce serait le scénario catastrophe pour la place scientifique suisse et pour les hautes écoles.

Ce n’est encore qu’une menace proférée sous le coup du dépit. Ce qui est sûr en revanche, c’est que le vote du 9 février marque un coup d’arrêt dans l’approfondissement des relations Suisse-UE. «Il faudra près de dix ans pour qu’un nouveau paquet d’accords avec l’UE soit ratifié, compte tenu du fait que la Suisse n’est pas un pays prioritaire pour elle», pronostique l’ancien ambassadeur Luzius Wasescha.

02. L’arrangement

Réunis les 10 et 11 février à Bruxelles – pour parler avant tout de l’Ukraine –, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont pourtant été assaillis de questions sur le vote suisse. «Pas question de laisser passer une votation comme celle-là», a déclaré le Belge Didier Reynders, tandis que l’Allemand Frank-Walter Steinmeier s’est montré plus sarcastique: «La Suisse se fait avant tout du tort à elle-même.»

Plus ou moins musclées, ces réactions ne doivent pas faire oublier que les deux partenaires, qui ont passé 120 accords entre eux, ont tissé des liens très étroits. L’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) permet à 1,2 million d’Européens de vivre en Suisse, tandis que 435 000 Confédérés se sont établis dans un pays de l’UE, qui affiche une balance commerciale favorable de 40 milliards de francs avec notre pays.

La raison impose donc de trouver des solutions gagnant-gagnant et d’engager, malgré la tempête actuelle, des négociations pour résoudre la question institutionnelle. Mais aussi pour mettre enfin sous toit un accord sur l’énergie profitable aux deux parties, régler le différend des régimes fiscaux cantonaux, assurer la participation de la Suisse au programme de recherche Horizon 2020 et s’accorder sur le paiement d’un nouveau milliard de francs par la Suisse aux nouveaux pays membres de l’UE.Signer des chèques pour amadouer certaines réticences de l’UE? La méthode n’est pas glorieuse, mais elle a déjà fait ses preuves.

Déjà difficile avant le 9 février, la nouvelle mission de Didier Burkhalter apparaît presque impossible. Il n’est pourtant pas exclu que l’UE approuve elle aussi un mandat de négociation dans ce but, une fois que sa mauvaise humeur se sera dissipée. «Ne serait-ce que pour mettre la Suisse face à ses contradictions», confie un diplomate européen.

Un scénario se dessine qui permettrait au Conseil fédéral de reprendre la main: lier dans un même paquet soumis au peuple suisse la libre circulation avec la Croatie (dans le cadre des nouveaux plafonds à l’immigration, définis par ailleurs), de nouvelles mesures d’accompagnement et une question sur la résiliation des accords bilatéraux.

Ce serait une possibilité de corriger le vote serré de ce week-end en posant la question de fond frontalement (puisque l’UDC prétend ne pas vouloir casser la voie bilatérale), tout en donnant un gage de bonne volonté à l’UE. Dernier avantage d’un tel paquet: rassurer les Suisses inquiets.

03. La mort de la voie bilatérale

Il faut bien en convenir. Le clash entre Berne et Bruxelles est programmé. Au plus tard durant le second semestre de cette année, lorsque la Suisse devra interrompre le processus de ratification de l’extension de l’ALCP à la Croatie. L’initiative de l’UDC, en modifiant l’article 121 de la Constitution sur la législation des étrangers, impose qu’«aucun traité international contraire à cet article ne sera conclu».

En ne ratifiant pas cet accord, la Suisse discriminera l’un des Etats membres, forçant à dénoncer l’ALCP. Ce d’autant plus que deux autres notions introduites par l’initiative, la limitation du regroupement familial et la préférence nationale, sont absolument incompatibles avec le principe de la libre circulation des personnes, sacro-saint à Bruxelles.

Ce serait la mort de la voie bilatérale. Ou, comme le formule le professeur de l’Université de Genève René Schwok, l’évolution vers des «bilatérales moins», opposées aux «bilatérales +» dont rêvait Didier Burkhalter. Prochain démantèlement probable: la dénonciation de la participation à l’espace Schengen, très liée à l’ALCP.

04. L’adhésion à l’UE

A terme, pas besoin d’être grand clerc pour prédire un lent déclin de la prospérité helvétique. Cela incitera-t-il le Conseil fédéral à réévaluer sérieusement l’option d’une adhésion à l’UE, qui permettrait à la Suisse d’entrer par la grande porte dans la communauté? Pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour. Il ne reste guère que le PS – sans trop y croire – et le Nouveau mouvement européen suisse (Nomes) pour la prôner. Ironie de l’histoire: ce mouvement, dont les effectifs étaient en net recul ces dernières années, a gagné près de 100 membres depuis le 9 février!

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Pourquoi L’arme de destruction massive de l’UDC a explosé

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:59

Analyse.Le parti, qui proposait de limiter l’immigration, a surtout saboté les accords bilatéraux avec l’Union européenne. Les racines de ce gâchis sont anciennes. Flash-back historique.

Le chiffre claque comme dans un mauvais rêve: 50,3% des Suisses ont accepté l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse». Ce 50,3%, qui va casser l’essor économique romand en mettant en péril les accords avec l’Union européenne qui l’ont favorisé, c’est exactement le même que celui qui avait sonné le glas de l’Espace économique européen (EEE) en 1992. Troublant: à plus de vingt et un ans de distance, les Romands se voient privés de leurs perspectives d’avenir par un couperet de rigoureuse même taille.

Un dimanche «blanc». Le 6 décembre 1992, l’écart entre partisans de l’ouverture et opposants était de 23 836 voix. Ce dimanche, il était de 19 526: la population de Carouge ou de Renens. Alors que dans la campagne il a beaucoup été question de celle de Saint-Gall (pas loin de 80 000), équivalente à l’immigration annuelle maximale due au régime de libre circulation des personnes en vigueur depuis 2002.

Un second «dimanche noir» pour les Romands minorisés, même si le fossé ville-campagne recouvre le Röstigraben traditionnellement calé sur la frontière des langues. Ou un dimanche «blanc», comme le dit l’avocat Philippe Kenel (voir son blog sur www.hebdo.ch), tant le pays tout entier se retrouve plongé dans un de ces jours de ciel bas où les skieurs ne distinguent qu’à grand-peine la piste à emprunter.

Comment est-on arrivé à ce gâchis? Comment, par un vote quasi fortuit au résultat aléatoire, a-t-on pu saborder la voie bilatérale, que les initiants prétendent, soudain gênés par leur petite victoire aux points, ne pas vouloir remettre en question? Comment un vote d’essence nationaliste nous met-il à la merci de la bonne ou mauvaise volonté de Bruxelles?

Dans la ligne temporelle, on peut d’abord pointer du doigt les derniers jours de campagne: l’affaire de l’«offshore Bundesrat» Schneider-Ammann, les déclarations maladroites de l’ancienne conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey sur la nécessité de l’adhésion.

Plus en amont, à la mi-janvier, il y eut l’avertissement cinglant de la commissaire européenne Viviane Reding, qui a très mal passé en Suisse alémanique, sur la non-négociabilité de la libre circulation, ou la déclaration de soutien de Rudolf Strahm, ancien conseiller national socialiste, à l’initiative «parce qu’il est nécessaire d’infliger une défaite au Conseil fédéral qui ne prend pas en compte les dangers de l’immigration massive».

Défiance envers le Conseil fédéral. Critiqué également depuis dimanche, le discours ambigu trop longtemps martelé par le président du Parti socialiste Christian Levrat articulant un soutien conditionnel à la libre circulation avec la Croatie, alors que son homologue libéral-radical Philipp Müller exprimait dans la presse sa défiance envers le Conseil fédéral et sa capacité de juguler les flux migratoires et leurs effets.

Mais c’est peut-être à un passé plus lointain encore qu’il faut remonter pour comprendre comment la tragédie s’est nouée, inexorablement, sans que les principaux protagonistes ne puissent plus arrêter le cours du destin.

Galvaniser les troupes. Remontons en 2007, année d’élections fédérales: l’UDC qui a obtenu en 2003 ce qu’elle voulait de longue date – placer Christoph Blocher au gouvernement – se cherche un thème pour galvaniser ses troupes. Ce sera les moutons noirs ou plutôt l’initiative «pour l’expulsion des criminels étrangers». Plus de 210 000 signatures sont récoltées en sept mois, l’UDC engrange un score canon de 29% des suffrages pour le Conseil national, mais ne voit pas arriver la destitution de son leader.

En 2009, divine surprise pour l’UDC qui l’a soutenue, l’interdiction des minarets, mollement combattue par la classe politico-économique, recueille la double majorité du peuple et des cantons. Ce vote symbolique annonce le succès du texte sur le renvoi l’année suivante, approuvé par 52,3% des votants et 15,5 cantons.

Arrive 2011, nouveau millésime d’élections fédérales. On ne change pas une tactique qui gagne. Après avoir beaucoup ferraillé contre les requérants d’asile, l’UDC réoriente sans vergogne son laser xénophobe sur les immigrants classiques. Pour mobiliser les militants autour de la reconquête d’un second siège au Conseil fédéral, l’arme sera donc l’initiative «Contre l’immigration de masse»; 135 000 signatures récoltées en six mois, mais un résultat électoral de 26,6% en deçà de ses espérances.

Inculture européenne. Telle une torpille dont on perd le contrôle, le texte, décrié par tous les autres partis, suit alors son chemin dans le pipeline législatif de manière très formelle, sans que l’on prenne beaucoup de temps au Parlement pour discuter de la manière dont serait appliqué le contingentement ni de ses incidences potentiellement fatales sur les autres accords conclus avec l’Union européenne (UE).

A Berne, l’inculture en matière de politique européenne atteint des sommets. La méconnaissance des fonctionnements et des logiques qui constituent le gremium des 28 est abyssale. Sous la Coupole, on n’aime guère évoquer les enjeux européens. Depuis que, en octobre 2005, le Conseil fédéral a déclassé le statut de la demande d’adhésion de «but stratégique» en «option» parmi d’autres, ceux qui se risquent à la moindre allusion sont moqués. Le sujet est considéré comme peu porteur électoralement. Il est vrai qu’il a été tabouisé, non seulement à cause des attaques de l’UDC, mais plus insidieusement par la sacralisation de la voie bilatérale qui constitue le bilan de Micheline Calmy-Rey à la tête du Département des affaires étrangères. «Les bilatérales, sinon rien», tel est le plus petit dénominateur commun qui s’est imposé à tous partis gouvernementaux, hors l’UDC.

Baraka et croyance. Par cinq fois depuis 2000, les Suisses ont donc confirmé la poursuite de la voie bilatérale. Personne n’imagine sérieusement, ou même au titre d’hypothèse intellectuelle, que ce substitut à l’EEE et à l’adhésion pourrait être remis en question par une majorité du peuple. Le pays va bien économiquement, il le doit aux accords bilatéraux qui le connectent avantageusement au marché européen.

Le Parti socialiste sent pourtant monter une certaine grogne contre la libre circulation, il réclame en vain de nouvelles mesures d’accompagnement et des correctifs sur le marché du logement. Mais le Conseil fédéral et la majorité de droite du Parlement veulent croire en leur baraka.

Malgré la récente avalanche d’initiatives populaires au contenu problématique, la classe politico-économique cultive une croyance ancestrale, liée à sa foi dans la démocratie directe: «A la fin, le peuple suisse se montre toujours raisonnable.»

Les signes avant-coureurs de la débâcle du 9 février ne sont pas pris au sérieux. En moins de cinq ans, dans une sorte de pulsion jubilatoire, une majorité de citoyens a envoyé promener les musulmans (minarets), puis les patrons (Minder). Pendre l’Europe et ses eurocrates au tableau de chasse avait quelque chose d’irrésistible.

Et de passablement commun: l’«eurobashing» de la majorité du peuple suisse est totalement en phase avec l’euroscepticisme qui devrait s’exprimer lors les élections européennes de mai prochain.
Qui aurait pu s’élever pour inverser la tendance? Le Conseil fédéral a fait campagne de manière intense mais convenue. Plus inédits, des conseillers d’Etat, surtout en Suisse romande, se sont mouillés pour défendre le bilan globalement positif de la libre circulation.

Presse ambiguë. La presse, surtout outre-Sarine, mais pas seulement, a été plus ambiguë. Beaucoup d’éditorialistes ont prôné le non, mais les thématiques soulevées par l’UDC ont été amplement traitées sur un mode dramatique, sans que les conséquences d’un oui soient investiguées avec la même saine curiosité.

Les antiennes de l’UDC sur «les trains bondés» et «l’accueil chaque année d’une population équivalente à la ville de Saint-Gall», forcément «insupportable», «la croissance qui ne profite pas aux Suisses» se sont mises à tourner en boucle. Dès lors, pour les adversaires du texte, il est devenu de plus en plus difficile de contester le médicament quand le diagnostic n’était pas contesté.

Les meilleurs arguments contre l’initiative relevaient des conséquences économiques qu’elle risquait d’entraîner. Les patrons auraient dû donner de la voix. On ne les a guère vus au front: les grands sont trop discrédités par les campagnes sur les initiatives Minder et 1:12, les petits, utilisés dans les encarts publicitaires, jouissaient d’une notoriété trop régionale pour impressionner. Les organisations patronales se sont bien mobilisées, mais une conférence de presse ne suffit décidément pas pour emporter une campagne.

Jamais d’ailleurs, les organisations patronales n’ont été aussi faibles dans l’histoire suisse. Bousculées par de précédents échecs en votation, elles comptent beaucoup de nouveaux venus, peut-être prometteurs à terme, mais encore trop inexpérimentés pour mener une offensive si cruciale.

Le vote du 9 février déboule ainsi comme une avalanche déclenchée par des randonneurs hors piste, inconscients des risques qu’ils font courir aux skieurs en contrebas. La Suisse qui crée des richesses se voit privée des conditions-cadres qui lui ont permis de les générer, et de financer la péréquation financière, par une ribambelle de cantons qui en profitent (voir les infographies en page 13).

Responsabilité engagée. Leur courte victoire gêne jusqu’aux initiants, qui n’y croyaient pas eux-mêmes, plus soucieux qu’ils étaient de faire du bruit que de régler réellement les problèmes montés en épingle dans leur argumentaire. Leur responsabilité est engagée.

L’arme électorale de 2011 risque de se retourner contre eux en 2015. Toute baisse de performance de l’économie suisse, toute annonce de licenciements ou de délocalisation seront désormais impitoyablement imputées à l’UDC. Déjà, le plus grand parti de Suisse s’est aliéné les jeunes générations qui découvrent que la manœuvre anti-immigration pourrait se retourner d’abord contre elles, les privant d’accès au programme Erasmus et de collaboration avec les chercheurs du continent.

Collaboration Michel Guillaume


La Suisse face à l’Union De 1992 à 2015
Une peur croissante du rapprochement

20 mai 1992 Le Conseil fédéral décide de déposer une demande d’adhésion de la Suisse à l’UE.
6 décembre 1992 Le peuple rejette l’Espace économique européen (EEE).
1992-1998 Le Conseil fédéral négocie un premier paquet d’accords bilatéraux en conservant l’adhésion comme but stratégique.
21 juin 1999 La Suisse signe le premier paquet d’accords bilatéraux avec l’UE (libre circulation des personnes, marchés publics, transports terrestres, etc.). Le peuple les approuve le 21 mai 2000.
19 mai 2004 La Suisse signe avec l’UE un deuxième paquet d’accords bilatéraux (fiscalité de l’épargne et Schengen-Dublin).
Octobre 2005 Le Conseil fédéral déclasse le statut de la demande d’adhésion, qui n’est plus un but stratégique, mais une simple option parmi d’autres.
9 février 2014 En disant oui à l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse», le peuple suisse remet en question la voie bilatérale.
2015 La Suisse pourrait fermer la parenthèse de la voie bilatérale pour envisager un simple partenariat privilégié avec l’UE, à l’image d’autres Etats tiers, comme Israël.

 

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