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Suisse-Europe: l’essor romand torpillé

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 06:00

Contrecoup.Le rejet de l’immigration de masse par une majorité du peuple alarme les milieux économiques. Mais certains patrons restent néanmoins sereins.

Texte Yves Genier et Philippe Le Bé
Illustrations originales Bénédicte

Ce dimanche après-midi de votations, Bernard Nicod exulte. Le résultat des urnes penche en sa faveur, il pourra construire sa tour de 117 mètres de haut sur le territoire de Chavannes-près-Renens. Les électeurs de cette commune de la banlieue lausannoise acceptent cette affirmation architecturale et urbanistique du dynamisme économique de l’arc lémanique.

Et si cette construction marquait la fin de cet âge d’or? L’édification de tours spectaculaires a souvent coïncidé avec les krachs et autres retournements brutaux de conjoncture. Destinée à symboliser l’essor de Dubaï, la tour Burj Khalifa, la plus haute du monde avec 828 mètres, a été inaugurée en pleine déconfiture financière de l’émirat du Golfe, dont il peine aujourd’hui à se remettre.

Les inquiétudes de Bernard Nicod n’atteignent pas cet extrême, de loin pas. Mais il est inquiet. Contingenter l’immigration de masse, «c’est une mauvaise idée», qui ouvre une longue phase d’incertitudes sur la nature de la politique d’immigration et sur la qualité des relations avec l’Union européenne. Or, comme le rappelle l’entrepreneur et parlementaire zurichois Ruedi Noser, «l’incertitude, c’est le poison de l’économie». Signe de l’inquiétude patronale au lendemain du vote, la chasse aux autorisations d’embaucher des étrangers a déjà débuté, comme le témoigne le conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet: «J’ai eu des contacts avec des entrepreneurs qui se demandent s’ils peuvent, par exemple, réserver dès maintenant un certain nombre de permis.»

Danger de tarissement. Confronté à l’inconnu, un entrepreneur a tendance à reporter ses projets, ses investissements et donc les créations d’emplois qui en découlent. Et quand beaucoup de patrons agissent ainsi, il s’ensuit un ralentissement de la croissance, que Credit Suisse estime à 0,3% au niveau national dès l’an prochain. Pour limiter les dégâts, une seule solution: «Il va falloir que nous rassurions les investisseurs», soupire Bernard Nicod.

Ce coup de frein, c’est dans les régions les plus dynamiques du pays qu’il risque d’être le plus durement ressenti. «L’UDC a tiré une balle dans le pied de l’économie suisse en général et de l’arc lémanique en particulier», déplore Pierre Maudet. Cette dernière région doit une large part de son essor au rayonnement de ses centres de recherche universitaires, à commencer par l’EPFL, et à l’implantation d’entreprises à haute valeur ajoutée depuis une quinzaine d’années. Or, manque de chance lié au calendrier, les programmes d’échanges académiques avec l’UE sont déjà menacés, premières victimes du vote de dimanche.

De plus, ces centres de recherche, ces multinationales ne conçoivent pas leur développement sans un accès quasi illimité à un bassin de «main-d’œuvre hautement qualifiée et multiculturelle», à commencer par celui de l’Union européenne, comme le rappelle Frédérique Reeb-Landry, présidente du Groupement des entreprises multinationales (GEM) à Genève.

Dans le secteur des pharmas, le recrutement ne devrait pas poser trop de problèmes, hormis des contraintes administratives supplémentaires. C’est en tout cas le point de vue de Bertrand Ducrey, directeur général du groupe international Debiopharm, dont le siège est à Lausanne, et qui emploie 350 collaborateurs en Suisse: «Si nous avons besoin d’une expertise très pointue, nous pouvons aisément l’expliquer aux autorités communales et cantonales avec lesquelles le dialogue est aisé. Encore faut-il que le spécialiste recherché soit autorisé à venir en Suisse avec sa famille, ce qui est un prérequis.»

En revanche, ajoute Bertrand Ducrey, si les fonds de recherche européens Horizon 2020 mis à disposition des milieux académiques et scientifiques faisaient défaut (lire l’interview de Patrick Aebischer en page 40), «cela aurait des conséquences négatives. Et ce qui n’est pas bon pour la communauté romande de la Health Valley ne l’est pas non plus pour nous, mais de manière indirecte.»

«De sérieuses difficultés». Le questionnement quant à l’avenir torture aussi les entreprises qui ont l’intention de s’installer en Suisse: «Certaines d’entre elles nous ont appelés. Elles s’interrogent sur les conséquences de la votation, elles se demandent si c’est une bonne idée de venir investir chez nous», témoigne Philippe Monnier, directeur du Greater Geneva Berne Area (GGBa), l’organe de promotion économique des cantons occidentaux.

Ces grandes entreprises étrangères ne tournent pas en vase clos, mais alimentent tout un univers de petites et moyennes entreprises (PME) sous-traitantes qui constituent le cœur du tissu industriel du pays. Or, si les instituts de recherche, si les multinationales ralentissent leurs activités en Suisse, «cela signifierait la perte de gros contrats et de sérieuses difficultés économiques» pour les PME, redoute Ruedi Noser.

S’il y a bien une activité de pointe qui se trouve fragilisée par le vote de dimanche, c’est le négoce de matières premières. Contribuant déjà à 3,4% de la création de richesse nationale, très concentré à Genève (avec environ 15% du PIB cantonal), Zoug et Lugano, il est un gros consommateur de cadres et d’employés qualifiés venus de l’étranger. Un domaine où la Suisse est en concurrence exacerbée avec Londres et Luxembourg. «Le vote ajoute de l’incertitude à une situation déjà pas facile», témoigne un professionnel de cette industrie dans la Cité de Calvin.

Le moment tombe d’autant plus mal que le secteur ne sait pas encore à quelle sauce fiscale il sera mangé ces prochaines années. Par quoi seront remplacés les statuts fiscaux spéciaux qui ont permis des niveaux de taxation très avantageux, et que la Suisse doit abandonner à la suite des pressions internationales? Cette interrogation pèse lourd au lendemain du vote: «Vous n’imaginez pas le nombre d’appels que j’ai reçus de pays anglo-saxons après l’annonce du résultat», relève le professionnel du trading.

Outre les difficultés de recrutement de spécialistes non suisses, les banquiers redoutent aussi une fermeture accrue de l’Union européenne à leurs activités. Par conséquent, c’est directement dans les pays de l’Union qu’ils vont développer leur présence et créer des emplois, souvent hautement qualifiés. «L’évidence, c’est qu’on ne choisira plus la Suisse comme base de départ pour partir à la conquête de l’Europe», soupire Michel Juvet, associé de l’établissement privé Bordier & Cie à Genève.

Cette nécessité est même reconnue par la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, qui précise à L’Hebdo: «Il est important que la Suisse continue à s’engager auprès de l’UE pour que les pays européens ne restreignent pas l’accès à leurs marchés» (lire son interview en page 24).
Le sentiment de gravité de la situation n’est pas identiquement partagé par tous. Ainsi, les nouvelles limitations à l’immigration, «c’est le cadet des soucis de la place financière, qui a des urgences bien plus pressantes», estime Carlo Lombardini, avocat proche des banques. Par exemple: le règlement du passé avec les Etats-Unis ou encore la baisse des bénéfices.

Horlogers confiants. Le vote ne semble pas du tout inquiéter les milieux horlogers, à tout le moins les responsables des groupes les plus puissants. «C’est une opportunité, non une inquiétude», estime Nick Hayek. A ses yeux, «dans les négociations, l’Union européenne et la Suisse ont autant à gagner et à perdre l’une que l’autre».

Et le directeur général de Swatch Group de rappeler que ce dernier «emploie des milliers de personnes en Allemagne, en France, en Italie et en Espagne dans le réseau de la distribution et du marketing. Les bureaucrates bruxellois voudraient-ils les pénaliser? Quant à l’industrie automobile allemande, elle a grand besoin de composants fabriqués en Suisse.»

Quid des emplois en Suisse? Jean-Claude Biver, président du pôle horloger du groupe de luxe LVMH, considère qu’aussi longtemps que l’industrie suisse sera demandeuse de main-d’œuvre les autorités répondront à ses besoins. «Je ne peux m’imaginer qu’un gouvernement suisse puisse handicaper le développement de son industrie en interdisant l’accès à des ingénieurs, des professeurs, des médecins, des infirmières. C’est impensable. En revanche, l’immigration “sans emploi” sera sans doute beaucoup plus difficile.»

Nick Hayek et Jean-Claude Biver estiment tous les deux que les Européens auraient bien tort de prendre la Suisse comme bouc émissaire et de ne pas faire le ménage chez eux. «En niant le malaise notamment suscité par l’immigration, les responsables de l’UE ouvrent la voie aux extrémistes de droite, ce qui est très dangereux», observe le patron de Swatch Group.

«Si la même question sur la limitation de l’immigration avait été posée aux Italiens, aux Espagnols ou aux Français, ils auraient peut-être voté dans le même sens que les Suisses. C’est une tendance qui se répand malheureusement et qui n’est nullement limitée à la Suisse», renchérit Jean-Claude Biver.

Et Nick Hayek de faire une proposition: «Offrons aux jeunes Européens la possibilité de venir quatre ans dans nos entreprises pour y effectuer des stages d’apprentissage, ce qu’ils ont de la peine à faire chez eux.» Et si Bruxelles répliquait «Chiche»?

Officiellement, la Suisse a trois ans pour trouver une solution à la crise qu’elle s’est provoquée elle-même. En réalité, le délai est beaucoup plus court. Pour apporter des réponses aux interrogations des entreprises, afin d’éviter qu’un vote malheureux ne brise inutilement l’un des dynamismes économiques les plus soutenus d’Europe continentale.

Collaboration Kevin Gertsch et Sou’al Hemma


«Si la conjoncture se redresse dans les pays de la zone euro, la Suisse n’aura d’autre choix, ces prochaines années, que de mendier son adhésion à l’Union européenne. Avec ce vote, l’UDC s’est tiré une balle dans le pied.»

Michel Juvet, Bordier & Cie


«Nous sommes encore sous le choc. Et la presse étrangère publie des articles très alarmistes. Certaines entreprises nous ont appelés: elles s’interrogent sur les conséquences de la votation et se demandent si c’est une bonne idée de venir investir en Suisse.»

Philippe Monnier, directeur de la promotion de Suisse occidentale


«Si nous avons besoin d’une expertise très pointue, nous pouvons aisément l’expliquer aux autorités communales et cantonales avec lesquelles le dialogue est aisé. Encore faut-il que le spécialiste recherché soit autorisé à venir en Suisse avec sa famille, ce qui est prérequis.»

Bertrand Ducrey, Debiopharm International


«Avec ce résultat, le message donné aux patrons est: attention, les Suisses ne laissent pas faire n’importe quoi. Or, ce message peut être porteur de bonnes formules, ce qui serait un plus. En revanche, s’il est synonyme de “tous les étrangers, dehors”, alors on aura de sérieux problèmes.»

Bernard Nicod, groupe Bernard Nicod


«Dans les négociations, l’Union européenne et la Suisse ont autant à gagner et à perdre l’une que l’autre. Swatch Group emploie des milliers de personnes en Allemagne, France, Italie et Espagne dans le réseau de la distribution et du marketing.

Les bureaucrates bruxellois voudraient-ils les pénaliser?»Nick Hayek, Swatch Group


«Mon entreprise est un sous-traitant de la plupart des grandes sociétés, parmi lesquelles ABB, Siemens, Roche ou encore Novartis. Le résultat de cette votation pourrait les pousser à ne plus investir en Suisse, faute d’assurance de pouvoir trouver la main-d’œuvre adéquate.»

Ruedi Noser, conseiller national (PLR/ZH), entrepreneur


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Patrick Aebischer
«La recherche est en danger»

Le président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) redoute que l’UE ne marginalise la Suisse, dont les chercheurs ont grand besoin d’un soutien européen.

Première conséquence du soutien des Suisses à l’initiative contre l’immigration massive, l’accord sur la recherche et le programme d’échange d’étudiants Erasmus pourrait être remis en cause par l’UE. Patrick Aebischer, président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, ne cache pas sa vive inquiétude. Même si le Human Brain Project de l’EPFL (projet du cerveau humain), doté d’importants fonds européens, n’est pas menacé à court terme.

Quelles sont pour la recherche les conséquences de l’adoption de l’initiative stop à l’immigration massive?
Pour la première fois, nous entrons dans une zone de grande incertitude. Comment l’Europe va-t-elle réagir? La science et la recherche seront le premier test. La Suisse doit prochainement signer Horizon 2020, le programme européen pour la recherche et le développement pour la période 2014-2020 doté d’un budget de 80 milliards d’euros. La réaction de l’UE sera déterminante. Si par malheur la Suisse devait être exclue de ce programme, les conséquences seraient sérieuses pour la recherche suisse.

Plus précisément?
Nous sommes désormais soumis au bon vouloir des Européens. N’oublions pas que si l’UE reçoit 400 millions d’euros de la Suisse en faveur de la recherche, elle lui en fournit 700 millions. Les chercheurs suisses récoltent donc plus d’argent de l’UE que la contribution helvétique.

Cette initiative rétablit les contingents. Les scientifiques seront-ils vraiment touchés?
Il est vrai que les milieux de la recherche sont généralement privilégiés dans ce domaine. Mais, encore une fois, le vrai problème est de savoir comment l’UE va réagir. Nos chercheurs sont étroitement associés aux programmes-cadres européens. 30% des fonds de re-cherche de l’EPFL proviennent de l’UE. Par ailleurs, l’EPFL reçoit un grand nombre de bourses scientifiques, les prestigieuses European Research Council Grants. Nous en avons compté quelque 80, un record qui situe notre école dans la cour des grands avec Oxford et Cambridge. Cela contribue grandement à favoriser l’attractivité des chercheurs de très haut niveau. J’ose espérer que la Suisse parviendra par des négociations très serrées à ne pas nous couper de l’UE.

Et si elle n’y parvient pas?
Alors nous devrons discuter avec nos autorités des mesures de compensation pour pallier les manques à venir. Il faudra tout faire pour limiter la casse. Par l’acceptation de cette initiative, je crains que nous ayons coupé la branche sur laquelle nous étions assis.

Lire aussi en page 40.

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Bénédicte
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Deux fois la Suisse

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Mercredi, 19 Février, 2014 - 15:47

Frank A. Meyer*

Il va de soi que cette chronique s’efforce, elle aussi, de se conformer à l’ambiance dominante au lendemain de la décision populaire, par conséquent de satisfaire au grand jeu opportuniste des médias qui se mettent à genoux devant les vainqueurs. A cette fin, c’est donc un adversaire de l’UE qui a voix au chapitre, un homme éloquent et catégorique, qui se réjouit par avance de l’échec de l’Union européenne: «Je ne crois pas à la survie de l’édifice supranational que l’on nomme Europe.»

Celui qui s’exprime ainsi est Thomas Hürlimann, écrivain magnifique et ami révéré – deux épithètes choisies sans la moindre ironie.

Pour la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), le poète a commenté comme suit le non des Suisses aux frontières ouvertes aux travailleurs de l’UE: «Pour comprendre le résultat, il faut parler du Réduit. Le Réduit était la forteresse alpine dans laquelle l’armée suisse s’était retirée pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le retrait au fond de la caverne correspond à notre mentalité de montagnards. Un équivalent de la caverne est la salle des coffres des banques à la Bahnhofstrasse de Zurich. Elias Canetti a raison, il existe quelque chose comme des symboles nationaux. Et ce que la forêt est pour les Allemands, la caverne l’est aux Suisses: c’est là-dedans que nous nous sommes désormais retirés.»

C’est quand même de la plume d’un opposant militant à Bruxelles que cette image percutante de la Suisse et des Suisses s’est échappée. Elle ne saurait donc être fausse...

Avec sa comparaison cavernicole, Thomas Hürlimann nous fait remonter loin dans l’histoire de la philosophie,à l’allégorie de la caverne de Platon, à n’en pas douter le penseur le plus influent de l’Antiquité. Son exposé, qu’il met dans la bouche de Socrate, se raconte ainsi: Dans une caverne vivent prisonniers des gens qui sont là depuis l’enfance, enchaînés de telle sorte qu’ils ne peuvent regarder que devant eux; ils ne voient jamais l’entrée de la caverne ni la lumière qui en jaillit et éclaire la paroi de la caverne. Ils ne voient que les ombres de l’activité humaine, dehors, devant la caverne; ils prennent cette vie d’ombres pour la réalité, pour la vérité. Si ces gens étaient contraints de quitter la caverne, éblouis par la lumière, ils tiendraient le monde réel pour moins réel que les ombres auxquelles ils s’étaient accoutumés.

Qu’est-ce qu’elle paraît actuelle, cette image de la Suisse!

Platon a beaucoup voyagé, il est allé au loin. En 388 av. J.-C., il s’est rendu d’Athènes à Tarente, en Italie du Sud. Il apparaît aujourd’hui qu’il est allé encore plus loin vers le nord: jusqu’à Domat/Ems, dans les Grisons. Car les ombres et les mythes suisses ont des racines profondes: si profondes – qui l’eût cru? – qu’elles plongent dans l’univers de la pensée des Grecs anciens.

Mais, au fond, est-il vrai que la Suisse se retire toute ensemble dans sa caverne comme le décrit de manière si évocatrice Thomas Hürlimann dans la FAZ?

A y regarder de plus près, la chose se présente un peu différemment. Car tout un peuple suisse rechigne à l’idée de se réfugier dans la caverne: le peuple romand. Son non du 9 février s’est exprimé clairement, pas seulement dans les villes mais aussi dans les agglomérations et même à la campagne.

Pour la Suisse romande, l’Europe est une réalité dans laquelle on vit, qu’il convient d’utiliser et de façonner, qui stimule le bien-être et l’expérience du monde, qui est seule à rendre possible une perception de soi moderne et cosmopolite. Pour la Suisse alémanique, en revanche, l’Europe est une menace qu’il s’agit de refouler et qui pousse au retrait dans la caverne du Réduit.
Oui, l’Europe contemple deux peuples suisses, deux Suisse: une Suisse des ombres sur le mur et une Suisse de la lumière au-dehors, dans le monde.

En guise d’avenant et en raison de l’émoi actuel issu du débat entre ces deux Suisse, il faut encore citer ici la phrase la plus stupide d’un bavard notoire: «Les Romands ont toujours montré une conscience nationale plus faible.»

Jusqu’ici, elle manquait, cette phrase. Elle jette une lumière éclatante sur le maître des ombres.

*Journaliste suisse établi à Berlin qui tient une chronique dans le «SonntagsBlick».

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Antje Berghaeuser
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Hebdo.ch » revue de blogs de la semaine

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:49

Blogs» Culture»
Les lumières de la vie

Les parias suisses de la berlinale

Désolé d’insister. Mais, au moment de quitter Berlin pour retourner dans la mère patrie (romande), je ne peux pas ne pas en reparler.
Frédéric maire

L’écho du résultat des votations de dimanche dernier a résonné pendant toute la semaine dans les couloirs des salles et du marché du Festival de Berlin. Tous les Suisses présents à la Berlinale en ont fait les frais. (…) Il y avait aussi les craintes plus sérieuses évoquées par certains professionnels. (…) Les plus fortes inquiétudes, ici à Berlin, étaient liées au plan MEDIA (bientôt intégré dans le nouveau mégaprogramme Europe créative) qui est, pour les gens de cinéma, le sésame essentiel de notre intégration européenne. A la façon d’Erasmus pour les étudiants, MEDIA est un programme constitué en 1991 qui, au fil des ans, est devenu indispensable au cinéma en Europe. Ce programme aide à la production, à la diffusion, à la médiation culturelle, à la préservation, aux festivals, bref il intègre toutes les facettes de la création cinématographique. Depuis 2006, après de longues négociations bilatérales, les Suisses bénéficient de plein droit de ce programme, ce qui signifie que, pour le cinéma, nous sommes membres de l’UE. Cela facilite notamment les coproductions avec d’autres partenaires européens. (…) Aujourd’hui, tout le monde craint un remake de 1992. Une nouvelle expulsion. Si l’on consulte le site du MEDIA Desk suisse, on peut y lire le message suivant: (…) «La participation à Europe créative n’est momentanément pas possible pour les candidats suisses et dépendra de l’issue des négociations entre l’Union européenne et la Suisse.» (…) Bref. Les professionnels suisses du cinéma présents à Berlin n’avaient pas le cœur à plaisanter. Ils étaient justement inquiets, et moroses. Devant sans arrêt expliquer notre système démocratique. La montée de l’UDC, le fossé Romandie, grandes villes, campagnes… Et peinant à justifier le triste résultat tessinois.


Blogs» Politique»
Ecologie et libertés

écologie et immigration: la parabole de la villa dorée

J’aurais tant aimé ne pas avoir à ouvrir ce blog par des réflexions au sujet du scrutin de dimanche dernier.
Raphaël Mahaim

Mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur. (…) Le vote du oui est un vote pluriel. Il y a indubitablement un vote purement xénophobe (…); il y a un vote d’inquiétude (…); il y a un vote anti- européen (…). Et il y a un vote prétendument «écologiste», comme en témoigne la recommandation de vote des Verts tessinois. De toutes ces composantes, c’est ce vote qui m’ébranle le plus et qui doit interpeller toutes celles et tous ceux qui se réclament de l’écologie. Pour préserver les paysages suisses et la «qualité de vie», il s’agirait donc de mettre un frein à «l’afflux de migrants» en Suisse. En apparence, quoi de plus trivial? Le territoire suisse étant exigu, il faut en limiter les sollicitations (…). Sauf que cette rengaine est non seulement une arnaque intellectuelle, mais, pire encore, une négation du projet écologiste. Une arnaque intellectuelle, car la forte augmentation de la pression sur les ressources naturelles ne résulte que très marginalement de l’accroissement démographique; elle est avant tout la conséquence des changements dans les modes de vie. La surface construite par habitant a progressé ces dernières années bien plus vite que l’accroissement démographique. (…) Mais il y a plus grave encore: invoquer la protection des paysages ou la sauvegarde d’un patrimoine menacé pour fermer les frontières (…) revient à dénier sa propre responsabilité quant à la préservation des ressources naturelles (…). Je clôture la pelouse de ma villa de 10 pièces pour éviter que les (encombrants) voisins ne viennent troubler mon luxueux confort. Ce faisant, je préserve mon petit paysage tout vert et évite de me questionner sur mon propre train de vie. Tout en profitant néanmoins gaiement d’employer de temps à autre mes (plus si encombrants) voisins pour de menus travaux peu rémunérés dans mon humble demeure – sans les loger chez moi, bien entendu, car alors cela en deviendrait de nouveau encombrant. Des banalités, tout cela, me direz-vous (…). Certes, à en croire l’ampleur du oui. Mais alors il faut s’en souvenir pour mieux relever le défi du prochain débat démocratique en matière migratoire: celui de l’initiative Ecopop. Les écologistes devront être au front (…); ils endosseront la lourde responsabilité de montrer que l’on ne défend pas l’écologie en «régulant la démographie». Ce serait à la fois un leurre et le meilleur évitement des vraies questions qui dérangent.


Blogs» Politique»
Ombres et lumières sur Palais fédéral

74% pour un nouveau vote?

Le droit d’initiative comporte de nombreux effets pervers qui ne sont jamais abordés, parce que la démocratie directe est sacralisée.
François Chérix

En particulier, le droit d’initiative organise une confusion dangereuse entre le débat de société souvent diffus et une décision politique toujours précise. Le oui du 9 février illustre magistralement ce phénomène. En fait, la proposition de l’UDC liait deux thèmes distincts: d’une part l’immigration, sur laquelle s’est focalisé le débat; d’autre part les relations de la Suisse avec l’Europe, qui sont restées à l’arrière-plan. En clair, le peuple s’est vu contraint d’opérer deux choix par un seul vote, sans même s’en rendre compte. D’une certaine manière, l’initiative de l’UDC ne respectait pas «l’unité de la matière sur le fond», même si elle restait correcte sur la forme.En tout cas, elle rendait impossible «l’unité de la volonté populaire», en obligeant les citoyens qui voulaient corriger la politique migratoire à mettre simultanément fin aux accords bilatéraux existants. Aujourd’hui, 74% des Suisses disent vouloir maintenir ces fameux accords qui viennent d’être torpillés. N’est-ce pas un appel d’une forte majorité pour l’organisation d’un vote corrigeant l’impossible équation du 9 février 2014?


Blogs» Politique»
La Suisse à dix millions d’habitants

Requiem pour une Willensnation

Les résultats comme les suites immédiates du vote du 9 février sont sans appel: politiquement, la Suisse n’existe plus.
Pierre Dessemontet

Ou plutôt, il y en a désormais trois, comme il y a deux Belgique. Cela est illustré de splendide manière sur la carte du vote sur l’initiative UDC contre l’immigration de masse, soumise au verdict populaire le 9 février dernier: elle ne montre pas une, mais trois géographies très distinctes du vote. L’aire alémanique, la principale, se casse pratiquement en deux – le oui ne l’emporte qu’à 52% – selon un très puissant clivage opposant les centres et les communes riches (…). En Suisse romande, marché politique trois fois moins important que le précédent, une lecture similaire peut être faite, avec deux déviations majeures: le oui est dix points plus bas, à 41,5%, et le clivage ville-campagne y est beaucoup moins marqué (…). La troisième Suisse, quatre fois moins nombreuse que la Suisse romande, vote complètement différemment: elle accepte à 68% l’initiative et les différences ville-campagne y sont quasiment nulles. Deux points méritent d’être relevés. Le premier, c’est que, contrairement à ce qu’on entend depuis une semaine, le clivage linguistique est au moins aussi net que le clivage ville-campagne. Le second apparaît lorsqu’on compare ce vote avec ceux qui l’ont précédé, notamment l’acceptation de la libre circulation en 2005: on découvre que, en fait, il ne s’est à peu près rien passé en Romandie et en Suisse italienne. Le résultat, la carte du vote y sont grosso modo équivalents, avec quelques petites retouches. Ce qui s’est passé le 9 février dernier s’est produit en Suisse alémanique – et en Suisse alémanique uniquement. (…) La prévalence des clivages linguistiques structure l’ensemble des consultations fédérales depuis une bonne vingtaine d’années maintenant. Tout cela, l’existence de trois espaces linguistiques aux géographies politiques profondément différentes, et évoluant de manière distincte, voire divergente, nous mène naturellement vers le constat de l’existence de trois ensembles propres qui se comportent indépendamment les uns des autres. Ce qui se passe ici n’a plus d’influence là-bas, et inversement. Or, poser ce constat, c’est en déduire immédiatement que les décisions que nous prenons en tant que pays ne sont pas le résultat de l’expression d’un débat national, mais celui de la juxtaposition de trois débats régionaux (…). Les campagnes se mènent dans trois espaces qui ne communiquent pratiquement plus entre eux. Elles aboutissent logiquement à trois résultats, qu’on amalgame ensuite en un seul, vaille que vaille: voici comment sont désormais prises les décisions dans notre pays. (…) On avait coutume de dire que la Suisse survivait à ses clivages parce qu’ils étaient multiples, se juxtaposaient et donc s’annulaient (…). Mais cette Suisse-là est bel et bien morte. Désormais, les clivages linguistiques ont pris le dessus, ils sont omniprésents, dominants, structurants. Il s’agit là d’une situation délétère, non viable à long terme pour le pays. Il ne nous reste plus qu’à recommencer à nous intéresser les uns aux autres (…). Faute de quoi (…) il est à craindre que notre pays ne s’embarque dans une dérive à la belge.

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Vincent
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«Monuments Men» Clooney fait le zorro

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:50

▼Les faits
En tournée de promotion du film Monuments Men, dans lequel il fait partie d’une brigade chargée de récupérer les œuvres d’art volées par les nazis, George Clooney a suggéré que Paris rende la Joconde à l’Italie et Londres les frises du Parthénon à Athènes.

▼Les commentaires
L’Express ironise sur ce rôle qui l’a «visiblement marqué: même après le tournage, il continue de se prendre pour un justicier de l’art». Le Figaro demande: «Alors que la Grèce bataille depuis des décennies pour le retour de la frise emportée en 1803 par Lord Elgin, George Clooney volera-t-il au secours des Grecs?» Le Nouvel Obs admire: «En quinze mots, la star hollywoodienne et égérie Nespresso s’est attiré un élan de reconnaissance au pied de l’Acropole, illustré par des pages entières consacrées par la presse grecque à cette déclaration.»

▼A suivre
Monuments Men sera dès le 12 mars sur les écrans romands.

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Thomas Peter / Reuters
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Fiscalité: échange automatique

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:51

▼Les faits
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dévoile son projet de modèle d’échange automatique d’informations fiscales entre Etats. La Suisse a participé à cette définition après s’y être opposée avec acharnement pendant des années. La question ouverte désormais: la date de l’entrée en vigueur.

▼Les commentaires
«Le problème principal est la question de la réciprocité. Pour être clair, c’est un préalable très important pour les entreprises suisses. Le problème vient des Etats-Unis. Leur régime FATCA ne permet pas cette symétrie de la circulation de l’information. Ils doivent changer cela», observe Finanz und Wirtschaft. «Berne doit insister sur le fait qu’elle ne peut pas tourner cette règle contre elle-même», ajoute la NZZ, qui précise sa pensée: «L’espoir des agents et des responsables du fisc de pouvoir exploiter ces nouveaux gisements de données doit cependant être examiné à temps. La Suisse ne pourra pas s’épargner quelques inconfortables questions.» La date probable d’entrée en vigueur reste encore ouverte. Si Eveline Widmer-Schlumpf l’estime à 2018, le président du Parti socialiste Christian Levrat la veut pour bien plus tôt. Son but déclaré: «que la Suisse introduise l’échange automatique d’ici à 2015», dit-il au Tages Anzeiger.^

▼A suivre
Les ministres des Finances de l’OCDE doivent examiner le projet à l’automne. Pour sa part, le Conseil fédéral devrait publier à la rentrée un projet de loi d’application. Quant à savoir si les autres pays ne forceront pas la Berne fédérale à accélérer son rythme, la question est ouverte.

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Olivier Hoslet / Keystone
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Italie: Matteo renzi cherche son équipe

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:52

▼Les faits
Matteo Renzi a été chargé par le président Giorgio Napolitano de former le nouveau gouvernement italien. Le chef du Parti démocrate (PD) pourrait devenir, à 39 ans, le plus jeune président du Conseil italien. Il succédera à Enrico Letta (PD), dont il a obtenu la démission le 14 février.

▼Les commentaires
La presse italienne pointe les difficultés de Renzi à reformer l’exécutif. Le chef du PD n’a pas trouvé d’accord avec son indispensable allié de droite, Angelino Alfano, vice-président du Conseil et ministre de l’Intérieur sous Letta. «Le presque président voudrait qu’Alfano lâche l’Intérieur, en conservant le prestigieux titre de vice-premier ministre, explique La Stampa. Mais Alfano s’y opposera.» Autre problème majeur: qui dirigera le ministère clé de l’Economie? «Il faut un champion avec une forte personnalité, capable d’imposer une politique industrielle qui manque au pays», assure La Repubblica. L’économiste Lucrezia Reichlin est favorite, mais elle hésite. Selon le Financial Times, les candidats aux postes ministériels seraient «réticents à entrer dans une coalition fragile sans la légitimité d’un vote populaire». «Le comportement de Renzi contredit ce qui caractérisait sa politique: attaquer quiconque ose gouverner sans mandat du peuple», note The Guardian.

▼A suivre
Pour être définitivement accepté, le gouvernement Renzi devra recevoir la confiance du Parlement.

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Remo Casili / Reuters
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Divorce à l’italienne pour un nectar

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:53

italie.En vingt ans, l’amarone, vin rouge riche de Vérone, est devenu un étincelant succès commercial. Pourtant, le syndicat des producteurs et douze grandes maisons se déchirent.

Pierre Thomas de retour de Vérone

Les querelles familiales, Vérone, la cité du nord de l’Italie lovée dans un méandre de l’Adige, en a fait son miel. La rivalité sanglante des Montaigu et des Capulet est le thème du drame de Roméo et Juliette. Les producteurs d’amarone rejouent la pièce, quatre cents ans après Shakespeare, qui s’était inspiré de contes italiens.

L’amarone, qui vient d’accéder, avec le millésime 2010, à la catégorie des meilleurs vins italiens de «dénomination d’origine contrôlée et garantie» (DOCG) est, depuis les années 90, une success story.

La Valpolicella, l’arrière-pays de Vérone, répartie en vallées sous les monts Lessini, a depuis le milieu du XIXe siècle pour spécialité un vin doux rouge, le recioto, tiré de raisins séchés en grappes suspendues à des fils ou posés sur des bambous dans des caissettes de bois.

Cette opération, qui réduit en 120 jours de 40% le poids des grappes, par dessication naturelle, et renforce d’autant le sucre et les arômes, se nomme le passerillage (appassimento en italien).

Elle est la clé de la richesse de l’amarone, de naissance aussi fortuite que récente. En 1938, à la cave coopérative de Negrar, une cuve destinée à devenir du recioto fermenta plus rapidement que prévu, donnant un vin «amer», selon le maître de chais. Ou mieux, amarone (un dérivé d’amaro…), s’exclama le patron de la coopérative.

Dès cette époque, les producteurs proposèrent en parallèle du rouge doux (le recioto) et du plus sec (l’amarone).

Mais c’est surtout ces dernières années que l’élaboration et la vente de l’amarone ont explosé. Les viticulteurs ont agrandi notablement leur vignoble, de 5000 à 7500 hectares en quinze ans. La production de l’amarone a été multipliée par cinq, passant de 2,4 millions de bouteilles en 1999 à 13,5 millions ces derniers millésimes.

Trop de vin trop bon marché. Contrôlé par les coopératives, et rassemblant aussi de petits encaveurs qui se sont mis à «faire de la bouteille», le Consorzio per la Tutela dei Vini Valpolicella présente ses vins en début d’année. L’amarone doit être élevé, pour une part en fûts, durant trois ans. Ainsi, les 25 et 26 janvier 2014, on faisait déguster le vin issu de la vendange 2010. Sauf que si l’on prend le décret au pied de la lettre, le 2011 peut déjà être mis sur le marché.

C’est là l’une des divergences qui séparent le Consorzio et le mouvement dissident Le Famiglie dell’Amarone d’Arte. Formé il y a cinq ans, il est composé de douze producteurs, dont Allegrini, Masi, Speri, Tedeschi, Tommasi et Zenato. Tous proposent pour la plupart encore du 2009.

Des frondeurs qui ont notamment pour fait d’armes d’avoir sauvé de la faillite l’un des restaurants les plus fameux de Vérone, la Bottega del Vino, au décor néogothique de 1890.

Leur discours paraît identique à celui du Consorzio, quand ils réclament un retour à de grands vins de «terroir» et de microclimats, sur la base d’une carte topographique précise. Leurs arguments se radicalisent toutefois lorsqu’ils exigent l’abandon des vignes d’amarone en plaine, soit une amputation du vignoble de 25% au moins, comme pour le barolo. Ils critiquent aussi la proportion entre l’amarone et le ripasso, son sous-produit, obtenu en refermentant sur le marc de l’amarone ou du recioto, du valpolicella sec.

Cette très vieille recette rappelle la lora, le vin des esclaves de l’Antiquité, et, en moins flatteur, la «piquette» française. Moins riche en alcool et en sucre résiduel, et donc, finalement, plus équilibré, et meilleur marché, cet «amarone bis» cannibalise le marché du «grand vin»: Le Famiglie dell’Amarone d’Arte voudraient le limiter à la production d’une bouteille de ripasso pour une bouteille d’amarone. On en est au double…

Et puis les dissidents dénoncent les prix cassés des amarones de supermarché, notamment vendus en Suisse, troisième marché pour ces douze encaveurs, derrière le Canada et les pays scandinaves. En chœur, ils revendiquent que l’amarone reste «rare et cher». Chacune des 250 000 bouteilles expédiées en Suisse en 2013 leur ayant rapporté près de 16 euros net, soit plus de 19 francs la bouteille.

Dirigeants du Consorzio et dissidents ne se parlent plus. Montaigu et Capulet ont de solides descendants.


Cinq Amarones aux prix crescendo

Tedeschi 2009
Maison traditionnelle qui a plusieurs monocrus; la version de base, sous une nouvelle étiquette, offre un nez floral, frais, avec du gras, des tanins fermes, et des arômes typés de cerise noire.
(36 fr., www.caratello.ch)

Cesari 2010
Nez boisé, attaque souple, sur le biscuit, la confiture, les fruits noirs; un peu austère et encore marqué par le bois, qui le sèche en finale.
(41 fr. le 2008, www.alfavin.ch)

Speri 2009
Cette maison a transformé un vignoble de 20 ha d’un seul tenant, Monte Urbano, pour produire un seul amarone, de belle facture classique, équilibré et élégant.
(48 fr., www.fischer-weine.ch)

Zenato 2009
Nez de cerise confite, puissant, avec du gras, et une certaine sucrosité, qui enveloppe les tanins: le favori de plusieurs sommeliers romands.
(59 fr., www.vinievini.ch)

Allegrini 2009
Un des rénovateurs de la Valpolicella, qui élève son seul amarone en barriques neuves: nez fruité, notes de cassis, de fumé, du gras, et un bon soutien acide; moderne et bien fait.
(75 fr., www.cavesa.ch)

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Le virus Helvétique angoisse l’Union

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:54

Votation. Après le scrutin du 9 février sur l’immigration, une équipe de journalistes du «Spiegel» a enquêté sur les conséquences du vote suisse sur le continent. Et sur la contagion redoutée par Bruxelles à quelques semaines des élections européennes.

Walter Mayr, Christoph Pauly, Mathieu von Rohr, Christoph Scheuermann, Samiha Shafy

Un scrutin auquel l’Europe ne s’intéressait guère a soudain fait les gros titres des journaux du continent. De Rome à Berlin, de Londres à Bruxelles, des politiciens se sont crus obligés de prendre position. Avec leur vote populaire sur l’immigration, les Suisses ont une nouvelle fois mis à l’agenda un sujet qui couve ailleurs aussi en Europe. Il en était allé de même précédemment, avec la décision sur le plafonnement des salaires des managers.

Mais cette fois-ci, peu avant les élections parlementaires européennes de mai, les Suisses ont peut-être encore mieux ciblé les états d’âme de leurs voisins. Dans les sondages, les populistes de droite battent des records, indice que les forces centrifuges croissent depuis le début de la crise de l’euro. Si la plupart des citoyens de l’UE n’en ont jamais beaucoup apprécié les institutions, au moins croyaient-ils auparavant que l’Union leur procurait davantage de prospérité. Mais comme la crise ne semble pas vouloir prendre fin, l’idée s’impose de plus en plus que l’Europe leur vole quelque chose.

Grecs, Italiens et Français rendent la politique économique de Bruxelles responsable de leurs malheurs. En même temps, l’Allemagne et les autres Etats nordiques redoutent de devoir payer pour le Sud. Ce que les uns appellent réformes et les autres austérité oppose les Européens. Et voilà que le thème de l’immigration s’immisce dans ce contexte tendu. Or, toucher au libre choix du domicile, c’est mettre gravement en cause le projet de l’UE.

La Suisse n’est pas membre de l’UE, mais elle lui est étroitement liée par de multiples accords bilatéraux. Le  fait que l’un des Etats les plus prospères de la planète veuille se fermer à la communauté montre à quel point la morosité a pris de l’ampleur. Certes, les ténors de l’UE comme le président de la Commission, José Manuel Barroso, et le ministre allemand des Finances, Wolf-gang Schäuble, se sont empressés d’expliquer que la libre circulation des personnes n’était pas négociable. Mais ils ont simultanément assuré qu’ils respectaient l’expression populaire.

Cela tient au fait que les effets concrets de l’initiative de l’UDC sont peu clairs: Berne doit d’abord déterminer de quelle importance seront les contingents d’immigrants. Mais il s’agit clairement aussi d’éviter de jeter de l’huile sur le feu, car nul n’est sûr que ses propres concitoyens ne voteraient pas de la même manière. Pour autant qu’on le leur demande.

Ces pays qui emboîtent le pas à la Suisse. Les populistes de droite Heinz-Christian Strache, du FPÖ autrichien, le Néerlandais Geert Wilders et Marine Le Pen, du Front national français, ont félicité la Suisse et exigé des contingents d’immigration pour leur pays aussi. Des politiciens réputés modérés comme l’ancien premier ministre français François Fillon se sont aussi prononcés en faveur de contingents. Et en Allemagne, un sondage vient de révéler que 48% de l’échantillon serait en faveur de mesures semblables.

Le premier souci de Bruxelles est que le virus suisse ne contamine pas la Grande-Bretagne. La détestation de l’UE y est si grande que, récemment, un politicien conservateur a même imputé à Bruxelles la responsabilité indirecte des inondations. Si beaucoup de Britanniques se réjouissent du résultat du scrutin suisse, aucun n’est plus enthousiaste que Nigel Farage. «Superbe!» braille-t-il au téléphone. Farage préside l’UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni), qui se bat pour que le pays quitte l’UE et pour qui les sondages prédisent plus de 20% des voix aux élections européennes. «Enfin, le bon sens commun triomphe», commente-t-il.

Mis sous pression, le premier ministre conservateur David Cameron demande à Bruxelles une renégociation des accords européens. Il sollicite lui aussi, pour l’heure en vain, la fixation de contingents d’immigration comme en Suisse. La semaine dernière, son porte-parole indiquait que la décision des Suisses soulignait une «préoccupation croissante» des gens à propos de la libre circulation en Europe.
Désormais, la députée conservatrice Andrea Leadsom se penche attentivement sur les mois à venir. En 2011, elle a lancé l’initiative «Fresh Start» qui plaide pour la renégociation des rapports entre le Royaume et l’UE. A la Chambre des communes, elle énumère ses trente revendications: entre autres, la Grande-Bretagne doit mettre fin à sa collaboration policière et judiciaire avec l’Europe et renoncer à la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Chaque Etat membre décide lui-même à qui il ouvre l’accès à son système social. Le Parlement britannique doit pouvoir s’opposer aux projets législatifs de la Commission. En somme, ce qu’elle réclame, c’est un édifice législatif dont les Britanniques ne tireraient que le meilleur.

La crise à prévenir. Or, la députée pense tenir le couteau par le manche car le scénario de l’horreur pour l’UE serait que la Grande-Bretagne se retire de celle-ci. Les Britanniques devraient se prononcer sur le sujet en 2017 et, s’ils disaient oui, il en résulterait une crise sévère pour l’UE. La Commission européenne doit donc réagir, se montrer plus souple et moins bureaucratique pour ne pas ajouter de l’eau au moulin de ses ennemis. Mais en même temps, elle ne peut se permettre de céder au chantage, alors même que les populistes de tous pays la mettent sous pression.

L’influence du Français Michel Barnier, commissaire chargé du marché intérieur et des services (bancaires), est considérable et il se verrait bien présider la Commission au lendemain des élections européennes de mai prochain.

Il affirme respecter le scrutin helvétique mais en déplore évidemment le résultat. Des contingents de citoyens européens ne sont tout simplement «pas acceptables». Membre de l’UMP mais Européen convaincu, il constate désormais avec douleur que bon nombre d’adhérents de son parti éprouvent de la sympathie pour le discours xénophobe du Front national; que même le socialiste Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, milite contre les règles de la concurrence édictées par Bruxelles. En France, jamais la popularité de l’Union européenne n’avait été aussi basse.

Dépassionner le débat.«C’est la faute de la crise», pense Michel Barnier. Mais personne n’est capable de dire quand l’économie reprendra des couleurs. Pour calmer le débat en Grande-Bretagne, le Français paraît disposé à arrondir les angles de l’UE. Il disait il y a peu qu’il faudrait vérifier dans quelle mesure certaines choses ne pourraient pas être plus efficacement réglées au niveau national. Député et président du Conseil général de la Savoie pendant vingt ans, il a vu de près «comment 175 000 Français traversent quotidiennement la frontière suisse pour leur travail». Des ingénieurs, médecins, chercheurs qui font une partie de la prospérité helvétique.

Au Tessin, ce sont 60 000 frontaliers italiens qui «s’embouteillent» dès avant l’aube pour gagner leur vie en Suisse. A Viggiù, commune lombarde frontalière de 5000 habitants, c’est la Lega Nord qui tient le haut du pavé, le parti qui milite pour l’indépendance de la «Padanie» et stigmatise les immigrés. «Si j’étais Suissesse, j’aurais voté pareil. Je n’aime pas le ton pontifiant de l’UE et ses menaces de représailles contre la Suisse», assure Sandra Cane, la syndique. Petit détail: elle est née à Springfield, Massachusetts, et elle a la peau noire de son père. Reste que la moitié des habitants de Viggiù vont travailler en Suisse tous les matins. «C’est vrai que, si la Suisse nous ferme la porte au nez, nous sommes morts. Cependant, nous avons beaucoup à apprendre d’elle en matière de référendum.»

Le fossé économique est devenu si important entre l’Italie et la Suisse qu’il y a deux ans Sandra Cane et d’autres syndics lombards ont proposé de former un 27e canton suisse. Et Roberto Maroni, président de la Lega Nord et de la Région lombarde, tient un langage connu: «Toute la souveraineté appartient au peuple, pas à Mme Merkel ni à Bruxelles.» Beaucoup d’Italiens rendent l’UE responsable de leur précarité. Si, au nord, c’est un prétendu «tourisme social» qui remonte les citoyens contre Bruxelles, au sud, c’est l’«austérité».

Bargen, canton de Schaffhouse, 291 habitants, est situé à la frontière allemande. Nul n’y dit que l’Europe est un danger pour le village. On y vit bien, même très bien. Pourtant, les citoyens y ont exprimé leur grogne contre l’Europe en disant oui à 79,7%
à une limitation de l’immigration, un des taux les plus élevés de la Confédération. Manifestement, Bargen souhaite le retour des douaniers, même si le petit village compte trois stations-services qui vivent presque uniquement des voisins allemands. Erich Graf, le maire de Bargen, était d’ailleurs douanier. Il a lui aussi glissé un oui dans l’urne «car les choses doivent changer».

Sa commune compte 23% d’étrangers, pas loin de la moyenne suisse, et ils sont presque tous Allemands. «Il y a vingt-cinq ans, on se connaissait encore tous au village», semble-t-il regretter. On bavardait dans la rue, il y avait des sociétés locales, des fêtes, une vie villageoise, quoi! Aujourd’hui, tout est devenu plus anonyme. Les mots du maire trahissent la sensation d’avoir perdu quelque chose. A Bargen comme ailleurs en Suisse, l’opposition à l’UE ne naît pas d’une situation précaire mais au contraire du sentiment que l’économie croît trop vite, que le pays change trop.

Le patronat et l’Europe. Valentin Vogt, 54 ans, est président de l’Union patronale suisse. «Comment faire pour expliquer à l’étranger que nous avons des problèmes? s’interroge-t-il. Nous avons un système de démocratie directe, le meilleur système politique du monde même si, parfois, il aboutit à des aberrations et qu’on se demande…» Il s’interrompt et son sourire s’évanouit.
Valentin Vogt préside le conseil d’administration d’une entreprise de construction métallique qui emploie 1200 personnes, il est également membre du Comité consultatif économique de la Banque nationale suisse et, en quelque sorte, le porte-parole des entrepreneurs suisses. A ce titre, il va devoir expliquer à l’étranger son pays si bizarre, si entêté. Le défendre contre les attaques extérieures, même s’il est extrêmement déçu du résultat du 9 février. «Vous savez, il est trop facile de mettre tous les problèmes sur le dos des étrangers.» Et d’espérer que Berne saura appliquer l’initiative dans des termes légaux acceptables pour l’UE.

Mais Bruxelles a déjà commencé à sévir. Et bon nombre de Suisses admettent qu’ils se seraient bien passés des félicitations du Front national,
de l’UKIP, de la Lega Nord et des autres.

©Der Spiegel Traduction et adaptation Gian Pozzy

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RÉACTIONS AU VOTE SUISSE DE LEADERS POLITIQUES EUROPÉENS

«C’est la démonstration d’une préoccupation croissante quant à la libre circulation des personnes.»
David Cameron, premier ministre britannique 

«Etablir des quotas pour les migrants, stopper la migration et sortir de l’Union européenne. C’est fantastique!»
Geert Wilders, fondateur du  Parti pour la liberté néerlandais

«Toute la souveraineté appartient au peuple, pas à Mme Merkel ni à Bruxelles.»
Roberto Maroni, président de la Lega Nord et de la région lombarde

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Ces quotas qui inquiètent paris

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:55

Horlogerie. Le lycée Diderot délivre une formation supérieure, dont la réputation a traversé les frontières. Reportage chez des jeunes en quête d’excellence helvétique.

Ne pas y voir un signe. Seulement une coïncidence, affirme Bernard Gadret, professeur d’horlogerie au lycée Diderot, un établissement d’enseignement technique situé dans le XIXe arrondissement de Paris.

Jeudi 13 février, quatre jours après le vote des Suisses contre l’immigration de masse, un chasseur de têtes mandaté par des entreprises horlogères helvétiques devait rendre visite à la classe préparant en deux ans au brevet des métiers d’art (BMA), équivalent à un baccalauréat. «La fille de ce monsieur était malade, il n’a pas pu venir», rapporte l’enseignant, maître principal de la quinzaine d’élèves en première année, dont un tiers environ de filles. «Une dame envoyée par des Suisses voulait aussi se déplacer pour recruter. Cela fait déjà deux personnes qui s’intéressent à nous», constate Bernard Gadret devant l’engouement suscité et peut-être refroidi depuis le fameux dimanche 9.

De la même manière qu’un jeune mécanicien automobile rêve de passer quelques années de sa vie professionnelle chez Ferrari à Maranello, un horloger frais émoulu n’a pour ainsi dire qu’un but: se perfectionner chez l’un des très grands noms du métier, en Suisse. Cela tombe bien, il y a de la demande. C’est du moins ce que croyait Paul jusqu’au soir de la votation. «Sur le coup, je me suis dit: “C’est un peu mort”, raconte-t-il. J’ai pensé que le résultat du vote allait être un gros souci pour nous. Mais après, je me suis rendu compte que c’était juste une réglementation et qu’ils allaient avoir besoin de nous», veut-il croire.

Statut de frontalier. Agé de 18 ans, Paul «adorerait» travailler chez Jaeger-LeCoultre, au Sentier, dans la vallée de Joux. Un «profil» comme le sien, pense-t-il, est recherché par les manufactures helvétiques. «Nous, on apprend le métier d’horloger par passion, on fait deux ans d’apprentissage puis deux ans de BMA», vante-t-il tout en donnant les derniers tours et coups de lime à un boîtier de montre qu’il a façonné à partir d’une plaque de laiton. «En Suisse, reprend-il, c’est souvent par dépit qu’on choisit l’horlogerie, on suit une formation rapide.»

Comme d’autres camarades de sa classe, Paul brigue un statut de frontalier, statut auquel l’initiative de l’UDC apporte des restrictions. Diplômé, il compte rejoindre sa «petite amie», déjà frontalière, installée dans la région de Besançon.

Rémy a également jeté son dévolu sur la vallée de Joux. Il hésite entre Jaeger-LeCoultre et Breguet, qui a ses usines à L’Abbaye. C’est en pleine nature, le prévient-on. «La campagne, dit celui qui habite Paris, c’est très apaisant.» Ce n’est pas un «salaire suisse», trois à quatre fois supérieur à celui qu’ils pourraient escompter en France en début de carrière, qui motive Rémy et Paul, jurent-ils.

Un emploi de frontalier dans une entreprise horlogère suisse intéresserait-il moins les filles de la classe? «Rester assise à un établi, c’est un peu dur pour moi», explique Morgane, 18 ans, qui acquiert ici «une base technique» qu’elle complétera avec des études commerciales. Elise, 29 ans, a déjà choisi le lieu où elle travaillera: le sud de la France, où elle a de la famille.

Un besoin rassurant. La Suisse, chez les BMA du lycée Diderot, est un choix apparemment très «mecs». Antoine, 23 ans, se voit passer les «dix premières années» de sa vie d’horloger à La Chaux-de-Fonds ou à Genève. Le jeune homme est moyennement inquiet des conséquences de la votation du 9: «Certes, ça va un peu nous em… pour le futur. Mais en même temps, ce serait un peu stupide de la part de la Suisse de fermer ses portes à des horlogers alors qu’ils en ont besoin.»

Cette observation marquée du sceau de l’espoir, rejoint celle de François Matile, le secrétaire général de la Convention patronale de l’industrie horlogère (CPIH), sise à La Chaux-de-Fonds et opposée à l’initiative de l’UDC. «En 2012, l’arc horloger suisse employait 55 800 personnes, dont 25 à 30% en moyenne de frontaliers, la part de ces derniers étant généralement plus élevée lorsque les entreprises qui les emploient se situent près de la frontière. Pour l’instant, il n’y a aucune raison objective de s’inquiéter. Je n’imagine pas que les lois d’application de l’initiative puissent être rétroactives. Ce qui veut dire que les contrats qui auront été signés avec des frontaliers ne pourront pas, en principe, être cassés.»

Au lycée Diderot de Paris, la formation horlogère délivrée par le professeur Bernard Gadret suit doctement son cours. La venue de chasseurs de têtes mandatés par des industriels helvétiques ne sera-t-elle qu’un mirage?

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Antoine Menusier
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Contingentement: les cantons à risque

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:57

Main-d’œuvre étrangère.Des chiffres exclusifs qui annoncent la foire d’empoigne pour savoir qui aura droit à quoi.

Quels critères retenir pour rétablir des contingents de travailleurs immigrés? Les besoins des cantons ou les besoins des différentes branches? Et qui décidera? La Confédération ou, comme le suggère le conseiller national Fathi Derder (PLR/VD), les cantons, plus en phase avec les réalités du terrain? L’application du vœu constitutionnel émis par le souverain le 9 février dernier promet d’être un vrai casse-tête administratif.

Notre tableau indique la dépendance actuelle des secteurs primaire, secondaire et tertiaire aux bras et aux talents venus d’ailleurs. Sont pointés comme l’indice d’une vulnérabilité particulière à un plafonnement plus sévère les chiffres qui dépassent le pourcentage de la population étrangère résidente de 22,8%. Si l’agriculture ne recrute que 12,5% en moyenne de ses forces à l’extérieur, l’industrie ne tournerait pas sans le renfort des étrangers, qui représentent déjà 27,9% de ses effectifs. Dans le demi-canton de Bâle-Ville, c’est pratiquement un employé sur deux qui n’est pas Suisse.

Si la dépendance du secteur tertiaire paraît plus faible, les disparités entre cantons sont importantes. A l’exception du Tessin, tous les cantons qui dépassent notre valeur de seuil ont rejeté l’initiative contre l’immigration de masse.

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Charles Lewinsky: La suisse de christoph blocher n’existe pas

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:58

Interview.Choqué mais pas surpris par le oui à l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse, l’écrivain zurichois nous livre sa lecture du vote et du malaise alémanique.

Il a le regard en alerte de celui qui dresse ses antennes pour capter l’air du temps et des gens. Dramaturge, scénariste et romancier, Charles Lewinsky s’est fait connaître du public francophone et international avec Melnitz, l’histoire d’une famille juive en Suisse de 1871 à 1939. Mais l’écrivain a aussi signé une longue série télévisée très populaire outre-Sarine et des centaines de chansons. Père de deux enfants adultes, il «hiberne» à Zurich et s’en va pour la Franche-Comté dès le mois de mai dans une maison où il se consacre à l’écriture, sept jours sur sept, dans un calme absolu. Dans un café proche du Schauspielhaus, il analyse le vote suisse du 9 février.

Le oui à l’initiative contre l’immigration de masse vous a-t-il surpris ?
Il m’a choqué, pas surpris. Si vous examinez l’histoire des initiatives populaires qui ont été acceptées en Suisse, à commencer par la toute première, en 1893, contre l’abattage rituel du bétail de boucherie, vous découvrez que celles qui sont écrites contre des gens qu’on considère comme différent sont acceptées à une courte majorité. On l’a vécu plus récemment avec l’initiative antiminarets. On ne peut donc pas dire que la Suisse a dit oui, mais la moitié de ceux qui sont allés voter. Cela montre un pays divisé.

Mais il serait antidémocratique de ne pas accepter le résultat du vote parce qu’il ne nous plaît pas. Churchill a dit: «La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres.» Je dirais la même chose pour la démocratie directe. Ce système a réussi à la Suisse. Et puis, un vote populaire, ce n’est pas un match de foot. Le peuple peut décider autre chose plus tard, comme nous l’avons souvent vécu.

Vous vivez la majeure partie de l’année en France et vous rendez régulièrement en Allemagne, cette décision contre l’immigration, contre l’ouverture, est-elle spécifique à la Suisse ?
Non. Nous assistons à un phénomène européen qui peut s’exprimer en Suisse parce que nous connaissons le vote populaire. Après les années 70 qui ont vu le balancier de l’histoire pencher vers la gauche, le mouvement s’est inversé vers la droite et, à mon avis, ce n’est pas terminé.

J’ai suivi les réactions à ce vote en Allemagne. Elles sont de deux ordres. Les réactions d’en haut, celles des journalistes et des politiciens notamment, affirment que cela ne va pas du tout. Alors que la plupart des réactions d’en bas, dans les sondages ou sur internet, rétorquent: si on nous demandait, on dirait la même chose.

Vous vous dites pourtant choqué par la décision du souverain.
Oui. Parce que je crois que ce vote est une catastrophe pour la Suisse à long terme. Christoph Blocher a beau dire que nous sommes très importants et que l’Union européenne ne va rien entreprendre contre nous, cette décision va créer des problèmes. Nous sommes un très petit pays entouré d’une grande organisation. On ne peut pas ignorer le rapport de forces. Mais le souverain semble prêt à accepter des conséquences négatives.

Comment expliquez-vous qu’une majorité de citoyens ait ainsi pris le risque de tout changer de notre relation avec l’UE, quitte à mettre en danger notre prospérité?
Parce qu’ils ont au contraire le sentiment d’avoir pris la décision de ne pas changer, de préserver quelque chose.

Christoph Blocher ne défend pas la Suisse, mais sa vision de la Suisse, un pays mythologique qui ressemble à celui qui fut créé pour la Landi, l’exposition nationale de 1939 à Zurich: un gros village avec ses drapeaux et ses cors des Alpes. Or cette Suisse n’existe pas dans la réalité. C’est pourquoi Blocher a dit que les Romands n’étaient pas assez patriotes: sa vision mythologique n’a pas tellement pris auprès des Romands qui, eux, sont patriotes envers la Suisse réelle.

On peut toujours choisir un chapitre d’histoire et affirmer que l’original de la Suisse, la référence, date de cette période-là. On peut opter pour les années 30, mais aussi pour la Suisse d’avant la Première guerre mondiale, un pays accueillant dans lequel chacun venait se réfugier. Cette ouverture a fait notre richesse culturelle, économique et scientifique. C’est d’ailleurs à cette époque que la famille Blocher entrait en Suisse.

Comment analysez-vous ce désaveu du 9 février envers les dirigeants politiques et économiques qui, eux, rejetaient l’initiative?
Les élites ont pris le chemin de l’Europe sans y emmener les citoyens.

En France et en Hollande par exemple, la Constitution européenne a été soumise au peuple qui a dit non. Que s’est-il passé?
Les politiciens ont changé les règles, corrigé cette «faute» de la population, déclarant que désormais il s’agirait de contrat, et non plus de constitution. Et quand le premier pays a dépassé la limite de l’endettement admis au sein de l’Union européenne, il ne s’est rien passé parce qu’il s’agissait de l’Allemagne.

Parallèlement, les élites politiques, économiques mais aussi religieuses ont totalement perdu leur autorité. Je vous raconte une blague que personne n’aurait comprise il y a vingt ans: au premier jour d’école, une institutrice interroge les enfants sur la profession de leurs parents. «Maçon», dit l’un, «fonctionnaire», dit un autre tandis qu’un troisième lance: «Il joue du piano dans un bordel.» Plus tard, l’institutrice lui demande discrètement: «Pourquoi as-tu dit cela?» Le garçon soupire: «J’avais tellement honte d’avouer qu’il était banquier.»

En Suisse, depuis la fin de Swissair, on ne fait plus confiance aux dirigeants économiques qui donnent l’impression de travailler pour leur poche. Comme Daniel Vasella qui encaisse 72 millions quand il quitte Novartis et trouve cela normal.

Je suis né en 1946. Quand j’avais 20 ans, on trouvait un emploi sans le moindre problème. Cette sécurité n’existe plus. Nous vivons dans un monde d’insécurité. Mais c’est un état normal. Ce sont les décennies sans problème qui étaient exceptionnelles. Nous sommes devenus un pays normal.

Il existe donc un désir de revenir à un monde où les banquiers s’occuperaient honnêtement de notre argent, où un curé n’aurait pas de relations sexuelles avec un garçon, où on apprendrait une profession pour la vie. Et voilà un parti, l’UDC, qui dit : nous ne sommes pas la classe politique. Un homme qui s’affirme à l’ancienne. Et des propos terriblement simplificateurs.

Et cela marche?
Oui. Je suis convaincu que, en politique, l’argument simple va toujours battre l’argument intelligent si ce dernier ne trouve pas le moyen de s’exprimer de manière limpide, intelligible. Il est plus facile de prétendre que tout est de la faute des étrangers plutôt que de livrer une analyse complète et nuancée. Et les médias offrent une scène idéale aux simplificateurs. Qui a été invité à parler sur les plateaux de télévision en Allemagne au lendemain de la votation ? Roger Köppel (ndlr: rédacteur en chef de la Weltwoche, qui défend systématiquement l’UDC) et Christoph Mörgeli (ndlr: conseiller national UDC, historien et idéologue du même parti).

Insécurité, forte présence d’étrangers, logements trop chers et infrastructures bondées touchent surtout les villes et l’arc lémanique. Or ce sont les agglomérations et les cantons alémaniques qui ont dit oui à l’initiative. Pourquoi?
Outre le désir de revenir à une Suisse mythologique, l’explication tient au fait que les villes, comme Zurich, deviennent de plus en plus des espaces pour les riches. Ici, dans ce quartier (ndlr: dans le haut de la ville, entre le Schauspielhaus et le Züriberg), si vous trouvez un appartement à 3000 francs, vous êtes content. Ceux qui ne peuvent pas payer ces loyers partent pour les agglomérations. Ce sont les mêmes qui ont le sentiment d’être en concurrence avec les étrangers sur le marché du travail.

Vous avez de la compréhension pour les personnes qui ont voté oui ?
Comprenez-moi bien, j’ai lutté avec force contre cette initiative.

Mais il faut reconnaître que des gens sont réellement touchés par des problèmes, comme au Tessin où certains perdent leur emploi au profit de frontaliers moins bien payés. Les gens qui ont voté oui ne sont pas tous des réactionnaires, des xénophobes. Il n’y a pas les bons contre les méchants, les intelligents contre les stupides.

Est-ce que la présence accrue des Allemands influé sur le vote alémanique?
Certainement, même si cela n’a rien de très rationnel.

Moi-même je parle allemand sans accent suisse. Mais dans certaines situations, je me force à parler «suisse », j’ai l’impression que cela passe mieux.

L’accent allemand garde une connotation négative, cela remonte à très loin, à l’époque de la Landi et de la Seconde Guerre mondiale.

Sont venues s’y ajouter les petites règles non écrites du quotidien. Chez le boulanger, l’Allemand dit «Ich kriege zwei Semmel» (J’obtiens deux petits pains), c’est très poli, mais pas en

Suisse où nous demandons: « Est-ce que je pourrais avoir deux petits pains, s’il vous plaît?»

L’usage plus étendu du suisse allemand, par exemple à la télévision, ne joue-t-il pas un rôle dans le repli identitaire?
S’il joue un rôle, il est minuscule. Dans la publicité, on remarque que le dialecte utilisé est plus souvent le bernois parce qu’il a une tonalité plus traditionnelle que le zurichois apparenté à la grande ville. Comme dans les pubs de la Migros où les paysans semblent droit sortis de la Suisse mythologique, sans l’ombre d’un tracteur. Mais s’il y a davantage de suisse allemand à la télévision, c’est surtout parce que c’est le seul moyen de se démarquer des nombreuses chaînes allemandes qui offrent exactement le même type d’émissions. Une logique économique.

Observez-vous une perte de la maîtrise de l’allemand?
Oui. Mais elle existe aussi en Allemagne. La langue bouge avec les SMS et les jeunes n’accordent plus tellement d’importance à l’orthographe. Le film qui a le plus de succès auprès d’eux, actuellement, s’intitule Fack ju Göhte. Aucun des trois mots n’est écrit correctement.

Ce n’est pas forcément un mal, les langues ne sont pas faites pour les musées, elles vivent et évoluent, comme le dialecte.

Je sais que c’est un peu difficile à comprendre pour les francophones. Mais l’allemand n’est pas notre langue maternelle, on l’apprend à l’école. Jamais il ne me serait venu à l’esprit de le parler à la maison. Pour la plupart des gens, parler l’allemand est un effort. L’usage du dialecte est naturel, il n’est pas l’expression d’une volonté de fermeture.

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Lukas Maeder
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Savait ou savait pas?

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:59

Raoul Weil.Ancien chef de la gestion de fortune offshore chez UBS, il maintient qu’il n’était pas au courant du schéma d’évasion fiscale mis en place par la banque. Les preuves à son encontre paraissent pourtant accablantes. La justice tranchera en octobre.

Raoul Weil tient bon. L’ex-homme fort d’UBS continue de clamer son innocence. Chef de l’offshore banking auprès de la grande banque helvétique entre 2002 et 2007, puis CEO de la gestion de fortune globale, il affirme qu’il ne savait rien de l’ambitieux programme d’évasion fiscale mis en place par son ex-employeur et exécuté par une soixantaine de banquiers sous ses ordres.

Arrêté fin octobre en Italie avant d’être extradé aux Etats-Unis, il a plaidé non coupable début janvier devant un tribunal de Floride. «Raoul Weil maintient depuis le début de l’investigation qu’il n’a jamais rien fait de mal, relève son avocat Aaron Marcu. Il se réjouit du procès: cela lui donnera l’occasion de démontrer que les charges à son encontre sont sans fondement et de laver son honneur.» Prévu initialement à la mi-février, le procès débutera le 14 octobre.

Quatre millions de documents. Mais qu’en est-il réellement? Raoul Weil était-il au courant du gigantesque schéma d’évasion fiscale mis en place par UBS? Les Américains en sont convaincus. Ils ont produit 4,13 millions de pages de documents pour l’établir. «Le Département de la justice ne se lance dans ce genre de procès que lorsqu’il est sûr à 90% de l’emporter, commente Martin Press, un avocat de Floride qui a défendu de nombreux ex-clients d’UBS. Les preuves contre Raoul Weil sont très solides.»

Cette gigantesque masse d’informations provient de trois sources. Premièrement, les enquêteurs américains se sont appuyés sur les témoignages de Renzo Gadola, Christos Bagios et Martin Lack, trois ex-collègues et subordonnés de Raoul Weil. Ils ont collaboré avec la justice américaine en échange d’une réduction de peine.

Mark Daly, procureur chargé de l’affaire, l’a confirmé lors d’une audience préliminaire tenue le 16 décembre dernier, dont L’Hebdo a pu se procurer une retranscription. Le gouvernement pourra aussi solliciter les témoins qui lui avaient permis d’obtenir la capitulation d’UBS en 2009 et le paiement d’une amende de 780 millions de dollars, a-t-il précisé. Il s’agit notamment de l’ex-banquier Bradley Birkenfeld et de son supérieur Martin Liechti.

La deuxième source d’informations est la banque elle-même. Dans le cadre de l’accord conclu en 2009, elle a dû livrer des milliers de pages sur son fonctionnement interne et ses employés. Enfin, le Département de la justice a exploité les renseignements très précis récoltés auprès des 40 000 fraudeurs américains qui se sont autodénoncés auprès du fisc ces dernières années.

Mis bout à bout, ces documents font émerger l’image d’un homme qui tirait les ficelles dans l’ombre.

«Raoul Weil se trouvait à la tête d’une conspiration pyramidale», a dit Mark Daly lors de l’audience préliminaire. Sous ses ordres directs se trouvaient des «managers», dont Martin Liechti. Ces derniers géraient des «chefs de bureau» basés à Zurich, Genève et Lugano, eux-mêmes responsables d’une soixantaine de «banquiers». En tant que chef de cette fusée à trois étages, Raoul Weil avait le pouvoir «d’autoriser, d’encourager et d’étendre» le programme de gestion de fortune offshore de la clientèle américaine, souligne son acte d’inculpation.

En septembre 2002, il a par exemple décidé de ne pas prendre de mesures, à la suite d’un audit interne qui relevait des «déficiences» dans le respect par la banque de ses obligations de rapporter et de taxer à la source les avoirs de citoyens américains. Il avait pourtant été averti 17 mois plus tôt des velléités américaines de lutte contre l’évasion fiscale. Dans un e-mail daté du 2 mai 2001, un banquier du bureau zurichois, Gian Rossetti, prévenait ses supérieurs – dont Raoul Weil – qu’il avait eu connaissance d’une opération «undercover» du fisc américain en Suisse pour vérifier si les banques suisses acceptaient toujours des fonds non déclarés en provenance des Etats-Unis.

Rien n’y fait. Alerté une nouvelle fois en août 2006 par Martin Liechti et un autre manager des risques pour la banque de continuer à accepter de l’argent illégal, il a de nouveau décidé de ne rien faire. Il pensait que renoncer à l’off-shore américain serait trop coûteux et causerait un dégât d’image à la banque, précise son acte d’inculpation.

Pis, en avril 2005, Raoul Weil continuait à exiger de ses subordonnés qu’ils accroissent ce segment. «Il avait mis en place des incitations financières pour récompenser les chefs de bureau et les banquiers» qui y parvenaient, spécifie l’acte d’accusation. Les plus méritants se verraient même décerner une montre de luxe Breitling «customisée avec le logo d’UBS», selon une communication de Martin Liechti.

Il a fallu attendre fin 2007 pour que Raoul Weil prenne l’initiative de mettre un terme à ce qui avait pris, selon ses propres dires, l’apparence d’un «déchet toxique». Dans un mémo interne «strictement confidentiel» daté du 15 novembre 2007, il annonce à ses collaborateurs que les nouveaux comptes de citoyens américains ne pourront à l’avenir être ouverts qu’au sein des unités de la banque autorisées à prospecter sur sol américain et dont les fonds sont déclarés. Des instructions accompagnant ce mémo précisent que si le client refuse de transférer son compte dans l’une de ces unités, son banquier ne pourra «plus voyager hors de Suisse pour le rencontrer» et qu’UBS ne pourra communiquer avec lui que lorsqu’il ne se trouve pas aux Etats-Unis.

Peter Kurer et Marcel Rohner. Mais les documents aux mains de la justice américaine ne se contentent pas de décrire comment Raoul Weil a orchestré de loin le schéma d’évasion fiscale de sa banque. Ils montrent aussi qu’il a mis les mains dans le cambouis. «Le Département de la justice possède la preuve qu’il a été en contact direct avec certains clients, notamment lors de leurs visites en Suisse», note un avocat qui a eu accès au dossier dressé par l’accusation. «J’ai au moins un client qui m’a dit avoir été en relation avec Raoul Weil au sujet des montants – considérables – qu’il maintenait chez UBS», relève de son côté un avocat de Chicago qui a défendu quelque 275 détenteurs d’avoirs non déclarés. «Les dossiers des clients les plus importants nécessitaient toujours son approbation, confirme Stephen Kohn, l’avocat de Bradley Birkenfeld. Cela faisait partie des procédures standard internes à la banque.»

Au vu du poids de ces preuves, la plupart des bons connaisseurs du dossier pensent que Raoul Weil finira par plaider coupable et collaborer avec la justice américaine. Il pourrait alors lui livrer des informations sur l’implication de ses supérieurs; elle semble s’intéresser tout particulièrement à l’ex-juriste en chef de la banque Peter Kurer. L’acte d’inculpation de Raoul Weil le mentionne de façon à peine voilée en évoquant «des coconspirateurs situés au plus haut niveau de la hiérarchie chez UBS» chargés de «superviser les affaires légales» de la banque.

Les enquêteurs pourraient aussi s’intéresser à Marcel Rohner, le prédécesseur de Raoul Weil à la tête de la gestion de fortune globale (jusqu’en 2007), devenu par la suite CEO de la banque. Son nom apparaît à au moins deux reprises, en 2001 et 2002, parmi les destinataires d’e-mails ou de lettres internes à la banque qui évoquent le programme offshore d’UBS aux Etats-Unis.

Implacable. Raoul Weil a jusqu’au 14 octobre pour changer d’avis et plaider coupable. Mais même dans ce cas-là, il n’est pas sûr qu’il échappe entièrement à la prison. Sa peine sera en effet fixée en prenant en compte à la fois le maximum prévu pour ce genre de délit (5 ans) et le montant du dommage causé (20 milliards de dollars).

Or, l’accusation ne va pas lui faire de cadeau. Mark Daly a fait remarquer le 16 décembre dernier que, sans cette limite de cinq ans, le Département de la justice aurait requis 240 mois (20 ans) de prison à son encontre!

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Riviera vaudoise Montreux-sur-Volga

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 06:00

Reportage.Travailleurs, hommes d’affaires ou «tycoons», qui sont ces Russes qui vivent à Montreux? Portrait d’une communauté qui accueillera peut-être Mikhaïl Khodorkovski.

Cheveux couleur argent, cardigan noir et chemise bleu ciel, Roberto – nous l’appellerons ainsi – est un homme élégant et vif d’esprit. A la retraite depuis dix ans, ce Vaudois est très occupé. Le lundi, il conduit une Ferrari. Le mardi, il se met au volant d’une Porsche Cayenne, le mercredi, il fait un tour en Mercedes. Un jeudi, il lui est arrivé d’aller prendre livraison d’un accessoire au magasin Bongénie, à Lausanne. La propriétaire de l’objet – un sac Hermès en peau de crocodile couleur orage – avait fait une avance de 4000 francs. Restait à régler les 36 000 francs restants.

Le vendredi ou tout autre jour de la semaine, il lui arrive d’aller chercher des connaissances à l’aéroport de Genève pour les amener à leur appartement de Montreux, dont il a les clés. Car ce fringuant retraité est, comme il le dit lui-même, «le larbin, le majordome, le secrétaire» des riches Russes de Montreux depuis dix ans. Il est également leur chauffeur, leur agent immobilier, l’homme qui s’occupe de prendre leurs rendez-vous chez le coiffeur ou le dentiste.

Des chiffres. Mais qui sont ces Russes qui vont et viennent à Montreux? Et pourquoi ont-ils choisi cette petite ville pour s’y établir? Selon son syndic, Laurent Wehrli, quelque 700 à 800 Russes vivent à Montreux. Ceux qui ont officiellement déposé leurs papiers dans la commune sont 368. Les Ukrainiens, eux, sont 132. Comment explique-t-il cette différence? «Il ne faut pas oublier de compter les parents qui viennent ici pour un ou deux mois, avec des visas de touristes.» Le politicien vaudois poursuit: «La majorité des résidents ont un emploi en Russie. Ils bénéficient d’un permis B ou C. Ce sont des hommes d’affaires qui ont installé leur famille à Montreux. Leurs enfants fréquentent les écoles privées, quelques-uns vont à l’école publique. Ces pères de famille reviennent en Suisse tous les week-ends ou deux fois par mois. Leur souci est de vivre comme tout le monde et de passer incognito.»

Leur champ d’action est l’import-export, les matières premières ou celles qui sont un peu transformées. Ils sont plus dans le domaine commercial qu’industriel. «Leurs affaires sont rarement simples, car ils n’en ont pas qu’une seule; ils sont souvent associés à plusieurs partenaires et font du business entre eux.» Le syndic ignore le nombre de Russes qui bénéficient d’un forfait. «C’est l’affaire du canton, qui rétrocède les montants qui reviennent à la commune.»

Chef du Département des finances du canton de Vaud, Pascal Broulis assure qu’il y en a «moins d’une demi-douzaine». «Pour beaucoup d’entre eux, il est plus avantageux d’être au registre ordinaire. Il faut posséder des dizaines de millions de francs pour que le forfait soit avantageux.» Et se pose-t-on assez de questions sur l’origine des fonds? «Il y a suffisamment de contrôles croisés au niveau fédéral, à la délivrance des permis et au niveau bancaire. Mais c’est comme un filet: les mailles sont-elles suffisamment petites pour que certains poissons y restent bloqués? A la chute du mur, il y a eu une vague de gens dont l’argent était de provenance discutable. Actuellement, nous avons affaire à une génération qui est en règle.»

Mikhaïl Khodorkovski sur la Riviera? Un des Russes les plus célèbres du moment, celui dont l’ombre plane sur Montreux, Mikhaïl Khodorkovski, va-t-il venir s’établir définitivement dans la région où sa femme posséderait une propriété qui domine le lac, à Chernex? Personne ne le sait encore. Ancienne première fortune du pays, emprisonné durant dix ans pour «vol par escroquerie à grande échelle et évasion fiscale», l’ancien oligarque a été gracié par Poutine et libéré en décembre 2013. A la fin du même mois, la Suisse lui accordait un visa valable trois mois à l’intérieur de l’espace Schengen.

A ceux qui désirent investir de l’argent dans la région, Laurent Wehrli donne l’adresse de Promove, la promotion économique de la Riviera. Investissements dans l’immobilier hôtelier, dans le domaine cosmétique ou médical, les greentechs ou la pharma, Promove reçoit les hommes d’affaires ou les représentants des oligarchies «qui viennent faire du shopping» dans toute la Suisse, analysant les possibilités de faire du business. Ce bureau, dont les services sont gratuits, les met en relation avec des fiduciaires, des juristes et des avocats qui analysent leurs projets.

Revenons à Roberto: 80% de ses clients sont des non-résidents. «Les 20% restants ont déposé leurs papiers ici. Cela ne veut pas dire qu’ils sont là plus souvent. Ils voyagent entre Dubaï, Monte-Carlo ou Milan. Au cas où il y aurait un problème en Russie, une résidence à l’étranger est une sécurité.» Lorsqu’ils séjournent à Montreux, certains l’appellent cinq à dix fois par jour, même tard le soir. «Il m’est arrivé d’expliquer à l’un d’eux comment mettre de l’essence dans un réservoir. Dans leur pays, il y a du personnel pour servir les gens.» Il a fallu deux ou trois ans pour que ses clients lui fassent confiance. Aujourd’hui, il a toutes leurs clés et n’a jamais eu aucun problème à être payé. Lui disent-ils merci? «Uniquement le dimanche, et encore. En dix ans, des clients m’ont invité quelques fois à manger, mais nous n’avons rien à nous dire.»

Roberto n’est pas amer pour autant, car il aime ce qu’il fait. Et, surtout, il ne s’est jamais laissé marcher sur les pieds. «Il ne faut pas s’incliner. Ils acceptent qu’on leur rentre dans le cadre. Lorsqu’ils dépassent les limites, je leur rends les clés de leur appartement et de leur voiture.» Pourtant, Roberto a de la patience. Il ne bronche pas lorsque ses clients modifient leur programme trois fois dans la journée. «Quelques-uns sont capricieux. Mais au bout de cinq ou six changements, je dis non. Il faut dire qu’ils se sont bien améliorés. Ils ont compris qu’en Europe occidentale il n’est pas possible de se comporter ainsi.» Pourquoi choisissent-ils Montreux? «Ils veulent un endroit avec un nom et celui de Montreux est connu en Russie.»

Montreux, une niche. En effet. Ce vendredi soir de janvier, du joli monde se presse à la galerie d’art Plexus, superbe villa à l’entrée de Montreux. Très élégante dans sa longue robe de soirée, Liana Grybanova y accueille ses hôtes à l’occasion du lancement de Switzerland Expat, une revue que l’Ukrainienne prévoit de publier quatre fois par année. Beaucoup de Russes sont présents. Ce magazine, en russe et en anglais – et bientôt en français –, raconte le parcours d’expatriés qui ont réussi. Liana Grybanova a installé sa rédaction à Montreux, car elle désirait se rapprocher de son fils qui étudie à Genève. C’est son mari qui a financé ce premier numéro. Coordinatrice du projet, Elena Rust-Kirpichnikova, installée depuis huit ans à Montreux, explique: «Il n’y avait pas de journaux en russe ici. Cet endroit est une niche: il y a beaucoup d’étrangers qui y viennent, notamment pour le business.»

En fine observatrice, elle détaille ses compatriotes: «La communauté russe de Montreux est composée de personnes très différentes. Il y a ceux qui possèdent de l’immobilier mais habitent ailleurs, partout dans le monde. Ils restent ici pour se reposer. Ils ne participent pas à la vie de la communauté.»

D’autres vivent dans la petite ville de la Riviera, ils ont beaucoup d’argent et sont très discrets. Lorsqu’ils veulent s’amuser, ils vont à Paris, Londres ou Courchevel. «Et il y a les résidents, ceux qui habitent plus de cent huitante jours ici. Ils travaillent, paient des impôts et participent à la vie de la communauté, sauf s’ils sont trop occupés par leurs affaires.»

Une guide pour les nouveaux arrivants. Fondatrice de l’école Matriochka, qui propose quelques cours hebdomadaires de russe aux enfants, Victoria Lombardo, mère de famille, est au cœur de cette communauté depuis de nombreuses années. Elle qui est née à Vladivostok et a grandi à Odessa, en Ukraine, organise rencontres, fêtes et pique-niques. Elle est installée à Montreux depuis 2000 et a épousé un Suisse. «A l’époque, il n’y avait pas autant de compatriotes. Lorsque j’entendais une personne parler russe, je courais vers elle.» Comme d’autres, elle s’occupe de guider les nouveaux arrivants russophones, leur sert d’intermédiaire pour l’acquisition d’un bien immobilier, la recherche d’une école ou tout autre service.

Valentina Lajudie fait elle aussi partie de cette communauté. Professeur de littérature russe au collège privé Champittet et à l’American School de Leysin, elle habite Montreux depuis sept ans, dans l’appartement de compatriotes qui viennent de temps à autre dans la région. Elle a beaucoup de contacts avec les Russes et les Ukrainiens. «La majorité appartiennent à la classe moyenne et travaillent. Ceux qui ont des gardes du corps, je ne les connais pas. Je fréquente aussi l’église orthodoxe de Vevey. L’ambiance y est très familiale et j’y ai beaucoup d’amis.»

Pendulaire de luxe. A la galerie Plexus, on croise aussi l’élégante Valeriya Kovalenko, qui constate: «Ça change, un événement comme celui-ci. Il y a de nouveaux visages, jeunes, et des femmes bien éduquées.» Cette mère de trois enfants vit entre Moscou et Montreux. Son cadet, un adolescent, est scolarisé dans la région. Son mari, lui, n’est pas souvent sur la Riviera vaudoise. Il s’occupe de ses affaires en Russie. Elle-même possède un business dans le domaine de l’architecture d’intérieur. Ici, à Montreux, Valeriya se sent comme à la maison. Elle habite dans un appartement acquis au centre-ville. «J’aime beaucoup rester ici pour deux semaines. Quand il fait beau comme aujourd’hui, c’est le plus bel endroit du monde.» C’est dans son pays qu’elle a entendu parler de Montreux. «Nous avons choisi ce lieu pour envoyer nos trois enfants à l’école. C’était en 2006. L’éducation a une excellente réputation et les conditions de vie sont bonnes, ici.»

Valeriya ne tarit pas d’éloges lorsqu’elle parle de la nature environnante. «Je puise mon énergie dans les arbres. J’aime dessiner et je ne m’ennuie pas lorsque je suis seule.» Heureusement, car, comme elle le souligne, il n’y rien à faire à Montreux pour les plus de 40 ans, sinon «boire du champagne au Palace». Et, question shopping, l’offre est restreinte. Mais Valeriya apprécie le niveau élevé de ses compatriotes établis dans la région. «L’ambiance est relax, car les gens n’ont plus besoin de se battre pour gagner de l’argent. Ils en ont déjà.»

C’est qu’à Moscou beaucoup veulent se faire une place au soleil. Les Russes de Montreux sont unanimes: la vie là-bas est beaucoup plus stressante. Les horaires n’existent pas, on y travaille tard le soir, week-end compris. Ils apprécient d’autant plus le calme de la Riviera vaudoise.

Les bijoux, des révélateurs de mentalités. Ce vendredi soir, Ludmila Anisimova, elle, vit au rythme russe. Précieuses boucles d’oreilles et bracelet assorti, sobre robe noire, elle travaille. A l’occasion du cocktail, elle a installé une vitrine avec des bijoux de la joaillerie Natkina, sise à Montreux. A Kiev, elle était responsable des 48 magasins du groupe Zarina, qui a pris le nom de Natkina en Europe occidentale. Son père est Russe, sa mère Ukrainienne. Dans son pays, elle enseignait l’ukrainien, «pour un salaire de 150 à 200 francs». Alors, elle a préféré se lancer dans les affaires.

Directrice de développement, cette femme aussi dynamique que sympathique a accepté le défi que ses patrons lui proposaient: partir travailler en Suisse où Natkina a ouvert trois magasins. Cela fait trois ans et demi qu’elle est dans la région, avec sa fille de 16 ans. Elle vient d’épouser un Suisse.

Les bijouteries, justement, permettent d’observer les différences de mentalités. Une des amies de Ludmila a travaillé dans le domaine, au pays et en Suisse. Elle raconte que, pour ses compatriotes, les bijoux sont des passages obligés de la vie amoureuse. «Quand un Russe entre dans une joaillerie avec une femme, il lui dit: “Prends tout ce que tu veux!” Le Suisse, lui, compte et se souvient du prix qu’il a payé, même trois ans après.»

Où sont les hommes? En revanche, le revers de la médaille peut être cruel. «Les femmes russes ont souvent peur que leur mari prenne une maîtresse. Alors elles se soignent, vont régulièrement chez l’esthéticienne. Si leur époux a de l’argent, elles savent qu’il en trouvera une plus jeune et qu’il choisira de passer la nuit où il veut.» Que peuvent-elles faire? «Ces femmes-là ont l’habitude de recevoir 2000 ou 3000 francs d’argent de poche par mois pour s’acheter ce qu’elles veulent. Il ne leur reste qu’à accepter la situation. Les couples suisses, eux, vieillissent ensemble.» Certains clients achètent des bijoux pour leur épouse et leur maîtresse dans le même magasin, sans se gêner. Détail: ils dépensent plus pour la seconde.

Ce vendredi soir à la galerie Plexus, les hommes russes ne sont pas légion. Beaucoup voyagent pour leurs affaires et les plus riches ne demandent qu’une chose: la discrétion. Les cocktails mondains, très peu pour eux. Pas de trace du discret oligarque Pavel Kosolobov, qui possède un triplex, construit à très grands frais, au sommet de la tour d’ivoire. Ses gardes du corps, eux, habitent deux étages plus bas. Il fait notamment dans l’achat et la vente de matières premières et agricoles.

Sergey Ivashchenko, lui, est venu féliciter Liana Grybanova, une de ses clientes. Etabli depuis huit ans à Montreux – mais depuis quinze ans en Suisse –, cet ingénieur en sous-marins, ex-officier, est à la tête de Doltec, une société fiduciaire qui emploie une dizaine de personnes. Ce père de famille est venu s’installer dans la région, car il aime les montagnes et le lac qui lui rappellent son coin de pays, Sotchi.

L’homme d’affaires au bénéfice d’un permis C compte une majorité de Russes et d’Ukrainiens parmi ses clients. Il aide également des Suisses à faire du commerce en Russie, où il retourne une fois par mois. A ses yeux, il est trois fois plus facile de mener  des affaires sur le territoire helvétique que dans son pays, où la sécurité et la liberté ne sont pas garanties. «De plus, la Suisse est au centre de l’Europe; c’est un pays ouvert pour les affaires et les étrangers.» Même après la votation du 9 février? «Limiter le nombre d’étrangers est peut-être une bonne chose. Depuis Schengen, beaucoup d’entre eux traversent les frontières pour venir voler ici. Les travailleurs venus d’ailleurs ont également fait baisser le niveau des salaires. Ces derniers dix ans, la Suisse a beaucoup perdu en qualité de vie: je suis bien placé pour le savoir, car je travaille aussi avec des sociétés qui construisent des routes.»

Pianiste passionné, Sergey Ivashchenko le dit lui-même: «Je ne suis pas un homme d’affaires typique. L’argent est ma troisième priorité. D’abord viennent l’amour et la musique.»

Actif dans le milieu immobilier, un Montreusien côtoie des businessmans pour qui l’argent, lui, est bien la priorité. Il désire garder l’anonymat. «Ces hommes sont des gens discrets qui ne parlent jamais d’argent. Ils n’aiment pas les questions. Il ne faut jamais leur demander ce qu’ils font, ou même ce qu’ils ne font pas. Il ne faut pas non plus les interroger sur leur vie privée. En fait, ils ne vivent que pour leurs affaires et ne causent pas d’autre chose. D’ailleurs, ils sont toujours sur leurs gardes. C’est justement cet instinct de businessman qui fait qu’ils ne perdent pas. Au pays, ils vivent cachés et ont peur de tout ce qui peut leur arriver. Ici, c’est la liberté.»

Sauf pour ceux qui ont amené leurs gardes du corps. Par peur d’être enlevés? «Disons que, s’ils sont montés dans la hiérarchie, c’est qu’ils ont éliminé leurs concurrents et provoqué des faillites. Des gens leur en veulent…»

Le prix des objets immobiliers qu’il leur vend? «Cela va de 1 million à 30 ou 40 millions de francs. Ils veulent des choses neuves, le top du top, les pieds dans l’eau. On est alors à 35 000 francs le mètre carré. Mais il est de plus en plus difficile de revendre des résidences à ce prix. Ils n’ont plus de coups de foudre, comme dans les années 2000. Aujourd’hui, il faut davantage étayer et négocier, car ils connaissent le marché.» Le Vaudois explique qu’en décembre 2013 il y avait encore 27 unités à revendre pour les étrangers. «Une fois que les Russes se sont décidés, ils aiment que les choses aillent très vite. On n’a pas le droit à l’erreur, car ils sont exigeants. Et, même si l’on ne rigole pas avec eux et qu’ils ne sont pas sympathiques, c’est la meilleure clientèle. D’ailleurs, chaque fois que l’on ouvre le registre foncier, on voit toujours des noms russes.»

Goûts et culture. Une fois leur appartement acquis, les Russes s’adressent à des architectes de la place. L’un d’eux, qui désire aussi garder l’anonymat, a constaté une recrudescence de la clientèle russe voilà cinq ans. Cela correspond à la transformation et à l’agrandissement de l’ancien hôtel National pour en faire des appartements. Leurs goûts? «Certains aiment les moulures et les dorures. Dans ce cas-là, ils iront à fond dans cette direction. D’autres, de plus en plus nombreux, choisissent du contemporain. Et ils peuvent manifester des connaissances et des références incroyables.»

Coûts des travaux d’agencement ou de transformation? «Cela va de 300 000 francs à 7 ou 8 millions. Ils négocient furieusement chaque devis.» Comment gèrent-ils leur impatience? «C’est vrai qu’elle est parfois proche de l’arrogance. Ils ne comprennent pas que les gens ne travaillent pas le week-end et le soir. Je leur explique qu’en Suisse c’est différent.»

«Waouh effect». Leur résidence parfaitement agencée, il ne leur reste plus qu’à la décorer. C’est là qu’André Liechti entre en scène. Tapissier décorateur, le Vaudois est également architecte d’intérieur; 80% de sa clientèle est étrangère: parmi elle, 40% de Russes. Sans eux, il pourrait fermer boutique. Leurs styles préférés? «L’art nouveau, le classique à la française et le «waouh effect», qui est en augmentation. Ils n’aimeraient pas que leurs amis aient les mêmes choses qu’eux.»

De la fabrication de vitraux à celle de colonnes art déco en passant par la recherche d’antiquités dans les pays voisins, de soieries à Lyon et de motifs dans les archives de la maison Schlaepfer à Saint-Gall, André Liechti ne ménage pas sa peine. Certaines commandes peuvent atteindre des millions. «Le pire, c’est qu’au début d’une relation d’affaires, ils nous testent. J’ai versé ma larme quand un client russe, qui m’avait passé commande pour 500 000 francs, a nié l’avoir fait. Voyant ma mine, il m’a dit: “Monsieur Liechti, vous êtes trop sensible.” Et finalement, tout s’est arrangé.»

Si certains Russes font des affaires, d’autres se lancent dans la restauration. Rénover et embellir le Métropole, restaurant à deux pas du débarcadère, c’est le défi de Natalia Yudochkina, 28 ans. En avril, cela fera quatre ans que la jeune femme est propriétaire de l’établissement. Bien sûr, sans l’argent de son père, rien n’aurait pu se réaliser. N’empêche, elle travaille d’arrache-pied. «En été, j’ai 25 à 30 employés. Je travaille sept jours sur sept, toute l’année. A Moscou, c’est normal.» Elle est bien placée pour le savoir: son père est propriétaire de restaurants dans la capitale russe. C’est là qu’elle est née et a grandi. A 14 ans, ses parents lui ont donné le choix: continuer l’école à Londres ou en Suisse. «J’ai choisi de suivre ma scolarité au collège Brillantmont à Lausanne, loin de ma famille.» Puis, elle poursuivra ses études à l’Hotel Institute Montreux (HIM) et à Glion, où elle obtient un MBA.

C’est par hasard qu’elle a appris que l’ancienne propriétaire du Métropole cherchait à remettre son affaire. «Nous avons commencé les négociations en 2005 et signé cinq ans plus tard. Entre-temps, j’ai obtenu la nationalité suisse.» Son père, âgé de 52 ans, a vendu quelques-uns de ses dix restaurants pour financer l’achat. La banque a prêté le reste, «après un examen très long et détaillé des fonds propres». Aujourd’hui, le père de Natalia passe la moitié de son temps à Montreux. Il y a acquis un appartement voilà quelques années. «Il adore cette ville et rêve d’y faire sa vie. Il m’aide beaucoup pour les travaux de rénovation.»

Un aimant pour étudiants russes. Comme Natalia Yudochkina il y a quatorze ans, Ekaterina Permyakova, 20 ans, Nigina Mukimova, 22 ans, et Anton Bernatov, 18 ans, ont quitté leur famille pour venir étudier à Montreux. Ils font partie des 47 jeunes Russes du HIM; 30 autres viennent d’Ukraine. Filles et fils de bonnes familles, ils auraient pu se former partout dans le monde. Alors pourquoi Montreux? Anton: «Je n’aime pas Paris, et Londres n’a pas bonne réputation question hospitalité.» Leurs projets? Ekaterina: «Je finis les cours en mars et cela me rend très triste. Ces trois ans furent une école de vie. J’ai appris à devenir plus respectueuse et responsable. J’aimerais rester ici, mais il n’est pas facile d’obtenir un permis. Je souhaiterais lancer ma propre petite entreprise dans l’organisation de fêtes.» Nigina, elle, se verrait bien dans le «marketing international». Quant à Anton, il a encore une année devant lui et de nombreux dimanches «où il n’y a rien à faire, sauf boire le café et jouir d’une journée sans aucun stress».

CEO du Swiss Education Group (SEG), qui possède quatre écoles, dont le HIM, Florent Rondez retient que «les étudiants russes préfèrent la ville, contrairement aux Asiatiques, plus rassurés par un milieu isolé et protégé comme Caux ou Glion.»
Agréables, les étudiants russes? «Au début, c’est plutôt: “J’ai de l’argent, j’exige.” Mais, dès qu’ils ont fait un stage de six mois dans l’hôtellerie ou le service, ils deviennent adorables. Ils ne sentent plus obligés de faire leur show pour avoir un statut social.» Un collaborateur se rend dix fois par an en Russie pour présenter les quatre brands du SEG, dans les écoles privées et publiques et lors de salons de l’éducation.

Contrairement au jeune Anton, Roberto, lui, ne connaît pas les dimanches sans stress. Pas plus que les samedis d’ailleurs. Ce samedi du mois de février, justement, il vient de faire visiter des appartements à des clients. «Je n’ai pas le choix, mais cela ne me gêne pas. Je viens quand on m’appelle.» Un peu russe dans son rythme de vie, Roberto…


Célébrités
Ils ont aimé Montreux

Pour fêter le bicentenaire des relations russo-suisses – des manifestations ont lieu durant toute cette année –, la municipalité de Montreux prévoit d’accueillir une statue d’Igor Stravinski sur les quais. Les pourparlers sont en cours. De fait, le compositeur et chef d’orchestre, qui a déjà donné son nom à l’auditorium sis au bord du lac, n’est qu’une des nombreuses personnalités russes qui ont vécu ou séjourné à Montreux. Le musicien s’y installe avec sa famille dès 1910. Un autre compositeur l’a précédé en 1877: Piotr Tchaïkovski, qui vivra dans une pension de la place. Vladimir Nabokov, auteur du sulfureux roman Lolita, lui, a vécu seize ans – dès 1961 – dans une suite du Montreux Palace. Il y existe d’ailleurs encore une chambre à son nom.

D’autres écrivains russes ont goûté le calme de l’endroit avant lui. En 1857, Léon Tolstoï, alors âgé de 28 ans, passe le printemps et l’été à Clarens. Il écrit que «regardant sans fin ces rives et ce lac, je ressentais physiquement la beauté en train de passer par mes yeux pour pénétrer dans mon âme». Nicolas Gogol, lui, choisira le calme de Vevey pour écrire Les âmes mortes. Côté arts de la scène, Serge de Diaghilev, directeur des Ballets russes, commencera par vivre au Montreux Palace (1915) avant de s’installer à Lausanne.

«Deux siècles de présence russe en pays de Vaud». Sous la direction de David Auberson et Olivier Meuwly. Slatkine, 230 p.

 

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Photos Thierry Porchet et Christian Ianz
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Hebdo.ch » revue de blogs de la semaine

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:40

Blogs» Culture»
Note sur l’inspiration et le talent

Yves Saint Laurent: pas pour le cinéma français

Assez réussi sur le plan de la beauté, ça se gâte quand il s’agit de dramaturgie.
François Schaller

Les acteurs sont plutôt bons. Le problème, c’est la narration et la pauvreté des dialogues. Quel est au juste le thème du film? L’irrésistible ascension d’un prodige universel, pied-noir de son état? Biographique et plan-plan. Ça s’arrête tout d’un coup quand ça devrait commencer, avec une notice venant rappeler que YSL a dominé la mode pendant cinquante ans, laissant une grande marque, et que l’on vient de voir un film publicitaire. L’histoire est pourtant racontée comme si le gars allait disparaître à 27 ans, au sommet de son art. Quelle frustration. Une histoire d’amour homo? Le portrait de la révolution culturelle golden age? Une chronique people? Comment devenir un grand génie? Les artistes et la drogue? La mode est-elle un art majeur? Comment articuler haute couture et prêt-à-porter? De toute évidence, le phénomène Saint Laurent n’est pas à la portée du cinéma français. Il eût au moins fallu Visconti. Un Visconti non allusif, version frouze recomplexée, modèle numérique autonome par rapport aux canons du XXIe rampant. Ça va se produire un jour. Le cinéma français n’est pas au bout de sa vie, il a juste touché le fond. On va vers le beau. YSL peut encore faire l’objet de vingt productions lumineuses.


Blogs» Politique»
Le blog de Jacques Neirynck

Surgissement de l’écopopulisme

L’initiative Ecopop mérite le pompon de l’incohérence malfaisante.
Jacques Neirynck

Elle préconise que l’immigration ne puisse représenter plus de 0,2% de l’accroissement de la population de la Suisse sur une moyenne de trois ans. Actuellement, le solde migratoire est de l’ordre de 80 000 personnes, soit 1% des huit millions de résidents suisses. Il faudrait donc réduire l’immigration en la divisant par cinq, soit 18 000 personnes. Le Conseil fédéral s’oppose à cette mesure en évoquant la nécessité d’un nombre plus élevé de migrants pour satisfaire les besoins de l’économie. Mais cet argument matérialiste ne porte guère dans une campagne de votations, comme on vient d’en faire l’amère expérience le 9 février. Il y aurait plus simple, plus contraignant: l’argument démographique. Les données sont éloquentes: le taux de fécondité est à 1,4 enfant au lieu des 2,1 nécessaires pour assurer le maintien de la population. Il y a 80 000 naissances par an, il en faudrait 120 000. Dès lors, le déficit démographique de la Suisse doit être compensé par un solde migratoire d’au moins 40 000 personnes, soit 0,5% de la population résidente. Limiter cet apport à 18 000 selon Ecopop entraîne à terme une diminution de la population suisse, avec comme corollaire évident, un déséquilibre entre travailleurs actifs et pensionnés, qui prélude à la ruine du système de pensions. En ne procréant pas assez d’enfants, les Suisses cultivent le mythe d’un pays en voie de tarissement démographique. C’est leur secrète propension à repartir des siècles en arrière. L’écopopulisme a de beaux jours devant lui, en flattant ce que l’on appelle la suissitude, un mot qui résonne comme suicide.


Blogs» Politique»
Le dessous des cartes

L’État de droit face à ses ennemis

Quatre ans après son adoption, l’initiative de l’UDC «Pour le renvoi des étrangers criminels» n’en finit pas d’occuper les autorités qui peinent à l’appliquer.
Cesla Amarelle

En juin 2013, le Conseil fédéral adopte un message pour l’application de l’initiative privilégiant une «voie médiane» qui respecte dans les grandes lignes le principe de proportionnalité: l’automatisme des expulsions serait respecté mais assorti d’une réserve de proportionnalité pour les condamnations de moins de six mois. En octobre dernier, coup de théâtre. Philipp Müller, président du PLR, obtient de la Commission des institutions politiques du Conseil national d’examiner la mise en œuvre de cette initiative en utilisant un «copier-coller» de l’initiative dite de «mise en œuvre» que l’UDC avait lancée en 2012. Selon celle-ci, l’expulsion automatique s’applique sans exception, même pour des délits de moindre gravité, et sans considération de la situation personnelle du condamné. Cette nouvelle loi d’application voulue par le PLR pose deux problèmes de fond. D’abord, elle ne laisse aucune place pour le juge qui devrait violer systématiquement le principe de proportionnalité pour appliquer cette loi. Exemple: si vous êtes une personne étrangère de 50 ans, née en Suisse et ayant toute votre famille en Suisse, que vous avez perçu indûment l’aide sociale pendant un mois et que vous êtes condamné de ce fait pour abus à l’aide sociale, vous devez être automatiquement expulsé sans que le juge puisse prendre en compte votre situation personnelle. Non seulement le législateur court-circuite le pouvoir judiciaire mais, en plus, il lui demande de violer systématiquement l’Etat de droit. Ensuite, la nouvelle loi intègre une définition très restrictive de la définition du droit international impératif. En bref, la loi doit primer sur tous les principes autres que le non-refoulement. Avec cette loi, tous les principes en lien notamment avec l’unité de la famille ne seraient pas pris en compte. Cet élément a néanmoins été corrigé grâce à l’acceptation de justesse d’un amendement socialiste. Le PLR crée un précédent funeste dans l’histoire des institutions suisses. Pour la première fois, un parti gouvernemental «classique» soutient un projet totalisant, profondément liberticide, et qui va donc grossièrement à l’encontre de l’Etat de droit.


Blogs» Politique»
L’engagement social

les solidarités et le défi de la mémoire sociale

Spontanée ou imposée, la solidarité est au cœur de l’existence.
Stéphane Rossini

Elle fonde notre capacité à vivre ensemble et en constitue le ciment tantôt visible, tantôt invisible. Indissociable de la citoyenneté politique ou sociale, mais aussi de nos démocraties, elle mérite qu’on lui accorde une attention particulière. Le peuple suisse, en tant qu’organe de décision, est investi d’une grande responsabilité citoyenne, pour laquelle il doit être accompagné, formé, informé. Dans cette perspective, l’affaiblissement ou l’absence de mémoire et de conscience collectives sur l’origine et les enjeux liés au développement des instruments de solidarité peuvent s’avérer problématiques. Cela évacue les enjeux, luttes et rapports de force qui sous-tendent les choix de société. Elle peut ouvrir la voie à la suppression de certaines prestations, avec le risque d’un accroissement des injustices, inégalités ou exclusions. Pour pallier ce danger, la formation et l’information sont capitales. A cet égard, on saluera la récente mise à disposition du public, par la Confédération, d’un site internet consacré à l’histoire de la sécurité sociale. Cette contribution est importante. Pensons plus particulièrement aux enseignants, qui ont pour mission de permettre à notre jeunesse de procéder à des choix éclairés pour la construction de notre/leur avenir. Car, en cette matière, l’école a encore beaucoup à faire.


Blogs» Politique»
Le futur, c’est tout de suite

Poutine, dopé au gaz

Au long des Jeux olympiques de Sotchi, seuls les athlètes auront été contrôlés pour dopage. Les chefs d’Etat ne devraient-ils pas également l’être?
Guy Sorman

Certains Jeux ne coûtèrent rien au pays d’accueil car entièrement autofinancés par le secteur privé. A l’inverse, des nations peu fortunées auront pulvérisé le record de la dépense publique pour épater le monde: 50 milliards de dollars pour Sotchi. Ne devrait-on pas fixer aux Etats les mêmes règles de bonne conduite qu’aux sportifs? Car un athlète qui se dope nuit peu, tandis qu’un Poutine appauvrit des millions de Russes. Déduire du succès logistique des Jeux de Sotchi que la Russie a renoué avec la puissance et la prospérité serait une grave erreur de jugement. Le financement de ces Jeux comme la croissance soutenue de l’économie russe depuis quinze ans reposent sur une aubaine: une constante hausse du prix du gaz au bénéfice du Gasprom, une entreprise qui se confond avec l’Etat. Poutine est dopé au gaz. Le gaz russe, le pétrole saoudien ou iranien, le soja argentin confèrent une richesse provisoire, et plus encore l’illusion de la richesse. Cette illusion et l’argent facile que génère la rente minérale dissuadent gouvernements et entrepreneurs d’innover et de se diversifier. En Russie, depuis que le prix du gaz monte, le pays ne cesse de se désindustrialiser. La rente conduit aussi à des effets politiques notoires: en concentrant la richesse au sommet, elle perpétue les régimes autoritaires. Ceux qui sont assez astucieux pour redistribuer une partie de la rente se constituent une clientèle populaire qui soutient le despotisme redistributeur. Jusqu’au jour où les prix se retournent: ce qui, en ce moment même, est le cas sur le marché du soja et du gaz. Soudain, les gouvernements brésilien et argentin, privés de suffisamment de ressources à redistribuer, n’ont d’autres expédients que de fabriquer de la monnaie: avec l’inflation qui en résulte, leur chute est imminente. Un sort identique guette Poutine. La raison en est que les Etats-Unis, grâce à la technique de fracturation, sont en passe de devenir le premier producteur de gaz au monde. S’il fallait parier sur l’avenir du modèle russo-poutinien, il me paraît condamné en moins de dix ans: Sotchi, à terme, apparaîtra comme la dernière fête avant l’extinction des feux et l’histoire russe disqualifiera probablement Poutine pour dopage.

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JO de Sotchi: Poutine médaille d’or

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:49

▼Les faits
Tout s’est bien passé pour Poutine 2014, à Sotchi. Pas d’attentats, quelques heures de détention pour les Pussy Riot, rien de particulier. La Russie finit bien sûr en tête du classement des médailles (13 titres, 33 médailles), la Suisse termine brillamment 7e (6 titres, 11 médailles). Et la cérémonie de clôture, mise en scène par l’excellent Daniele Finzi Pasca (l’homme de la future Fête des vignerons) était réussie. Evidemment, peu de ferveur populaire, des gradins relativement dégarnis et de la neige trop mouillée. Mais qui s’en soucie aux Jeux politiques, oups: olympiques.

▼Les commentaires
Que va-t-il advenir du site des Jeux les plus chers de l’histoire? Pour Libération, «le seul projet viable auquel semblent croire les entrepreneurs consiste à transformer le Grand Sotchi en zone de jeux. Un Las Vegas sur la mer Noire?» Ce qui n’empêche pas une analyse générale positive, comme dans la Tribune de Genève: «On a vécu au bord de la mer Noire les Jeux les plus chers (50 milliards) mais aussi les plus beaux. Peu importe comment. Le sport a gommé toutes les critiques pour prendre le dessus sur le reste.» Même son de cloche pour Jean-Claude Killy, membre du CIO cité par France Info: «Il n’y a pas eu une seule personne déçue par ces Jeux olympiques», souligne-t-il, ajoutant qu’il s’est passé à Sotchi «exactement l’inverse de ce qui avait été prévu pendant six mois par ceux qui pensaient savoir ce que seraient ces JO».

▼A suivre
Fin de la trêve. Poutine va pouvoir s’occuper de l’Ukraine. Et ensuite, en octobre, tous à Sotchi pour le Grand Prix de F1. Oui, ils ont aussi construit un nouveau circuit de F1.

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Matteo Renzi, l’iconoclaste

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:50

▼Les faits
Nouveau leader du Parti démocrate italien (PD), Matteo Renzi, 39 ans, a obtenu le 24 janvier, par 169 voix contre 139, la confiance du Sénat pour un gouvernement inédit en Italie: seize ministres seulement (un record), dont la moitié de femmes (autre record). A coup sûr le gouvernement le plus jeune depuis 1948 (âge moyen: 46 ans, deux ministres de 33 ans seulement). A contre-courant du sentiment antieuropéen qui se fait jour en Italie, son discours devant le Sénat a été résolument pro-européen, mais il n’est pas entré dans le détail d’un programme qui vise à «un changement radical et immédiat» du pays.

▼Les commentaires
La Stampa souligne sur un ton sarcastique l’optimisme échevelé du nouveau président du Conseil: «Quand une demi-mesure aura été décidée, il nous dira qu’elle est déjà entièrement appliquée», et déplore que les grandes lignes de sa politique économique soient restées dans les limbes. Il Corriere della Sera trouve que sa prestation au Sénat «donne l’image d’un leader trop sûr de soi. (…) La confiance qu’il a obtenue doit être vue comme l’ouverture d’une ligne de crédit et un antidote au désespoir d’une classe politique et d’un pays enlisés dans leurs contradictions». Propriété de Berlusconi, Libero commente: «Le jeunisme est une vilaine maladie: il donne à croire que tout ce qui est au-dessous d’un certain âge est forcément bon, tout ce qui est au-dessus est à jeter.»

▼A suivre
Avec ses projets de réformes à la hussarde, Matteo Renzi paraît ne rien connaître des rythmes politiques italiens. Par ailleurs, pour rajeunir à toute force son gouvernement, il a préféré s’entourer de personnes parfois dénuées d’expérience qui lui doivent tout et se priver des services de politiciens éprouvés, même à des postes cruciaux. Reste que c’est peut-être le remède de cheval dont l’Italie a besoin.

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Remo Casilli / Reuters
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La rockstar du dialecte

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:51

Pedro Lenz.L’écrivain emporte les foules avec ses textes en dialecte et ses lectures publiques. Portrait d’un phénomène à découvrir bientôt près de chez vous.

Prenez garde où vous posez les pieds! Si vous vous baladez en Suisse alémanique, vous pourriez bien marcher sur ceux de Pedro Lenz, tant l’écrivain est partout. A Soleure où le film tiré de son roman Der Goalie bin ig (traduit littéralement: «Le gardien de but, c’est moi») a raflé presque toutes les nominations pour le Prix du cinéma suisse, dont les récompenses seront remises à Zurich fin mars. A Berne, où il répond aux questions de la SRF sur le dialecte devant 500 spectateurs, la radio qui tient habituellement ce genre de rendez-vous public dans ses studios a dû louer vite fait une salle de concert. A Romanshorn, Bad Ragaz, Köniz, Herzogenbuchsee, Langenthal, Kaiseraugst, Olten, Berne et j’en passe.

Parce que, chaque soir ou presque, l’artiste arpente la Suisse alémanique pour lire ses textes en public. On l’a beaucoup vu aussi dans les cinémas pour le lancement du film du Goalie, qui en est déjà à 50 000 entrées après seulement trois week-ends. Si vous ouvrez un journal, il y a de fortes chances pour que vous tombiez sur un article, une interview ou une chronique signés Lenz. Si vous enclenchez la télévision, le voilà à l’émission satirique de Viktor Giacobbo. Et ce n’est pas fini, un film documentaire sur l’écrivain doit sortir cet été.

A pas de loup, il s’approche de chez nous. La traduction française de son roman en dialecte sous le bras, Pedro Lenz arrivera en Suisse romande avec le printemps (voir encadré page 31). La magie de ses mots et l’attraction du personnage prendront-elles en français? Suspense.

Descendre à Olten. En attendant, histoire d’apprivoiser le personnage, il faut, une fois n’est pas coutume, descendre du train en gare d’Olten et remonter le long des rails sur quelques mètres. C’est ici, dans un appartement avec vue sur les quais, que vit et écrit Pedro Lenz, 49 ans. C’est d’ici qu’il essaime dans le pays, de préférence en train. Une petite maison qu’il a achetée avec ses potes, l’écrivain Alex Capus dont le succès a déjà largement franchi la frontière linguistique et le journaliste Werner de Schepper, ex-rédacteur en chef du Blick aujourd’hui à la tête de la télévision locale bernoise. Au rez-de-chaussée, un ancien bistrot pour les cheminots, le Flügelrad, un café comme on les aime, avec une âme, du parquet et des mets savoureux.

Pedro Lenz donne ici ses rendez-vous qu’il prolonge un peu plus loin au bar Galicia, un ancien club espagnol qui lui appartient aussi. Plutôt que de placer ses économies à la banque, il a acheté ces endroits qui lui ressemblent, accueillants, simples mais stylés. Il tire les cafés lui-même, prend son temps pour échanger quelques mots avec les habitués. «Je suis arrivé ici il y a trois ans, mais on me dit déjà que je suis un “Oltner”. Alors qu’à Berne où j’ai passé quinze ans, on me faisait: “T’es pas Bernois toi!” Parce que je ne disais pas “ja”, mais “jo”, comme on dit ici, à Bienne ou à Langenthal où j’ai grandi.»

Quelque chose de rock’n’roll. Pedro Lenz est du genre bon type qui aime les gens et ne sait pas dire non. Un peu comme son personnage, ce Goalie qui gagne le cœur des lecteurs, des spectateurs du film ou de la pièce de théâtre qu’il a inspirés. Sous la plume empathique qui suit avec précision ses états d’âme, l’ex-junkie de province sort de tôle et découvre petit à petit qu’il a été trahi. On erre avec lui dans le brouillard et les bistrots de Langenthal, rebaptisé Schummertal pour la fiction. Il nous emmène en escapade en Espagne et on tuerait pour se faire – comme dans le film – servir un petit-déj’ par ce loser-là. Quelque chose de Down by Law, quelque chose de rock’n’roll, comme Pedro Lenz avec ses airs de Nick Cave et sa voix presque aussi grave. Un Nick Cave qui parlerait et écrirait en «bärntütch», qui, quand il tombe amoureux, dirait des choses comme «… und plötzlech, nondediö, plötzlech het si öppis. Mou, plötzlech het si öppis, wo di närvös macht, plötzlech gfaut si der.»*

Mais il n’y a pas qu’avec le Goalie qu’il vous prend et vous porte. L’autre soir, dans une salle de Köniz bondée, une jeune fille, un peu obligée par sa mère d’être là, écoute d’abord Pedro Lenz d’un air sceptique. Après quelques minutes, elle ne bouge plus un cil, suspendue à ses lèvres qui racontent l’histoire d’un père, un charlatan qui quitte femme, enfants et dettes pour aller tenter sa chance en Amérique du Sud. Quand les lumières s’allument, la jeune fille souffle: «C’est fort! Il nous emporte avec lui. J’étais en Argentine.» Mais elle le trouve étrange, ce grand Lenz. Presque inquiétant, un peu dégingandé avec de longs doigts qui se tordent quand il conte. Un corps qui tranche avec sa voix si chaude, avec cette langue ronde, tendre et malicieuse, ce dialecte mélodieux, ces redondances de sons, comme une chanson.

Une vie de saltimbanque. Langue et présence créent cette magie propre à Pedro Lenz quand il se produit sur scène. La scène, les planches, c’est ce qui permet à l’écrivain de vivre exclusivement de sa plume depuis 2001. Avant même d’éditer le moindre texte, il a dit ses histoires, tantôt seul, tantôt avec un musicien; ou lors des compétitions de slam poetry, de poésie orale, très courues outre-Sarine; et parfois avec le collectif Bern ist überall qui, parti d’un noyau de Bernois, s’est élargi à des écrivains romands ou romanches dont Arno Camenisch, Noëlle Revaz ou le scénariste Antoine Jaccoud. Des gens de plume qui osent la performance sur scène, qui jonglent avec les mots comme des saltimbanques et viennent de gagner le prix Gottfried Keller. Sa popularité croissant – les lectures publiques de Pedro Lenz affichent complet depuis bientôt dix ans –, un éditeur l’a approché, puis un autre. Il avait déjà sorti des livres audio et des CD. Désormais on le lirait.

Le dialecte sans le repli. Après trois livres en allemand vient le courage d’écrire comme il parle, en dialecte. Le déclic s’est produit lors d’un séjour en Ecosse, où les gens se battaient pour écrire la langue qu’ils parlaient et l’encouragèrent à faire de même. «Depuis, sourit Lenz, je dois toujours me justifier.» Comme face à nous qui, après la votation sur l’immigration qui divise une nouvelle fois la Suisse en deux, lui demandons si l’usage du dialecte ne contribue pas au repli identitaire, s’il n’explique pas le complexe alémanique envers la langue allemande.

L’écrivain nous répond qu’il existe en effet une tension entre deux pôles, «l’un érige le dialecte comme quelque chose de sacré, l’autre nourrit un complexe. Moi, je plaide pour la normalité.» Or, pour 5 millions de Suisses, le suisse allemand est la normalité. «Je m’intéresse à la tonalité, j’écoute les sons autour de moi. Si j’étais à Berlin, j’écrirais en allemand, mais je suis à Olten.» L’usage du dialecte n’altère en aucune façon son amour pour la diversité des langues. L’écrivain en appelle à plus de français et d’allemand, estime que nous ferions bien de réintroduire plus systématiquement la Welschlandjahr en Suisse romande, et vice versa.

Même s’il affirme qu’une identité ne se résume pas à la langue, celle de Pedro Lenz se nourrit précisément de sa culture plurielle.

Pour mieux comprendre, il faut remonter le temps, prendre le chemin de Langenthal, cette petite ville qui n’est plus en Emmental mais pas encore en Argovie. Pedro y passe son enfance avec son frère et sa sœur, tous très grands, comme leur mère espagnole. «Une femme qui se tenait droite, une vraie dame», se souvient un habitant. Chez les Lenz, on parle exclusivement espagnol, langue maternelle mais aussi langue de prédilection du père, un fou d’Espagne tombé amoureux de sa future épouse près de Madrid. Le suisse allemand, les enfants l’apprennent dans la rue puis au jardin d’enfants, puis l’allemand à l’école. Et le français? Il occupe une place privilégiée au sein de la famille parce que la mère s’y sent plus à l’aise qu’en dialecte. Le lundi soir, on regarde Spécial Cinéma à la télé. On part souvent marcher en Valais. Et Pedro, après les affres de l’imparfait du subjonctif à l’école, découvre avec délices Cendrars et Simenon.

L’écrivain maçon. Malgré son bagage linguistique, Pedro Lenz n’est pas très bon élève. Plutôt que de redoubler une année au gymnase, il préfère se lancer dans un apprentissage. Mais rien qui puisse ressembler de près ou de loin à la profession de son père, le très honorable directeur de la fabrique de porcelaine de Langenthal. Non. Pedro n’entre pas dans le moule. Son frère étudie l’économétrie et travaillera à la Banque nationale, sa sœur sera secrétaire. Et lui, il sera maçon. Pas employé de commerce comme le lui suggère son père. Après son apprentissage, il travaillera sur les chantiers à Zurich avec des Italiens, des Espagnols, des Yougoslaves, «une vraie tour de Babel, mais on s’y comprenait très bien».

Durant sept ans, il vit une vie d’ouvrier, se lève tôt le matin, se nourrit de ce monde du travail un peu exotique pour écrire déjà, pour écrire toujours. Comme aujourd’hui. Tous les matins, sept jours sur sept, ses doigts courent sur le clavier dès qu’il se lève vers 7 h 30 ou 8 h. Aux vacances, il préfère les tournées de lecture. Parce que, après deux ou trois jours, l’écriture lui manque. «Je n’ai pas besoin de me reposer. Ce n’est pas comme les ouvriers qui travaillent dur et que personne n’applaudit à la fin de la journée.» Alors il n’a pas de famille, parce que sa vie ne s’y prête pas. Mais une amie, oui, sur laquelle il reste discret. «Les gens n’ont aucune distance avec moi, ils me donnent leur avis spontanément, m’empoignent, sonnent à ma porte, moi je peux vivre avec cela mais je dois préserver ceux que cela gêne.»

Cette familiarité ne surprend pas, tant l’écrivain s’expose sur scène, tant il se montre accessible au bistrot, dans le train ou dans la rue envers un public extrêmement large, composé aussi bien de jeunes que de cheveux blancs, de rebelles que de bobos, de citadins que de provinciaux. «Je suis profondément anti-élitaire. Seule m’intéresse une littérature accessible à tous.» Même s’il a lui-même fini par rattraper la maturité et étudier l’espagnol. Antoine Jaccoud, un complice, le résume ainsi: «Un écrivain populaire, pas populiste, généreux, qui ne compte pas ses heures et raconte des histoires ancrées et humanistes.»

Mais si vous tombez sur lui près de chez vous, prenez garde quand même! Du haut de ses 2 mètres, Pedro Lenz a beaucoup du grand loup: de grandes oreilles pour mieux vous entendre, de grands yeux pour mieux vous observer et, quand il retrousse les babines, de très grandes dents. C’est pour mieux vous sourire, mais aussi vous croquer, littérairement s’entend.

* «... et tout à coup, nom de Dieu, tout à coup elle a quelque chose. Si. Tout à coup elle a quelque chose qui te rend nerveux, tout à coup elle te plaît.»


Du dialecte au français
Dans les coulisses de la traduction

Traduire un texte en dialecte de Pedro Lenz, c’est toute une affaire, tant son écriture se nourrit de langue parlée, tant le dialecte suisse allemand, le bernois de Langenthal pour être précis, vit de sa sonorité, ce Klang cher à l’auteur. Son premier roman Der Goalie bin ig (vendu à 28 000 exemplaires à ce jour), prix Schiller 2011, est déjà sorti en traductions allemande, écossaise, italienne et lituanienne. Chacune a une histoire métissée. La traductrice italienne a une mère bernoise. Quant au texte espagnol, œuvre d’une femme qui a passé par Lucerne mais vient de Buenos Aires, il est mâtiné d’argot local, le bonaerense, et cherche encore son éditeur. Une entreprise ardue dans la crise que traversent aussi bien l’Espagne que l’Argentine.

Quant au texte français, les Editions d’en bas s’y sont lancées avec le concours de plusieurs plumes. L’éditeur bilingue Daniel Rothenbühler (directeur de la collection Spoken script qui a sorti la version originale du Goalie) et sa femme, la traductrice Nathalie Kehrli, ont écrit la version française. Ursula Gaillard, traductrice littéraire et de sciences humaines qui connaît aussi le berndeutsch, a assumé la tâche du lectorat. Puis l’auteure Isabelle Sbrissa a donné la touche finale, travaillant sur l’oralité, le rythme, la poésie sonore.

Intitulé «Faut quitter Schummertal!», le roman en français de Pedro Lenz sortira mi-mars en Suisse romande, aux Editions d’en bas. L’auteur participera au Salon du livre et de la presse à Genève. Il donnera des lectures publiques à Genève, le mardi 8 avril à 19 h (Bibliothèque de la Cité de Genève) et à Lausanne le mercredi 9 avril 2014 à 19 h (Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne).

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L’agressivité, tendance printanière

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:51

Publicité.Réputée avant-gardiste, la luxueuse maison Prada présente une campagne incarnant l’«optimisme agressif». Au risque de toucher à ses propres limites.

Elle trouve les pantalons si inconfortables qu’elle ne porte que des jupes. Elle est comme ça, Miuccia Prada: radicale. Et quand la styliste milanaise dessine des vêtements pour sa maison éponyme, elle les façonne à son image: sobre, chic et décalée. Avec toujours ce pas d’avance sur les tendances, cet instinct avant-gardiste. Et populaire. Chaque saison, «la Prada» réussit ce tour de force: faire de son anticonformisme une mode, que s’arrachent (à prix d’or) les fashion-addicts mondialisés. Tous adulent Miuccia, cette ex-soixante-huitarde communiste et docteure ès sciences politiques. Cette indécrottable féministe qui a toujours rêvé de changer le monde. A l’évidence, ses morceaux de tissus ont un parfum d’idéologie.

Pour ce printemps, celle que les journalistes italiens surnomment l’Impératrice propose aux femmes un nouveau concept intello-vestimentaire: «l’optimisme agressif». Cette mystérieuse notion apparaît sur prada.com, en accompagnement de la dernière campagne publicitaire de la marque. Et, comme on s’en doute, cela n’a rien à voir avec le marxisme-léninisme.

Battantes. Les règles pour devenir une optimiste agressive sont simples. 1) Porter des couleurs criardes. Tout l’arc-en-ciel. Des robes, des jupes, des manteaux en vison rasé, où des soutiens-gorges en trompe-l’œil côtoient des visages d’héroïnes fifties. 2) Piquer des détails aux footballeurs. Sandales à bout en caoutchouc, bords-côtes tricolores et jambières en laine rayées. Très moches, les jambières. Car, comme dirait Miuccia, «la laideur est séduisante». Et puis, il reste les sacs à main en croco pour compenser. 3) Faire la moue. Comme les égéries de la pub Prada: on creuse les joues et on fait son regard glaçant. Surtout, pas de sourire.

Pas ouvertement sexy, l’optimiste agressive poursuit un but: s’imposer face aux hommes. Lors de son défilé printemps-été 2014, l’Impératrice déclarait même vouloir «aider les femmes à lutter». Grâce à son look excentrique, la femme Prada parvient à se faire remarquer, à combattre les inégalités avec audace. C’est cela, l’optimisme agressif: croire mordicus que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. Une valeur sociétale à la hausse car, comme l’explique Henri Balladur, directeur de l’antenne genevoise de l’agence publicitaire Havas Worldwide, «les gens réalisent qu’il vaut mieux compter sur soi-même plutôt que d’attendre des bonnes actions de sa communauté». Tout de même: transposé au domaine du luxe, le terme d’optimisme «agressif» ne serait-il pas un peu… agressif? «C’est fait pour choquer, sinon c’est de l’eau tiède.»

Souriez! Question: pour s’imposer, faut-il tirer la gueule? A en croire la pub Prada, la réponse est oui. «Peut-être que la marque souhaite ainsi rester inaccessible», avance Henri Balladur. En 2014, le pouvoir serait donc toujours réservé aux garces. Exit l’optimisme décomplexé. Miuccia, papesse du luxe avant-gardiste, aurait-elle pris un coup de vieux? Quelle déception. «Cette publicité reste plus “punchy” et intrigante que celles de ses concurrents, qui se contentent souvent d’une seule égérie sur la photo», estime Henri Balladur.

Nombreuses, les mannequins Prada n’en sont pas moins statiques. Limite ennuyeuses. «Cette marque n’a pas besoin de dire grand-chose pour exister, déplore Jan Van Mol, fondateur du think tank créatif Addict Lab. Elle se contente de mettre ses produits en évidence sans raconter d’histoire.» Bon, sur son site, Prada propose une vidéo où les mannequins sautillent, dansent. Et sourient. Mais comment savoir que ce minifilm existe? Pourquoi nous as-tu abandonnées, Miuccia?

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Steven Meisel ©Prada
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Mars attaque

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:52

Funeste.Décembre, janvier et mars sont les mois qui comptabilisent le plus de morts selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique. Enquête et explications.

Les premières primevères fleurissent dans les jardins et des parfums de printemps flottent dans l’air. Mais attention: ceux qui pensent que les pires mois de l’année sont passés se trompent. Mars est en effet le troisième mois qui comptabilise le plus de morts, après janvier et décembre.
Selon les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS) – disponibles de 1969 à 2012 – janvier détient 25 fois la première place – avec un record de 7748 morts en 1990 – 9 fois la deuxième et 10 fois la troisième. Décembre occupe 10 fois le premier rang, 19 fois le deuxième et 6 fois le troisième. Quant à mars, il prend 7 fois la première place, 11 fois la deuxième et 19 fois la troisième place. Février et novembre essaient de faire la course, mais font pâle figure. Pas de doute: sous ses airs printaniers, mars est bien le dernier mois de tous les dangers.

Air froid tueur. Cheffe des Pompes funèbres de Lausanne, Chantal Montandon n’est pas étonnée par ces chiffres. Cette ancienne infirmière constate un regain de travail lors des mois d’hiver. «J’observe également l’influence de la pression atmosphérique: les gens meurent plus facilement lors des dépressions. Un jour de beau temps suivi par un jour de mauvais temps augmente le nombre de décès.» Pourquoi le mois de mars est-il dans le trio de tête? «La montée de sève arrive, les gens se relâchent, se disant "Ah j’arrive au printemps" et la mort survient.»

De fait, comme le confirme Fred Paccaud, directeur de l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive à Lausanne, «le phénomène est bien connu en santé publique». Il existe en moyenne une différence de 20% entre le pic de mortalité hivernal et le creux du mois d’août. Il constate que la saisonnalité est faible autour de l’équateur. «Elle augmente au fur et à mesure que l’on s’en éloigne. Les composantes essentielles sont les maladies cardiovasculaires, probablement via une vasoconstriction, une hypertension artérielle et une accélération du rythme cardiaque.»

La qualité de l’habitat est aussi un élément majeur dans la protection contre le froid. Coauteur d’une étude sur la variation des décès et des hospitalisations selon les saisons, le jour de la semaine et l’heure de la journée*, le professeur vaudois évoque encore d’autres facteurs comme la pollution aux particules fines qui a «un impact assez important sur les maladies cardiorespiratoires», une moindre exposition au soleil (elle permet la fabrication de la vitamine D importante pour les fonctions cardiaques), la grippe qui débouche sur des complications, mais également les allergies aux acariens et aux produits divers auxquelles les personnes sont plus exposées, car elles séjournent plus fréquemment entre quatre murs.

Autres mystères. Certes, toutes ces explications scientifiques sont convaincantes. Mais quel est le rôle de l’âme dans tout ça? Infirmière, psychothérapeute et chroniqueuse bien connue, Rosette Poletti a son idée sur la question. «Cette mortalité hivernale est liée à quelque chose de très profond, au rythme des saisons, à la météorologie, à des choses impalpables. Nous sommes bien plus en phase avec le cycle de la nature que nous ne voulons bien l’imaginer.»

Pasteur vaudois, Serge Molla, lui, en est persuadé: «La vie est en lien avec les fonctions vitales, mais ce qui nous tient en vie ce sont les relations. En fin d’année, lors des grands rassemblements, les gens qui sont seuls ressentent encore plus leur solitude. Et le corps lâche plus vite lorsque l’on se sent mal.» Mais pourquoi le mois de mars, juste à l’entrée du printemps? «Après l’hiver, on arrive en fin de course…»

A la tête de sa propre entreprise de pompes funèbres depuis vingt-quatre ans, Bernard Monbaron est bien placé pour constater ces variations: comme les autres années, il a travaillé non-stop en décembre et janvier. Mais une autre interrogation le laisse perplexe. Lui qui lit les annonces mortuaires au quotidien observe très souvent des séries de décès dans une même région et rien dans une autre. Avec humour il commente: «C’est comme si une soucoupe volante attendait ses passagers au-dessus d’un même territoire…»

*«Switzerland: Variation in Death and Hospitalization Across Seasons, Day of the Week and Hour of the Day. International Journal of Cardiology, 2013.»

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Genève, plaque tournante des oligarques ukrainiens

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:54

Enquête.Le fils du président renversé Viktor Ianoukovitch vend du charbon à deux pas de l’hôtel Intercontinental. Ses anciens amis et désormais adversaires ont leurs propres sociétés de négoce en ville. Berne fronce un sourcil.

Le 56, rue de Moillebeau est une barre d’immeuble tout ce qu’il y a de plus ordinaire pour le quartier des Nations, à Genève. Edifiée dans les années 60, elle offre le grand confort d’un bâtiment conçu pour les internationaux et les diplomates et la discrétion d’un quartier à l’écart des circuits touristiques tout en étant à deux pas de l’hôtel Intercontinental, traditionnel rendez-vous diplomatique et d’affaires. C’est l’adresse qu’a choisie Alexandre Ianoukovitch, le fils aîné du président ukrainien déchu, Viktor Ianoukovitch, comme point de chute en Suisse.

Mais c’est aussi une situation en péril depuis la destitution de son père de la présidence ukrainienne samedi dernier à la suite de la répression sanglante de la manifestation de la place Maïdan, au centre de Kiev. Une révolution qui s’est jouée certes dans la rue, mais aussi dans les bureaux feutrés des principaux milliardaires du pays. Indiscuté jusqu’en novembre, le soutien de ces derniers a commencé à s’effriter dès les premiers risques de sanctions de l’Union européenne contre leur pays, qui les menaçaient de couper leurs liens financiers et d’affaires avec l’Europe occidentale.

Or, quelques coups de cette partie d’échecs ont très bien pu se jouer en Suisse, à Genève en particulier, tant la Cité de Calvin est devenue une plaque tournante pour les intérêts ukrainiens. Au point de susciter certaines inquiétudes à Berne.

La si discrète Partifina SA
C’est à la fin de 2011 qu’ Alexandre Ianoukovitch, alors en pleine ascension, crée Mako Trading, une société de négoce au capital de 9,2 millions de francs et trois employés qu’il installe rue de Moillebeau. But: faire du négoce de charbon, à commencer par celui du bassin de Donetsk, la région où son père a commencé sa carrière politique. Mais Alexandre ne travaille pas que pour son papa. En trois ans, ce dentiste de 39 ans a amassé une fortune estimée à un demi-milliard de dollars, qui l’a propulsé à haute vitesse parmi les principaux oligarques du pays.

Le cœur de son empire est la holding Mako, basée à Donetsk dans l’est de l’Ukraine et dont dépend l’entité genevoise de négoce via une holding intermédiaire aux Pays-Bas. Ce conglomérat, qui a grandi à vitesse supersonique ces trois dernières années, est actif avant tout dans l’extraction du charbon. Mais il s’est diversifié dans les autres énergies, la construction et même dans des infrastructures portuaires en Ukraine. Parallèlement, Alexandre Ianoukovitch exploite une banque.

Une autre entité partage l’adresse de la rue de Moillebeau: Partifina. Cette petite société, au capital bien plus modeste (100 000 francs), se définit elle-même comme un family office. Autrement dit, elle s’est spécialisée dans la gestion du patrimoine de personnes très riches. Elle partage aussi avec Mako Trading le même responsable, Felix Blitshteyn. L’homme d’affaires suisse originaire d’Ouzbékistan serait-il le gérant de la fortune de la famille Ianoukovitch? Injoignable ces derniers jours, il a affirmé en mai 2013 à l’hebdomadaire ukrainien Korrespondent que «Partifina est mon entreprise personnelle qui est engagée dans la finance».

De l’acier et du gaz
Certaines sources attribuent cependant la propriété de cette société à un autre oligarque ukrainien. Et même le plus riche d’entre eux: Rinat Akhmetov, dont la fortune est estimée à 15,4 milliards de dollars. Ce qui souligne, au moins, l’étroitesse des liens entre le richissime patron de l’acier ukrainien et l’ex-président.

Le milliardaire règne sur l’acier, par l’intermédiaire du groupe Metinvest. Celui-ci exploite sa propre société de négoce de métaux, Metinvest International, créée en 1997 sous le nom de Leman Commodities. Ses locaux se trouvent dans un quartier nettement plus central que ceux d’Alexandre Ianoukovitch, rue Vallin, à l’aplomb des ponts de l’Ile. L’oligarque étend également son empire sur le charbon et le gaz via la holding DTEK. En pleine croissance, cette dernière a lancé en 2009 une activité de négoce, DTEK Trading, dont l’antenne genevoise a été ouverte en juin dernier à quelques pas de l’Hôtel des Bergues.

Et pour souligner combien les rives du Rhône semblent propices aux Ukrainiens dans ce domaine, deux autres oligarques, plus modestes, y ont également établi leurs quartiers. Sergueï Kourtchenko est un véritable météore. A 28 ans seulement, il s’affirme comme un champion du pétrole et du gaz: il a même acquis récemment une raffinerie stratégique du géant russe Lukoil. En septembre dernier, son groupe, Vetek, prenait pied à Genève en ouvrant coup sur coup une holding et une société de négoce de gaz naturel, Vetek Gas Trading and Supply. La société est encore domiciliée, pour le moment, chez un avocat.

Négoce à Zoug, boîtes aux lettres à Chypre
Déplaçons-nous maintenant à Zoug, autre centre de la finance et du négoce helvétiques. Les millionnaires ukrainiens apprécient aussi les charmes de la tourte au kirsch, de la fiscalité douce, d’un pôle de négoce en pleine croissance et de la proximité de Zurich. Dmitry Firtash, patron d’un conglomérat rassemblant notamment des activités gazières, pétrolières et immobilières sous le nom de DF Group, y a ouvert dès 2004 RosUkrEnergo, puis Ostchem Trading fin 2012, qui s’empare rapidement de larges pans du marché de l’importation de gaz russe en Ukraine.

Même s’il ne figure pas parmi les plus riches, ce multimillionnaire a néanmoins joué un rôle clé dans le basculement du régime la semaine dernière. Sa chaîne de télévision Inter, l’une des plus importantes du pays, a soudain donné la parole aux opposants de la place Maïdan, rompant avec la pratique précédente. Le message était clair: l’oligarque laissait tomber le président.

«Risque de réputation»
La Suisse n’est pas le seul rouage de ces hommes d’affaires. Leurs montages, souvent très complexes, s’appuient généralement sur des sociétés boîtes aux lettres chypriotes contrôlant des entités industrielles, commerciales et financières au pays. Et c’est à Londres que ces messieurs choisissent le plus souvent de résider. Rinat Akhmetov s’est ainsi offert en avril 2011 un duplex de 250 mètres carrés au 1 Hyde Park, l’une des adresses les plus prestigieuses de Londres, au prix de 201,1 millions de francs.

Néanmoins, leur présence inquiète les autorités fédérales. Loin d’être clairs, leurs réseaux laissent de larges plages aux extractions minières illégales, à la contrebande, à la criminalité organisée. L’Ukraine est le pays européen le plus corrompu, davantage encore que la Moldavie, l’Albanie, le Kosovo, la Biélorussie ou même la Russie, selon l’ONG Transparency International.

En 2012, le Conseil fédéral s’est vu remettre un rapport confidentiel soulignant «un risque de réputation pour le rôle de la Suisse en tant que place financière et d’affaires», selon le Tages-Anzeiger.

Deux oligarques ont particulièrement inquiété les limiers: Rinat Akhmetov et Dmitry Firtash, qui «n’auraient pas rompu avec la criminalité organisée russo-ukrainienne».

C’est également par la Suisse que Ioulia Timochenko a fait transiter une partie des fonds qu’elle a soustraits à son pays lorsqu’elle était premier ministre à Kiev, en 2005, puis entre 2007 et 2010. Du moins, c’est l’accusation que lui porte la justice ukrainienne. Début novembre, elle déposait plainte à Genève contre des banques pour blanchiment d’argent portant sur 200 millions de dollars.

La Suisse, qui joue le rôle de plaque tournante pour milliardaires ukrainiens, pourrait aussi en interpréter un autre dans la quête de justice et de lutte contre la corruption exigée par l’opinion publique de ce pays. Mais les autorités helvétiques restent prudentes. Les poursuites engagées contre Ioulia Timochenko en sont toujours «au stade préliminaire. Le procureur général n’a pas encore décidé de la recevabilité de cette plainte», précise François Membrez, l’avocat chargé de défendre les intérêts ukrainiens.

Pour sa part, Berne «examine» les sanctions décidées par l’Union européenne contre les responsables de la répression de la semaine dernière en Ukraine, qui a fait plusieurs dizaines de morts. A l’heure de mettre sous presse, le Conseil fédéral, seul compétent en la matière, n’avait pas pris la décision de bloquer les fonds très vraisemblablement déposés en Suisse ou gérés depuis ici, en dépit d’appels lancés depuis l’Ukraine. De même, il n’a pas décrété de restrictions de visas envers ces mêmes responsables.

Coupée désormais de ses appuis politiques, la société de trading de charbon d’Alexandre Ianoukovitch semble avoir l’avenir derrière elle, ce qui pourrait l’amener à quitter bientôt l’immeuble de la rue de Moillebeau à Genève. Mais la plupart des oligarques, qui ont pignon sur rue au bout du Léman ou à Zoug, peuvent se rassurer: leur présence ne semble pas du tout remise en cause par la révolution qui vient de se dérouler à Kiev.

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Ria Novos, Anton Denisov / Keystone
Thierry Parel
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