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Bruxelles, la mal-aimée des rédactions

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:55

Médias.La presse, notamment écrite, traite mal des enjeux européens, qu’elle trouve sans intérêt, trop compliqués. Témoignage et analyse.

Pour illustrer la difficulté de couvrir l’actualité européenne, rien de mieux qu’un petit exemple. Personne ne conteste que l’année 2014 sera une année européenne: toutes les institutions communautaires vont être renouvelées, du Parlement à la Commission en passant par la présidence du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, le Ministère des affaires étrangères de l’Union et la présidence de l’Eurogroupe. Le journaliste en poste à Bruxelles se dit donc que l’appétence de sa rédaction pour ces sujets généralement jugés ennuyeux au pire, techniques au mieux, va être forte, pour une fois, d’autant que le choc brutal des intérêts nationaux et politiques (quelle nationalité, de quel parti pour quel poste?) permet une belle mise en scène du théâtre européen.
La bataille pour la présidence de la Commission, l’un des postes clés de l’Union, est sans aucun doute la tête d’affiche de cette année électorale. Car, pour la première fois, l’enjeu des élections européennes sera clair: il s’agit de choisir le futur patron de l’exécutif communautaire, même si les gouvernements mènent un combat d’arrière-garde pour conserver cette prérogative. Une personnification de l’Europe, quoi de plus vendeur? Notre journaliste bruxellois suit l’affaire sur son blog depuis septembre 2013. Mais il sait qu’il faut attendre un «élément d’actualité» – soit une dépêche d’agence, pour le dire crûment – pour espérer placer un article dans le journal papier. L’occasion se présente début novembre, lorsque les socialistes européens désignent le social-démocrate allemand Martin Schulz comme tête de liste pour les élections du 25 mai, ce qui en fait leur candidat pour la présidence de la Commission.

Trop «cuisine européenne». Le sujet semble intéresser le service étranger. Frétillant d’aise, le journaliste rédige un article livrant toutes les clés de la bataille qui se livre dans les couloirs de Bruxelles, Paris, Berlin, Londres, etc., un vrai jeu d’échecs européen… Tombe la réaction de la hiérarchie du service: aucun intérêt, trop «cuisine européenne», trop compliqué, ça ne peut «passionner que les amateurs de la chose» (manifestement, une sorte de secte…).
Bref, pas question de passer un tel article dans le noble journal papier, d’autant que la place est comptée, les sujets jugés bien plus passionnants se bousculent au portillon, comme la Turquie, la Syrie, la Russie, que sais-je? De toute façon, argument fatal, on a le temps, puisque le président ne sera connu qu’en mai ou en juin…
Le journaliste fait appel de ce verdict auprès de la direction du journal, qui lui donne raison. De fait, il ne viendrait à l’idée d’aucun journaliste de ne pas traiter les primaires américaines et d’attendre le 6 novembre pour parler de la présidentielle US…
Mais son service étranger fait de la résistance et ne publie finalement le papier qu’à la mi-janvier, soit cinq mois après que le journaliste en a parlé pour la première fois sur son blog.
Même s’il s’agit (bien sûr) d’une anecdote imaginaire se déroulant dans un journal tout aussi imaginaire (toute ressemblance blablabla), elle montre la difficulté qu’il y a à couvrir l’actualité européenne, difficulté qui est elle-même révélatrice de l’archaïsme des rédactions.

Quelle image, coco? L’Europe concentre tout ce que les journalistes n’aiment pas: un sujet complexe aux confins de la diplomatie, de la politique, de l’économie, de l’histoire, un sujet institutionnel, peu spectaculaire (quelle image, coco?), donc forcément «ennuyeux», «éloigné des gens». Curieusement, ce désintérêt médiatique ne se retrouve pas chez les citoyens, comme on a pu le voir en France, lors des référendums européens de 1992 et de 2005. D’ailleurs, sur le Net, les questions européennes rencontrent un succès certain.
Cela n’a rien d’étonnant: les Européens vivent en Europe et, même si la construction communautaire est complexe, c’est la réalité dans laquelle ils évoluent et ils ont besoin que les journalistes les aident à décrypter ce qui s’y passe. Surtout depuis que la construction communautaire s’est accélérée à l’occasion de la crise de la zone euro.

Approfondissement manqué. Or, l’approfondissement de l’Union n’a absolument pas été suivi par un traitement renforcé de l’actualité européenne dans les médias classiques. Dans le cas de la France, on peut même dire que c’est le contraire qui s’est passé. Ce constat est variable selon les médias, selon les titres, selon les services, selon l’actualité: par exemple, la crise de la zone euro a été soigneusement couverte par les services économie de l’ensemble de la presse, mais n’a eu que peu d’échos dans les autres sections des journaux, alors même que ses conséquences dépassent largement les seules questions monétaires et économiques.

Un luxe. Une multitude de facteurs concourent à ce désintérêt. D’abord, la formation de plus en plus standardisée et généraliste des journalistes (en France: Sciences Po et école de journalisme) qui met l’accent sur la noblesse du «grand reportage»: couvrir une guerre, une catastrophe, parcourir la Chine: ça, c’est excitant, bien plus que l’aride décryptage de l’actualité européenne qui nécessite d’avoir un bagage juridique, économique, historique, diplomatique. Entre un poste à Bruxelles et un autre à New York, le choix est souvent vite fait.

Ensuite, dans un contexte d’appauvrissement des journaux, le rubricard ou le correspondant spécialisé est un luxe que peu de journaux peuvent encore se permettre. La structure des services, héritée du siècle dernier, n’est pas non plus à négliger: où mettre l’Europe qui touche tous les domaines (politique, diplomatie, société, économie, média)? Dans une rubrique à part? Partout où l’actualité l’impose? La presse écrite, sauf exception, n’a jamais créé de rubrique Europe, souvent à cause de la résistance du service étranger.

Le résultat est simple: entre un typhon aux Philippines et la course à la présidence de la Commission, c’est toujours le sujet jugé le moins ennuyeux, le moins compliqué qui emporte l’arbitrage, surtout dans un système de place contrainte. Dernier élément, la montée de l’euroscepticisme qui n’encourage pas les rédactions à placer l’Europe au centre.

De plus, il est fascinant de constater que suivre l’actualité européenne est souvent perçu dans les rédactions comme un choix idéologique, alors qu’il ne viendrait à l’idée de personne de considérer que le suivi de l’actualité américaine est un choix pro-américain.

Aujourd’hui, en France, ne pas traîner dans la boue Bruxelles en toute circonstance, c’est-à-dire faire un travail de journaliste, vous expose à l’accusation d’européisme, un néologisme dégradant (infiniment plus négatif qu’europhile) popularisé par Jean-Marie Le Pen. L’air du temps est au souverainisme.

De façon plus générale, l’Europe est victime d’une tendance des médias à se méfier de la complexité, comme le montre l’accent mis sur l’infotainment (mélange d’information et de divertissement) ou le traitement de l’actualité internationale (quand elle n’est tout simplement pas éliminée) par le biais de faits divers «révélateurs». Or, Bruxelles, c’est rarement le fait divers et toujours la complexité…

Ces choix seraient difficilement contestables si les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs les validaient. Or, c’est exactement l’inverse qui se passe: les ventes de la presse écrite s’effondrent et les télévisions généralistes commencent à souffrir. En revanche, les médias qui ont misé sur la qualité, le décryptage, bref la valeur ajoutée, vont bien: sans même parler de la presse anglo-saxonne (style Financial Times, The Economist, New York Times), on peut citer en France Les Echos et La Croix. C’est aussi vrai des sites web, spécialisés ou non, qui offrent un traitement de l’information plus exigeant. Est-ce un hasard si des pure players comme Médiapart ou le petit nouveau Contexte ont immédiatement créé un poste de correspondant à Bruxelles?

Révélateur. La façon dont les médias couvrent l’Europe n’est donc qu’un révélateur des archaïsmes de la presse, notamment écrite, qui n’a toujours pas intégré que la révolution du Net l’a fait changer d’ère.

Tout ce qui est compliqué, et l’Union l’est, c’est cela le miel de la presse de qualité (sur papier ou en ligne), ce qui justifie son existence. La facilité, le conformisme, l’air du temps, voilà ce qui la tuera.

«L’Hebdo» et la Fondation Jean Monnet pour l’Europe organisent le 11e Dialogue européen autour de «L’Europe et les médias», le 20 mars à 17 h 30 à l’Université de Lausanne. Le débat sera animé par Alain Jeannet, rédacteur en chef de «L’Hebdo», et présidé par José María Gil-Robles, président de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe.
Avec Sylvie Goulard, membre du Parlement européen, Roger de Weck, directeur général de la SRG SSR, et Thomas Klau, directeur du bureau de l’European Council on Foreign Relations, à Paris.
Inscriptions: www.jean-monnet.ch

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Nouvel appel européen

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:56

Mobilisation.Le Nomes (Nouveau mouvement européen suisse) convoque des états généraux le 10 mai prochain, et lance un appel dont nous publions le texte.

«Le 9 février 2014, le consensus suisse est mort. Le 9 février 2014, l’UDC et ses amis ont tué le consensus suisse.

Qui sont les victimes? Les Suisses eux-mêmes. L’économie suisse, la diplomatie suisse, la recherche suisse, les étudiants suisses.

Ces vérités ne peuvent plus être passées sous silence. Elles étaient prévisibles.

Aujourd’hui, l’avenir du pays ne se fonde plus sur la célébration de ses mythes. Aujourd’hui, l’avenir du pays passe par ses forces vives, par sa diversité, par sa volonté de progrès, par l’Europe.

Si la Suisse introduit des contingentements, elle met fin d’elle-même aux accords bilatéraux. Pour éviter ce désastre, elle n’a qu’une issue: revenir sur la votation du 9 février 2014 et choisir l’Union européenne dont elle partage les valeurs.

Tous les Suisses sont des Européens! Mais ils ne parviennent plus à définir leur destin dans leur propre famille. Voilà la question existentielle qui ne peut plus être éludée. Le temps du débat est venu. C’est dans cet esprit que nous vous invitons aux ÉTATS GÉNÉRAUX EUROPÉENS, qui se tiendront le 10 mai 2014 à Berne.»

Pour signer l’appel et s’inscrire aux états généraux européens: www.europa.ch/index.asp?Language=FR&page=inscription, info@europa.ch
ou 031 302 35 36 (secrétariat du Nomes).

La liste des 30 premiers signataires
Max AMBÜHL, vice-président d’honneurdu Nomes; Josiane AUBERT, conseillère nationale; Micheline CALMY-REY, professeure associée, UNIGE; Gilbert CASASUS, professeur d’études européennes, UNIFR; François CHERIX, vice-président du Nomes; Yves CHRISTEN, ancien président du Conseil national; Thomas COTTIER, professeur et directeur de l’Institut européen, UNIBE; Jacques DUCRY, vice-président du Nomes; Remo GALLI, ancien conseiller national; Dan GALLIN, syndicaliste; Jacques GUYAZ, ancien magistrat de la Cour des comptes du canton de Vaud; Sebastian VON GRAFFENRIED, président de la YES; Adrian HADORN, ambassadeur; Armin JANS, ancien conseiller national; Dominique JORDAN, économiste; Hans-Ulrich JOST, professeur honoraire, UNIL; Margret KIENER NELLEN, conseillère nationale; Georg KREIS, professeur honoraire, UNIBS; Nicolas LEVRAT, professeur et directeur de l’Institut européen, UNIGE; Ruth LUETHI, ancienne conseillère d’Etat; Raphaël MAHAIM, député; Christa MARKWALDER, conseillère nationale et présidente du Nomes; Michel MORET, éditeur et écrivain; Martin NAEF, conseiller national; Jacques NEIRYNCK, conseiller national et député; Roger NORDMANN, conseiller national; Jean-Christophe SCHWAAB, conseiller national; Aline TREDE, conseillère nationale; Luzius WASESCHA, ambassadeur; Jean ZWAHLEN, ancien directeur de la BNS.

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Invitation aux 900 000 Suisses sans passeport

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:57

Werner de Schepper
«Vous êtes étranger? Je suis heureux que vous soyez ici. Vous faites partie de la Suisse.» Ce texte figure sur un autocollant que Caritas Suisse distribue, en guise de «geste de respect et de reconnaissance envers le 1,8 million d’étrangers vivant en Suisse», au lendemain du oui à l’initiative «Contre l’immigration de masse».

 

Questions existentielles. C’est bien. Et c’est même nécessaire dans le climat perturbé de repli sur soi où nous vivons. Car tout à coup, depuis le 9 février, des questions tout à fait existentielles se posent à bien des étrangers, même s’ils vivent depuis des années ou des décennies en Suisse: que se passera-t-il si mon autorisation de séjour échoit, si je perds mon travail ou si je veux changer d’emploi? Dois-je désormais me justifier sans cesse parce que je vis et travaille ici?

L’acceptation de l’initiative UDC touche directement tous les étrangers de Suisse. Et seulement indirectement les Suisses. C’est le grand truc des initiatives UDC: elles ne touchent jamais directement ceux qui votent. Aucun de ceux qui ont voté oui ne doit craindre d’être renvoyé à la frontière. Mais pour tous ceux qui n’ont pas le passeport de ce pays, des questions se posent. Car, en Suisse, ce n’est plus la «préférence aux résidents» qui sera appliquée, celle qui incluait les étrangers établis depuis longtemps (avec permis C). Désormais, l’employeur devra d’abord établir – du moins selon le texte accepté de l’initiative UDC – qu’il n’a pas pu trouver de Suisse avec passeport pour un emploi. La préférence aux résidents est devenue préférence aux Suisses.

Chères étrangères, chers étrangers, soyons honnêtes: la plupart d’entre nous se sentent chez eux en Suisse depuis belle lurette. La plupart d’entre nous ne pensent pas vraiment à rentrer dans leur patrie. La plupart d’entre nous sont Suisses, mais sans passeport suisse.

Etrangers? Dans ce pays vivent 900 000 étrangères et étrangers qui remplissent toutes les conditions pour le passeport suisse:
- Nous maîtrisons au moins une langue nationale.
- Nous travaillons ici depuis longtemps.
- Nos enfants vont à l’école ici.
- Nous gagnons notre vie et nous ne coûtons rien à personne.
- Nous nous intéressons à la politique tout autant, ou tout aussi peu, que les Suisses avec passeport.
- Et, oui, nous sommes tout autant énervés quand une décision qui ne nous convient pas est prise dans les urnes.

 

Naturalisation. J’appelle tous les Suisses sans passeport à devenir désormais des Suisses avec passeport rouge. Je sais de quoi je parle. Je suis né à l’étranger. Mes parents sont originaires de l’étranger. Pendant quarante-quatre ans, je n’ai pas voulu devenir Suisse. Pourquoi? Bien sûr un peu par respect pour l’origine de mes parents. Bien sûr un peu parce que, autrefois, le passeport était très cher. Bien sûr un peu parce qu’une tronche comme moi ne se voyait pas aller quémander à la porte des autorités, se présenter devant la Commission de naturalisation et faire le beau. Et bien sûr quelques jeunes gens n’ont pas voulu d’un passeport rouge qui les aurait contraints à faire leur service militaire ou leur service civil. Mais tout de même: ce qui est décidé ici sur le plan politique, c’est notre affaire. Nous devons collaborer à la société dans laquelle nous vivons.

De nos jours, la plupart des Etats de l’UE permettent ce que la Suisse permet depuis longtemps: la double nationalité. La plupart ne doivent donc pas renoncer à leur identité d’origine. Nous ne sommes pas dans le reniement, nous sommes des concitoyens de la Confédération, dans la conscience entière de notre origine. Pas de simples citoyens qui pensent, profitent, souffrent, travaillent, paient leurs impôts au diapason, mais des citoyens qui participent pleinement aux décisions du pays dans lequel ils vivent.

Un signal fort. Il va de soi que les Suisses ne veulent pas de nous tous, même si nous répondons à tous les critères du passeport rouge. Mais nous pouvons devenir Suisses sans problème. Au moins 900 000 du 1,8 million d’étrangers qui remplissent ces critères peuvent envoyer un signal fort. C’est peut-être même notre devoir, notamment à cause de ces étrangers qui sont vraiment non désirés, qui ne peuvent se défendre, qui sont requérants d’asile ou ne sont franchement tolérés que comme main-d’œuvre à bon marché.

Si, maintenant, les 900 000 Suisses sans passeport décrochent le passeport qui leur revient, la Suisse comptera 900 000 citoyens de plus, qui contribuent pleinement à la vie de ce pays. Nul ne peut ni ne veut renoncer sérieusement à ces 900 000 Suisses-là. Ils sont profitables à la Suisse. Du coup, on n’aura plus un record de 1,8 million d’étrangers mais la moitié seulement. Un chiffre comparable avec ceux d’autres pays.

Qui sait à quoi aurait ressemblé la Suisse au soir du 9 février si 900 000 Suisses sans passeport rouge avaient voté avec un passeport rouge? Peut-être aurait-on eu le même résultat, peut-être aurait-on eu le résultat inverse avec 19 000 voix de différence. Mais peut-être aussi le résultat eût-il été très nettement différent.

Nous ne le saurons que si nous le faisons. Pour ceux qui sont mariés avec une Suissesse ou un Suisse, ce n’est pas un problème. Mais pour ceux qui doivent passer l’examen et qui sont allés à l’école ici, même s’ils jugent indigne d’être testés sur Dieu sait quelle idée de la Suisse par un examen primitif, il vaut la peine de se déplacer. Sous peine d’être déplacés. Peut-être sans ménagement. L’examen, nous le passons sans problème. Nous savons que nous devons répondre au QCM que le plat préféré des Suisses est la saucisse de veau avec röstis, même si nous préférons la pizza.

Bien sûr, après le 9 février, c’est beau de voir Caritas s’adresser à nous par «chers concitoyens». Mais nous ne le sommes pas. Nous ne le serons politiquement qu’avec le passeport rouge. Sans quoi nous resterons des étrangers. Certes, ce n’est pas infamant mais, encore une fois, la plupart d’entre nous ne sommes pas de vrais étrangers. Au contraire: la plupart sont simplement des Suisses sans passeport. Donc, demandons-le. Nous serons ainsi des Suisses avec passeport. Et nous aurons droit à la parole.

Bougeons-nous afin que la Suisse bouge.

P.-S. Je l’ai fait et c’est très bien.

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«Le dossier européen peut être un facteur de déstabilisation du pays»

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:58

Pierre-Yves Maillard. Vingt-deux ans après le non à l’EEE, l’étudiant devenu conseiller d’Etat se retrouve aux affaires dans un pays de nouveau divisé. Il propose un vote qui donne à la population l’occasion d’affirmer la relation qu’elle souhaite avec l’UE.

Ce dimanche-là, le jeune secrétaire de la Fédération des étudiants de l’Université de Lausanne se retrouve en pleine tourmente européenne. La claque vient de retentir en ce 6 décembre 1992: Christoph Blocher triomphe. Une petite majorité de Suisses a dit non à l’Espace économique européen (EEE) et le fossé de rösti écartèle le pays. Hier au cœur du mouvement Nés le 7 décembre, Pierre-Yves Maillard, vingt-deux ans plus tard, doit «éviter la catastrophe» que pourrait entraîner le oui à l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse.

Après le temps des manifestations, le temps des responsabilités. Le président du Conseil d’Etat, qui avait emmené le gouvernement in corpore dans la campagne, «parce que l’heure est grave», souligne que son gouvernement travaillera avec le Conseil d’Etat genevois pour défendre les intérêts de la région. Personnellement, il est convaincu que le peuple suisse doit pouvoir voter sur le fond de sa relation avec l’Union européenne.

Vous aviez 24 ans à l’époque du non à l’EEE. Votre éveil à la politique date-t-il de ce soir-là?
Non. Mon engagement remonte au-delà. En 1992, je siégeais au Parlement de la ville depuis deux ans.

Comment avez-vous vécu la naissance du mouvement des jeunes pour l’Europe?
Le lundi matin, face au courant nationaliste et xénophobe, l’agitation régnait au sein des étudiants. Un ami a déboulé dans mon bureau: «Faut faire une manif!» Nous l’avons organisée et, le soir même, nous étions 1500 personnes devant le Château, à Lausanne.

Comment le mouvement a-t-il essaimé dans le pays?
Quelques jours plus tard, lors d’une réunion nationale d’étudiants à laquelle participaient notamment la Genevoise Véronique Pürro, des syndicalistes ou des radicaux comme Sabine Döbeli, a émergé l’idée de créer un mouvement et d’organiser une manifestation nationale. Puis nous avons donné une conférence de presse; nous étions dix intervenants. Un journaliste nous demanda s’il ne fallait pas accepter ce que le peuple avait voté. Embarras. J’ai alors pris la parole, rappelé que, pour le vote des femmes et pour l’AVS, il a fallu voter plusieurs fois; surtout quand c’est serré, on peut revenir sur un avis.

Mon adhésion au mouvement proeuropéen s’est donc faite un peu par hasard. Je voulais une Suisse productive et ouverte, pas refermée sur un modèle de développement uniquement lié à la finance et à l’évasion fiscale. A Berne, j’ai tenu un discours contre la xénophobie, pour les Italiens, les Espagnols et tous les autres qui soignent nos anciens, construisent nos routes. Mais, si j’adhérais aux espoirs de paix et de développement qu’avaient amenés Mitterrand et Delors dans la construction européenne, je voyais aussi les prémices de la libéralisation qu’avaient apportées leurs concessions à Margaret Thatcher. Je restais donc critique, soucieux de ne pas brader le service public ou la souveraineté monétaire.

Ce nouveau vote qui divise le pays en 2014, du déjà-vu?
Malgré certaines similitudes avec 1992, comme le pourcentage de oui à 50,3%, il y a eu des changements. Le canton de Zurich a voté comme nous, ce n’est pas rien, et la Suisse romande a dit non, quand bien même l’UDC blochérienne existe désormais chez nous aussi, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans. Les régions les plus dynamiques, celles où recherche et exportation sont les plus importantes, ont dit non, alors qu’elles sont les plus touchées par la réalité de la libre circulation. Les arguments non identitaires pour un oui – problèmes de logement, de dumping par exemple – n’ont pas entraîné ceux qui pourtant vivent à des degrés divers ces réalités. Aujourd’hui, on ne peut pas nier qu’il y a un élément xénophobe dans ce vote.

C’est précisément ce qui me mobilise, aujourd’hui comme hier, la lutte contre le poison xénophobe, dans l’intérêt du pays lui-même. Parce que les déclarations de Christoph Blocher contre les Romands ont bien montré que ce poison poursuivait son œuvre de division à l’intérieur du pays.

Comment répondre à cette division, relancer le débat sur l’adhésion à l’Union?
Non. Après 1992, le Parti socialiste a trop ignoré les défauts de construction de l’UE, il ne faut pas refaire cette erreur. L’UE manque notamment de ce qui fait tenir la Suisse ensemble: des mécanismes efficaces de péréquation entre pays qui ont des écarts de productivité énormes, des services publics, un projet de convergence sociale.

Nous devrions simplement définir une fois le type de relation que nous voulons avoir avec l’UE, au moyen d’un texte constitutionnel qui exprime ce que la population souhaite manifestement et qui propose un choix clair et global. L’initiative de l’UDC a été vendue comme une possibilité de régler l’immigration sans rompre avec l’UE. Ses partisans ont bercé les gens d’illusions sur ce point. S’il s’avère, comme malheureusement les événements récents le laissent craindre, que ce vote peut réellement conduire à une rupture de nos liens avec l’Europe, alors la sincérité du vote aura été faussée.

Que suggérez-vous? Donner à la population la possibilité de s’exprimer de nouveau?
Je n’ai pas de solution miracle et suis ouvert à toute démarche constructive et collective pour avancer. A titre personnel, je pense que le Conseil fédéral et le Parlement pourraient proposer un texte constitutionnel qui, à la place de celui de l’UDC, affirmerait très simplement que notre relation avec l’Union européenne se fonde sur des accords bilatéraux. La rupture ou l’adhésion seraient ainsi écartées, sauf à changer la Constitution. La libre circulation, comme corollaire de ces accords, pourrait être posée comme principe, si elle est assortie de la possibilité d’activer des clauses de sauvegarde en cas de difficultés sérieuses liées à une croissance démographique trop rapide. Un frein ponctuel serait possible, soit sur la base de critères objectifs, soit d’un commun accord.

Il faut une réponse à ceux qui s’inquiètent d’un développement illimité, d’une population qui augmenterait trop rapidement. C’est ce qui a manqué dans la campagne. La gauche a dit que la garantie de bonnes conditions de travail allait réduire l’intérêt des entreprises à aller chercher au loin des forces de travail bon marché. Or, les milieux économiques ont refusé de renforcer les mesures d’accompagnement. Ce qui a déstabilisé une partie de l’électorat. Sur ce point aussi, un article constitutionnel serait l’occasion pour les forces économiques et politiques favorables à l’ouverture de formuler un compromis pour préserver nos conditions de travail.

Et quand serait le moment opportun pour soumettre une telle décision au peuple?
Le calendrier pose l’échéance croate comme premier rendez-vous. On pourrait imaginer que le Conseil fédéral, désireux de ne pas rompre avec l’UE, propose la libre circulation avec la Croatie en même temps qu’un article qui ancrerait notre relation bilatérale avec l’Union dans la Constitution, avec des clauses de sauvegarde et de protection des conditions de travail. Cette démarche pourrait fédérer les forces de tous bords qui sont convaincues que les intérêts du pays se fondent sur l’ouverture à l’Europe et au monde. Le pays est au-devant de risques sérieux, et le pire est de croire que notre bonne étoile nous protégera quoi qu’on fasse à Berne et quoi que décide le peuple. Face aux risques réels et imminents, il faut un compromis. Les querelles politiciennes de pur positionnement sont hors de propos.

Pour lutter contre ces divisions, irez-vous manifester à Berne le 1er mars?
On verra mais, avec mes collègues du gouvernement vaudois, nous voulons être actifs, parce que nous percevons des risques majeurs pour le développement de notre région, ne serait-ce qu’en raison des difficultés qui frappent de plein fouet nos hautes écoles. Pascal Broulis et François Longchamp ont pris contact et nous allons essayer d’agir ensemble avec le canton de Genève. Nos intérêts sont semblables, tout comme les votes de notre population, et nous nous sommes tous engagés dans la campagne. Nos cantons ont traversé une grave période de crise après le vote de 1992. Nous avons connu des affrontements politiciens stériles, puis nous avons remonté la pente, notamment parce que des compromis ont été possibles entre forces politiques que tout semblait opposer. Dans ce dossier européen qui peut être un facteur de déstabilisation pour le pays, les acteurs principaux doivent être le Conseil fédéral et le Parlement, mais nos cantons sont disponibles pour travailler à des solutions pragmatiques, dans un esprit de large compromis.


Pierre-Yves Maillard

1968 Naissance à Lausanne.
1994 Enseignant de français et d’histoire.
1999 Conseiller national.
2000 Secrétaire syndical à la FTMH Vaud-Fribourg.
2004 Conseiller d’Etat vaudois.
2012 Présidence du Conseil d’Etat vaudois pour cinq ans.

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Lettre ouverte à la génération Easyjet et Erasmus

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 05:59

Johan Rochel

Le sort nous joue parfois des tours: j’ai reçu par SMS le résultat final de la votation du 9 février alors que je me trouvais sur un bateau entre Manhattan et Staten Island. A mes côtés, tout le monde se pressait contre les fenêtres pour photographier la célèbre statue. Le symbole de la liberté et de l’appel aux migrants se tenait là, inébranlable sur son socle, pris sous les assauts de dizaines de touristes avides de ramener un souvenir. Pour sa part, le SMS parlait des quelque 19 000 voix d’écart.

Le choc passé, les réseaux sociaux ont commencé à résonner de mille bruits, les échanges d’e-mails à tourner à plein régime. Peu après, les assemblées de fond de cafés ont pris le relais. Dix jours après le vote, le résultat porte à la surface une formidable envie de se battre pour une autre Suisse. Partout, l’énergie libérée par ce vote du 9 février est palpable. Il est grand temps de la saisir à pleines mains.

Cette énergie est nourrie par les valeurs d’une Suisse ouverte et dynamique, sûre de ses forces et de ses compétences, considérant l’étranger comme une chance et une opportunité avant d’y voir une menace. C’est la Suisse qui gagne et qu’on fête volontiers avec Stanislas Wawrinka à Melbourne et les Suisses à Sotchi. En plus de nos athlètes d’exception, célébrons une Suisse prospère qui vit de ses talents et de son ouverture au monde. Soyons fiers de nos performances incroyables en tant que société.

Cette énergie se doit d’être spécialement portée par ma génération. Nos chances et opportunités sont touchées de plein fouet par les conséquences de la votation du 9 février. Celles-ci étaient prévisibles et connues: les citoyens qui ont accepté l’initiative ont décidé de ne pas tenir compte de ces problèmes. L’heure n’est pas au règlement de comptes: ma génération doit monter au créneau et défendre bec et ongles ses visions pour la Suisse de demain.

Deux symboles forts caractérisent ma génération: easyJet et Erasmus. La génération easyJet, c’est la génération de l’Europe à portée de voyage. Nous sommes nés avec la possibilité de passer un week-end à Barcelone, de rendre visite à quelques amis à Berlin et de s’offrir un match de foot à Londres. Le tout en montrant brièvement sa carte d’identité à un douanier somnolent, gardien désœuvré d’un espace de droits et de liberté. Cette Europe-là a construit nos repères internationaux, marquant nos premiers voyages du sceau de la liberté et des plaisirs d’aller à la rencontre du continent. L’Europe n’est plus l’étranger, c’est le temps des loisirs et des découvertes.

A cette frénésie de voyages s’est ajoutée la mobilité estudiantine et professionnelle. Rappelez-vous L’auberge espagnole, véritable cri du cœur de tous les étudiants européens réunis autour d’un frigo rempli à craquer. Notre génération Erasmus a grandi avec la conscience de pouvoir se former et travailler à travers l’Europe. Bien plus qu’un simple coup du hasard, nous avons appris à considérer cette chance comme un droit propre! Ce droit a façonné notre rapport à l’Europe, intégrant le continent et ses opportunités dans nos plans de vie et de carrière.

Dans la campagne pour le 9 février, ma génération n’a pas réussi à suffisamment plaider sa cause. Mais l’énergie ne manque pas pour rattraper le retard. Concentrons cette énergie et unissons les forces positives du pays dans un mouvement pour une Suisse prospère. Réapproprions-nous les définitions des termes «opportunité», «croissance», «souveraineté», «prospérité». Dans cet effort, remettons au cœur des questions politiques l’idéal de liberté individuelle, le seul capable de garantir à chacun les opportunités de choisir et de réaliser la vie qu’il souhaite. Le seul en mesure de poser les bases d’une Suisse entreprenante et prête à conquérir le XXIe siècle.

Forts de cette vision pour la Suisse de demain, partons à la rencontre de tous les Confédérés et proposons-leur ces nouvelles alternatives. Portées avec conviction par les forces vives et progressistes du pays, ces visions trouveront preneurs. En avant!


Johan Rochel
Né en 1983, vice-président du think tank foraus - Forum de politique étrangère. Chercheur à l’Université de Zurich et doctorant à l’Université de Fribourg. Il tient un blog sur www.hebdo.ch: Une Suisse en mouvement.

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Génération 9/2: jusqu’où ira-t-elle?

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 06:00

Mobilisation. Les réseaux sociaux ont révélé l’ampleur du désarroi des jeunes, soudain menacés d’être privés d’Erasmus. Ils font émerger une nouvelle génération qui s’essaie à l’action politique, sur les traces de celle née le 7 décembre 1992.

Sou’al Hemma berne

Le 20 février 2014. Palais fédéral, Berne. A l’heure des derniers rayons de soleil, une dizaine de jeunes s’installent à la terrasse de Chez Edy. Réunis autour d’une cause commune: la défense des accords Erasmus+ et Horizon 2020. Dont la Suisse a été exclue le 16 février 2014. Ils se préparent. Répètent leur texte. Débattent. Génération Y oblige, ces «digital natives» ont d’abord squatté les réseaux sociaux pour exprimer leur désarroi face au vote serré du 9 février «contre l’immigration de masse» et ses conséquences funestes sur la mobilité estudiantine et l’avenir de la recherche. Mais rien ne vaut une manifestation, une vraie, sur la place Fédérale. La Toile virtuelle n’est pas que bonne à partager l’indignation, elle sert aussi à rameuter les troupes concrètement.

Iván Ordás Criado est le président de la Fédération des étudiants de Neuchâtel (FEN). C’est lui le fer de lance de l’enterrement symbolique d’Erasme, prévu ce soir-là.

Ce binational suisso-espagnol de 26 ans regrette que la Suisse ait raté le coche en 1992. Mais il n’est pas là pour parler du passé. «Traditionnellement, la FEN a toujours été areligieuse et apolitique. Même si ce dernier trait de caractère s’estompe avec les années, nous sommes ici aujourd’hui pour donner un visage au monde académique.»

Après le deuil, l’engagement. Alice Genoud a 22 ans. Elle préside les Jeunes Verts vaudois et veut porter le débat au-delà des intérêts menacés dans l’immédiat. «La plupart de nos membres sont des étudiants. Mais nos objectifs dépassent la récupération des accords Erasmus et de recherche.» Quant à Maxime Mellina, 22 ans lui aussi, il est le représentant de l’Union des étudiants suisses (UNES). Il refuse de se positionner politiquement. «L’UNES est apartisane. Elle ne veut pas être transformée en pion, prise en otage par la politique. Tout ce que nous visons, c’est le bien de la recherche.»

18 heures sonnent. La discussion sur la nature, la couleur ou la durée de leur engagement reprendra plus tard. L’heure est au happening: le comité d’organisation installe le cercueil d’Erasme. Face à lui, quelque trois cents étudiants, romands pour la plupart, venus le rejoindre pour réveiller la population. Montrer l’urgence du besoin de réanimer Erasmus. Et assister à la pièce que la FEN a concoctée. Une pièce qui se joue en trois actes. La mise en terre d’Erasme, d’abord. «Erasme avait 20 ans. Il est mort. Cet humaniste qui a permis à tant de jeunes de découvrir le monde n’est plus.» Surgit ensuite un étudiant révolté. «Engagez-vous! Engagez-vous! Ne baissez pas les bras!» Enfin, Erasme ressuscite. Les cris fusent. Les applaudissements résonnent. Et la voix d’Iván Ordás Criado reprend: «Engagez-vous! Auprès d’une association d’étudiants. Ou dans n’importe quelle structure. D’une manière ou d’une autre, participez aux décisions.»

Cet appel suffira-t-il à mobiliser les jeunes et à éclaircir l’horizon post-9 février? Dans la foule, la conseillère nationale Cesla Amarelle (PS/VD), seule politicienne «adulte» rencontrée sur la place, le reconnaît. «Ce n’est pas la ferveur d’alors.» Alors? C’était le 7 décembre 1992. Au lendemain du vote négatif sur l’Espace économique européen, lorsque s’était constitué un vaste mouvement de jeunes dans toute la Suisse, qui récolta ensuite 100 000 signatures pour revoter sur l’EEE. Démarche louée, avant d’être sacrifiée par un Parlement passé à d’autres considérations stratégico-diplomatiques.

Quoi qu’il en soit, le Mouvement né le 7 décembre fut un révélateur de talents: certains sont devenus conseillers d’Etat,  comme Pierre-Yves Maillard (lire en page 18), d’autres ont fait de belles carrières dans l’ombre, tel Damien Cottier, actuel conseiller personnel de Didier Burkhalter, d’autres encore ont disparu des radars médiatiques.

Mais ce qui marqua les esprits, ce fut la mobilisation d’une génération qui voulait prendre son destin en main, toutes tendances partisanes confondues.

Cesla Amarelle se souvient de la ferveur et de l’agitation qui suivirent le «dimanche noir», selon l’expression de Jean-Pascal Delamuraz qui la dédia d’ailleurs aux jeunes «privés d’avenir». Le lundi 7 décembre, ce fut aussi Suzette Sandoz, professeure en droit à l’Université de Lausanne et politicienne libérale en campagne contre l’EEE, se retrouvant dans l’impossibilité de donner son cours. «Les portes claquaient ce jour-là, raconte l’ancienne étudiante devenue professeure et parlementaire à son tour. L’un après l’autre, nous sommes sortis de sa classe en fermant la porte d’un coup sec. Le lendemain, je m’engageais en politique.»

C’est incontestable, en ce 20 février sur la place Fédérale, ils étaient loin des rassemblements mythiques de l’après-­­6 décembre 1992, dont leurs aînés leur rabattent les oreilles depuis quelques jours. Peu importe. A la lueur des bougies,  la foule, joyeuse, affiche sa fierté d’être là, d’avoir réussi son coup. Il est 20 heures, elle se disperse. D’aucuns vont prolonger le débat autour d’une chope,  d’autres dans le wagon deuxième classe les ramenant chez eux.

Certains sont sceptiques sur leur capacité à influencer le dossier. Aucun ne veut, cependant, s’avouer vaincu. Les candidatures Erasmus ont été déposées à temps, et les universités répètent qu’un budget octroyé par la Confédération leur permettrait sans doute de convaincre quelques universités étrangères de collaborer pour les semestres à venir. Foin d’états d’âme, le travail de fond continue.

Ilias Panchard, président des Jeunes Verts suisses, reçoit soudain un appel. Le Comité des jeunes pour la Suisse, qui regroupe les sections jeunes des libéraux-radicaux, démocrates-chrétiens, socialistes, lui propose de rallier son parti à LA cause. Et de secouer la classe politique en lançant une nouvelle initiative. Ilias Panchard promet de réfléchir. Les choses bougent dans le bon sens, mais, dans l’immédiat, il a un autre défi à relever: une nouvelle manifestation «Pour une Suisse solidaire et ouverte» est prévue à Berne le 1er mars. Une occasion supplémentaire de voir si l’indignation monte en puissance. Ou pas.

Collaboration Chantal Tauxe


Collective
«Nous devons nous rassembler et lutter pour une Suisse prospère et ouverte»

Nadège Salzmann, 27 ans.
Enseignante de latin et français.
Elle a été choquée par le résultat du 9 février. Elle s’attendait à ce que le score du oui soit élevé. Mais pas à ce qu’il l’emporte. Elle, Nadège Salzmann, présidente des Jeunes libéraux-radicaux, a alors suivi la proposition de son collègue de parti, Matthias Lanzoni, et participé à la création du Comité des jeunes pour la Suisse. Dont le but n’est pas de revoter. Mais d’instaurer des mesures d’accompagnement tout en garantissant la libre circulation. L’appel, lancé le 20 février, n’a pas tardé à convaincre. Les Jeunes Verts, d’abord. Quelques sections alémaniques et romandes des JPDC, JLR et JS, ensuite. Puis des associations d’étudiants. Et enfin, de manière plus surprenante, les JLR tessinois. «Le comité est ouvert à tous, politisés ou apolitiques.»
Une ouverture qui garde toutefois ses limites. «Je soutiens les bilatérales, mais ne serais pas pour une adhésion de la Suisse à l’Union européenne.» Heureusement, Nadège Salzmann est de nature optimiste. «Un jour, l’Europe ira mieux. Et, à ce moment-là, la Suisse ne restera pas un îlot perdu au milieu des autres.»

Engagé
«Etre politisé, c’est bien. Mobiliser les autres, c’est encore mieux»

Ilias Panchard, 22 ans.
Coprésident des Jeunes Verts suisses.
Ilias Panchard est sur tous les fronts. Politique. Bénévole. Associatif. Avant-hier, il récoltait des habits pour les victimes du conflit syrien et fondait une ONG au Népal. Hier, il lançait l’idée de la toute récente Association pour la promotion de l’engagement civique. Aujourd’hui, il participe à l’organisation de la manifestation Pour une Suisse ouverte et solidaire, prévue le 1er mars prochain à Berne. Et demain?«Au niveau du parti, nous préparons notre lutte contre Ecopop ainsi que le percement d’un deuxième tunnel routier au Gothard. Quant à moi, j’envisage de m’engager plus clairement sur la question des relations Suisse-Europe.» Oiseau rare de sa génération, Ilias Panchard soutiendrait une éventuelle adhésion de la Suisse à l’Union européenne. Mais reconnaît qu’il faut du courage pour affirmer une telle position. «C’est un sujet tabou que seul celui qui ne cherche pas à tout prix à être réélu peut se permettre de défendre.»
 

Rassembleur
«Je veux donner la voix aux 49,7%»

Jérémie Fonjallaz, 26 ans.
En formation au Centre d’études européennes de Fribourg.
Nous sommes les 49,7%, ce groupe Facebook créé le 11 février dernier, c’est lui. Jérémie Fonjallaz, 26 ans, veut agir. Mobiliser. Réunir. Informer. Et surtout éviter que ceux qui ont voté non ne baissent la garde. Car le 9 février lui a servi de leçon. «Je ne pensais pas qu’autant de personnes ignoraient les conséquences liées à l’adoption de l’initiative UDC et voteraient oui.» Jérémie Fonjallaz est membre des Jeunes socialistes depuis dix ans. Mais tient à ce que sa page ne soit reliée à aucun parti. «Je veux toucher un public large et rassembler des personnes de tout horizon.» Nous sommes les 49,7% lutte pour ne pas détruire ce que Nés le 7 décembre 1992 – comité créé au lendemain du vote négatif sur l’Espace économique européen – s’est battu pour construire. Fervent défenseur de l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, le jeune homme se prend parfois à rêver qu’il n’y ait d’autre solution que le mariage Suisse-Europe. «Mais la période que l’on vivrait entre une fin éventuelle des bilatérales et l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne serait terrible. Et cela je ne le souhaite pas.»

Indignée
«S’affilier à un parti, je le ferai si cela devient indispensable»

Sonia Pernet, 27 ans.
Doctorante en anglais
à l’Université de Lausanne.
Sonia Pernet a vécu une année à Londres, et connaît les échanges académiques. Révoltée par l’exclusion de la Suisse des accords Erasmus + et Horizon 2020, la doctorante refuse de subir les résultats du 9 février et se dit prête à lutter. Mais ne sait pas comment. «J’ai écrit à plusieurs politiciens – dont j’attends encore la réponse –, car je suis persuadée qu’il y a une force à puiser dans la collaboration interpartis.» Dans l’intervalle, elle a pris contact avec le Comité des jeunes pour la Suisse. Elle les rencontrera prochainement. Pourtant, Sonia Pernet n’est pas politisée. Et se dit contre l’affiliation à un parti. Mais, si cela devenait indispensable, elle donnerait sa voix à gauche plutôt qu’à droite. Excepté sur un point. «Je pense, “comme” l’UDC, que l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne risquerait de nuire à notre économie. Mais, je le reconnais, cela serait certainement moins grave que la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.»

 

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Charly Rappo
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Conseil fédéral: duel au sommet

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Mercredi, 5 Mars, 2014 - 09:35

Concurrence.La rivalité entre Didier Burkhalter et Johann Schneider-Ammann s’aiguise. Un classique entre «amis» d’un même parti, où le duo tourne souvent au duel. Fatal?

Un président sur le devant de la scène qui jouit de toute l’attention et joue un rôle dans le vaste monde.

Un collègue de parti, bientôt vice-président, qui essuie quelque humiliation mais n’en désire que plus ardemment vivre lui aussi ce couronnement, la présidence, orgasme de toute vie politique. L’intrigue vous semble familière? Vous pensez à la série House of Cards qui suit le parcours machiavélique d’un politicien vers le sommet? Eh bien vous vous trompez. Nous ne sommes pas à Washington, ses moiteurs, sa Maison Blanche, mais bien à Berne, son brouillard, son Palais fédéral vert-de-gris. Parce qu’en Suisse aussi l’attrait du pouvoir sur les hommes et les femmes se révèle irrésistible.

Et c’est précisément quand il s’agit de garder le pouvoir, quand plane la menace d’une non-réélection, que les relations entre conseillers fédéraux d’un même parti s’enveniment, c’est alors que les duos tournent en duels. Aujourd’hui, dans le rôle du président: Didier Burkhalter. Dans celui du prochain vice-président (élection en décembre): Johann Schneider-Ammann. Et une échéance qui pointe: les élections fédérales de l’an prochain. Va-t-on vers un duel aussi spectaculaire que celui que se livrèrent les conseillers fédéraux Joseph Deiss et Ruth Metzler quand leur PDC parvint à bout de souffle? Flash-back.

Metzler-Deiss. La jeune Appenzelloise arrivée toute nimbée de l’aura libérale de Price Water-house, championne des sondages, n’a jamais siégé sous la Coupole. Elle remarque trop tard ce qui s’y trame. Sa conseillère personnelle, une certaine Isabelle Chassot, élue au gouvernement fribourgeois, n’est plus là pour l’épauler. Joseph Deiss, lui, ex-conseiller national, ex-Monsieur Prix, a tissé sa toile depuis longtemps au Palais. Sentant venir le danger, il travaille depuis un an à sa réélection, invite systématiquement journalistes et parlementaires, par petits groupes, promettant à l’un de se pencher sur sa motion, prêtant à l’autre une oreille attentive.

Le 10 décembre 2003, Ruth Metzler, seule avec sa dignité, doit prononcer ses adieux devant le Parlement. Christoph Blocher lui a pris sa place. Joseph Deiss a sauvé la sienne. Loin les jours heureux où ils prêtaient serment côte à côte pour remplacer Arnold Koller et Flavio Cotti. Entre ces deux derniers, des divergences profondes s’étaient creusées. Le premier désapprouvait la lettre du Conseil fédéral à la Communauté européenne demandant l’ouverture de négociations en vue d’une adhésion. Six mois avant le vote sur l’entrée de la Suisse dans l’Espace économique européen (EEE). La mésentente, qui ne portait pas sur les valeurs mais la manière de faire de la politique, culmina à la démission de René Felber en 1993: les ministres PDC désiraient tous les deux reprendre les Affaires étrangères. Le Tessinois remporta ce match-là.

Blocher-Schmid. Le dernier en date des duels entre conseillers fédéraux du même parti qui conduit à une non-réélection se livre au sein de l’UDC. Il commence quand le conseiller aux Etats Samuel Schmid ose se présenter en candidat sauvage contre l’avis de Christoph Blocher. Ce dernier ne cesse de rendre la vie impossible au Bernois, y compris quand il le rejoint au gouvernement où il combat toute tentative de réforme de l’armée présentée par Samuel Schmid qui, par-dessus le marché, se fait traiter publiquement de «demi-conseiller fédéral» par Ueli Maurer, alors président de l’UDC. Une méfiance permanente qui s’étend à l’ensemble du collège et conduit, au bout d’un véritable thriller politique, à l’éviction de Christoph Blocher et à l’élection surprise, le 12 décembre 2007, d’une autre collègue de parti: la Grisonne Eveline Widmer-Schlumpf.

Burkhalter - Schneider-Ammann. Aujourd’hui, c’est au-dessus du duo libéral-radical au Conseil fédéral que plane l’épée du duel, c’est autour d’eux que se fomentent les scénarios, voire les complots.

Si le parti autrefois fondateur de la Suisse moderne perd encore 2 ou 3% aux prochaines élections fédérales, la présence de deux ministres au gouvernement deviendra de plus en plus difficile à défendre. Surtout si l’UDC se maintient ou progresse. Surtout si le PDC s’allie au PBD pour défendre la place d’Eveline Widmer-Schlumpf.

L’heure est grave: le destin du pays se joue entre le traumatisme post-oui à l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse et la lutte contre l’initiative de la gauche pour un salaire minimum. Avec, en première ligne, un Johann Schneider-Ammann en ministre de l’Economie affaibli.

Un contraste saisissant avec son collègue de parti et président de la Confédération Didier Burkhalter qui émerge de ses 50 nuances de gris en homme d’Etat souverain, en capitaine qui garde son calme dans la tempête. Et réussit un beau début d’année à la présidence de la Confédération et de l’OSCE.

Johann Schneider-Ammann, lui, rame péniblement pour sortir de l’enlisement où l’a conduit la révélation des pratiques d’optimisation fiscale du groupe Ammann. Le ministre se sent persécuté, convaincu d’être victime d’une attaque politique. Dans les coulisses du Palais, on n’exclut pas le complot. Des professionnels de la communication semblent à l’œuvre. Sinon, comment expliquer ce parfait timing: le 29 janvier, dix jours avant le vote sur l’immigration, l’émission Rundschau de la TV alémanique révèle l’existence de Jerfin, une société offshore à
Jersey, et le 5 février le Tages-Anzeiger dévoile des informations sur Manilux, une société semblable au Luxembourg.

Les regards se tournent vers l’UDC. Qui d’autre aurait intérêt à décrédibiliser le Conseil fédéral juste avant la votation? Bref, Schneider-Ammann veut se défendre. On lui conseille d’attendre que le fisc bernois déclare l’affaire en règle. Et on l’écarte de la conférence de presse au soir de la votation du 9 février. Depuis, il joue, comme souvent, en solo, multiplie les interviews, lance une idée de table ronde, soumet un papier qui demande de reconsidérer les mesures d’accompagnement.

Rester ou pas au Conseil fédéral. Autour des deux conseillers fédéraux PLR, on s’efforce de dédramatiser les tensions. «Si on attaque l’autre, on s’affaiblit soi-même et on affaiblit le parti, comme ce fut le cas dans l’affaire Metzler-Deiss. Mieux vaut serrer les rangs. Le Parlement va réfléchir à deux fois avant d’élire un deuxième UDC», entend-on. Ou encore: «L’UDC a un problème de personnel. Vous imaginez Albert Rösti (la star montante du parti, ndlr) au Conseil fédéral?» Cela dit, au Palais fédéral, chacun vous le dira, au fond, «es geit um d’Wurscht», comprenez: il en va de l’essentiel, rester ou ne pas rester au Conseil fédéral.

Alors les scénarios se dessinent, les langues se délient: le PLR ne devrait-il pas aller au-devant des élections fédérales 2015 avec un duo plus attrayant? Le parti pourrait tenter de convaincre sa seule star, Karin Keller-Sutter, de prendre la place du patron de Langenthal qui lui avait passé devant le nez en 2010. Le parti lui servirait, à genoux, le Conseil fédéral sur un plateau. Elle serait la reine, la seule candidate. Une entreprise séduisante, risquée aussi, car l’UDC tentera une nouvelle fois d’obtenir un second siège.
Et puis Johann Schneider-Ammann accepterait-il de tirer sa révérence cette année encore, après avoir enregistré quelques succès comme la ratification de l’accord avec la Chine au Parlement, une victoire contre le revenu minimum et un nouvel accord avec l’Inde? Peu probable.

L’entrepreneur n’est certes pas un politicien aguerri mais, sous ses airs de papy peu sûr de lui, il n’en est pas moins homme de pouvoir. En concurrence avec Didier Burkhalter quand celui-ci dirige encore le Département de l’intérieur, c’est l’ex-patron du groupe Ammann qui, au terme d’une âpre lutte, annexe le très prestigieux Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation dans son département.

C’est lui aussi qui, l’été dernier, sort auréolé de gloire après la signature de l’accord de libre-échange avec la Chine. Un observateur qui a suivi les négociations se souvient: «Il y a eu quelques tensions dans la mesure où les deux conseillers fédéraux revendiquaient la paternité de l’accord.» Et qui dit que le monde de l’économie et ses alliés au Parlement ne préféreront pas un des leurs, le jour J, plutôt qu’un radical ro-mand soucieux du rôle de l’Etat?

Aujourd’hui Didier Burkhalter semble bien avoir le vent en poupe, mais Johann Schneider-Ammann est plus coriace qu’il n’y paraît. D’ailleurs, la Welt-woche, média inféodé à l’UDC, attaque le Neuchâtelois parce qu’il attribue à Simonetta Sommaruga le lead dans la question des contingents. Quant au conseiller national Felix Gutzwiller (PLR/ZH), il feint de s’étonner que Burkhalter soit allé au Japon et à Sotchi avant le vote populaire fatidique. Que les Romands se le tiennent pour dit: le duel est programmé.

Happy end? Mais ne désespérons pas de la gent politique. Même si Pascal Couchepin n’appréciait pas Kaspar Villiger, encore moins Hans-Rudolf Merz. Même si Moritz Leuenberger et Micheline Calmy-Rey entretenaient la plus cordiale des mésententes. Même si Willi Ritschard parlait avec suffisance de René Felber. Il arrive que deux ministres d’un même parti s’entendent bien.

Les camarades Alain Berset et Simonetta Sommaruga, par exemple, ne feignaient pas l’harmonie quand ils ont exécuté un quatre-mains au piano à l’occasion du 125e anniversaire du Parti socialiste suisse. Cette entente paraît si exceptionnelle que leurs entourages respectifs touchent du bois: «Pourvu que ça dure!»

Parce qu’à Berne chacun sait que les couples politiques, comme les histoires d’amour, finissent mal, en général. Quand Joseph Deiss et Ruth Metzler s’étaient mis à danser ensemble lors d’une assemblée générale du PDC, personne n’aurait imaginé que ce cavalier laisserait un jour tomber sa partenaire.

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Michael Buholzer / Reuters
Peter Klaunzer / Keystone
Philippe Rossier
Hervé Le Cunff SI | RDB
Willy Spiller SI | RDB / Bruno Kellenberger Illustré | RDB
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Hebdo.ch » revue de blogs de la semaine

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:46

Blogs» Politique»
Matières premières

Vers une politique des matières premières

En Suisse, la prise de conscience des enjeux entourant le courtage des matières premières n’en est qu’à ses premiers frémissements.
Jean Tschopp

A la faveur d’accords d’exonérations et d’optimisations fiscales, la Suisse a attiré sur son sol une concentration record de sociétés leaders dans l’extraction ou le négoce du pétrole, du zinc, du cuivre ou de l’aluminium: Mercuria, Trafigura, Vale, Vitol ou encore Glencore Xstrata, premier négociant mondial de matières premières. En 2013, ce dernier réalisait un chiffre d’affaires estimé à 217 milliards de dollars, plus du double de celui de Nestlé ou encore le triple des dépenses annuelles de la Confédération. Or, la responsabilité de Glencore Xstrata est en cause dans plusieurs scandales associant des dommages irréversibles pour l’environnement et exploitation humaine à grande échelle. (…) Les enjeux entourant le négoce des matières premières réunissent l’essentiel des missions constitutionnelles de la Confédération en matière de politique étrangère: préservation des ressources naturelles, lutte contre la pauvreté, promotion des droits humains et de la démocratie. Pourtant, le rapport de 2013 du Conseil fédéral sur les matières premières passait ses obligations sous silence. (…) Alors que nos conseillers fédéraux se bousculent pour participer au Forum de Davos, aucun d’entre eux, du propre désaveu des participants, n’intervenait au premier sommet mondial des multinationales des matières premières, tenu à Lausanne en avril 2013. Nos ministres ne pourront pas éternellement différer le moment attendu pour mettre ces multinationales (…) face à leurs responsabilités.


Blogs» Politique»
L’engagement social

Organisations hospitalières, construire ou détruire

Comme bien d’autres cantons, dans le domaine de la santé, le Valais est embourbé dans une polémique hospitalière sans fin.
Stéphane Rossini

Depuis plusieurs années, les dysfonctionnements, malheureux et critiquables mais inévitables, sont systématiquement montés en épingle. Après avoir permis de combattre devant le peuple, avec succès, la loi cantonale sur les institutions sanitaires, ceux-ci sont désormais les instruments d’un lynchage rigoureusement organisé. (…) Des têtes tombent, d’autres tomberont peut-être. Certains jetteront l’éponge. Le personnel médical est discrédité. Un climat délétère prévaut. Cette atmosphère nuit au bon fonctionnement de l’hôpital et à l’intelligente construction d’une politique hospitalière moderne, de haut niveau, appréhendée dans l’esprit du service public, seul salut dans un canton non universitaire et périphérique. (…) Certes, la politique de santé n’est pas aisée. (…) Ainsi, nombre de réformes ont été interrompues, aménagées ou refusées à la suite de scrutins populaires, de pétitions, initiatives ou référendums. (…) Régionalismes et intérêts particuliers s’opposent ou, pour le moins, mettent à mal les critères médicaux (masse critique, qualité) et/ou économiques (allocation optimale des ressources, maîtrise des coûts). (…) Lorsque les «contingences régionales» confinent à la destruction, par discrédit et acharnement systématiques, comme c’est actuellement le cas en Valais, il importe d’en sortir, et vite.


Blogs» Culture»
HEAD Genève

Quand dire OUI veut dire NON

La Commission européenne a officiellement confirmé que la Suisse ne participerait plus aux programmes Horizon 2020 et Erasmus+.
Jean-Pierre Greff

Il faut en cette matière être d’une honnêteté scrupuleuse. Et, plutôt que s’en tenir au mot «exclusion», préciser que la Suisse sera dès lors traitée non plus en tant que pays associé, mais en tant que pays tiers. C’est-à-dire en réduisant drastiquement ses possibilités de participation, au prix de conditions financières défavorables et nous privant de toute capacité d’initiative pour les échanges académiques, le dépôt et la conduite de projets de recherche européens. (…) Le Conseil fédéral «travaille à la recherche de solutions», les cantons se mobilisent, les hautes écoles sauront faire preuve de créativité… Le pragmatisme suisse l’emportera et je ne doute pas que l’essentiel sera sauvé. (…) Il n’est cependant pas illégitime de se demander comment on a pu en arriver à un choix aussi stupéfiant face aux intérêts objectifs du pays. (…) Dans un post récent intitulé «Triomphe de l’embuscade», Stéphane Benoit-Godet avance pertinemment l’excès d’usage de la démocratie directe à travers ces votations: «(…) nous sommes sollicités beaucoup trop souvent pour avoir quelque chose d’intelligent à exprimer à chaque fois.» (…) Il faut à cet endroit relever une manipulation, aussi simple que retorse, assurément efficace, dont usent communément ces initiatives récentes: appelant à s’opposer contre, à dire non par conséquent, elles sont pourtant formulées positivement. Dans ce schéma binaire, pour/contre, OUI/NON sur lequel se fonde chaque votation, le peuple est ainsi appelé, pour s’opposer à tel projet ou telle réalité, à voter OUI. Paradoxe assez raffiné, sinon pervers, que de s’opposer ou de refuser tout en paraissant produire un geste positif. A la suite de cette désastreuse votation du 9 février 2014, il y a de toute évidence une réflexion à mener sur les mécanismes mêmes, non seulement politiques, mais encore psychologiques et rhétoriques de cette dangereuse captation de la démocratie directe.


Blogs» Economie»
Post-scriptum

Oscars et alzheimer

Dans le genre «comique troupier», Brady Dougan, le patron de Credit Suisse, a fait fort la semaine dernière et les gazettes de notre pays ne se sont pas privées d’en faire état.
Michael Wyler

Les médias chinois n’ont hélas pas les mêmes possibilités (malgré une «liberté de la presse» garantie par la Constitution). (…) Or, il y a quelques semaines, on apprenait par le New York Times que l’ancien premier ministre Wen Jiabao et sa famille avaient accumulé une fortune de plus de 2 milliards de francs. (…) Conséquence: une censure renforcée (…), une armée qui roule les mécaniques et une répression de plus en plus marquée. (…) Après l’attentat attribué aux séparatistes ouïgours du Xinjiang l’automne dernier sur la place Tian’anmen, on n’approche de la Cité interdite qu’en montrant patte blanche et en passant par un détecteur de métaux et, s’il y a bien quelques touristes, le nombre de soldats, policiers en uniforme et en civil est impressionnant. (…) Mais que les visiteurs se rassurent: ces prochains jours, tout sera propre-en-ordre à Beijing. (…) C’est que le 5 mars s’ouvrira dans la capitale la 2e session de l’Assemblée populaire nationale (le Parlement chinois). Une fois la réunion terminée, les affaires reprendront. Pour la plus grande joie des triades (mafias) chinoises (…). Les triades? Elles contrôlent l’industrie des «faux» (…), les filières de travailleurs clandestins, la drogue, la prostitution, etc. et réalisent un chiffre d’affaires annuel estimé à plus de 200 milliards de francs. Et comme une grande partie de leurs bénéfices est réinvestie dans l’économie légale (et sert peut-être à contribuer au bien-être de quelques princes du régime…), on laisse faire. En somme, UBS, Credit Suisse, HSBC et autre Goldman Sachs ont pas mal de choses en commun avec la Chine!


Blogs» Politique»
La Suisse à 10 millions d’habitants

2014: un dangereux arrière-goût de 1992

Les dix premières semaines de 2014 mettent la Suisse et l’Europe sens dessus dessous.
PIerre Dessemontet

Souvent, l’histoire est un long fleuve tranquille, où les évolutions se marquent de manière imperceptible de prime abord, et dont les effets ne se révèlent qu’après coup, sur le long terme. Ainsi en allait-il de notre vie ces dernières années, marquées, en Suisse, par une intégration toujours plus forte et plus réussie à l’économie-monde et à l’économie-Europe, en même temps que le pays se détournait de manière de plus en plus assumée de l’UE. Ainsi en allait-il aussi en Europe, où un mouvement de rejet à l’interne se couplait avec un pouvoir d’attraction toujours aussi fort à l’externe, et à l’Est une puissance en progressive renaissance et affirmation d’elle-même. (…) Et puis, en quelques semaines, ce monde né aux portes du millénaire semble avoir subitement basculé. (…) Rien ne sera plus comme avant. Les jeunes manifestent sur la place Fédérale. Comme en 1992. A l’extérieur, en quelques semaines, c’est le grand et dangereux retour de la géopolitique en Europe. (…) Voilà que le plus grand pays d’Europe se donne désormais le droit d’envahir qui bon lui semble (…). On se replonge soudain dans des problématiques qu’on avait un peu laissées de côté: isolement européen et incompréhension entre les communautés linguistiques du pays à l’interne, géopolitique guerrière, bruits de bottes et mouvements de chars sur le continent. On se retrouve pile en 1992. Pour quelqu’un qui avait été un des fers de lance des manifestations étudiantes de l’époque, de voir la génération suivante emprunter le même chemin, exactement le même chemin, a quelque chose de profondément déprimant. Et pour qui a vécu la libération d’une moitié de l’Europe du joug soviétique comme l’événement le plus extraordinaire qu’il ait pu vivre – ah! avoir 20 ans en 1989… –, les événements d’Ukraine et de Crimée sont d’abord, avant tout, surtout, immensément tristes. Avant même d’être terriblement inquiétants.

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«12 Years a Slave» un oscar historique

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:47

▼Les faits
Quantitativement, Gravity est, avec sept statuettes, le grand vainqueur de la 86e cérémonie des Academy Awards. Mais en dehors de l’oscar du meilleur réalisateur (Alfonso Cuarón), le film n’a obtenu que des récompenses techniques. Qualitativement, c’est 12 Years a Slave qui se distingue avec trois récompenses, celles du meilleur film, du meilleur second rôle féminin (Lupita Nyong’o) et de la meilleure adaptation.

▼Les commentaires
The New York Times souligne que c’est la première fois «que la récompense cinématographique la plus prestigieuse est attribuée à un film réalisé par un cinéaste noir». Et le quotidien de relever que le Britannique Steve McQueen n’a pas réalisé qu’il était en train d’écrire l’histoire, se contentant de remercier son agent et ceux qui ont permis 12 Years a Slave. Variety trouve ce triomphe «encourageant à la lumière d’une enquête qui estime que 94% des votants sont Blancs». Libération s’intéresse de son côté à Leonardo DiCaprio: «Son rôle dans The Wolf of Wall Street, réalisé à sa demande par Martin Scorsese, et qu’il a lui-même coproduit, était taillé pour la statuette. Mais c’est bien Matthew McConaughey, ex-ringard au sourire ultra-bright, qui est reparti vainqueur.» Parce que l’Amérique reproche à Leo «son dilettantisme, sa belle gueule et ses choix un brin mégalos». En Italie, c’est de la victoire de La grande bellezza, meilleur film en langue étrangère, que l’on se réjouit. A travers quatre pages, La Repubblica fête le cinéma italien et Paolo Sorrentino, «que la presse américaine voit comme l’héritier de Fellini et Scorsese».

▼A suivre
Encore exploité dans certaines salles, 12 Years a Slave sera disponible en DVD fin mai.

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Lettre à Mick Flick

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:49

Ce texte de l’écrivain suisse Daniel de Roulet est à la fois un document et la suite d’une œuvre. Il s’agissait au départ pour l’auteur de répondre cet hiver à une invitation: celle de Friedrich Christian «Mick» Flick, grand amateur d’art fortuné d’origine allemande, à la tête d’une des plus formidables collections modernes et contemporaines du monde. Mick Flick entendait faire lire à de Roulet, dans son chalet des alentours de Gstaad, un extrait d’Un dimanche à la montagne, ouvrage que l’écrivain a publié en 2006. Ce texte émouvant fit alors polémique: l’auteur y confessait avoir brûlé dans sa jeunesse le chalet bernois d’Axel Springer, éditeur allemand qu’il suspectait faussement d’avoir eu durant la guerre des sympathies nazies.

Mick Flick vient d’une famille où le passé est fait d’ombres: son grand-père, industriel allemand ami de Heinrich Himmler, fut jugé à Nuremberg et condamné à sept ans de prison pour avoir participé à l’effort de guerre hitlérien en utilisant notamment des prisonniers esclavagisés dans ses usines. Une fois libéré, il continua à développer sa fortune: celle dont son petit-fils Mick Flick est aujourd’hui un héritier.

Jusqu’à quelle génération est-on responsable des crimes de sa famille? De Roulet, se demandant s’il devait accepter l’invitation de Mick Flick, s’interroge et interroge la mémoire et son vertige. CP


Daniel De Roulet

Cher Monsieur,
J’ai reçu ce matin de mon ami Christian A. un courriel où il m’enjoignait de ne pas me rendre dans votre chalet près de Gstaad où je suis invité pour lire Un dimanche à la montagne. Mon ami habite une clairière dans l’une des plus grandes forêts de France, il a exercé plusieurs métiers; aujourd’hui, il est bûcheron et organise chaque mois un café philosophique, rencontre à laquelle participent une centaine de riverains de la clairière. L’autre soir, à table, quand j’ai dit que j’allais me rendre chez le petit-fils d’un ancien nazi condamné au procès de Nuremberg, j’ai fait valoir que chacun porte un nom qu’il n’a pas choisi. Christian est resté ferme sur les principes: celui qui, comme vous, M. Flick, accepte en héritage une fortune faite dans des conditions indignes participe de cette indignité et doit être boycotté. Autour de la table, nous étions six, chacun y est allé de sa condamnation. Un autre a dit que si j’allais chez vous, je ferais bien d’emmener des allumettes pour mettre le feu à votre chalet. Puis la discussion a continué à propos de la fonction de l’art qui devrait être produit dans des conditions éthiques: on ne peut faire une œuvre avec la peau tatouée arrachée à un prisonnier d’Auschwitz. Au-delà du cas particulier, nous nous demandions jusqu’à combien de générations doit porter l’opprobre. Les victimes de la traite des Noirs doivent-elles être indemnisées après quatre cents ans? Autour de la table, quelqu’un a raconté le cas d’une amie dont le père a été interné en 1940 et qui, soixante ans plus tard, a reçu pour la première fois une modeste pension dont elle n’a plus besoin. Mais le geste l’a réconciliée avec la vie.

Seul avec sa conscience. Mes amis français, en politique comme en amitié, n’aiment pas les compromis; je me suis retrouvé seul à essayer de raisonner sereinement sur le «cas» Flick. J’ai pourtant moi-même assez à faire avec ma propre conscience, bonne ou mauvaise. J’ai donc cherché à tout remettre à plat, c’est l’objet de cette lettre que je vous envoie, avec copie à mon ami Christian. Je vais devoir y parler aussi bien de ce que je sais de vous que de ce que vous savez ou pas de moi; c’est un exercice périlleux, autant le faire devant témoins.

Il y a bientôt quarante ans, j’ai mis le feu à un chalet dans la montagne au-dessus de Gstaad. Il appartenait à Axel César Springer, fondateur d’un empire médiatique. Je l’accusais d’être un ancien nazi, ce qui s’est révélé inexact. Mon éditrice, qui possède elle aussi un chalet à Gstaad, a courageusement publié Un dimanche à la montagne en 2006. J’y raconte dans quelles circonstances, comment et pourquoi j’ai incendié ce nid d’aigle. Pendant tout le temps où j’ai gardé pour moi ce secret, je n’ai eu affaire qu’à ma propre conscience et elle ne m’a pas trop tourmenté. Mais, après la publication du livre, je me suis retrouvé confronté à toutes sortes de réactions haineuses qui m’ont bien plus affecté. J’ai connu le lynchage médiatique (vous savez ce que c’est), l’ostracisme de la scène littéraire (plus de prix ni d’invitations), la condamnation publique par tous ceux qui, sans avoir lu mon livre, proposaient de brûler ma maison ou même, comme quarante parlementaires nationaux, de voter une loi rétroactive pour me jeter en prison puisque le crime était prescrit.

Un «terroriste». J’ai eu aussi quelques satisfactions. Mon père, pasteur en France pendant la guerre, avait été témoin des rafles d’enfants juifs. Il s’est dit fier que son fils soit appelé «terroriste» puisque c’était le nom que les nazis donnaient aux résistants. Et l’autre satisfaction: le repas que m’a offert l’armailli qui vivait l’été à côté du chalet incendié. Lui non plus n’a pas lu mon livre, mais s’est dit soulagé que j’avoue mon forfait. Ainsi dans le village, après tant d’années, on n’accuserait plus personne à tort. J’avais mis fin aux rumeurs, il m’en était si reconnaissant qu’il m’a couvert de cadeaux.

Depuis cet aveu, ma vie a changé. Je continue de recevoir des lettres anonymes, dont certaines sont des descriptions précises des chalets autour de Gstaad auxquels je devrais mettre le feu. Ainsi on me souffle que le patron déchu de l’UBS a fait rénover un alpage au mépris des lois. Tel exilé fiscal, rockeur ou baron du sucre, aurait un bunker souterrain. Ou bien tel autre armateur grec, ou princesse répudiée, aurait ajouté un étage à son chalet qui n’en serait plus un. Il est vrai qu’autour de Gstaad, les «cas» douteux ne manquent pas pour un éventuel justicier. Pas mon genre.

Vous aussi avez là votre chalet et même, en plus du vôtre, celui où habitent vos enfants, qui a brûlé en 2011, sans compter celui qui se trouve au-dessus de l’Arnensee, perdu près de ce lac de montagne. En hiver, on n’y accède qu’à skis ou à raquettes. C’est là que je devrais lire l’aveu concernant un autre chalet, tout aussi isolé, où Axel César Springer emmenait la bonne de ses enfants avant qu’elle devienne sa cinquième femme.

De l’industrie à l’art. A propos de votre fortune, différentes versions existent dans des biographies plus ou moins autorisées. Voici ce que j’en ai retenu. Vous savez tout cela, mais je l’écris aussi pour Christian afin de parler non pas de principes, mais d’un exemple précis, le vôtre.

Votre grand-père, Friedrich Flick, dit FF, a vécu de 1883 à 1972. Il a construit un empire industriel dès la Première Guerre mondiale et, en 1933, grâce à ses bonnes relations avec le pouvoir, il a fait tourner toutes ses usines pour alimenter la machine de guerre nazie. Après la défaite de l’Allemagne, il a été jugé à Nuremberg pour avoir exploité le travail forcé de milliers de prisonniers prélevés notamment dans les camps. Il a été condamné à sept ans de prison. Ressorti après trois ans, il a repris ses activités industrielles et les a fait fructifier jusqu’à sa mort, à 89 ans.

Ce grand-père a eu trois fils. Le premier est votre père qui ne s’est pas entendu du tout avec son père, et est mort jeune peu de temps après lui. Le deuxième fils a été tué sur le front d’Ukraine en 1941. Le troisième, votre oncle, a repris la conduite des usines.

Votre père a eu une fille et deux garçons surnommés Muck et Mick. Vous êtes né la même année que moi, en 1944, à la fin d’une guerre que vous n’avez pas connue. Muck et Mick ont fait des études puis ont travaillé dans les usines de leur oncle avec lequel ils ne se sont pas entendus de sorte qu’à 30 ans, grâce à une partie de la fortune familiale, vous vous lancez dans les affaires: des fermes aux Etats-Unis, des gisements pétrolifères par là-bas aussi. Vous y consolidez votre fortune. A 40 ans, établi à Gstaad, retiré des affaires, vous vous passionnez pour l’art contemporain. Vous achetez des milliers d’objets, installations, tableaux, vous amassez rapidement une magnifique collection. Vous rencontrez de nombreux artistes à propos desquels vous dites qu’ils ont changé votre manière de juger le monde.

En somme, vous avez eu trois vies: celle que vous avez passée dans le giron familial, celle de l’homme d’affaires indépendant et celle du collectionneur d’art. Au début de ce siècle, vous décidez de faire construire à Zurich un musée pour abriter votre collection. Rem Koolhaas accepte d’en être l’architecte. Mais des voix s’élèvent contre ce projet, disant que votre collection a été acquise avec de l’argent hérité d’un grand-père nazi, que le nom de Flick, ensanglanté par le travail forcé, ne saurait être blanchi par l’art. Vous hésitez, refusez de participer à un fonds de réparation des crimes de votre grand-père. En revanche, vous créez une Fondation Flick contre le racisme et l’intolérance et vous proposez votre collection au Hamburger Bahnhof de Berlin. Les protestations recommencent. Vous répondez: «Je n’accepte pas d’être traité en coupable. Je me déclare en revanche responsable de l’histoire familiale dont j’hérite.» Mais ça ne suffit pas pour calmer le jeu. Ces jours-là, comme vous le racontez, chaque matin en ouvrant le journal, vous vous attendez à de nouvelles attaques. Entre-temps, l’exposition renouvelée de votre collection attire les visiteurs du monde entier. Si vous en étiez resté là, mon ami Christian aurait raison: se dire responsable sans que des actes suivent est un peu court. Christian m’écrit: «Si l’on accepte un héritage constitué sur des faits de guerre dont l’ignominie est reconnue, on endosse alors une part de responsabilité des actes à l’origine de cette fortune. On les cautionne en quelque sorte…»

Les années passent et, en 2011, à l’occasion du dixième anniversaire de votre fondation, vous clarifiez enfin votre position. L’idéologie nazie n’est pas une affaire passée mais très présente, dites-vous, surtout dans l’ancienne Allemagne de l’Est. Vous ajoutez: «Nous sommes tous concernés par l’extrémisme de droite et la terreur nazie. Ces gens-là sont très actifs, proposent leur aide pour trouver du travail, s’occupent des enfants, offrent des repas aux pauvres, tout en diffusant leur poison idéologique. Nous ne devons pas leur abandonner ce terrain-là. D’où ma fondation qui propose près de 200 projets qui s’adressent à 80 000 jeunes en difficulté. Il s’agit d’empêcher la naissance d’une haine aveugle. Je suis pour l’interdiction sans condition des partis néonazis. Je soutiens l’école Rosa Luxemburg à Potsdam et je vois les progrès.» Quand on vous demande pourquoi vous avez donné votre nom à cette fondation, vous dites que, oui, justement, vous assumez ce nom qui fait partie de votre vie.

Confrontation avec le passé. Souvent, les œuvres contemporaines que vous achetez ont pour thème la période nazie. Ce sont elles, dites-vous, qui vous ont permis d’aborder pour la première fois le sombre passé de votre famille. Cette confrontation avec les artistes, avec le refus de certains d’entre eux d’accepter votre démarche, vous a irrité, blessé, mais aussi obligé à comprendre ce que d’autres ressentaient en voyant le nom de Flick apparaître dans le champ de l’art contemporain. Vous dites qu’il vous a fallu préciser le détail de votre histoire familiale, un tabou jusque-là. Au début, vous ne vouliez pas savoir, vous bottiez en touche, mais il y avait les faits: vous avez donc payé une recherche pour tout connaître de votre famille jusqu’aux détails les plus sordides. L’Université de Munich l’a publiée.

Vous avez une fille infirme et deux fils. L’un travaille comme journaliste dans un journal de gauche israélien, l’autre fait des films documentaires. Pour eux, vous avez brisé la chaîne du silence et des mensonges, vous voilà lentement au clair sur votre passé, même si, comme vous l’avouez pudiquement, les comportements de votre clan vous collent à la peau. Vous pensiez un peu vite faire l’impasse sur votre nom, le scandale vous a rattrapé. Depuis lors, vous vous sentez le droit de reconstruire une biographie que vous déterminez librement. Est-ce le contact avec les artistes qui vous a fait entrevoir une autre échelle de valeurs?

Finalement, vous avez reconnu que vous auriez dû vous engager aussi dans la fondation qui dédommage les victimes du travail forcé, vous y avez versé 5 millions d’euros. Mes amis et moi nous demandions jusqu’à quelle génération il faut porter la honte des actes de nos ancêtres. La réponse que vous donnez: jusqu’au moment où, par un acte volontaire, de préférence individuel, l’histoire est assumée.

Mais tout le monde n’a pas votre clairvoyance tardive. Vous dites qu’il vous a fallu du temps. Il me semble qu’il y a chez vous, propriétaire de chalets à Gstaad, une retenue semblable à celle qui habitait un autre propriétaire de chalets de la région, Axel César Springer. Alors que tout le monde, journalistes et écrivains, l’accusait d’être un ancien nazi, il n’a jamais démenti, préférant assumer sans doute le fait que sa responsabilité avait tout de même été impliquée au moment où il avait divorcé d’une femme juive en 1938 – pas le meilleur moment. C’était une coïncidence entre son histoire privée et l’histoire, mais il ne pouvait l’ignorer. Plus tard, son fils s’est suicidé, à quelques jours de la mort de Rudi Dutschke. Cette nouvelle coïncidence a fait de lui un être tourmenté jusqu’à en perdre la raison. Ainsi donc, il faut parfois toute une jeunesse et un âge mûr pour en finir avec un passé, une histoire à laquelle on refuse de s’identifier. Ce n’est pas une rédemption, juste le début d’un savoir-vivre.

Un rite de passage final. Mes amis de la clairière, si vite emportés pour une juste cause, ne vous laissent pas le temps de dérouler votre histoire que vous voilà condamné. Comme une partie de ma famille est allemande, je comprends mieux cette macération dont la mémoire a besoin pour vivre en paix. J’aime cette phrase de Fritz Teufel devant un tribunal allemand: «Mieux vaut un courage intermittent que pas de courage du tout.»

Quand j’ai reçu l’invitation à venir lire dans un chalet perdu dans les neiges, sans public, de la part d’un commissaire new-yorkais, Gianni Jetzer, je me suis dit que c’était là comme une parodie de l’art d’aujourd’hui qui se fait sans trop de public, éventuellement à huis clos. Et cette parodie en elle-même (quel que soit le propriétaire du chalet) m’est apparue comme un rite de passage final dans le parcours qui va pour moi de l’acte d’incendiaire à son aveu public. Je vais finalement confier au silence des neiges éternelles ce texte, Un dimanche à la montagne, dont personne n’a vraiment voulu.

Depuis sa parution il y a huit ans, je n’ai été invité que trois fois à le lire. La première fois à Téhéran devant une grande salle remplie d’intellectuels. On m’avait prié de ne pas lire mes diatribes contre le nucléaire et de les remplacer par un texte qui parle du terrorisme chez les Occidentaux. J’ai donc lu avec émotion quelques pages que je destinais à d’autres qui refusaient d’en prendre connaissance.

La deuxième fois, c’était cet été à New York dans une galerie d’art de SoHo qui exposait Tinguely, Gianni Motti, Hirschorn et d’autres. Ça se passait lors d’un brunch du dimanche. Après la lecture, une dame m’a signalé que la veuve de Kandinsky avait été assassinée dans son chalet à Gstaad. Depuis trente-cinq ans, on attend que le meurtrier se dénonce, a-t-elle ajouté. Je n’ai pas tout de suite compris le rapport avec ma situation.

La troisième fois, c’est par ruse que j’ai réussi à placer mon texte. J’étais invité cet automne par le maire de Lugano qui s’affiche volontiers en compagnie des ultraconservateurs. Quand j’ai lu Un dimanche à la montagne, il n’a pas protesté, il s’est même trouvé très tolérant de ne pas m’interrompre. Et maintenant pour la première fois, officiellement en Suisse, dans un chalet solitaire, invité par le même commissaire qu’à New York, assigné à résidence à la manière de Polanski, je jetterai au vent d’hiver une brassée de phrases évanescentes.

Ces dégâts collatéraux. Pour nous autres Suisses, le chalet, le «Swiss chalet» comme disent les anglophones, est la matrice de toute habitation. Du latin «cara» qui signifie «l’endroit où l’on s’abrite», je retiens ce sens primitif. Les pauvres ont des cabanes, les riches ont des palais, mais le chalet, lui, est un abri pour le passant, un bien commun qu’il n’est pas convenable d’accaparer. Construction de bois, toit à deux pans dont la ligne de faîte est perpendiculaire aux courbes de niveau, ce modèle a été popularisé par Jean-Jacques Rousseau dans La Nouvelle Héloïse, reproduit ensuite à foison dans les banlieues, en plaine, au bord des lacs. Flaubert trouve les chalets laids, Proust s’en moque (chalet d’aisance), mais nous autres savons les dessiner depuis l’enfance. C’est la maison de Heidi, de Guillaume Tell, symbole univoque d’une tradition alpestre. Lire à voix haute dans un chalet sans public sera pour moi l’aboutissement de la longue macération d’un aveu.

J’ai eu jadis besoin de l’écrire mais pas de le rendre public. Si je n’avais pas promis à mon amie de le publier à sa mort, je n’aurais jamais eu à affronter la haine blanche de mes lecteurs, les pompiers vaudois n’auraient pas reçu les droits d’auteur que je leur ai versés, et dans le village, on s’accuserait encore d’avoir perpétré mon forfait. Comme vous, quand vous refusiez de voir ce qu’avait de provocant une collection d’art au nom de Flick, j’ai sous-estimé les dégâts collatéraux: voilà pourquoi je n’ai jamais été invité à lire ce texte dans mon propre pays. Je me réjouis de pouvoir le faire bientôt.

Peut-être aussi que, pour faire bon poids, pour vous remercier d’avoir prêté vos quatre murs et la chaleur d’un feu de cheminée, je relirai cette lettre que j’écris d’un trait pour vous et pour Christian. D’ici là, j’espère avoir convaincu mes amis de la clairière que je ne trahis ni l’art ni la politique en me prêtant à cet exercice.
Avec mes salutations.


Daniel De Roulet

Né le 4 février 1944, Daniel de Roulet a suivi une formation d’architecte et travaillé dans l’informatique avant de plonger dans l’écriture à plein temps, en 1997. Il est l’auteur d’une dizaine de romans et de plusieurs essais et chroniques.

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Des riders au pays des Mollahs

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:50

Récit.Dans ce pays, il y a du pétrole, bien sûr. Mais il y a aussi des montagnes, de la neige et des adeptes de sports de glisse. Une aventure pas comme les autres pour deux Suisses.

Sou’al Hemma

Décembre 2013, Arnaud Cottet et Benoît Goncerut quittent la Suisse, direction l’Iran. Où ils ont été appelés à diriger un vaste projet visant à revitaliser une station de ski. Un projet pour le moins inattendu dans un pays qui semble si loin de la pratique des sports d’hiver. Ce défi, les deux Vaudois de 28 ans le doivent aux rencontres qu’ils ont faites neuf mois plus tôt à Dizin, une sorte de Verbier à deux heures de route de la capitale, Téhéran.

Les prémices. Sortis de la Haute école de gestion de Fribourg avec un master, passés par Swiss-Ski pour obtenir le titre de juge de ski et snowboard, les deux amis se lancent immédiatement dans la création d’une association qui leur tient à cœur: Cause. Grâce au soutien de ce collectif romand, ouvert à toutes formes d’initiatives, et de deux équipementiers suisses, ils peuvent prendre la route. Dans leur «berline», leur envie de rencontrer des populations de montagne, leurs bagages et bien sûr leur matériel de ski. Première étape en ce mois de janvier 2013, la Croatie. Puis la Macédoine, la Grèce, la Turquie. Et enfin l’Iran. C’est là, en mars, après avoir parcouru plus de 5000 kilomètres, qu’ils posent leurs spatules sur les pistes de la station qui allait bientôt devenir leur résidence secondaire.

«L’Iran ne devait être que le but de notre voyage, raconte Arnaud Cottet. Mais les liens que nous avons tissés avec ceux qui sont devenus nos “frères”, nos dadash comme ils disent là-bas, ont été si forts que nous avons décidé d’y rester.» Leur statut de sportifs semi-professionnels, sponsorisés par des marques telles que Nidecker et Salewa, facilite les contacts. Non seulement avec les acteurs de la scène des sports de glisse de la région, mais aussi avec les dirigeants de Dizin. Très vite, la Fédération iranienne de ski confie aux deux acolytes l’organisation d’une compétition de snowboard. Un succès qui va les mener ensuite à collaborer avec la communauté locale et à affiner leur concept baptisé We Ride in Iran.

Les piliers.«Coaching et formation des futurs juges de ski et snowboard de la place: tels sont les deux premiers axes que nous nous sommes fixés.» Six mois plus tard, l’affaire roule. Au programme, trois compétitions, des entraînements plus intensifs et des sessions pour enseigner l’art de noter les figures afin que les riders plus âgés puissent, à terme, prendre le relais et entraîner les plus jeunes. «Notre but principal est d’apporter les outils nécessaires pour qu’ils puissent ensuite se débrouiller seuls», note Benoît Goncerut.

Dernier point au cahier des charges: l’amélioration des infrastructures destinées aux riders. Et là, la patience est de mise. «Si Dizin est la plus grande station de ski du pays et l’une des vingt plus hautes du monde avec ses 2650 mètres d’altitude, il n’en reste pas moins qu’elle a pris un train de retard dans sa modernisation.» Et de montrer des photos sur lesquelles apparaissent des télécabines à l’allure vieillotte, flanquées de publicité Milka. Et de parler de l’état des remontées mécaniques, qui n’ont jamais été retouchées depuis les années 70. Mais la persévérance finit par l’emporter. Depuis décembre dernier, la station peut se vanter d’offrir à ses usagers un snowpark flambant neuf. Un atout qui attire toujours plus de monde. Non sans raison.

«Le pays vit actuellement un engouement intense pour les sports de glisse et la montagne.» Du moins pour la frange de la population dont les moyens financiers le permettent: seule la bourgeoisie de Téhéran, soit les résidents des quartiers nord de la ville, connaît Dizin. «En Iran, le ski est un sport à contre-courant. Il incarne l’Occident et la liberté.» Sur les pistes, les bonnets remplacent les voiles et les combinaisons logent femmes et hommes à la même enseigne. «Nous devons nous pincer pour nous rappeler que nous sommes dans une république islamique. Tant que l’environnement politique nous le permet, nous allons continuer de nous investir.»

Dans le pipeline, la mise sur pied d’un championnat, l’importation de matériel et, surtout, l’accueil des meilleurs skieurs iraniens dans les stations suisses.

www.werideiniran.com;www.timelapseproject.ch; wearethecause.tumblr.com

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Ruedi Flück
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Vins de garde?

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:51

Mémoire des vins suisses. Faut-il les boire dans l’année? S’améliorent-ils dans le temps? L’association tente de répondre à ces questions depuis dix ans.

Pierre Thomas

L’idée de créer une «mémoire» des vins suisses revient au vigneron Christian Zündel, «mousquetaire» alémanique établi au Tessin, et au journaliste zurichois Stefan Keller. Au début de ce millénaire, ils mettent en réseau un club, mêlant une vingtaine de producteurs de toute la Suisse et des journalistes alémaniques (puis romands). Durant dix ans, le Tessinois conduira le projet, remis finalement l’an passé au Vaudois Charles Rolaz. Tandis que Stefan Keller se retirera, au profit d’Andreas Keller, autre journaliste zurichois.

Vérifier la durée de vie des vins. Chaque année, cet aréopage se réunit dans une région viticole. C’est ainsi au tour du vignoble vaudois et de Lausanne d’accueillir cette semaine la manifestation, pour une large part publique: une occasion rare de découvrir des vins remarquables (lire l’encadré).

Le premier but de la Mémoire est son «trésor», rappelle Andreas Keller. Chaque producteur proposé par une commission de dégustation, puis agréé par l’ensemble des membres, doit payer des cotisations, mais encore mettre à disposition 60 bouteilles du vin élu, chaque année. Ce stock constitue le fameux trésor. Il sert aussi bien à des journalistes pour apprécier les vins suisses sur leur durée qu’aux vignerons pour démontrer la capacité de vieillissement des vins, un indice incontesté de leur «valeur», partout dans le monde.

Car même si les vins suisses ne comptent pas dans les ventes aux enchères, les amateurs tiennent à s’assurer que ce qu’ils ont dans leur propre cave ne sera pas sans intérêt au moment de déboucher leur flacon… Rien de plus facile, en apparence: il suffit de goûter une bouteille pour vérifier si un vin vous plaît encore, ou s’il faut se précipiter pour le boire. Mais quand vous avez acheté une caisse de 12 bouteilles, et que leur apogée est de 20 ans, le calcul est simple: la caisse sera bue avant cette acmé, au motif de seule vérification! La Mémoire, par ses dégustations publiques, permet ainsi de vérifier que de vieux millésimes tiennent toujours au palais du dégustateur.

En onze ans, la Mémoire des vins suisses, devenue une association en bonne et due forme, s’est développée, a connu des arrivées et des départs, des décès et des passages de témoin, de propriétaires ou d’œnologues. «Aujourd’hui, nous devons nous demander ce que nous faisons si un producteur ne correspond plus aux exigences», explique Andreas Keller. Cette année, trois producteurs doivent être admis lors de l’assemblée annuelle, au château de Grandson, le 7 mars. Ces arrivées devraient porter le nombre des vins choisis à 53. Où s’arrêter? La question, reconnaît Andreas Keller, agite l’association: «Nous ne devons pas rester à 50 fixe. Pas plus qu’il serait justifié de pousser dehors ceux qui sont là depuis dix ans, pour assurer un roulement. Je pense que le projet peut vivre avec 60 ou 70 producteurs, mais sans précipiter les admissions.»

Entre idéalisme et promotion.Trois quarts des vins suisses sont produits de ce côté-ci de la Sarine. Avec 14 vins valaisans, 9 vaudois, 3 genevois, 5 des Trois-Lacs, auxquels s’ajoutent 7 du Tessin, la majorité latine est assurée, mais la diversité alémanique est bien représentée avec 13 vins, dont 7 des Grisons. L’équilibre confédéral n’est pas facile à maintenir, tant pour la géographie que pour la couleur – 25 vins rouges, contre 26 blancs, dont quelques liquoreux. Et puis, le vin, avant d’être élevé au rang des beaux-arts par quelques happy fews, c’est d’abord du business. «Pour les producteurs, c’est un instrument de promotion, poursuit Keller. Au départ, la Mémoire avait pourtant un but idéaliste, et pas commercial, qu’il ne faut pas perdre de vue. Voilà pourquoi on a admis des non-producteurs.»

De projet marginal, la Mémoire est aussi devenue un ambassadeur. Swiss Wine Promotion, que préside le Valaisan Gilles Besse, revenu au sein du projet avec une Amigne de Vétroz Grand Cru, l’associe à certaines manifestations, comme une présentation à la foire ProWein de Düsseldorf ou à Montreux, lors du symposium The Digital Wine Communication Conference, du 31 octobre au 2 novembre. Le mouvement a donné naissance à Mémoire & Friends, à Zurich, très attendu au Kongresshaus (cette année, le 25 août).

Autant d’événements pour faire sortir les meilleurs vins suisses, qu’ils soient 53 ou 250, de l’anonymat où ils restent confinés. Quand on consulte les chiffres de l’exportation, ils stagnent en effet depuis des lustres à moins de 2%, alors que la Fédération suisse des vignerons vise les 5%… «à long terme». Une terminologie qui s’applique pile au projet de la Mémoire.
Infos: www.mdvs.ch


Largement ouvert au public

Jamais la Mémoire ne s’est autant ouverte au public. Le samedi 8 mars, à 19 h, un dîner de gala, préparé par Edgard Bovier (17/20 au GaultMillau), au Lausanne-Palace, avec des vins de la Mémoire commentés par le Tessinois Paolo Basso, meilleur sommelier du monde en titre, est proposé au prix de 250 fr. le couvert. L’après-midi du dimanche 9 mars, toujours au Lausanne-Palace, de 14 à 18 h, la Mémoire fait déguster son trésor, soit les dix derniers millésimes.

Le Valaisan José Vouillamoz, généticien, animera, de 15 h 30 à 16 h 30, un séminaire-dégustation sur «Les différents visages du chasselas». Inscriptions sur ticketing.mdvs.ch


Un quatuor qui détonne

Cuvée Charles-Auguste,
Domaine de Crochet, Hammel, Rolle (VD)

Le premier millésime retenu par la MDVS date de 2001. Soit d’avant 2003, l’année de la canicule, tournant majeur du réchauffement climatique. Qui, dans ce vignoble vaudois caractérisé, en rouge alors très minoritaire, par du pinot-gamay et du salvagnin, aurait parié un centime sur un assemblage de syrah, des cabernets franc et sauvignon et de merlot, élevé dix-huit mois en barriques? Charles Rolaz, patron de Hammel, y a cru.
www.hammel.ch, 39 fr.

 


Sauvignon en barriques,
Les Hutins, Dardagny (GE)

Cépage de la Loire, mondialement diffusé, le sauvignon est planté la première fois en Suisse au début
des années 1980, au Tessin et sur ce domaine genevois. Présents à la MDVS dès 2003, Jean et Emilienne
Hutin étaient prêts à renoncer à un élevage en barriques, préférant la cuve inox, mais la commission de sélection a insisté pour qu’ils persévèrent. Ce qu’ils ont fait.
www.domaineleshutins.ch, 30 fr.

 


Completer Malanserrebe,
Martin Donatsch, Fläsch (GR)

Ce vieux cépage des Grisons, mentionné dès 1321, parent du lafnetscha du Haut-Valais, connaît un regain d’intérêt. Le jeune Martin Donatsch, président de Vinotiv, le cercle vertueux des meilleurs vignerons grisons, en a replanté. Réputé rustique, ce raisin est vinifié dans un style international et passe douze mois en barriques, avec un léger sucre résiduel, très tendance.
www.donatsch-malans.ch, 39 fr.

 

 


Bondola del Nonu Mario,
Azienda Mondo, Sementina (TI)

N’allez pas chercher de la concentration dans ce vin.
Il est fruité et brut, un peu comme certaines humagnes du Valais ou la freisa du Piémont. Détruite par le
phylloxéra, remplacée par le merlot (sur 850 ha), au Tessin, dès le début du XXe siècle, la bondola a «ressuscité» il y a une vingtaine d’années (sur 12 ha), principalement sur ce domaine qui a réduit l’élevage en fûts, pour retrouver la fraîcheur primesautière du raisin.
www.aziendamondo.ch, 19 fr.

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Malte Jaeger / Keystone
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Un rôle crucial pour la diplomatie suisse

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:52

Médiation.A la tête de l’OSCE, Didier Burkhalter tente de convaincre la Russie de s’engager au sein d’un groupe de contact international pour apaiser les tensions en Ukraine. Récit de plusieurs semaines d’efforts pour conjurer la crise.

Comment calmer le jeu en Crimée? Après la surenchère verbale, il reste un acteur auquel la communauté internationale se raccroche, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et son représentant spécial, l’ambassadeur suisse Tim Guldimann.

Rarement la diplomatie helvétique aura été aussi sollicitée que ces derniers mois. Après l’Iran et la Syrie, la voilà face à une nouvelle mission presque impossible: obtenir une désescalade de la tension en Ukraine. Mais si un pays peut encore y parvenir, c’est assurément la Suisse, le pays qui assume actuellement la présidence de l’OSCE.

Multiples rencontres… Coiffé de sa double casquette de président et de ministre des Affaires étrangères, Didier Burkhalter doit batailler sur tous les fronts depuis le début de l’année.

Par un extraordinaire con­cours de circonstances, le discret Neuchâtelois doit faire ses preuves en tant que maître des gestions de crise. Il doit à la fois sauver la voie bilatérale avec l’Union européenne et officier à la barre de l’OSCE pour stabiliser la situation en Ukraine au seuil des élections anticipées du 25 mai prochain.

… A Davos. Sa botte secrète? Depuis le début de l’année, il a multiplié les rencontres avec tous les acteurs du conflit, dont il connaît désormais bien tous les enjeux.

Le 24 janvier déjà, redoutant une explosion de violence sur la place Maïdan à Kiev, il présente un document non officiel – un non paper dans le jargon des diplomates – à celui qui est encore premier ministre ukrainien pour quelques jours, Mykola Azarov. Cela se passe à Davos, en marge du World Economic Forum (WEF). Son interlocuteur n’entre pas en matière au prétexte que les prochaines élections se dérouleront en 2015, et que la campagne commencera cet été déjà.

… A Munich. Le 1er février, Didier Burkhalter se retrouve face à trois leaders de l’opposition dans les coulisses de la Conférence sur la sécurité à Munich, dont l’actuel premier ministre Arseni Iatseniouk. Egalement présent, l’ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko jette sur la table une brochure contenant des photos témoignant de la violence des heurts entre les forces du régime et les manifestants.

Actuel ambassadeur de Suisse à Berlin, Tim Guldimann fait alors une discrète entrée en scène. Il propose de nommer un note taker, soit une personne chargée de protocoler correctement les positions des deux parties pour réduire leur méfiance mutuelle.

… Sur la terrasse de Sotchi. Un épisode décisif se joue à Sotchi, au lendemain de l’ouverture des Jeux olympiques. Le chef du Département des affaires étrangères profite de rencontrer son homologue russe Sergueï Lavrov, sur la terrasse de la Maison suisse. Le chef de la diplomatie russe ne ferme pas la porte à un rôle de médiation de l’OSCE, à condition que les parties prenantes du conflit le lui demandent.

… A New York. C’est une première brèche. Lorsqu’il se déplace à New York pour y parler devant le Conseil de sécurité de l’ONU, Didier Burkhalter sent que le moment est venu de passer à une stratégie plus offensive. C’est là, ce 24 février, qu’il annonce la nomination d’un représentant spécial pour l’OSCE en la personne de Tim Guldimann et qu’il envisage la création d’un «groupe de contact international» incluant tous les protagonistes du conflit. «La mission de l’OSCE est de construire des ponts entre l’Est et l’Ouest», souligne-t-il.

L’OSCE est ainsi devenue le dernier espoir d’une désescalade des tensions. D’une part, le Conseil de sécurité de l’ONU est bloqué par le droit de veto dont y dispose la Russie. Quant à l’Union européenne, elle a perdu toute crédibilité dans ce dossier, du moins aux yeux du Kremlin. Elle a été incapable de faire respecter les termes de l’accord qu’elle a imposé au président Viktor Ianoukovitch le 21 février. Et puis Bruxelles est impliquée directement dans le conflit, elle qui tente d’attirer l’Ukraine dans son giron géopolitique et économique.

Deux missions de terrain. Que pourra vraiment faire l’OSCE? Outre le groupe de contact international, l’organisation prévoit d’envoyer deux délégations en Ukraine: quasiment certaine, la première, composée de 20 à 30 hommes, serait chargée d’établir les faits sur toutes les violations des droits de l’homme commises dès le début des manifestations à la mi-novembre 2013. Encore hypothétique, la seconde, composée d’une centaine de personnes, devrait assumer une tâche de surveillance du respect des minorités en Ukraine, de manière à ramener un climat plus serein avant les élections anticipées du 25 mai prochain.

L’entraide suisso-russe. Mais comment convaincre le Kremlin si belliqueux de redonner une place aux tractations diplomatiques? La Suisse ne manque pas d’arguments pour attirer la Russie à la table des négociations. Les deux pays entretiennent dorénavant de bons rapports.

Qu’il paraît loin, le temps où Vladimir Poutine – en 2003 et sous l’œil des caméras – passait un savon au président Pascal Couchepin après le crash d’Überlingen. Les deux capitales s’entraident volontiers. La Suisse a favorisé l’entrée de la Russie au sein de l’OMC, tandis que Moscou a invité les Helvètes au G20 de Saint-Pétersbourg. Et même lorsqu’une diplomate suisse, Heidi Tagliavini, hérite de la fort délicate mission d’enquêter sur les raisons du conflit entre la Russie et la Géorgie en 2008, elle s’en sort avec les honneurs, respectée autant à Moscou qu’à Tbilissi.

C’est désormais tout l’enjeu des prochaines semaines. Persuader la Russie de faire partie du groupe de contact international. Fût-ce, dans un premier temps, au détriment de l’Ukraine, avec laquelle Moscou refuse de se mettre à table, estimant son gouvernement provisoire illégitime. C’est le plan B de la diplomatie helvétique, le prix à payer pour un apaisement des tensions dans la région. La Russie ne pourra guère faire parler sa puissance militaire tout en négociant.

Dans son jeu, l’OSCE et sa présidence suisse disposent d’un atout décisif: le diplomate Tim Guldimann, ce flamboyant rebelle de la diplomatie qui l’a même quittée plusieurs années, habile négociateur et polyglotte surdoué maîtrisant une bonne demi-douzaine de langues, dont le russe.

Lorsque la Suisse avait présidé l’OSCE en 1996 en pleine première guerre entre la Russie et la Tchétchénie, il s’était distingué en étant l’un des artisans de l’apaisement entre les deux belligérants, débouchant plus tard sur la paix de Khassaviourt.

Reste à savoir s’il a laissé de bons souvenirs à la Russie de Vladimir Poutine, qui a précisément affirmé son pouvoir en réglant ce conflit par la force en 2000 au terme d’une sanglante deuxième guerre. C’est une question que Didier Burkhalter a forcément dû se poser. Apparemment, l’actuelle génération des dirigeants russes n’a rien à redire contre le rôle de pacificateur de Tim Guldimann.

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Herbert Pfarrhofer / Keystone | David Mdzinarishvili / Reuters
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La chronique de Jacques Pilet: les plaies de l’histoire

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:53

L’Ukraine? C’est tout simple. Le peuple épris de liberté chasse un président corrompu. Cela fâche le grand voisin qui comptait sur lui. Et l’habile stratège de Moscou en profite pour annexer une presqu’île et étendre ainsi son empire.

Un peu trop simple. On ne comprend rien à cet imbroglio en s’en tenant à l’actualité immédiate. Les clés sont à chercher dans l’histoire, comme dans toute l’Europe de l’Est, dans les effroyables traumatismes qu’ont connus tous ces peuples. Se fixer sur la mégalomanie jugée diabolique de Poutine, faire de la Russie l’ennemi absolu, c’est mettre en scène la guerre froide, ce n’est pas y voir clair.

Dans nos contrées, le souvenir de la Deuxième Guerre mondiale s’éloigne. La réconciliation s’est faite. A l’Est, en revanche, on en est loin, les tragédies du XXe siècle restent une obsession, transmise de génération en génération.

L’effroyable politique de Staline à l’égard de l’Ukraine a de quoi imprégner la mémoire collective. Famines organisées, élimination des élites, déplacement des frontières: la liste des horreurs est longue. A l’est et dans le sud du pays, on ne veut pas trop y penser: ce qui compte, c’est l’attachement viscéral à la culture russe, la fierté de la victoire sur l’Allemagne nazie et ses alliés… qui furent aussi Ukrainiens. A l’ouest, nourri d’autres influences et d’autres phobies, austro-hongroises, polonaises, allemandes, juives, le paysage intérieur est tout autre.

Voilà qu’aujourd’hui les Occidentaux, mis au défi par l’occupation de la Crimée, s’indignent et se demandent comment punir le grand manipulateur du Kremlin. Ce qui complique un peu les choses, c’est que les Russes, dans leur écrasante majorité, approuvent la récupération de cette presqu’île, haut lieu de leur histoire pendant des siècles. Quant à ses habitants, il n’y a guère de doute: ils préfèrent le parrainage musclé de la Russie au nouveau pouvoir de Kiev.

Non sans quelque raison. Aux côtés des vrais démocrates qui se sont battus sur la place Maigan, les ultranationalistes ont pesé et pèsent de tout leur poids. Ils ont poussé le Parlement, au lendemain même du changement de pouvoir, à déclarer que la langue russe n’avait plus de statut officiel. Les incendiaires jouent avec les mêmes allumettes. Lorsque la Moldavie s’est déclarée indépendante en 1991, ses dirigeants ont décrété que seul le roumain y avait droit de cité. Or, le quart de la population parle russe. Ce qui provoqua la rébellion d’une partie du pays, la Transnistrie: après des affrontements meurtriers, elle devint à son tour indépendante de facto, mais non reconnue, même par sa protectrice russe.

Difficile d’imaginer, du fond de notre quiétude helvétique, l’effroi et la colère que suscite chez les Russes l’émergence des groupes d’extrême droite en Ukraine, héritiers des alliés des nazis, aujourd’hui encore racistes, frénétiquement antirusses, discrètement antisémites et antipolonais. Ces excités prennent le relais de la police à Kiev, tiennent le haut du pavé à Lviv. Ils honorent Stepan Bandera, cofondateur dès 1939 d’une «légion ukrainienne» au service des Allemands, accusée d’avoir massacré des milliers de juifs et de Polonais. Après la défaite allemande, il poursuivit le combat contre les Soviétiques en appuyant l’Armée insurrectionnelle ukrainienne: une guerre oubliée où la terreur répondait à la terreur. Elle n’a pris fin qu’en 1954, elle a causé de part et d’autre des milliers de victimes.

Lorsque, aujourd’hui, ces militants d’extrême droite effacent tous les souvenirs de la victoire de l’URSS sur le Reich, plus rien ne freine l’émotion des Russes. Comment oublier qu’ils ont perdu plus de dix millions de soldats pour abattre Hitler, sans compter le sacrifice d’une quinzaine de millions de civils.

Poutine surestime à dessein le rôle de l’extrême droite dans le nouveau pouvoir. Mais Européens et Américains le sous-estiment. Un accord avec Moscou est possible: Poutine est passé maître dans l’art de concocter des statuts particuliers pour les pays écartelés entre Russes et Occidentaux. Quant aux diplomates européens – et suisses! –, ils aiment beaucoup ce genre d’exercice. Mais il y a une épine qu’ils devront retirer de la plaie: la présence des nazillons ukrainiens au sein du gouvernement, de la police, des services secrets de Kiev, est intolérable pour les Russes. Elle l’est aussi pour tous les démocrates.

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Les dollars de Moscou

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:54

Moldavie. Pendant que le monde a le regard braqué  sur l’Ukraine, le Kremlin tente de faire basculer dans son orbite les derniers gouvernements proeuropéens.

S’il n’en tenait qu’à Mihail Formuzal, la révolution de Kiev n’aurait jamais eu lieu; la Moldavie n’opterait pas pour l’Europe mais pour la Russie et le projet d’accord d’association avec l’UE filerait aux oubliettes. Mihail Formuzal, 54 ans, est président du district autonome de Gagaouzie (ndlr: pays des taureaux du ciel bleu). Début février, il a lancé un référendum parmi les 155 000 ressortissants de la minorité turcophone mais chrétienne orthodoxe des Gagaouzes pour savoir s’ils préféraient adhérer à l’Union douanière proposée par la Russie ou collaborer avec l’Union européenne. Résultat: 98,5% des personnes interrogées ont choisi la Russie (68 000 voix contre 1900).

En Moldavie, les Gagaouzes passent pour la cinquième colonne de Moscou. Mihail Formuzal a été major d’artillerie dans l’armée soviétique et son bureau de la rue Lénine donne sur une immense statue du révolutionnaire. «Mon fils étudie en Allemagne. Les valeurs européennes nous plaisent mais pas vos mariages homos.» Le week-end décisif à Kiev, il a envoyé un télégramme de solidarité aux partisans de Viktor Ianoukovitch. Il lui offrait de l’aide: la Moldavie accueillerait les policiers blessés des forces spéciales Berkut – ceux-là mêmes qui tiraient à balles réelles contre les manifestants, les séides de l’ancien régime.

Objectif: détacher la Moldavie de l’UE. Or Moscou noyaute précisément les dernières républiques proeuropéennes de sa zone d’influence. La Moldavie est l’une d’elles. Plus petite que la Suisse, peuplée de 3,6 millions d’habitants, elle a quitté l’orbite soviétique en 1991, même si des communistes y régnaient encore jusqu’en 2009. Une coalition proeuropéenne est désormais au pouvoir et la Moldavie a signé avec l’UE un accord d’association qui doit être ratifié en août.

Mais pas sûr qu’on y arrive. Car le Kremlin fournit de gros efforts ces jours pour détacher la Moldavie de l’UE. Et, pour y parvenir, elle se sert des Gagaouzes, dont la capitale, Comrat, une petite ville de 25 000 habitants, ne parle que le russe en dehors du gagaouze et regarde la première chaîne TV publique russe.

Le reste des Moldaves a aussi infléchi son attitude envers l’Europe: seuls 44% d’entre eux se disent partisans d’une intégration, tandis que croît de 30 à 40% la part de ceux qui sont favorables à une union douanière avec la Russie. Mihail Formuzal assure que le gouvernement a instauré une «démocratie africaine, qu’il distribue les prébendes aux camarades de parti et à leurs familles et qu’il ne reste rien pour les Gagaouzes. Nous voulons notre propre Etat, nous visons le même statut que la République de Transnistrie (ndlr: non reconnue par la communauté internationale).»

L’étroite bande de terre qui longe le Dniestr s’était séparée de la Moldavie au terme d’une guerre civile en 1992. Depuis lors, elle est maintenue sous assistance respiratoire par les subsides russes. L’ambassade de Russie à Chisinau, la capitale moldave, aurait déjà promis des mesures pour aider la Moldavie: du gaz à prix réduit et l’importation facilitée du vin moldave.

«Les gens ne ressentent pas d’amélioration de leur niveau de vie, un Moldave sur trois travaille à l’étranger, dont la plupart en Russie», raconte Victor Chirila, ex-conseiller du premier ministre libéral Vladimir Filat, contraint à la démission l’an dernier à la suite de divers scandales. «Soixante pour cent des Moldaves pensent que les choses allaient mieux à l’époque soviétique. Et maintenant, avec son union douanière, la Russie leur propose pour la première fois une alternative et le sentiment trompeur de se retrouver dans le giron de l’Empire. Ils ne comprennent pas ce que l’UE signifie.»

La peur du modèle ukrainien. Il est possible qu’à l’automne les communistes remportent les élections parlementaires. Si le gouvernement actuel ratifiait l’accord d’association avec l’UE en août, le nouveau cabinet l’annulerait peut-être immédiatement. C’est précisément à cela que travaillent les Russes. Depuis plusieurs semaines, ils mettent des embûches à l’importation des vins moldaves, rapatrient leurs fonds déposés dans les banques du pays et remettent en cause le statut des travailleurs moldaves en Russie, dont les envois d’argent à la maison font largement vivre la population. Sans parler des provocations incessantes à la frontière entre la Transnistrie et le reste du pays.

Victor Chirila assure que Moscou subsidie la Transnistrie à hauteur de 30 millions de dollars par an. Sans compter les prestations complémentaires payées à tout fonctionnaire et retraité de l’Etat. La rumeur court, ajoute-t-il, que la Russie s’apprête à acheter des députés moldaves. Facile, car la majorité de la coalition au pouvoir n’est que de trois sièges.

Lundi dernier, les ministres des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, et allemand, Frank-Walter Steinmeier, ont fait le voyage à Chisinau, avant de se rendre en Géorgie pour rassurer ces deux amis de l’UE dans la zone d’influence russe. «Nous savons que la Russie tente d’acheter une partie de la République de Moldavie», confirme Graham Watson, référent pour le pays au sein du Parlement européen. Car Moscou veut à tout prix éviter que le modèle ukrainien ne fasse des émules dans d’autres républiques voisines.

© Der Spiegel Traduction et Adaptation Gian Pozzy

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Ramin Mazur / EST&OST | Der Spiegel
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L’Évangile selon saint Matteo

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:56

Portrait.Le premier jour déjà, le nouveau président du Conseil italien, Matteo Renzi, 39 ans, a communiqué son intention de faire le ménage. A Florence, dont il a été maire pendant cinq ans, il compte d’éminents supporteurs. A Rome, beaucoup moins.

Walter Mayr

Nommé président du Conseil italien, Matteo Renzi n’avait occupé jusque-là aucune charge élective, hormis celle de maire de Florence. Le Parlement de Rome lui est étranger et c’est pire encore pour les institutions de Bruxelles. Il est désormais sur le fil du rasoir puisqu’il a la responsabilité d’un pays qui traverse la plus sévère crise économique de l’après-guerre.

L’avocat du peuple. L’Italie a plus de deux ans de récession derrière elle. Sa dette se monte à 133% du PIB; seule la Grèce fait pire. L’Etat doit au moins 70 milliards d’euros aux entreprises, les patrons se lamentent d’une charge fiscale qui les étrangle et le taux de chômage a doublé dans le pays depuis 2007. Les parlementaires italiens, dont le salaire net peut aller jusqu’à 12 000 euros, savent tout cela mais n’ont rien fait pour y remédier. Du coup, Renzi se fait l’avocat du peuple quand il dit à la télévision: «L’Italie peut devenir un leader dans le monde à condition que sa classe politique ne se borne pas à contempler les événements comme on le fait sur l’écran d’un cinéma.»

Il se voit lui-même comme le héraut de ce peuple: train de vie modeste, proche des gens. Marié à Agnese, une institutrice, père d’une fille et de deux garçons qu’il a habillés de rouge-blanc-vert pour la prestation de serment, il a ensuite assisté en famille à la messe dans son bourg de Pontassieve. Le curé a puisé, pour son homélie, dans l’Evangile selon saint Matthieu le passage où il est dit qu’il est légitime de tendre l’autre joue à l’ennemi en cas de besoin. Un avertissement du haut de la chaire? Car l’humilité n’est pas le premier trait de caractère de Matteo Renzi. Les gifles, il les distribuerait plutôt. Comme il l’a fait en déboulonnant son prédécesseur Enrico Letta, puis en enguirlandant les sénateurs qui s’apprêtaient à lui voter leur confiance.

Ce que Rome et le reste de l’Europe peuvent attendre de Renzi, les Florentins le savent mieux que quiconque. Les plus enflammés de ses partisans et ses plus sévères contempteurs s’y affrontent sur à peu près tout, sauf sur deux points: il est un communicateur hors pair et un vrai bosseur. Président de la province de Florence à 29 ans, maire de la ville à 34, il est un mâle alpha. Ceux qui se mettent en travers de son chemin s’en mordent les doigts. Mais ses ardents thuriféraires, parmi lesquels les créateurs de mode Ferruccio Ferragamo et Roberto Cavalli ou le chausseur Diego Della Valle (Tod’s), tombent d’accord: «Il a rendu aux Florentins leur confiance en eux et ramené de la vie dans la cité.»

Le fait que des multimillionnaires misent sur un homme qui se prétend de gauche en dit long sur la dévastation du paysage politique italien, notamment après vingt ans de misère berlusconienne, et sur le dépit qu’éprouvent aujourd’hui les grands noms qui ont fait le succès de l’Italie.

Un objectif par mois. Reste que, après s’être illustré verbalement en promettant de jeter tous les caciques du pays à la ferraille, Renzi devra montrer comment faire revenir l’Italie dans le concert des nations prospères et ambitieuses. Cela débute avec Angela Merkel, le 17 mars à Berlin, et se poursuit avec la visite de Barack Obama à Rome le 27. Avant que l’Italie ne reprenne la présidence tournante de l’UE le 1er juillet prochain, il s’est fixé un objectif par mois: modifier la loi électorale, réformer le marché du travail, l’administration publique et le système fiscal. «En trois mois, trois choses que nous attendons depuis trente ans? Bonne chance!» écrit le Corriere della Sera. Car Renzi oublie peut-être que le marécage italien n’est pas «peuplé que de flamants roses et de hérons, mais aussi de crapauds, de couleuvres et de crocodiles». Certains d’entre eux ayant les traits de Silvio Berlusconi ou de Beppe Grillo, sans l’appui desquels la mince majorité gouvernementale ne suffira pas à entreprendre la moindre réforme.

©Der Spiegel Traduction et adaptation Gian Pozzy

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Remo Casilli / Reuters
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Freysinger, parrain des identitaires

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:57

Manifestation.Un rassemblement aura lieu le 9 mars à Paris pour exiger un référendum sur l’immigration, «comme en Suisse». Un message du ministre valaisan y sera lu.

Ses amis parisiens qui ont vu le film lui ont demandé d’aller le voir à son tour afin de pouvoir en débattre avec lui. Le film? L’expérience Blocher, du cinéaste suisse Jean-Stéphane Bron, actuellement à l’affiche en France. De passage à Paris, le militant UDC valaisan Bernard Migy s’est apparemment exécuté de bonne grâce: autant bien connaître son ennemi, non pas Blocher le héros, bien sûr, mais Bron le réalisateur.

Lorsque nous avons joint Bernard Migy par téléphone ce dimanche 2 mars, il se rendait d’ailleurs à la séance de rattrapage dans un cinéma du Quartier latin projetant le documentaire helvétique couvert d’éloges par la critique cinématographique française, admirative devant la forme, inquiète quant au fond. Une inquiétude renforcée par le vote des Suisses contre l’immigration de masse.

Le 9 mars, toujours à Paris, le Valaisan doit participer à une manifestation appelant à la tenue en France d’un «référendum contre l’immigration».

Les Helvètes ont montré la voie à suivre, se félicitent les organisateurs de ce rassemblement: Riposte laïque et Résistance républicaine, de la mouvance identitaire. Bernard Migy devrait même y lire un message rédigé par Oskar Freysinger, si l’on en croit Pierre Cassen, animateur et rédacteur du site Riposte laïque. Le «mot» du conseiller d’Etat valaisan UDC pourrait consister, précise le publiciste français, en un soutien «à la mise en place dans l’Hexagone d’un référendum se rapprochant du modèle suisse».

Guide suprême. Les organisateurs auraient préféré qu’Oskar Freysinger soit physiquement parmi eux. Mais celui-ci ne le pourra pas, en raison d’obligations de représentation, de nature essentiellement sportives, qui le retiendront en Valais ce week-end-là, ainsi qu’il l’a indiqué à L’Hebdo, tout en apportant la précision suivante concernant ce rassemblement: «J’ai rédigé une page A4 de propos sur la démocratie directe et la problématique de la libre circulation.»

Avec les années et les combats qu’il a menés, Oskar Freysinger est devenu une sorte de «guide suprême» aux yeux de ceux qui, en France, estiment que l’immigration et l’islam sont les deux faces d’une même pièce et pensent que cette monnaie-là est incompatible avec la monnaie locale.

L’engagement du Suisse dans la votation sur les minarets et la victoire obtenue sur cet objet, en novembre 2009, ont fait de lui le chef de file légitime des identitaires. Et ils sont nombreux dans l’Hexagone. «Il a un charisme qui n’appartient qu’à lui», observe Pierre Cassen, totalement conquis par le personnage, qui incarne selon lui les valeurs simples et vertueuses de la démocratie helvétique, où l’on peut débattre de tout «sans se haïr», mieux, «en se respectant». Les deux hommes se connaissent et semblent s’apprécier. «Pierre Cassen est de gauche, je ne le suis pas, explique Oskar Freysinger.

Il est pour l’avortement, je suis contre. Nous nous retrouvons en revanche dans l’islamo-critique.»

Accueil triomphal. Auréolé de son combat démocratique victorieux contre la construction de nouveaux minarets, Oskar Freysinger avait «explosé» l’applaudimètre lors de sa venue aux Assises internationales contre l’islamisation de l’Europe en décembre 2010 à Paris. Protégé par des gardes du corps à lunettes noires, il semblait lui-même surpris par cet accueil triomphal qui le hissait à une stature quasi mondiale à laquelle il n’aspirait sans doute pas. «Sa participation aux assises était courageuse, car il avait des échéances électorales en Suisse», analyse Pierre Cassen.

Qu’on se le dise: si, en Suisse romande, on devait manquer d’avocats pour défendre le oui du 9 février et ses conséquences fâcheuses, il s’en trouverait de tout disposés en France, qui n’afficheraient pas cette suffisance souvent reprochée aux Français envers le «petit voisin helvétique».

La diatribe du député européen Daniel Cohn-Bendit, le 26 février à Strasbourg, dans laquelle il affirmait que les Suisses reviendraient «à genoux parce qu’ils ont besoin de l’Europe», a d’ailleurs outré Pierre Cassen. «Il demande à l’Europe de traiter la Suisse comme les Etats-Unis traitent Cuba, s’horrifie le fondateur de Riposte laïque. Cohn-Bendit veut que la Suisse s’humilie.» La Confédération helvétique comparée à l’île castriste, pas sûr que Christoph Blocher apprécierait.

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Bertrand Langlois AFP
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Banques: l’année de la facture

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:58

Evasion.En dépit des récentes ouvertures de la Suisse, les banques restent sur le gril. Le coût du règlement du passé est encore inconnu, mais son heure approche.

Le symbole n’a échappé à personne. Brady Dougan, citoyen américain, sommé de dire la vérité, toute la vérité, devant une commission du Sénat des Etats-Unis. Et, sous les projecteurs du Capitole, le puissant directeur général de Credit Suisse de jurer qu’il ne savait pas, qu’il ignorait les agissements de ses salariés partis à la pêche aux évadés du fisc américain.

La Suisse et ses banques se sont converties à l’échange automatique d’informations en avril 2013, mais elles n’ont pas fini de régler le passé. Or, cette heure a sonné. Six ans après les premières charges des autorités américaines contre UBS et celles de la justice allemande contre les gros fraudeurs fiscaux d’outre-Rhin, les amendes commencent à pleuvoir sur une industrie qui a trop longtemps misé sur la tricherie fiscale.

UBS est certes passée au tourniquet en février 2009 en s’acquittant d’une amende de 780 millions de dollars (alors 913 millions de francs) aux Etats-Unis; Julius Bär et Credit Suisse ont également réglé des contentieux similaires avec la justice allemande en s’acquittant respectivement de 50 et 150 millions d’euros en avril et en septembre 2011 (64,9 et 181,2 millions de francs). Mais quantité d’autres procédures s’approchent de leur conclusion.
Face au Sénat, Brady Dougan n’en démord pas: il jure que la banque ne savait rien de l’évasion fiscale sous son toit, quitte à se faire traiter de menteur, quitte à prendre le risque que les enquêteurs américains lui démontrent le contraire à l’avenir, ouvrant la voie à de nouvelles procédures.

La réputation du géant de la Paradeplatz est certes en jeu dans cette dénégation. Mais au-delà de l’image, son intérêt est matériel: sa ligne de défense doit influencer le montant de l’amende que devrait lui infliger le Department of Justice (DoJ) pour avoir aidé pendant des années des Américains à échapper à leurs obligations fiscales. Début février, il annonçait avoir relevé de 175 millions de francs sa «provision pour risques juridiques», laquelle atteint désormais 470 millions. Une réserve qui a réduit le bénéfice de la maison, mais qui ne suffira probablement pas à assumer le passé. «On estime à 1 milliard de francs la sanction qui sera infligée à la banque. Mais il est rigoureusement impossible de faire une estimation sérieuse», observe l’analyste financier Loïc Bhend, de la banque Bordier à Genève.

Sans autorisation. Signe que le montant sera substantiel, la banque a déjà dû franchir à grands frais une première étape. Le 21 février dernier, elle a annoncé devoir s’acquitter d’une amende de 196,4 millions de dollars (174,6 millions de francs) infligée par la Securities and Exchange Commission (SEC, l’autorité de surveillance boursière américaine) pour avoir enfreint une règle: elle avait proposé sans autorisation des solutions d’investissement à des clients américains. Et pour cause: ces derniers, pour ne pas être repérés par le fisc, n’ont pas recouru à la branche locale du CS, qui dispose de toutes les autorisations nécessaires, mais à la filiale helvétique, qui ne les a pas.

Credit Suisse, aussi spectaculaire que soit son cas, n’est que l’une des douze banques en train de négocier avec la justice américaine. Ces établissements, dont HSBC, Pictet ou les banques cantonales de Zurich et de Bâle, devront aussi ouvrir leur porte-monnaie pour régler le passé. De plus, 106 autres institutions, dont les grandes banques cantonales et la plupart des banquiers privés, ont admis une possible culpabilité de leur part. Elles se sont inscrites dans la catégorie 2 – et admettent donc leur culpabilité – sur l’accord passé entre la Suisse et les Etats-Unis le 29 août dernier destiné à régler le passé. Elles s’apprêtent donc à payer des amendes salées, de 20 à 50% du montant des fonds non déclarés qui étaient déposés chez elles par des clients américains après juillet 2008.

Or, plus aucun spécialiste ne se hasarde à chiffrer le coût final de ces sanctions. Les méthodes de calcul de l’administration américaine font l’objet de nombreuses spéculations. De plus, la plupart des banques concernées restent fort discrètes sur les montants engagés. La Banque cantonale vaudoise n’indique ainsi pas la part exacte dévolue au programme américain dans les 43 millions de réserves supplémentaires qu’elle a constituées en 2013.

Aussi les spécialistes en sont-ils réduits à des hypothèses: «Pour la plupart des banques qui se sont inscrites dans cette catégorie, les montants devraient être modestes car l’acquisition de clientèle américaine non déclarée ne faisait pas partie de leur stratégie. Mais pour certaines, les montants devraient représenter une année de bénéfices, voire plus», anticipe Loïc Bhend. Il n’est pas exclu non plus que certaines se trouvent dans l’impossibilité de continuer leurs affaires et soient contraintes à la fermeture. Cela a été le cas de la petite banque Frey à Zurich, forcée l’automne dernier d’abandonner la partie pour avoir délibérément attiré des clients américains non déclarés après l’offensive américaine contre UBS en 2008-2009.

De tels cas devraient néanmoins rester peu nombreux. La Finma, garante de la solidité des banques, les a fermement encouragées à participer au programme américain à la fin de l’an dernier pour réduire les risques pesant sur la place financière.

Mais les Etats-Unis ne sont pas les seuls à préparer des sanctions financières. UBS négocie actuellement avec la justice allemande le règlement de très nombreuses années d’orchestration de l’évasion fiscale de contribuables d’outre-Rhin. Le montant articulé oscille entre 180 et 200 millions d’euros (entre 217 et 241 millions de francs). En comparaison, l’amende de 10 millions d’euros (12 millions de francs) infligée à la banque par la France l’an dernier fait pâle figure. Mais «plusieurs pays pourraient s’inspirer des succès américains et lancer leurs propres procédures», relève Loïc Bhend.

Le moyen le plus sûr de mettre fin à cet enchaînement est l’instauration d’un règlement global du passé. La Suisse avait tenté cette solution en proposant ses accords Rubik, avec un succès limité à deux pays seulement. Aujourd’hui, elle tente d’inclure cette question dans la mise en place de l’échange automatique d’informations fiscales en cours à l’OCDE depuis l’été dernier.
Un processus fortement soutenu par les banques suisses, qui en attendent deux choses: cesser de payer des amendes, et ne plus devoir comparaître devant une commission du Sénat américain comme Brady Dougan.

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Sources: Bloomberg | Reuters | Banques | DDF
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Libre circulation: pomme de discorde au sein de l’Union

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:59

Immigration.Face à la fronde de plusieurs Etats pour lutter contre les abus de la libre circulation, Bruxelles planche sur une solution, mais pas forcément celle que l’UDC espère.

Il n’y a pas qu’en Suisse que la libre circulation des personnes divise les esprits. A Bruxelles aussi, dans les couloirs de la Commission européenne, le sujet est d’une actualité brûlante. Pas seulement parce que le premier ministre britannique, David Cameron, a tapé du poing sur la table en novembre dernier. La France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont eux aussi exprimé leurs inquiétudes quant aux pressions sur leurs assurances sociales, liées à l’immigration.

La libre circulation des personnes? «C’est un principe que Bruxelles a érigé en dogme», dénoncent ses détracteurs. En fait, c’est d’abord le droit que les Européens chérissent le plus, celui de vivre, de travailler et d’étudier n’importe où au sein de l’UE, rétorque la Commission. Il figure déjà dans le Traité de Rome de 1957. Aujourd’hui, ils sont 14 millions de citoyens à en profiter.

Entre tenants du libéralisme économique et étatistes partisans de contrôles renforcés pour éviter les abus, la bataille fait rage. En novembre dernier, la France a lancé une offensive afin de réformer la directive de 1996 relative aux travailleurs détachés. Plusieurs chantiers ont alarmé l’opinion publique, dont celui de Bouygues Travaux publics, accusé d’employer des Polonais touchant tout juste la moitié des salaires usuels à la centrale nucléaire de Flamanville.

Responsabilité solidaire. Principal enjeu: l’introduction d’une responsabilité conjointe et solidaire de tous les sous-traitants. Ce débat n’est pas nouveau, mais il n’a jusqu’ici jamais abouti à des mesures concrètes allant dans ce sens: la Grande-Bretagne et plusieurs pays d’Europe centrale et de l’Est s’y sont toujours opposés.

Pour sortir de l’impasse, les trois acteurs du dossier – la Commission, le Conseil des ministres et le Parlement – négocient ces semaines-ci une solution qui tiendrait compte du principe de subsidiarité. La directive d’exécution offrirait ainsi à chaque Etat membre la possibilité d’instaurer la responsabilité solidaire et de mettre sur pied un mécanisme de sanctions contre les fraudeurs.

Autre sujet chaud lié à la libre circulation des personnes: la migration de la pauvreté, ce «tourisme social» qui fait hurler les populistes de tout poil. C’est ici la Grande-Bretagne qui mène la fronde à Bruxelles, même si elle avoue n’avoir aucun chiffre venant étayer ses craintes. A la fin de novembre dernier, le premier ministre David Cameron, sous la pression du parti antieuropéen UKIP de Nigel Farage, qui menace sa réélection en 2015, a annoncé qu’il réduirait l’accès aux aides sociales des immigrés européens. Mais, une semaine plus tard, la vice-présidente de la Commission Viviane Reding a désamorcé la bombe lors du Conseil des ministres de l’Intérieur: «Le principe de la libre circulation n’est pas en cause. C’est aux Etats nationaux de faire leurs devoirs et de devenir plus stricts en matière d’octroi d’aides sociales», a-t-elle souligné.

Epouvantail néolibéral. C’est sûr. La Commission a baissé le ton face aux Etats inquiets d’une immigration trop massive. Elle ne veut visiblement plus apparaître en épouvantail néolibéral, ainsi que le montre une note qu’elle a adressée à l’Allemagne, où certains experts craignent l’arrivée de 100 000 à 180 000 Roumains et Bulgares par an dès cette année. «Des clauses strictes de protection limitent la libre circulation des personnes», affirmait Bruxelles en janvier dernier. «L’Allemagne ne doit pas accorder une aide sociale à tous ses chômeurs de l’UE», ajoute-t-elle.
Si la Commission incite ses membres à lutter contre les abus à l’aide sociale, c’est pour mieux ne pas déroger au principe même de la libre circulation. A l’intérieur de l’UE comme envers l’extérieur, avec la Suisse notamment. Ceux qui, comme l’UDC, comptaient sur la Grande-Bretagne pour obtenir l’introduction de contingents devront bien vite déchanter.

 

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François Lenoir Reuters
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Erasmus: survivra-t-il?

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Jeudi, 6 Mars, 2014 - 06:48

▼Les faits
Ils étaient près de 12 000, samedi 1er mars sur les pavés de la place Fédérale à Berne. «Ne punissez pas Erasmus», scandaient les étudiants réunis à l’occasion de la manifestation «Pour une Suisse ouverte et solidaire». A leurs côtés, des syndicats et des organisations de gauche venus participer à ce cri de révolte faisant suite à la votation du 9 février. Le 26 février, la Commission européenne a par ailleurs confirmé l’exclusion des étudiants suisses de l’accord Erasmus +.

▼Les commentaires
«Le financement des futurs échanges est au cœur de toutes les préoccupations, note La Liberté. Tous les regards se tournent du côté de la Confédération qui pourrait bien être appelée à mettre la main à la poche.» Et Le Temps de préciser: «Parmi les scénarios évoqués, le gouvernement pourrait mandater l’agence nationale qui gère les séjours Erasmus, la Fondation ch, dans l’idée de trouver un mécanisme temporaire, et décider l’allocation de moyens supplémentaires pour garantir à la fois les bourses des Suisses qui veulent partir et celles des Européens désireux de venir.» Car, comme le rappelle le Tages-Anzeiger, «les relations entre partenaires universitaires sont basées sur la réciprocité». Or, la Suisse ne bénéficie plus de l’enveloppe de 14 milliards d’euros attribuée par l’Europe. Résultat: Berne devra financer les universitaires suisses, mais également prévoir des bourses pour les Européens. «Une fois le financement réglé, le vrai travail commencera. Les universités suisses devront alors convaincre leurs institutions partenaires de collaborer.»

▼A suivre
Le Conseil fédéral devrait se prononcer sur la marche à suivre lors de sa séance du vendredi 7 mars.

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Peter Schneider / Keystone
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