POUR LES 10 ANS DU FORUM DES 100, UN BRAINSTORMING COLLECTIF ROMAND
Dossier. Où va la Suisse après le vote du 9 février, quels projets faut-il lancer, les nouvelles générations sont-elles prêtes à reprendre le flambeau? «L’Hebdo» a interpellé les membres du réseau qui s’est constitué au fil de la manifestation créée en 2005.
Un lieu symbolique
A cheval sur la frontière pour affirmer l’esprit d’ouverture. En 2005, L’Hebdo choisit le CERN pour abriter un forum réunissant des personnalités romandes. On cogite sur le nom, sur la méthode. Et, s’inspirant du magazine Time, on décide d’établir une liste de 100 personnalités qui font la Suisse romande et de les convier à débattre. L’affluence dépasse d’emblée les espérances et démontre un formidable besoin d’échanges et de rencontres. Dès l’année suivante, le réseau s’élargit à de nouveaux cercles. L’événement organisé par L’Hebdo devient LE lieu de réseautage où se côtoient décideurs économiques, politiques, culturels, scientifiques, académiques et toutes sortes de jeunes talents que la rédaction est fière de révéler. C’est tout sauf un hasard si le Forum des 100 partage avec le web la caractéristique d’être né au CERN, même s’il a pris depuis ses quartiers à l’Université de Lausanne.
Pour la dixième édition, L’Hebdo privilégie l’autre ambition du Forum: le débat d’idées. Près de 1000 alumni, distingués au fil des ans, ont reçu un questionnaire (voir ci-contre) les invitant à se projeter dans les dix prochaines années. Le résultat tient d’un brainstorming collectif romand inédit.
Le vote du 9 février sur l’immigration de masse a renforcé un besoin de débriefing. Comme après l’orage, l’atmosphère est plus claire, plus nette. Une centaine de membres du Forum ont pris la plume pour livrer leurs analyses et leurs propositions.
L’exercice de prospective est un art difficile, comme le souligne en préambule à ses réflexions Benoît Gaillard, président du Parti socialiste lausannois: «L’échec patent de très nombreuses prédictions émises dans le passé devrait nous inciter à la plus grande prudence à ce sujet, à une sorte d’hygiène de la prévision.»
Evidemment, notre avenir, le maintien de notre prospérité dépendront beaucoup de la manière dont le Conseil fédéral parviendra, ou pas, à concilier l’exigence de quotas d’immigration avec le maintien des accords bilatéraux liant la Suisse à l’UE.
Une Suisse résiliente
Dans l’ensemble, notre collège d’experts volontaires veut croire que le gouvernement trouvera une solution satisfaisante. «La Suisse est résiliente», s’exclame Enza Testa Haegi, présidente du Cercle des dirigeants d’entreprises. Comme un vieux couple, on a l’habitude de se déchirer, mais on sait aussi recoller les pots cassés. Réminiscence de l’après 1992, où le pays crut le divorce consommé. Mais les réflexions de notre think tank révèlent une stupéfiante confiance dans la capacité du pays à rebondir. La Suisse sait mieux qu’il y a vingt ans qu’elle existe et qu’elle a des atouts.
Beaucoup, comme Marcel Maurer, le président de Sion, défendent la démocratie directe: «Elle permet au ressenti du peuple d’émerger rapidement en surface, d’être pris en compte, expliqué, identifié. Ce n’est pas le cas dans les pays européens qui nous entourent où le décalage entre élus, responsables politiques, représentants au Parlement européen peut s’installer dangereusement et surgir sous la forme d’une grave crise de société et de valeurs.» Le résultat du 9 février, que la plupart n’ont pas souhaité, est vécu comme un accroc. Certains plaident pourtant pour d’audacieuses remises en question. Mais il faudra réconcilier élites et citoyens, tenter de comprendre pourquoi cette économie qui performe n’arrive pas à convaincre la population de continuer sur la lancée.
Dans leur majorité, les alumni du Forum n’ont pas envie d’être déprimés. Les propositions foisonnent lorsque l’on demande ce qu’il faut entreprendre. L’épreuve du 9 février fouette la créativité et l’ambition. Certains mentionnent des projets en cours auxquels ils sont attachés: le Campus Biotech, les antennes cantonales de l’EPFL… Swissmetro repointe le bout de son fuselage aérodynamique. C’est vrai que si on avait osé, naguère, peut-être que nos problèmes d’engorgement des infrastructures et de mitage du territoire auraient été moindres.
L’Hebdo a ainsi sélectionné 101 idées qui feront la Suisse de demain, des réflexions interpellantes ou des propositions, à découvrir dans les pages qui suivent. L’intégralité des contributions sera disponible dans les semaines à venir sur www.hebdo.ch CT
LES TROIS QUESTIONS DE L'HEBDO
Question 1
Quels sont les défis principaux, selon vous, auxquels la Suisse sera confrontée ces dix prochaines années? Prévoyez-vous un affaiblissement de l’économie helvétique? Une détérioration du système de formation? L’isolement du pays? Une sérieuse remise en cause de la cohésion nationale et de notre modèle de démocratie?
Question 2
Quelles sont les initiatives et les idées, tous domaines confondus, qu’il faut mettre en œuvre pour y répondre? Y a-t-il un projet qui vous tient particulièrement à cœur?
Question 3
Les générations montantes sont-elles, selon vous, bien préparées pour faire face à ce qui les attend?
LES CONTRIBUTEURS
Murat Julian Alder 100 | Claudine Amstein 102 | Stylianos E. Antonarakis 91 | Dominique Arlettaz 77 | Josiane Aubert 84 | Luc Barthassat 97 | Elisabeth Baume-Schneider 78 | Josée Bélanger-Simko 89 | Samuel Bendahan 74 | Marc-Etienne Berdoz 78 | Maria Bernasconi 77 | Nicolas Bideau 72 | Marie-Thérèse Bonadonna 72 | Alain Borle 75 | Pascal Broulis 78, 93 | Martine Brunschwig Graf 86 | Yannick Buttet 89 | Gilbert Casasus 86 | Isabelle Chevalley 74 | Jean-Michel Cina 82 | Xavier Comtesse 75, 98 | Jacques Cordonier 89 | Pascal Couchepin 103 | Anne Cuneo 102 | Angela de Wolff 74 | Robert Deillon 84 | Michel Dérobert 94 | Benoît Dubuis 93 | Philippe Duvanel 98 | Lionel Eperon 75 | Pierre-Marcel Favre 94 | Olivier Feller 98 | Mathieu Fleury 90 | Dominique Freymond 90 | Oskar Freysinger 82 | Grégoire Furrer 90 | François Gabella 76 | Cristina Gaggini 75 | Benoît Gaillard 78 | Christophe Gallaz 70 | Adrien Genecand 81 | Nicolas Giannakopoulos 82, 89 | Eric Girod 82 | Isabelle Graesslé 101 | Carole Hubscher 93 | Antoine Jaccoud 101 | René Jost 71 | Charles Juillard 89 | Jean Liermier 82 | François Longchamp 78 | René Longet 93 | Raymond Loretan 85 | Nadia Magnenat-Thalmann 86 | Raphaël Mahaim 90 | Frédéric Maire 82 | Pascal Marmier 96, 98 | Sarah Marquis 101 | Pierre Maudet 81, 98 | Marcel Maurer 81 | Olivier Meuwly 97 | Philippe Monnier 74, 102 | Jacques Neirynck 98 | Bernard Nicod 75 | Daniele Oppizzi 81 | Marie-Françoise Perruchoud-Massy 92 | Nadia Plata 81 | Jean-Marc Probst 81 | Bernard Ravet 81 | Luc Recordon 70 | Frédérique Reeb-Landry 97 | Mathias Reynard 93 | Anita Rion 93 | Michel Rochat 81 | Darius Rochebin 102 | Johan Rochel 86, 101 | Rebecca Ruiz 73 | André Schneider 90 | Philippe Sordet 71 | Anne Southam-Aulas 77 | Nicola Spafford Furey 94 | Eric Stauffer 70 | Stefano Stoll 98 | Sam Stourdzé 71 | Alfred Strohmeier 70 | Enza Testa Haegi 102 | Adèle Thorens 80 | Jean-Dominique Vassalli 79 | Antoine Verdon 71 | Camille Vial 84 | Eric Voruz 75 | Michel R. Walther 78 | Charles Weinmann 71 | Stéphane Wettstein 77 | Jean-Marc Wiederrecht 77 | Alexandre Zeller 88.
1. De la facilité à l’excellence
«L’économie devra se confronter à une mutation assez rapide du modèle de la facilité (surtout celle assurée jusqu’ici par l’accueil de personnes et de sociétés étrangères fortunées ou bien formées ou de leurs seuls dépôts financiers) au modèle de l’excellence. Celui-ci est, dans l’ensemble, déjà bien implanté dans le secteur de la formation à tous les niveaux, qui restera solide mais nécessite une ambition encore accrue, ainsi pour mieux apprendre les langues, à un âge beaucoup plus précoce qu’aujourd’hui, et pour former bien davantage de médecins, d’ingénieurs, de biologistes et de cadres non universitaires dans les branches correspondantes. Le but sera en particulier la mutation vers une économie écologique au sens large, soit de haute qualité environnementale, sociale et éthique.
En outre, la défense des droits humains demandera un grand engagement, face aux attaques en augmentation tendant au racisme et à l’exclusion, fondées sur la peur, l’incompréhension et – partiellement – l’égoïsme, en Suisse et au-delà.»
Luc Recordon, conseiller aux Etats (Verts/VD)
2. L’Europe doit se calquer sur la Suisse
«Le peuple suisse a montré la voie démocratique qui remet en cause le modèle de l’Europe telle quelle est construite aujourd’hui! Depuis bien longtemps, les technocrates de Bruxelles auraient dû faire une commission pour étudier le système suisse qui a su marier quatre cultures en une Confédération! Et ils auraient dû s’en inspirer pour calquer ce modèle à l’Europe!»
Eric Stauffer, président du MCG, maire d’Onex
3. L’obsession de la prospérité
«Je ne pense pas que l’économie du pays puisse souffrir d’un affaiblissement au cours des dix prochaines années. Comme l’Histoire l’indique, le domaine économique en Suisse est celui par excellence de la débrouille stratégique et tactique, des procédures de contournement les plus patientes en cas d’obstacle, et d’une culture de la fausse innocence efficace qui est portée, sous nos latitudes, jusqu’au degré du surmoi. C’est l’arsenal d’un pays que sa position géographique a rendu capteur par nécessité des flux de la richesse produite par l’extérieur – relisons la légende du pont du Diable…
Quant au système de la formation, dans la mesure où sa vocation sera principalement d’étayer cette malignité-là, il restera vaillant. Mais davantage côté polytechnicien qu’humaniste. Son évolution récente donne à penser qu’il dispensera de moins en moins aux étudiants l’art d’être critiques et distanciés de manière à contester l’ordre dominant. Tant mieux pour l’avenir de cette prospérité matérielle évoquée ci-dessus, donc, et pour les avantages consommateurs qu’en tirera la population.
Or cette dernière perspective, dès lors qu’on envisage les autres plans de la vie collective dans le pays, paraît aussi celle d’un grand malheur sourd. Le vote du 9 février dernier, qui nous a fait mesurer la différence des représentations que la population suisse se fait de son bonheur et des moyens permettant de l’atteindre, fait penser que nous verrons se creuser des fossés identitaires accrus sur la ligne de la Sarine. Le principe du chacun pour soi, qui est d’ailleurs celui de la performance économique moderne, s’établira plus sûrement dans la psyché collective. Autrement dit, la question de l’Autre n’aura plus grand-chose à voir avec la morale ou la conscience de chacun. La prospérité, telle sera l’obsession.
Je vois peu de signes préfigurant l’inverse.»
Christophe Gallaz, écrivain
4. Détérioration des finances publiques
«Un défi important auquel la Suisse sera confrontée ces prochaines années sera la détérioration des finances publiques, surtout cantonales, mais peut-être aussi fédérales. Dès maintenant, on constate que certains cantons mettent en place des plans d’économie. Et alors même que nous sommes en haute conjoncture, avec une progression substantielle des recettes fiscales, certains cantons, je pense par exemple à Neuchâtel, présentent toujours et encore un déficit. Quel sera le résultat si les intérêts augmentent pour atteindre ne serait-ce que le niveau moyen historique (environ 4%) et qu’un fléchissement conjoncturel surgit? Il se pourrait très bien que ce dernier soit spécifique à la Suisse, dû à un affaiblissement de l’euro et, simultanément, à une augmentation de la compétitivité des économies européennes, sans parler de causes planétaires possibles telles qu’une diminution permanente de la croissance chinoise.
La Suisse pourrait donc se trouver dans une sorte d’impasse à la fois politique et économique. Elle pourrait alors s’approcher de l’UE. Je ne serais pas du tout étonné si, d’ici à quelques années, des pourparlers pour une adhésion ou un traité d’association étaient entrepris.»
Alfred Strohmeier, professeur honoraire à l’EPFL, ancien recteur de l’Université de Neuchâtel
5. Un pôle muséal rhodanien
« Tirons un trait d’union, grâce au Rhône, entre Lausanne et Arles. Que les Vaudois, dont le pays n’a pas de tradition coloniale, fassent œuvre de pionniers en Provence pour renforcer leur propre économie culturelle. Lausanne, dans dix ans, aura un pôle muséal quasi unique en Europe. Car il existe un autre grand projet similaire : à Arles justement, grâce à une famille de mécènes pour une bonne part installée dans le canton de Vaud : les Hoffmann. Il faut instaurer une collaboration entre ces deux ambitions, d’un bout à l’autre du fleuve. Surtout que Lausanne et Arles croient toutes deux dans la nouvelle économie de la culture, si dynamique et profitable. »
Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Elysée (futur directeur des Rencontres de la photo à Arles)
6. «Il faut travailler sur l’influence néfaste des lobbys.»
Charles Weinmann, président honoraire de Weinmann-Energies
7. Simplifions l’Etat
«Il faut simplifier l’Etat, réduire le nombre de lois et de règlements: libéralisation complète des horaires d’ouverture des commerces et des établissement publics (bon pour l’économie et pour la sécurité); libre circulation, en tout cas pour les personnes les plus formées (bon pour l’économie); libéralisation des drogues (bon pour la sécurité et pour le sentiment de sécurité).»
Antoine Verdon, directeur de Centralway Ventures, Zurich
8. Les cantons «globalisés» doivent être entendus
Les conséquences positives ou négatives de nos décisions populaires devraient apparaître plus concrètement. La révision en profondeur de la péréquation horizontale et verticale entre Confédération et cantons devrait favoriser cette prise de conscience. Un affaiblissement de la capacité à générer de la richesse des cantons largement ouverts sur l’économie globalisée doit avoir une conséquence rapide et directe sur les transferts financiers en direction des cantons à l’économie générant moins de valeur ajoutée; il faut absolument que les habitants de certains cantons qui dépendent largement des transferts horizontaux soient conscients du volume des transferts issus des cantons «globalisés». Une entrave au mode de développement des cantons contributeurs doit avoir des conséquences visibles sur les autres.
Philippe Sordet, membre du Forum des 100 depuis 2005
9. Impliquer l’économie dans la défense de l’Etat de droit
«Les continuelles attaques contre les valeurs retenues dans la Constitution fédérale, la mise en cause de la séparation des pouvoirs, du droit international et de la Convention européenne des droits de l’homme mettent gravement en cause la réputation de notre pays. Cela est d’autant plus inacceptable que la Suisse est devenue l’exemple à suivre pour l’extrême droite européenne.
A mon avis, il faut tout mettre en œuvre afin de mobiliser l’économie pour qu’elle mette à disposition les fonds nécessaires à une campagne musclée pour défendre nos valeurs telles qu’elles sont retenues dans la Constitution fédérale, dans le droit international et dans la Déclaration européenne des droits de l’homme.
Le fait que nous commémorerons cet été le 100e anniversaire de l’éclatement de la Première Guerre mondiale et le 75e de la seconde constitue une très bonne occasion pour rappeler aux citoyennes et aux citoyens ce que le processus de réconciliation et d’intégration européenne représente pour la qualité de vie de nos générations.
Il faudrait réaliser par des professionnels de l’information une brochure tout-ménage et un site web également conçu et géré par des professionnels.
Compte tenu du fait que le Parlement plie actuellement systématiquement devant les insanités de l’UDC, il faut que la société civile prenne les choses en main. Cela non pas pour affaiblir les parlementaires, mais afin de renforcer ceux qui sont disposés à défendre les valeurs qui sont à la base du succès phénoménal de notre pays.»
René Jost, membre du Nouveau mouvement européen Suisse
10. Notre force vient de l’ouverture des marchés
«Notre force vient notamment des marchés que nous avons su nous ouvrir à l’étranger. Si cette ouverture venait à être remise en question, l’image d’une Suisse innovante, dynamique, ouverte sur l’extérieur en pâtirait. Elle s’affaiblirait notamment avec la lente disparition de la production industrielle et de service qui a contribué à la forger.
Deux scénarios s’ouvrent alors à nous pour les dix prochaines années: soit nous maintenons nos relations dynamiques avec l’extérieur, et nous devenons probablement encore plus forts car notre modèle politico-économique est très efficace en comparaison internationale, soit on se ferme avec un vrai risque pour notre image et, in fine, notre prospérité. Mais je ne crois pas que la Suisse veuille jouer la fermeture. Notre pays aime poser des questions essentielles. La démocratie directe, pilier politique de notre pays, permet de lancer des débats que personne n’ose vraiment affronter à l’international.»
Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse
11. Au cœur de la voix
«Si je devais imaginer une action grandiloquente en matière culturelle, je rêverais de glisser subrepticement quelques centaines de choristes au milieu d’une gare ou d’un supermarché. Ils se mêleraient aux clients, mais se mettraient tout d’un coup à chanter l’une des grandes œuvres du répertoire classique, comme par exemple le Requiem de Mozart, qui emporte avec lui toute forme de résistance et vous prend, malgré vous, au plus intime de vous-même. Les auditeurs involontaires se retrouveraient ainsi au cœur de LA VOIX, au milieu d’une vibration puissante, délestés de ce qui parfois fait obstacle à la culture.»
Marie-Thérèse Bonadonna, déléguée culturelle du Club 44
12. « Dans le domaine de la formation, il est indispensable d’assurer d’importants investissements publics pour nous permettre d’employer des personnes formées en Suisse et pour diminuer notre recours à des spécialistes de l’étranger.»
Rebecca Ruiz, conseillère nationale (PS/VD)
13. « La sortie du nucléaire suscitera beaucoup d’opportunités dans les domaines de l’énergie, du bâtiment et dans la formation. C’est une chance pour notre pays. »
Isabelle Chevalley, conseillère nationale (Vert’libéraux/VD)
14. Apprenons le chinois, le japonais et le russe
Les Suisses sont bons en langues, mais il est néanmoins possible d’améliorer ce niveau de deux manières.
– En instaurant un enseignement trilingue en français, anglais et allemand pour tous. De même, il ne faudrait pas apprendre l’allemand ou l’anglais comme des langues étrangères, mais envisager une vraie immersion, à l’image de ce qui se fait plus ou moins à l’heure actuelle au Luxembourg. C’est certes compliqué à mettre en place, mais très peu de pays pourront ainsi nous imiter.
– En Suisse, il est possible de passer sa maturité en ayant étudié durant sept ans le latin ou le grec. C’est très bien, mais il faudrait donner la possibilité aux jeunes de pouvoir s’initier à la place aux langues stratégiques que sont le chinois, le japonais ou le russe. Cela donnerait un avantage décisif aux entreprises suisses. Et ce d’autant plus qu’apprendre le chinois ou le japonais suffisamment bien pour l’utiliser dans le monde des affaires nécessite au moins cinq ans de pratique à temps complet – un investissement impossible lorsqu’on travaille à plein temps –, par exemple en tant qu’expatrié en Chine ou au Japon.
Philippe Monnier, directeur exécutif de Greater Geneva Berne Area
15. Instaurons un congé citoyen
«Une idée qui nous rendrait plus forts? Le congé citoyen: inscrire la vie politique dans l’emploi du temps de toutes et tous. Finalement, il s’agit d’une des tâches les plus importantes que nous avons. Si quelques jours par an étaient réservés à l’activité politique, au débat, à l’information et à la réflexion, nous pourrions développer une meilleure démocratie, sans pour autant manipuler l’opinion publique.»
Samuel Bendahan, député au Grand Conseil (VD/PS)
16. Secteur financier proactif et durable
«Le monde de la finance a été récemment attaqué de toutes parts: on lui reproche non sans fondement une certaine opacité, une forme d’opportunisme et une capacité insuffisante à servir l’économie réelle. Dans ce sens, nous sommes convaincus que la finance durable est un atout fort pour la place financière suisse, qui peut ambitionner de devenir un centre d’excellence dans le domaine. En intégrant de manière systématique les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans ses processus d’investissement et/ou toute autre démarche bancaire, en mesurant l’impact de ses investissements, le secteur financier démontrerait une proactivité, une capacité à s’adapter aux changements et saisirait de nouvelles occasions d’affaires.»
Angela de Wolff, présidente de Conser
17. Renouer le dialogue entre l’économie et la population
«A l’évidence, une partie de la population a l’impression que nous faisons la sourde oreille face à ses attentes et qu’une certaine économie a perdu le sens des réalités. Dans une démocratie semi-directe, c’est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre. Il me paraît dès lors non seulement nécessaire mais urgent de renouer le dialogue avec la population, d’apporter des réponses convaincantes et des mesures ciblées. Quitte à lever certains tabous pour adapter notre processus décisionnel, fort complexe et dilué à trois échelons, au rythme du XXIe siècle. Aménagement du territoire, mobilité, logement, accès au marché du travail, meilleure conciliation vie professionnelle-vie familiale sont autant de domaines où nous pouvons démontrer notre volonté de préserver une qualité de vie qui tient à cœur à une majorité. Passer de la parole aux actes, tel est le prix à payer pour restaurer la nécessaire confiance.»
Cristina Gaggini, directrice romande d’economiesuisse
18. Il faut créer des partenariats avec la Chine et les Etats-Unis
Il faut travailler SMART. Personnellement, en étant beaucoup à l’étranger, je constate que la Suisse conserve son aura à travers le monde. C’est un pays qui inspire confiance, apprécié notamment pour son honnêteté, sa précision, sa beauté et l’ordre qui y règne. Il faut cultiver cette aura, investir dans ce qui fait notre valeur ajoutée.
(…) Il faut créer des partenariats avec la Chine et les Etats-Unis. L’une des grandes forces de la Suisse est sa neutralité. Elle représente un noyau central pour «arranger les bidons» entre les Russes, les Chinois et les Etats-Unis, qui sont toujours en compétition.
(…) Je pense qu’il faut aussi permettre aux jeunes de s’ouvrir au monde, d’aller aux Etats-Unis, en Chine, en Russie, et de comprendre les valeurs de ces pays clés pour mieux construire l’évolution de notre économie. On ne peut pas construire le futur en faisant abstraction des valeurs, elles sont le ciment d’une réussite durable.»
Alain Borle, CEO de Pac Team Group
19. Devenons une Silicon Valley de la santé
«Notre champ de prédilection est le domaine de la santé, au sens large, à savoir pharma, medtechs, alicaments, biotechs, etc. Nous devons donc investir en priorité dans cette discipline. Nous devons être la Silicon Valley de la santé, au sens large.»
Xavier Comtesse, directeur romand d’Avenir Suisse
20. Manque de leadership
«La priorité absolue doit être accordée à la défense des intérêts du pays et au maintien de notre prospérité. Cela doit être la préoccupation première des autorités – avant tout autre objectif, et en particulier bien avant celui de leur réélection – en matière de politique étrangère et de politique intérieure. C’est le défi principal dans un monde globalisé où la compétition est de plus en plus rude. Il nous faut un gouvernement composé d’hommes et de femmes d’Etat (vision, charisme, engagement), apparemment de plus en plus introuvables.»
Bernard Nicod, promoteur immobilier
21. Plus d’attention aux prix de l’énergie
«Les prix de l’énergie sont et seront de plus en plus un élément central dans les choix stratégiques des acteurs économiques. Ces derniers sont directement fonction de l’offre et de la demande, mais aussi de l’intégration ou non des coûts externes.»
Lionel Eperon, Chef du Service de la promotion économique et du commerce (SPECo) - Etat de Vaud
22. Il faut donner une voix aux villes
«Notre système de démocratie directe est bon… même si des réformes touchant la double majorité peuple-cantons me paraissent nécessaires: si les minuscules cantons subsistent, alors il faut donner une voix aux grandes villes dans le calcul de la majorité des cantons.»
Eric Voruz, conseiller national (PS/VD)
23. Les cigales peuvent-elles gagner?
«Les cigales garderont-elles le dessus? Tous s’accordent sur l’excellente santé de la Suisse, néanmoins, le principal défi des prochaines années résidera dans l’issue du combat entre, d’un côté, les cigales: les personnes qui croient que la prospérité suisse leur est due et qu’elle ne risque pas d’être remise en cause. Fortes de ces convictions et cramponnées à leur confort, les cigales s’ingénient jour après jour – tous partis confondus – à introduire de nouveaux obstacles à notre prospérité (immigration, réglementations, rigidités des conditions sociales…). De l’autre côté, il y a les fourmis, ceux qui s’égosillent, vainement ces derniers temps, à répéter que le niveau de vie d’un pays résulte de sa compétitivité au sens large du terme et que l’érosion de cette dernière aboutira implacablement à un affaiblissement de sa prospérité.
La question sera de savoir qui des fourmis ou des cigales arrivera à convaincre. Pour le moment, l’anémie de la majorité de nos pays concurrents conjuguée à la lenteur des cycles semblent donner le dessus aux cigales; j’espère vivement que les fourmis arriveront à convaincre avant que la fête ne soit gâchée, sinon, il faudra beaucoup de patience pour revenir à la situation actuelle.
Quant au modèle de démocratie, je n’appartiens pas à ceux qui prônent un changement de système chaque fois qu’ils sont contrariés; je pense que l’épanouissement de notre système repose sur deux piliers: d’une part l’honnêteté et la crédibilité des acteurs de la vie publique et d’autre part la maturité civique des citoyens. Or, ces deux composantes montrent des signes évidents de détérioration, même en Suisse. Les médias, en tant que porte-parole des premiers et source de réflexion des seconds, peinent de plus en plus à remplir leur rôle.
Pour rester sur le thème économique, on assiste à un paradoxe: comment se fait-il que l’économie, principale génératrice de la fantastique prospérité de notre pays, peine tant à se départir de cette image de monstre néfaste? Je pense que le manque de conviction du monde économique provient de deux facteurs: d’une part du manque de clarté de son discours et d’autre part, et c’est là sa faiblesse principale, d’un manque de crédibilité résultant des agissements irresponsables d’une minorité d’entre eux. Je milite ainsi pour un comportement irréprochable des acteurs de l’économie et une meilleure coordination des forces de l’économie entre elles afin de faire passer un message clair et crédible.»
François Gabella, CEO de LEM International
24. Exporter notre modèle de formation duale
«Il faut conserver et favoriser le système de formation suisse, notamment la formation professionnelle duale et la perméabilité à l’intérieur du système. Dans ce domaine, la Suisse pourrait jouer un rôle pionnier dans différentes régions du monde. La formation et l’innovation sont des conditions cruciales pour une économie durable et couronnée de succès.»
Stéphane Wettstein, CEO de Bombardier
25. Partageons nos privilèges
«La Suisse doit prendre conscience qu’elle ne peut pas concevoir son avenir de manière isolée, mais qu’elle a tout à gagner de prôner l’ouverture et de favoriser les échanges internationaux, dans tous les domaines. Si elle accepte de partager un peu ses privilèges, elle obtiendra en retour de nombreux avantages liés à de nouvelles collaborations. En particulier, il faudra bien que la Suisse soit capable de définir les relations qu’elle veut avoir avec l’Union européenne.»
Dominique Arlettaz, recteur de l’Université de Lausanne
26. Arrêtons de diaboliser l’UE
«Le jusqu’au-boutisme de l’UDC, et son écho favorable dans une grande partie de la population, annihile probablement tout espoir de continuation des bilatérales. Nous sommes dès lors contraints de faire un choix entre l’isolement – donc un changement radical de notre niveau de vie – et la demande d’adhésion à l’UE. L’isolement étant pour moi impensable, il est temps:
– d’arrêter de diaboliser l’Europe pour faire plaisir au populisme ambiant;
– de scrupuleusement mettre en œuvre les mesures d’accompagnement qui avaient été prévues lors de la ratification des Accords sur la libre circulation (leur non-mise en application est probablement en grande partie responsable du résultat déplorable du 9 février);
– d’entreprendre les démarches nécessaires pour une adhésion aussi rapide que possible, en tentant de négocier des clauses, au moins temporaires, de limitation d’afflux des étrangers.
Jean-Marc Wiederrecht, fondateur et patron d’Agenhor SA, Genève
27. «Les entrepreneurs suisses sont d’une rare ténacité et maîtrisent très bien leurs marchés, notamment à l’export. Ce sont les politiciens qui devraient un peu voyager et s’inspirer de ce qui se passe ailleurs et pas seulement chez nos voisins.»
Anne Southam-Aulas, présidente d’Hôtels et Patrimoine SA
28. Remettons l’adhésion à l’UE sur la table
«C’est le moment de remettre la question de l’adhésion à l’Union européenne sur la table. Je la soutenais déjà il y a vingt ans, convaincue que la Suisse devait participer à cette construction. Aujourd’hui le moment est moins favorable, mais c’est la dernière occasion si la Suisse ne veut pas devoir reprendre un très vaste acquis communautaire sans avoir son mot à dire. La voie bilatérale ayant montré ses limites bien avant le 9 février, c’est désormais le seul moyen de participer aux décisions qui nous concernent. C’est l’occasion de travailler main dans la main avec nos camarades européens pour rendre l’Union européenne plus sociale. Certes, l’adhésion n’a pas de majorité politique, mais, dans le contexte actuel, nous avons une obligation pédagogique d’en débattre.»
Maria Bernasconi, conseillère nationale (PS/GE)
29. Insécurité du droit dangereuse
«Quand on change les règles du jeu tous les six mois, cela ne facilite pas les décisions, mais cela ne doit pas pour autant remettre en cause notre modèle de démocratie.»
Michel R. Walther, directeur général de la Clinique de La Source
30. La Suisse de la prospérité mise en minorité
«La Suisse est tiraillée entre deux tentations, soit celle de la modernité, de l’urbanité, de l’ouverture et de l’évolution d’une part et celle de la tradition empreinte de nostalgie, de la suffisance, de la fermeture et de la ruralité figée d’autre part. Je redoute que désormais la dernière approche ait le vent en poupe alors que, durant ces dernières décennies, la première a permis les succès de la Suisse et sa prospérité socioéconomique.»
Élisabeth Baume-Schneider, ministre (JU/PS)
31. De la formation tout au long de la vie
«Nous pourrions assister à une réduction globale des flux migratoires, du moins à une tolérance toujours moindre à l’immigration illégale des pays tiers, et à un encouragement probablement moindre aussi à la migration intra-européenne. Cela signifie que la Suisse ne peut plus forcément compter sur une «armée de réserve» à bon marché juste devant ses portes, ou plus autant qu’avant. L’existence de cette force de travail bon marché était à mon avis l’un des facteurs essentiels du «succès suisse» – bien souvent, du succès du patronat suisse. Là où, dans les pays voisins, la concurrence pousse à délocaliser pour aller chercher des coûts de production plus bas, dans le nôtre, c’est la main-d’œuvre à moindre prix qui se délocalise vers nous. (…) D’une façon ou d’une autre, il s’agira de faire en sorte que le changement des conditions-cadres au niveau international n’ait pas pour effet d’abattre brutalement l’économie nationale.
(…) La formation tout au long de la vie, qui est encore trop souvent un slogan, doit s’incarner dans une liberté renouvelée des individus de se détacher d’un contexte professionnel donné pour s’ouvrir d’autres horizons. Actuellement, si le système de formation primaire, secondaire et tertiaire est clairement structuré pour la formation initiale, et les enchaînements clairement pensés, il manque une organisation similaire, mieux encadrée par le secteur public, pour la formation continue. Trop souvent, elle s’apparente, pour le salarié ou le chômeur, à une jungle où les certificats et les diplômes se mélangent sans aucune lisibilité. Avec pour risque majeur que les personnes les moins bien formées soient aussi celles qui se forment le moins, creusant ainsi un écart délétère à long terme. Organiser des parcours de formation continue, tout au long de la vie, comme on organise les parcours scolaires – avec, naturellement, la flexibilité requise: voilà, peut-être, l’avenir.»
Benoît Gaillard, président du Parti socialiste lausannois
32. Pour un article constitutionnel sur la voie bilatérale
«La voie bilatérale constituant le principe de base des relations entre la Suisse et l’Union européenne, ancrons ce principe dans un article constitutionnel nouveau. Le vote devrait englober un paquet de mesures permettant de maîtriser l’immigration, en collaboration avec les cantons, en particulier le renforcement de la lutte contre le dumping salarial et les abus de l’aide sociale, de l’assurance chômage ou du droit d’asile.»
Pascal Broulis, conseiller d’Etat (PLR/VD)
François Longchamp, conseiller d’Etat (PLR/GE)
33. Une «task force» pour anticiper
«Ces dernières années, la Suisse a subi des crises. Externes, comme les attaques contre le secret bancaire, ou internes, comme le résultat des dernières votations. Et si l’on créait une task force politique ayant pour mission de les anticiper?»
Marc-Etienne Berdoz, président de Berdoz Optic et de Sonix Audition
34. Les chercheurs ont besoin de travailler dans un même chaudron
«Pourrons-nous continuer à innover sous un régime de contingents? Non. Principalement pour trois raisons. Contrairement, tout d’abord, à d’autres secteurs d’activité où les besoins sont quantifiables, il est impossible de chiffrer des besoins pour la créativité et l’innovation. Nous sommes là dans un domaine immatériel. La créativité se nourrit toujours d’interactions, d’échanges et de rencontres fortuites.
On pourrait être tenté aujourd’hui de se dire qu’à l’heure de Skype et des MOOC, les scientifiques peuvent ignorer les barrières et collaborer à distance. Mais ce serait méconnaître les réalités de la recherche fondamentale, qui constitue le cœur de l’innovation. Pour faire naître les idées, les chercheurs ont besoin de travailler dans un même chaudron.
Il y a ensuite des raisons statistiques propres à la Suisse qui rendent incompatible l’innovation avec une limitation des échanges. Un récent ranking a placé trois hautes écoles suisses, dont l’Université de Genève, en tête des universités les plus internationales du monde. Une des raisons de ce résultat est liée à la taille de notre pays. C’est parce que nous sommes petits que nous sommes internationaux. C’est aussi pour cela que nous devons le rester. Nous ne disposons pas d’un réservoir de population suffisant pour atteindre une masse critique de scientifiques de haut niveau susceptible de catalyser l’innovation, et donc d’assurer un avenir à notre pays, sans un apport de l’extérieur. Enfin, soulignons que, dans les faits, la somme des collaborateurs étrangers dans les hautes écoles se révèle presque stable et ne participe aucunement à alimenter la crainte d’une immigration de masse.»
Jean-Dominique Vassalli, recteur de l’Université de Genève
35. Crise du sentiment de souveraineté
«On peut comprendre le vote du 9 février comme le symptôme d’une crise du sentiment de souveraineté dans le cadre d’une remise en cause de la mondialisation. Une partie de la population a voulu dire: «C’est encore nous qui décidons.» En effet, les processus, les lieux, les organes et les acteurs décisionnels sont de plus en plus difficiles à appréhender et les citoyens ont quelque raison de se sentir «dépossédés», un sentiment très difficile à accepter en Suisse, où l’idée selon laquelle chaque citoyen peut avoir «le dernier mot» fait profondément partie de notre identité.
Il ne s’agit pas seulement de la peur de perdre son pouvoir décisionnel face à l’Europe, dont nous reprenons d’ores et déjà de nombreuses dispositions légales sans pour autant avoir participé à leur élaboration. Il s’agit aussi de craintes suscitées par l’émergence de nouveaux lieux de pouvoir comme le G20 ou l’OCDE, cette dernière ayant joué un rôle clé dans un changement aussi rapide, profond et traumatisant pour une partie des Suisses que la remise en cause du secret bancaire, alors qu’il était largement inconnu du grand public. Enfin, dernier exemple pouvant susciter un sentiment d’impuissance auprès des citoyens ou, du moins, d’affaiblissement de la démocratie: le comportement de certaines grandes entreprises ou multinationales qui échappent aux législations sociales et de protection de l’environnement en délocalisant leur production dans les pays où la nature et les employés sont moins bien protégés et ancrent leurs bénéfices dans ceux où elles seront le moins taxées au bénéfice de la collectivité. Alors que les PME sont soumises aux règles locales et s’y prêtent, que ces règles leur plaisent ou non.
(…) Cette croissance économique amène avec elle des personnes, c’est vrai, mais aussi de nouveaux modes de vie, plus urbains, plus cosmopolites. Cette évolution est perçue par certains de nos concitoyens, attachés à une vision de la Suisse plus traditionnelle et campagnarde, comme une menace. Certaines de nos régions sont en outre touchées par une surchauffe de la croissance, qui génère des problèmes de logement, de transport et de pression sur les salaires. Dans ces conditions, on peut se demander si la croissance économique est toujours synonyme d’un surcroît de qualité de vie.»
Adèle Thorens, conseillère nationale (Verts/VD)
36. Il faudra être plus mobile
«Le citoyen de notre pays aurait tort de s’imaginer que vivre en Suisse sera la solution miracle au bon emploi à vie; au contraire, il doit se faire à l’idée qu’il doit être mobile, que la richesse ne sera plus localisée dans un seul territoire, mais partout. Là où il y aura des compétences, il faudra se déplacer!»
Daniele Oppizzi, CEO d’ILAND green technologies SA
37. Ce pays sait s’exporter dans les pays en forte croissance
«Allons chercher la croissance où elle se trouve! C’est une des qualités de ce pays de savoir s’exporter dans les pays en forte croissance et de gagner des parts de marché dans le haut de gamme, et cela dans tous les secteurs industriels.»
Michel Rochat, directeur de l’Ecole hôtelière de Lausanne
38. Une commission pour les questions stratégiques
«Créer une commission de planification et de stratégies dans les domaines énergétiques, relations internationales et économie, qui soit efficace et qui prépare le pays au monde de demain.»
Nadia Plata, directrice d’EPTES
39. Nous ne serons pas toujours les premiers de classe
«Nous ne serons pas toujours les premiers de classe en économie en Europe. Les pays qui nous entourent finiront par sortir de la crise et devenir à leur tour performants, ce qui est aussi notre intérêt à long terme, pour ne pas subir quand même les effets d’un long marasme. Alors, pendant les années à venir, il nous faut être encore plus performants, pour ne pas subir un affaiblissement de notre économie.»
Bernard Ravet, chef et propriétaire de l’Ermitage
40. Défendre les valeurs de la Suisse
«Pour maintenir le pays et sa population au niveau de bien-être actuel, il suffit de défendre les valeurs qui ont fait le succès de la Suisse: travail, respect, confiance, fierté et générosité. C’est clairement au travers de l’enseignement que ces valeurs pourront être transmises demain comme elles l’ont été dans le passé.»
Jean-Marc Probst, président de Commerce Suisse
41. «Procédons à une mise à plat des compétences et des moyens entre cantons et communes, notamment sous l’angle urbain/rural.»
Adrien Genecand, conseiller municipal (PLR/GE)
42. La démocratie directe nous préserve des graves crises
«La démocratie directe permet au ressenti du peuple d’émerger rapidement en surface, d’être pris en compte, expliqué, identifié. Ce n’est pas le cas dans les pays européens qui nous entourent, où le décalage entre élus, responsables politiques et représentants au Parlement européen peut s’installer dangereusement et surgir sous la forme d’une grave crise de société et de valeurs.»
Marcel Maurer, président de Sion
43. Le défi de la cohésion générationnelle n’est pas pris au sérieux
«Le défi de la cohésion générationnelle est bien plus préoccupant que celui de la cohésion nationale, en lien notamment avec la question des retraites et celle des coûts de la santé. Chaque année, les factures s’alourdissent au détriment des jeunes actifs qui voient leurs conditions se péjorer pour financer, voire anticiper le financement de coûteux mécanismes au bénéfice de la génération du baby-boom qui part à la retraite. La logique de rente (matérialisée par exemple dans le débat sur la réduction du taux de conversion) s’annonce très difficile avec une jeune génération qui se fait déjà saigner, malheureusement en silence.»
Pierre Maudet, conseiller d’Etat (PLR/GE)
44. Sans leaders charismatiques, pas de compétitivité
«La Suisse a des élites économiques mais peu ou pas d’élites politiques. Sans leaders charismatiques et visionnaires, les probabilités d’une évolution favorable pour la compétitivité de notre pays sont faibles.»
Éric Girod, directeur du bureau romand de l’union suisse Creditreform
45. « Isolés du reste de l’Europe, obligés de réfléchir, d’étudier, de produire, de vendre nos films «entre nous», nous allons de plus en plus ressembler aux populations consanguines des vallées les plus reculées… »
Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse
46. Nos voisins viendront négocier notre eau au prix fort
«La Suisse doit garantir son indépendance énergétique, utiliser le solaire et l’éolien avec plus de volonté et d’audace. Château d’eau de l’Europe, elle a également les moyens de faire pression sur ses voisins qui, dans dix ans, viendront négocier l’eau au prix fort.»
Nicolas Giannakopoulos, président de l’Observatoire du crime organisé (OCO)
47. Un comédien n’est pas un passeport
«Quand on engage une comédienne ou un comédien, on n’engage pas un passeport… Il y a des spécificités propres à chaque rôle et, désormais, le choix des possibles se resserre (le milieu romand, qui comporte de magnifiques talents, demeurant parfois restreint) car, financièrement, nous ne pourrons plus être tout à fait à la hauteur de nos ambitions artistiques.»
Jean Liermier, directeur général du Théâtre de Carouge-Atelier de Genève
48. Tous ingénieurs!
«La Suisse doit rehausser le statut de l’ingénierie, des sciences et des technologies dans l’économie. Notre pays offre des formations de qualité de type HES et EPF dans ce domaine et est apte à former les talents dont l’économie a besoin. Maintenant, il faut que les jeunes souhaitent opter pour ce type de formations. Ces professions sont la pierre angulaire de la compétitivité future dans de nombreux secteurs, notamment l’exportation de haute valeur, comme l’industrie pharmaceutique, les technologies, les biotechnologies.»
Jean-Michel Cina, conseiller d’Etat (PDC/VS)
49. La crainte du nivellement
par le bas «La question des flux migratoires, indépendamment du vote du 9 février, demeurera centrale pour l’avenir du pays comme de ses voisins européens, avec pour corollaires des interrogations sur la sécurité, la qualité et la stabilité du travail et la gestion du territoire, des transports et de l’habitat pour une densité de population croissante. La santé économique helvétique est, qu’on le veuille ou non, liée à celle de nos banques. Elle en souffrira certainement. Notre système de formation original et d’une haute qualité est en proie à des volontés de nivellement interne (intercantonal) et international. Il a tous les moyens de maintenir sa qualité s’il sait résister à ces sirènes. Isolement du pays? On nous l’a aussi prophétisé après le vote du 6 décembre 1992 et l’interdiction des minarets, et nous n’en avons rien vu. Je crois plutôt que la Suisse, si elle sait maintenir son cap sans complexe, prendra de l’ascendant et servira de modèle à des démocraties et des économies en désarroi.
Il est essentiel de maintenir, de consolider et de faire bien comprendre à l’étranger proche notre démocratie directe. L’extension du modèle suisse au voisinage constituerait un facteur d’intégration et de paix en Europe beaucoup plus concret, plus humain et plus efficace que l’intégration administrative par le haut, bureaucratique et antidémocratique, dont souffrent les peuples de l’UE. A l’interne, il faudrait organiser une meilleure circulation des jeunes par-dessus le Röstigraben. L’anglais ne doit pas devenir notre lingua franca.»
Oskar Freysinger, conseiller d’Etat (UDC/VS)
50. Les apprentis manquent de culture générale pour appréhender la complexité du monde
«La formation professionnelle, spécialement en Suisse alémanique, est vue comme la solution helvétique spécifique, qui préserve notre pays de toute réflexion sur l’avenir de son système de formation. C’est, chez nombre de nos compatriotes alémaniques, l’axiome de base de notre succès, ce qui fait que toute réflexion, et toute question, autour de ce type de formation est sacrilège. Peut-être est-ce si fondamentalement ancré dans le subconscient collectif parce que la formation duale est liée aux corporations professionnelles du Moyen Age, dont la Suisse alémanique a été imprégnée beaucoup plus longtemps et profondément que la Suisse latine.
Cette situation a pour corollaire une méfiance envers un taux trop important de gymnasiens et de formation tertiaire dans les hautes écoles, tel que la Suisse romande le connaît, qui se traduit en particulier par une volonté de promouvoir en premier lieu la formation professionnelle supérieure et les HES.
Les conséquences sur le plan de la société sont problématiques et pourraient encore s’amplifier dans un proche avenir. Ainsi, les cantons dans lesquels le taux de maturité est supérieur à la moyenne suisse sont aussi ceux (à l’exception du Tessin) qui ont refusé l’initiative UDC le 9 février… Les réactions contre l’arrivée d’Allemands en Suisse alémanique ces dernières années ont été virulentes; cette migration très particulière de personnes bien formées, détentrices de diplômes tertiaires, dénote le fait que nous n’avons pas à l’interne le personnel hautement formé dont l’économie a besoin. Il serait utile ici de se poser quelques questions !
Le dénigrement des élites, de la classe politique et des intellectuels auquel l’UDC se livre régulièrement lors des campagnes de votation aurait-il plus de prise sur les professionnels formés de manière très pointue dans leur spécialité, mais pour lesquels la culture générale a été réduite à la portion congrue, pour assurer au plus vite une rentabilité professionnelle au détriment des clés de lecture nécessaires à comprendre la complexité du monde dans lequel ils sont appelés à se mouvoir?»
Josiane Aubert, conseillère nationale (PS/VD)
51. Soyons plus fiers
«J’aimerais que les habitants de ce pays soient fiers de leurs concitoyens qui réussissent, de leurs champions qui gagnent, des entreprises qui génèrent de la croissance. Trop souvent, le succès est regardé ici d’un œil condescendant, voire suspicieux ou même critique. Il faut au contraire valoriser la réussite pour que cette dernière puisse servir d’exemple, notamment auprès des jeunes. Nous avons la chance d’être dans une région qui va bien, mais le succès n’est pas éternel. Il est donc essentiel de ne pas s’endormir sur ses lauriers et de trouver tous les moyens de sans cesse le renouveler.»
Robert Deillon, CEO de Genève Aéroport
52. L’innovation bancaire passe par la finance durable
«Dans le secteur bancaire et financier, il nous faudra poursuivre la mue de fond amorcée depuis plusieurs années pour prouver que, malgré le durcissement des réglementations, le savoir-faire et le service permettront à la place financière suisse de conserver sa compétitivité et son attractivité. L’innovation prendra tout son sens dans le domaine de la finance durable, notamment.
Depuis 2005, le marché helvétique de la finance durable connaît une croissance annuelle moyenne d’environ 24%. La Suisse gère 48,5 milliards de francs et Genève recense près de 25% de ces avoirs. La finance durable répond donc à un réel besoin. La Suisse est un acteur incontournable de ce domaine et Genève, qui gère aussi 30% du marché européen de la microfinance, occupe une position de leader pour poursuivre son développement.»
Camille Vial, associée gérante de Mirabaud SCA, membre du comité exécutif de Mirabaud & Cie SA
53. Regrouper les partis du centre
«Le résultat du 9 février, revisité par l’analyse Vox, est un wake-up call de plus. La politique officielle, les organisations économiques et syndicales faîtières doivent enfin tirer les leçons de ce nouvel échec.
La réforme de la gouvernance du pays doit être remise à l’ordre du jour, les chefs politiques doivent s’attaquer au remodelage du paysage des partis et les leaders économiques et syndicaux revoir leur stratégie de défense d’intérêts d’un Etat à la fois libéral et solidaire.
Sans vouloir mentionner tous les épisodes qui ont marqué notre histoire récente, on peut observer que depuis 1989, date de la chute du mur de Berlin, la Suisse officielle a additionné les autogoals et peine à apprendre de ses expériences passées. Il y a bien des points communs entre la crise des fonds en déshérence, l’échec de l’EEE, la disparition de Swissair, les affaires Kadhafi et Polanski, la descente aux enfers du secret bancaire, la crise UBS avec les Etats-Unis, la saga des négociations fiscales, et j’en passe… Une des raisons de déficits de conduite du pays, malgré une économie qui se défend extrêmement bien, est la faiblesse structurelle de son gouvernement. Un système du XIXe siècle qui n’a jamais bougé mais qui doit faire face à un rythme accéléré aux défis multiples du XXIe siècle. L’autre raison est la mise en danger des équilibres politiques, l’érosion du centre droit du pays, les tiraillements des partis historiques qui ont bâti la Suisse et qui sont incapables de reconnaître que la somme des valeurs qui les rassemblent, et qui sont aujourd’hui menacées, dépasse de loin les différences qui les séparent encore, surtout pour des raisons historiques, et qui deviennent insignifiantes face aux défis à relever.
On peut et doit disserter sur les initiatives et les idées, tous domaines confondus, qu’il faut mettre en œuvre pour relever ces défis. Mais pour les réaliser, il faut une majorité politique. Je reviens donc à mon Carthago delenda est: la recomposition du paysage politique et le regroupement des partis du centre en une union qui puisse respecter les identités des uns et des autres – PDC, PLR, PBD, Vert’libéraux, évangéliques –, mais former une force de frappe électorale commune. Des élections auront lieu en 2015. C’est une nouvelle occasion.»
Raymond Loretan, président du groupe Genolier
54. Pour un think tank de la mondialisation
«La Suisse doit avancer ses cartes avec l’idée de devenir, dans le monde multipolaire qui s’est installé, le lieu de réflexions de la mondialisation.Là où l’organisation du monde de demain est conçue, pensée, à défaut d’être décidée.
Sur le plan interne, cela permet à la Suisse de mettre sa neutralité et son excellence dans la recherche et l’innovation au service d’une cause plus importante, à savoir se battre pour une cohabitation harmonieuse de tous à l’échelle du globe. Cette nouvelle vision du rôle de la Suisse passe par l’atout que représente la Genève internationale, notamment sa concentration d’acteurs du soft power. A titre d’analogie, il faut développer de manière consciente et affirmée le rôle que le WEF joue déjà durant une semaine. La Suisse doit aspirer à devenir pour l’ordre mondial de demain (ses normes, son architecture, son fonctionnement) ce que le WEF est à l’économie mondiale.»
Johan Rochel, vice-président du think tank foraus - Forum de politique étrangère
55. Métiers de niche pour jeunes en rupture
«Si l’on veut maintenir la cohésion sociale, il faudra se montrer capables de résoudre un problème lancinant, celui des jeunes en rupture pour lesquels l’exclusion est un phénomène de plus en plus courant. C’est une bombe à retardement si l’on ne trouve pas des solutions innovantes, tant sur le plan pédagogique que pour les moyens d’insertion dans le marché du travail. La surréglementation a peu à peu éliminé nombre de métiers de niche qui ont permis pendant longtemps des parcours de vie atypiques. Aujourd’hui, il faudrait rétablir une forme de liberté qui permette d’exercer des activités de proximité, utiles à la population et valorisantes pour celles et ceux qui les exercent.»
Martine Brunschwig Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme
56. La Suisse n’est plus un modèle pour l’UE
«Il n’y aura pas d’affaiblissement économique mais un affaiblissement politique de la Suisse. C’est l’affirmation d’une dialectique qui se dessine depuis de nombreuses années: un franc suisse politiquement fort, une Suisse politique franchement faible.
Le système politique suisse connaît trois talons d’Achille: pas de cour constitutionnelle, pas de financement légal des partis et organisations politiques, crise de légitimité de la démocratie représentative suisse avec un très faible taux de participation. Ces trois défis placent la démocratie suisse au-dessous de celles de ses principaux partenaires européens.
Heureusement qu’il y a des professeurs et des chercheurs étrangers, et notamment européens, pour former les jeunes Suisses. Sinon, bonjour les dégâts!
Tant que la Suisse n’aura pas défini sa place en Europe, tant qu’elle n’assumera pas son rôle politique en Europe, tant qu’elle refusera de poser, sans interdit et sans tabou, la question de son adhésion à l’Union européenne, la Suisse restera là où elle semble se sentir le plus à l’aise: en seconde ligue sans aucune possibilité de monter en première division, voire au risque de tomber en classe régionale.
Après le vote du 9 février 2014, l’UE a compris que le système démocratique suisse n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais le système qu’il faut pour construire l’Europe. Un regard historique et politique ne laisse ici planer aucun doute. Si l’Europe avait choisi le modèle suisse, cette même Europe ne se serait jamais constituée. Elle se serait certainement disloquée et n’aurait jamais pu surmonter, dans la paix, l’histoire et la fin de la guerre froide. Un peu de sens historique ferait tant de bien à la Suisse et aux Suisses!»
Gilbert Casasus, professeur en études européennes à l’Université de Fribourg
57. Erasmus hors d’Europe
«Au lieu d’avoir Erasmus, où les étudiants vont dans des universités européennes dont le système et la culture sont très semblables à la Suisse, pourquoi ne pas utiliser l’argent d’Erasmus pour les envoyer en Chine, aux Etats-Unis, au Japon, en Corée, en Amérique du Sud, etc.? Ils y vivraient effectivement une grande découverte de cultures différentes et une ouverture de soi…»
Nadia Magnenat-Thalmann, professeur à l’Université de Genève et directeur de MIRALab
58. Apprenons à mieux nous exprimer oralement
«J’ai toujours été frappé dans mon parcours professionnel par la supériorité anglo-saxonne en matière d’expression orale et d’argumentation. Nous, Suisses, à quelques rares exceptions, ne faisons pas le poids lorsqu’il s’agit de nous exprimer en public et d’argumenter. Je souhaiterais donc la mise en place d’une formation obligatoire pendant la scolarité pour développer cette faculté. Les Américains l’ont compris depuis longtemps et exercent ces compétences très activement dans les salles de classe (jeu de rôle, théâtre, improvisation, etc.) et c’est un des facteurs qui expliquent aujourd’hui leur «suprématie».
Alexandre Zeller, président de SIX
59. L’habitude des remises en question
«La cohésion nationale ne devrait pas souffrir longtemps des suites du 9 février. Nous sommes habitués à dépasser des décisions populaires qui peuvent avoir des conséquences négatives sans pour autant remettre en question l’unité de notre pays. Notre modèle de démocratie pourrait par contre être remis en question. En effet, ce système génial qui a permis le succès de la Suisse en maintenant la souveraineté du peuple ne semble plus toujours adapté au XXIe siècle. Une réflexion de fond sur nos institutions maintenant le poids du peuple mais l’adaptant aux réalités actuelles doit être menée, et vite.»
Yannick Buttet, conseiller national (PDC/VS)
60. Contre le fatalisme et le populisme
«Il est urgent que le politique réinvestisse le champ de la politique. Que l’on cesse d’envisager le «gouvernement» du pays comme une «gouvernance» faite de procédures basées sur des algorithmes efficaces dans l’industrie et non dans la gestion de la cité. En simplifiant, nous pouvons constater que dans la gestion publique nous sommes actuellement confrontés à deux discours qui s’opposent. Celui qui affirme que nous n’avons pas le choix, qu’il n’y a qu’une solution possible dictée par un souci d’efficacité, essentiellement économique. En face de ce discours technocratique s’élève le discours populiste qui se nourrit de simplifications extrêmes, qui ne prend pas en compte la complexité du réel pour élaborer des solutions en nuances. Il y a essentiellement un effort de pédagogie du politique à développer et à renforcer pour, en amont, partager, faire comprendre les enjeux, accepter leur complexité et apaiser la peur qu’ils peuvent provoquer. Si nous souhaitons que la démocratie semi-directe qui est une de nos richesses nationales contribue à notre futur, il importe que le débat politique retrouve la profondeur du temps et de la complexité.»
Jacques Cordonier, chef du Service de la culture de l’Etat du Valais
61. « Un défi? Utiliser les toits des immeubles en ville pour faire pousser à manger, en collaboration avec des agriculteurs. »
Josée BéLanger-Simko, fondatrice de Toutmorrow
62. Des terres suisses délocalisées
«La Suisse a les moyens d’être plus agressive dans une politique qui puisse promouvoir son modèle. Il n’est pas dit qu’elle en ait la créativité et l’audace. La Suisse devrait investir massivement dans des industries innovantes en Europe, les accompagner en promouvant le Swiss touch. Elle pourrait également négocier des statuts spéciaux pour implanter et garantir des investissements dans les pays d’où proviennent majoritairement ses immigrants, avec des permis spécifiques, des statuts de travailleurs spécifiques et des statuts territoriaux et légaux particuliers. Le but serait de faire rayonner un modèle productif à partir d’une myriade de petites entités rentables, certes, mais au sein desquelles les droits de l’individu sont respectés, la qualité du travail et de l’effort promue. Des sortes de «terres suisses délocalisées», au travers d’investissements ou d’un fonds souverain, tels les comptoirs vénitiens de naguère.»
Nicolas Giannakopoulos, président de l’Observatoire du crime organisé (OCO)
63. Utilisons le 1er août
«Le maintien d’un dialogue social est primordial: il faut renoncer aux dogmes d’où qu’ils viennent et rester pragmatiques comme nous avons toujours su le faire. Pourquoi ne pas profiter du 1er Août pour en faire le renouveau du peuple suisse, du dialogue confédéral, du sentiment d’appartenir à un peuple certes un peu hétéroclite mais partageant les mêmes valeurs fondamentales? Cette démarche intérieure, avec un certain côté pédagogique, pourrait aussi être étendue à l’extérieur de nos frontières par l’intermédiaire des communautés étrangères présentes chez nous. C’est un relais souvent inexploité et sous-estimé.»
Charles Juillard, conseiller d’Etat (PDC/JU)
64. Compétitivité mise en péril par notre modèle de croissance
«Nous devons comprendre que le risque de l’affaiblissement de notre compétitivité, mais aussi de notre stabilité et succès économique, ne vient pas en exclusivité de l’extérieur par une migration en masse, mais bien de notre modèle de croissance actuel.»
André Schneider, vice-président de l’EPFL
65. Ceux qui décrochent
«Le système économique s’emballe. Tout va excessivement vite: les échanges internationaux, la communication, les avancées technologiques, les flux d’information. Or, inexorablement, cet emballement divise profondément et menace le lien social: il y a ceux qui parviennent à suivre le rythme et ceux qui décrochent.
Ceux qui décrochent voient passer les balles, sans jamais avoir l’impression de participer au festin. Ils sont submergés par le flux d’informations; ils constatent que certains s’enrichissent de façon éhontée grâce à quelques transactions financières; ils voient défiler le feuilleton de la politique sans y voir aucun potentiel de changement. Le symptôme principal de ces maux est connu.
Les délaissés, ceux qui décrochent, pointent le coupable tout désigné: l’autre, l’étranger, celui qui vient tenter sa chance dans «mon» pays, alors qu’eux-mêmes ont déjà des difficultés à nouer les deux bouts. On se replie sur soi car on craint la concurrence effrénée avec l’autre. A juste titre, souvent, car c’est cette mise en concurrence qui trie justement ceux qui parviennent à suivre de ceux qui décrochent. Pas de quartier pour les seconds, si ce n’est un filet social que l’on caractérise justement comme une béquille pour ceux qui ne parviennent pas à s’insérer…»
Raphaël Mahaim, député au Grand Conseil (Verts/VD)
66. 200 millions pour la culture
«Il faut lancer un programme national culturel ambitieux. Pourquoi pas un fonds de 200 millions pour des projets culturels forts, à l’impact national et mondial? Donnons 1 million à 200 projets. A fonds perdus mais sur des critères d’ouverture, de rayonnement et d’excellence. Que sont 200 millions quand on voit ce que l’économie brasse comme argent en Suisse?»
Grégoire Furrer, président fondateur du Montreux Comedy Festival
67. Romands et Alémaniques ne partagent pas le même modèle de développement
«Les différences de modèles économiques qui se sont développées entre Suisse allemande et Suisse romande pourraient avoir des conséquences sur la cohésion nationale, par la difficulté à élaborer des stratégies économiques nationales satisfaisantes pour les deux parties du pays.
Le modèle économique alémanique, moins orienté recherche et développement, n’a pas autant besoin de compétences spécifiques que le bassin romand qui bénéficie, lui, d’une main-d’œuvre très pointue. Les secteurs qui ont porté le renouveau économique de la Suisse romande (recherche, sciences, EPFL) ont recours à des profils si rares qu’il faut parfois les chercher ailleurs. Cela explique sans doute que la Suisse romande soit plus favorable à la libre circulation.»
Mathieu Fleury, secrétaire général de la Fédération romande des consommateurs
68. Que faire face à PayPal?
«La Suisse doit se réinventer dans de nombreux domaines, à commencer par le secteur bancaire qui n’a pas encore fait le deuil de ses modèles d’affaires du XXe siècle et qui doit apprendre à élaborer de nouvelles approches et à réfléchir sur de vraies stratégies.
L’horlogerie suisse gardera longtemps le créneau de la montre de luxe, mais comment doit-elle réagir face à la concurrence des téléphones portables ou d’autres gadgets numériques à mettre au poignet qui rendent la montre classique obsolète? Nous sommes très fiers de nos systèmes de trafic des paiements mais comment réagir face à l’utilisation internationale d’outils comme PayPal?»
Dominique Freymond, associé de MAS Management & Advisory Services Ltd
69. «La Suisse romande aurait les moyens de devenir leader dans la médecine génomique. Le séquençage d’un génome humain entier ou partiel permettrait de nombreux progrès, notamment d’éviter ou de guérir certaines maladies, grâce au diagnostic de maladies et prédispositions liées à des chromosomes ainsi qu’au traitement d’anomalies génétiques basées sur la connaissance des mécanismes moléculaires. »
Stylianos E. Antonarakis, professeur au Département de médecine et développement génétique de l’Université de Genève
70. Abolir le droit d’initiative
«Je ne pense pas que la cohésion nationale soit sérieusement mise en danger: nous savons trop bien nous isoler culturellement, par régions linguistiques, trouvant dans notre propre région linguistique suffisamment de raisons d’en être fiers pour n’avoir pas envie de remettre en question notre cohésion nationale.
En revanche, notre modèle de démocratie, en particulier le droit d’initiative, doit être repensé, voire même aboli, à moins qu’on n’instaure une sorte de cour institutionnelle qui vérifierait pour chaque initiative si elle est compatible avec notre Constitution (forme et contenu) et avec nos accords internationaux. Ou alors il faut augmenter de manière notable le nombre de signatures (de 100 000 à 300 000, voire 500 000) pour n’avoir à voter que sur les textes qui rencontrent une large adhésion déjà lors de la récolte de signatures. Il est inadmissible que ce droit populaire, qui avait tout son sens quand il a été introduit, en 1891, soit à ce point instrumentalisé par certains partis politiques ou groupements qui en font un élément de propagande. De plus, actuellement, les initiatives contribuent à la perte de crédibilité des autorités politiques suisses, ce qui n’est pas sain dans une démocratie.
Comme je présume qu’aucun parti n’osera proposer l’abolition ou le durcissement de ce droit populaire, cette proposition ne pourra venir que d’une association ou d’une ONG…»
Marie-Françoise Perruchoud-Massy, professeure à l’Ecole suisse de tourisme HEVS
71. Pour une fiscalité favorisant la recherche
«Offrons de la liberté aux entreprises pour leur permettre de rester agiles. (…) Je serais intéressée à ce que la fiscalité des entreprises soit davantage liée à un modèle de calcul tenant compte de la part des résultats consacrés à la recherche, à la formation, aux investissements. L’esprit entrepreneurial doit être davantage encouragé et soutenu, et le risque mieux récompensé.»
Carole Hubscher, présidente du conseil d’administration de Caran d’Ache
72. Condescendance de «peuple élu»
«Le grand problème de la Suisse qui pour moi résume toutes les interrogations est la schizophrénie dans la perception de notre positionnement émotionnel et mental. Nous savons tous pertinemment que nous sommes extraordinairement dépendants des échanges extérieurs: matières premières, tourisme, services financiers, approvisionnement en énergie, exportations, etc., et avons besoin d’être bien perçus dans le monde pour continuer à cultiver cette condition clé de notre prospérité. Mais en même temps la Suisse retombe dans son travers de se sentir radicalement différente des autres pays: plus démocratique, plus efficace, mieux gérée, avec des entreprises plus performantes (plus propre, on n’ose plus le dire mais on en a la nostalgie), etc. Attitude de «peuple élu» que je vois aussi de plus en plus chez les jeunes, forte en Suisse alémanique mais aussi émergente en Suisse romande: cela pourrait être une fierté nationale légitime, un sentiment d’appartenance, mais il est toujours lié à son ombre, le regard négatif sur l’autre. On voyage certes et même beaucoup mais on est quand même très content de rentrer à la maison où tout va mieux... Je sens une attitude de condescendance à l’égard du reste du monde qui a quelque chose d’inquiétant, car objectivement fausse.»
René Longet, ancien président du Parti socialiste genevois, ancien parlementaire fédéral, expert en développement durable
73. Les intérêts des jeunes divergent
«Il y a les jeunes tournés vers l’intérieur et ceux tournés vers l’extérieur. Un fossé se creuse entre le secteur des emplois manuels, des petites entreprises en milieu rural travaillant pour le marché intérieur, et celui des industries de services, comme les banques, les assurances, les institutions, voire même les Hautes Ecoles, ce monde-là est plus externalisé. Les enjeux ont changé, les mentalités sont différentes et de nouveaux intérêts à défendre se créent, ils ne sont pas les mêmes pour les uns et les autres.»
Anita Rion, directrice management de MultiManagement Sàrl
74. Retrouvons l’esprit pionnier!
«Les principaux défis ne sont peut-être pas ceux dictés par des circonstances extérieures. N’en est-il pas un bien plus important, celui consistant à retrouver l’esprit de pionnier ayant guidé le développement de notre pays, l’ayant conduit à s’adapter aux circonstances extérieures pour forger son futur?
Que serait la Suisse sans ses pionniers? L’action de personnalités hors du commun tant du monde des affaires que de l’industrie, de la technologie ou de la politique a forgé le succès et la prospérité de la Suisse.»
Benoît Dubuis, Executive Director Campus Biotech Geneve
75. Une charge financière supportable pour les actifs
«A mes yeux, le plus grand défi, qui s’étendra bien au-delà des dix prochaines années, sera celui de la solidarité intergénérationnelle. La charge financière des jeunes en formation et des retraités doit rester supportable pour la population active, ce qui n’est pas possible sans un solde migratoire positif, et cela veut aussi dire qu’il faudra tout particulièrement soigner l’intégration de ces étrangers qui viennent chez nous pour travailler.»
Pascal Broulis, conseiller d’Etat (PLR/VD)
76. Les milieux académiques doivent communiquer davantage
«Dans le domaine de la formation et de la recherche, la collaboration internationale est indispensable. Elle permet des échanges, la création de réseaux et une coopération dont les effets sont inestimables. Tout cela relève de l’inconnu pour l’extrême droite helvétique, dont l’ignorance et l’arrogance me surprennent chaque jour. Mais il faut également que les milieux académiques communiquent davantage et montrent l’impact positif de ce secteur pour le pays. Les Suisses ne sont pas suffisamment informés, aujourd’hui, à propos des effets de cette recherche sur la situation économique du pays, sur leurs propres conditions.»
Mathias Reynard, conseiller national (PS/VS)
77. Gare à la montagne de dettes
«Les défis principaux vont dépendre du fait qu’il y aura ou non une grave crise économique dans le futur, causée par les montagnes de dettes, la montée des taux d’intérêt, l’impression de monnaie à l’infini. Si, par miracle, selon moi, on échappe à l’éclatement d’une énorme bulle, la Suisse continuera d’être favorisée… Mais dans tous les cas avec un certain affaiblissement de l’économie.»
Pierre-Marcel Favre, éditeur
78. Rétablir la confiance
«De nombreux indices laissent penser que la confiance du peuple dans le jugement de ses élites a diminué. Ce phénomène n’est pas le propre de la Suisse; il s’observe aussi ailleurs, mais une telle désaffection a des conséquences sans doute plus immédiates dans une démocratie directe que dans un autre système institutionnel. Longtemps, la «sagesse populaire», en se manifestant régulièrement dans les urnes, a représenté un facteur de stabilité pour la Suisse. Notre économie en a tiré un réel avantage compétitif. En devenant moins prévisible, cette sagesse – dont certains se prennent d’ailleurs à douter – se transforme en un facteur d’incertitude, ce qui est beaucoup moins positif tout au moins à court terme. Je suis en revanche un peu plus optimiste à long terme, car ces coups de semonce venus du peuple obligent notre pays, par le jeu de ses institutions, à corriger le tir avant les autres, ce qui est en principe une bonne chose. Mais, dans l’immédiat, des dommages collatéraux sont inévitables.
Le phénomène évoqué plus haut a renforcé une tendance préexistante à la polarisation du débat politique. Celui-ci en devient de plus en plus émotionnel, ce qui complique la tenue d’un débat objectif sur les grands problèmes de société, tels que la prévoyance vieillesse, le financement du système de santé, l’approvisionnement énergétique ou la fiscalité. Ces questions fondamentales devraient être abordées de manière rationnelle, en posant les cartes sur la table et en cherchant des solutions équilibrées. Mais une telle démarche est rendue pour le moins aléatoire du fait des blocages résultant du renforcement des extrêmes sur l’échiquier politique. Le risque de procrastination s’en trouve accru. Et plus lointaines sont les conséquences de l’inaction et plus ténues paraissent les chances que des solutions raisonnables soient mises au point en temps opportun. Le débat, bien mal engagé, sur la prévoyance vieillesse est un exemple parmi d’autres de cette situation.
Enfin, la mauvaise santé politique, économique et sociale du continent européen, de même que ses problèmes institutionnels qui demeurent largement irrésolus, contribuent à ce que l’UE ne fasse non seulement plus rêver les Suisses (ce qu’elle a toujours eu de la peine à faire) mais qu’elle suscite désormais chez eux un sentiment de peur et de rejet. Or notre pays n’est pas une île. Il tire l’essentiel de sa richesse de ses échanges avec l’étranger, à commencer par les pays voisins. En se repliant sur lui-même, il aggraverait encore son handicap naturel, lié au fait qu’il se trouve au milieu d’un continent en perte de vitesse. Ainsi, le risque existe que la Suisse tourne le dos à ce qui a fait son succès – un succès peut-être un peu trop brillant pour que la population en mesure la fragilité. Mais qui d’autre que les élites pourra plaider cette cause? Et que faire si ces élites ne bénéficient pas de la confiance des gens? On se retrouve ici, en quelque sorte, au point de départ.»
Michel Dérobert, directeur de l’Association de banques privées suisses
79. Eveiller les jeunes
au développement durable «Il faut renforcer l’éveil au développement durable, en pensant d’abord aux générations montantes, ce qu’elles vont recevoir, quelle Suisse et dans quel état. C’est la responsabilité de tous de sauvegarder le pays et de vivre avec moins en préservant la qualité de la nature. Personne ne peut manger l’argent.»
Nicola Spafford Furey, vice-présidente d’Earth Focus Foundation
80. Attirons des bâtisseurs d’innovation
«Il est important de pouvoir faciliter au maximum le développement des start-up. Cela passe en grande partie par les personnes. Si on regarde aujourd’hui, nous avons déjà de superbes fondateurs d’entreprises qui, très souvent, sont étrangers! La plupart d’ailleurs. Il nous faut donc maintenant attirer les «bâtisseurs», ceux qui savent comment générer des revenus substantiels! Pour l’instant, ces personnes se trouvent souvent à Londres, à New York ou ailleurs. Le potentiel technique en Suisse est énorme, mais il faut faire venir – même de façon temporaire – ceux qui arrivent à faire passer les ventes de 1 à 100 millions en quelques années. Tout le monde s’accorde à dire que la Suisse est excellente dans le domaine de l’innovation, mais il faut faire plus encore, en s’inspirant d’Israël et de son modèle de business development ou des Etats-Unis pour sa croissance.
– Visa pour entrepreneur: toute personne qui désire créer une société devrait bénéficier d’un visa de quelques années. Même principe pour ceux dont l’expertise est prouvée par des expériences de start-up préalables.
– Accueil de ces personnes: mettre sur pied un système qui leur rend la vie facile en Suisse. Créer par exemple un bureau d’accueil qui trouve tout ce qu’il faut en termes de logement, d’école pour les enfants, etc. Créer également des structures de bureaux souples où l’on peut rapidement commencer à travailler, selon le modèle d’un hôtel pour entrepreneurs.
– Pour les plus grandes sociétés: transformer la Suisse en un laboratoire d’innovation à grande échelle. Les entreprises étrangères peuvent ainsi venir dans notre pays pour trouver et tester de nouveaux produits ou services. Il est indispensable que nous générions en Suisse des activités à très forte valeur ajoutée, donc des produits ou services qui ont un fort potentiel économique. Nous pouvons rassembler rapidement tous les stakeholders dans un domaine donné. Par exemple, si une société veut développer un nouveau système pour personnes âgées, elle peut tester son idée avec le soutien de cliniques, d’assurances privées, d’organismes de qualité (ISO), d’agences publiques, d’universités, etc. La Suisse a toutes les pièces, mais il faut créer des communautés. Par exemple en offrant des heures de formation «innovation» à chaque Suisse qui peut alors participer à cet effort de faire fleurir de nouvelles idées. Profitons ainsi de notre taille, de notre excellence dans de nombreux domaines… et cela créerait un beau programme de cohésion nationale!
Les plus grands enjeux de la planète pourraient devenir ainsi source d’innovation grâce à la Suisse: urbanisation, santé, sciences de la vie…
Il nous faut donc maintenant attirer les «bâtisseurs», ceux qui savent comment générer des revenus substantiels à partir des start-up.»
Pascal Marmier CEO et vice-consul général de Swissnex China
81. Agir à l’échelle de la région
«Je crois au potentiel de la région franco-valdo-genevoise! Même si certains ont toujours du mal à se l’imaginer, elle existe, elle respire, elle bouge, elle grandit. Cette région, j’y crois, car c’est une réalité. Et, lorsque tous les acteurs de cette même région se mettent à travailler main dans la main, rien ne peut l’arrêter.»
Luc Barthassat, conseiller d’Etat (PDC/GE)
82. Favorisons la transversalité
«Il faut renforcer la transversalité et la complémentarité au sein du tissu économique diversifié, et favoriser la flexibilité du travail. Dans un monde où les technologies numériques et virtuelles sont devenues une réalité quotidienne (internet, Skype, réseaux sociaux, etc.), la formation continue au sein des organisations et l’accès à un apprentissage tout au long de sa vie professionnelle, notamment par l’enseignement à distance ou les conférences à distance, seront essentiels. Il nous faudra investir dans la communication numérique favorisant la «cross fertilisation» (ou fertilisation croisée en termes d’innovation collaborative et d’agilité) en matière de recherche, de partage d’expériences et de compétences, de mise en réseau (intelligence sociale), de levées de fonds, etc.
En matière d’emploi, il sera essentiel de soutenir le partage de compétences et les synergies entre petites, moyennes et grandes entreprises, dans un monde du travail totalement imbriqué.»
Frédérique Reeb-Landry, directrice générale de Procter & Gamble
83. Pragmatisme en danger
«Les risques d’isolement et une cohésion nationale toujours sous pression sont des réalités consubstantielles à l’histoire de notre pays. Ce ne sont pas des problèmes en soi car nous possédons les instruments permettant d’appréhender de façon assez efficace ces problèmes. Il est vrai cependant que ces instruments sont soumis à de rudes épreuves. La démocratie directe et le fédéralisme, qui en sont les principaux représentants, seront de plus en plus attaqués. La démocratie directe, en particulier, va agresser fortement les paradoxes de notre modernité… Tout le monde y est attaché mais un risque de lassitude n’est pas à exclure, du fait d’un recours de plus en plus foisonnant à son exercice. Mais le danger réside dans une fausse appréciation des difficultés que provoque l’usage intensif de la démocratie directe. Au lieu de s’interroger sur les motifs qui président au lancement de telle ou telle initiative, même désagréable, on préfère en effet contester l’outil lui-même, aggravant les risques d’instabilité qui pourraient résulter de certaines initiatives. Il y a pire encore: on néglige en même temps d’actionner pragmatiquement les leviers d’apaisement et de résolution des conflits qui sont à notre disposition. Ce pragmatisme qui fait notre force est en effet en danger. Il est vrai qu’on en a beaucoup abusé, en le transformant en simple moyen de gestion, mais la polarisation de la vie politique suisse tend à en occulter les bienfaits. Les droits populaires sont pourtant une excellente école pour la pratique d’un «sain» pragmatisme, qui oblige en définitive tous les acteurs à s’asseoir autour de la même table et garantir une stabilité nécessaire à l’épanouissement du «système» helvétique, tant sur le plan politique que sur le plan économique. Notre économie est fragile et risque de voir son dynamisme entravé par les secousses que lui inflige une vie politique qui renierait ses atouts fondamentaux. Dans ce sens, son autre atout, la formation, souffre lui aussi de l’affaiblissement de notre pragmatisme «constructif» et de la polarisation de la vie politique. Notre société pâtit d’un hédonisme grandissant, qui n’est pas propre à la Suisse, mais qui peut avoir des effets négatifs plus lourds chez nous, vu notre dépendance à l’égard du monde extérieur. Les conceptions en cours dans le monde de la formation reflètent en réalité la même polarisation qui obstrue les canaux de la gestion politique du pays.
(…) La Suisse n’aime pas la théorie mais elle devrait apprendre à «intellectualiser» son pragmatisme pour lui rendre son efficacité, alors que la société va, malgré (ou à cause de) l’érosion du politique, s’«idéologiser» de plus en plus. L’une des raisons de cette «ré-idéologisation» (qu’on ne veut pas voir car on est convaincu que les idéologies sont mortes depuis belle lurette…) perce de la signification de plus en plus «désordonnée» de maints concepts qui demeurent centraux dans notre vie politique (mais aussi psychologique !), comme la liberté et l’égalité.»
Olivier Meuwly, historien
84. Jeu de rôle national
«Inventons un gigantesque jeu de rôle amenant tous les Suisses à vivre pendant une année la vie d’un requérant d’asile, d’un jeune chômeur européen ou d’un paysan appenzellois.»
Philippe Duvanel, directeur artistique de BD-FIL
85. Organisons des «Startup Weekends»
«Les générations montantes sont excellentes. Il faudrait toutefois mieux les impliquer, peut-être à travers une grande conférence, une sorte de «Startup Weekend» pour définir la Suisse de demain.»
Pascal Marmier, CEO de Swissnex China
86. La Suisse doit s’adapter aux lois des autres
«La principale question est: comment la Suisse va-t-elle finir par s’adapter à la montée en puissance des lois des autres? En effet, la globalisation, c’est avant tout le fait de partager nos règles, nos lois, nos conventions et la gouvernance avec les autres. Qu’elles soient soft ou hard, les lois globales s’imposent en économie, en social comme en politique. On peut interpréter tous nos malheurs actuels en politique internationale (Europe, banque, etc.) à travers cette difficulté très helvétique à s’adapter à cette nouvelle réalité qui met fin à une forme trop primitive de la souveraineté devenue bien désuète face aux enjeux mondiaux.»
Xavier Comtesse, directeur romand d’Avenir suisse
87. Une nouvelle expo nationale
«A la suite de ce vote de repli, il apparaît qu’il faut plus que jamais favoriser les collaborations entre les quatre régions linguistiques du pays. Et à défaut de pouvoir dans l’immédiat stimuler la circulation européenne, tout mettre en œuvre pour favoriser une circulation nationale des idées, des moyens et des personnes.
Et pourquoi pas, au fond, se remettre autour de la table rapidement pour construire ensemble une nouvelle exposition nationale, encore plus innovante, encore plus fidèle à notre identité et encore plus ouverte sur le monde et l’avenir? Prendre ensemble le risque d’un vaste projet courageux et ambitieux pour susciter le débat et faire circuler les idées dans le pays. Mais cette fois, contrairement à l’Expo.02, il faudrait que le pays tout entier s’approprie ce laboratoire géant et contribue au succès d’un tel chantier monumental.»
Stefano Stoll, délégué à la culture de la Ville de Vevey
88. Elisons un vrai gouvernement
«Il faut mettre en place un véritable gouvernement fédéral en élisant au scrutin direct un président de la Confédération pour une législature. Il recrute une équipe cohérente, représentant les sensibilités politiques et les intérêts cantonaux. Il publie un programme de législature et obtient la confiance d’une majorité du Parlement en fonction de son équipe et de son programme.»
Jacques Neirynck, conseiller national (PDC/VD)
89. Un sondage national pour la jeunesse
«Il est toujours difficile de «prendre le pouls» de la jeunesse. J’ai proposé au conseiller fédéral Alain Berset, par le biais de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, de lancer prochainement un sondage d’envergure nationale qui permettra de combler de manière périodique cette lacune. J’espère que ce projet pourra se réaliser.»
Pierre Maudet, conseiller d’Etat (PLR/GE)
90. La Suisse n’est pas isolée
«Actuellement, le pays a de sérieuses difficultés avec l’Occident, l’Union européenne et les Etats-Unis, mais il n’est pas isolé. Un pays vraiment isolé ne serait pas le premier à signer un accord de libre-échange avec la Chine.
Ce qui est le plus inquiétant, c’est que la politique européenne du Conseil fédéral n’a pas de soutien solide, ni au sein de l’Union européenne, ni au sein de l’opinion publique suisse.»
Olivier Feller, conseiller national (PLR/VD)
91. Cesser de vendre du rêve au peuple
«Doit-on continuer d’interdire au Conseil fédéral de développer durablement les relations extérieures de la Suisse en lui infligeant un changement à sa présidence chaque année, en sachant pertinemment que chacun de ses membres n’a pas nécessairement l’envergure de la fonction présidentielle?
Est-il bien raisonnable que notre gouvernement reste composé de sept membres seulement, alors que les dossiers qu’il doit traiter sont de plus en plus nombreux, volumineux et complexes?
Le fédéralisme et la démocratie directe font partie de l’identité institutionnelle de la Suisse moderne. Devons-nous pour autant les élever au rang de dogmes et nous interdire d’en remettre certains aspects en question?
Ne serait-il pas temps de faire tomber la sacro-sainte autonomie cantonale dans le domaine de l’instruction publique, en procédant à une vraie harmonisation des systèmes scolaires, laquelle contraindrait les cantons notamment à enseigner une deuxième langue nationale avant l’anglais afin de préserver la cohésion nationale?
Le nombre de signatures nécessaires pour lancer une initiative populaire ou une demande de référendum ne devrait-il pas être réévalué à la hausse de manière à tenir compte de l’évolution du nombre de citoyens? Un système fondé sur un pourcentage du corps électoral ne serait-il pas plus équitable?
N’est-ce pas vendre du rêve au peuple que de lui permettre de se prononcer sur des initiatives populaires inapplicables alors qu’elles sont clairement contraires aux conventions internationales en matière de droits de l’homme qui lient la Suisse?
Le moment ne serait-il pas venu de mettre une bonne fois pour toutes sur la table la question de nos relations avec l’Union européenne en abordant le sujet de manière constructive et sans aucun tabou, en pesant tous les avantages et tous les inconvénients de chaque scénario (adhésion, poursuite de la voie bilatérale, Alleingang ou autres scénarios)?»
Murat Julian Alder, député (PLR) au Grand Conseil genevois
92. Des espaces de métissage
«Quelles que soient ses particularités, la Suisse participe, au cœur du monde occidental, de toutes les mutations fondamentales en cours: une économie accroissant toujours plus les inégalités, une solidarité avec les faibles de plus en plus réduite à des structures bureaucratiques, une inquiétante dictature de la transparence numérique… Face à ce qui pourrait apparaître comme une catastrophe annoncée, se rappeler que l’inévitable n’est pas toujours certain! Pour l’éviter justement, pour dépasser la pensée identitaire, dangereuse dans sa toute-puissance, et la pensée de la différence, créatrice de territoires clos, multiplier les espaces de métissage et de transversalité, mêlant art et sciences, culture et écologie, histoire et mathématiques… Au-delà du faire, l’enjeu n’est autre que l’ultime prise de conscience à retrouver, celle de la matrice commune à l’humanité: chaque être est «présence».
Isabelle Graesslé, directrice du Musée de la Réforme
93. Faisons rêver la jeunesse
«La Suisse a besoin de visionnaires. Fini les anciennes recettes revisitées, servies ici et là pour que cela fasse joli et nouveau. Comme la question du nucléaire qui est honteusement revenue sur la table.
La Suisse doit se réinventer, comprendre qu’une grande partie de son mode de fonctionnement actuel doit être repensé parce que demain n’est qu’à un coucher de soleil d’aujourd’hui. Il est temps de regarder le monde autour de nous. D’utiliser notre force, nos écoles techniques, notre savoir-faire, mais aussi et surtout d’aider notre jeunesse, de la faire rêver pour lui donner envie de s’impliquer dans l’incroyable course contre la montre qui a déjà commencé.»
Sarah Marquis, aventurière
94. Des antennes «Swissnex politiques»
La Suisse doit massivement développer sa capacité à 1. se connecter et 2. influer les bonnes personnes à l’international. Cela passe par un renforcement de la diplomatie non-officielle, dite de second track. Celle-ci se comprend en renfort et en complément de la diplomatie officielle.
Le réseau «Swissnex» a ouvert la voie pour la politique suisse de l’innovation et de la science. A sa manière, ProHelvetia assure la promotion des artistes suisses à l’étranger (Paris, New York...). Il s’agit de développer ces deux modèles pour mettre sur pied un modèle plus politique, capable de faire circuler du contenu tout en assurant que la Suisse et ses représentants aient un accès privilégié aux décideurs étrangers. C’est l’idée d’un réseau de «Swissnex politiques», version helvétique des réseaux d’influence que sont l’alliance française ou l’institut Goethe. Ce Swissnex politique pourrait prendre la forme d’un lieu de rencontre, de sensibilisation et de mise à disposition de nos expériences-expertises helvétiques (en matière de démocratie directe, cohabitation des minorités, fédéralisme, innovation, etc. – les différents éléments du «modèle suisse»). La Suisse en profiterait pour se présenter comme étant «au service» de ses partenaires, soucieuse de les aider.
Johan Rochel, vice-présidentdu think tank foraus - Forum de politique étrangère
95. Des écoles de cinéma bilingues
«La culture «suisse» pourra porter ce nom le jour où les compétences linguistiques de tous et de toutes seront telles que les œuvres élaborées à Zurich ou à Stans aussi bien qu’à Coire, à Genève ou à La Chaux-de-Fonds pourront circuler sans entraves dans ce pays. Il faudrait arriver à ce point où tout pourrait être compris, et savouré. La création d’une école fédérale de cinéma bilingue, voire deux (une italo-française en sus), des écoles de théâtre bâties sur un même concept (dans une application raisonnée du bilinguisme), un bilinguisme plus affirmé dans les écoles supérieures permettraient d’achever ce que l’école obligatoire aurait établi dès le plus jeune âge. Lorsqu’on voit comment les moins de 40 ans ont assimilé l’anglais dans les pays d’Europe de l’Est, on reste atterré par la faiblesse des compétences linguistiques acquises dans les écoles de ce pays.»
Antoine Jaccoud, scénariste, écrivain
96. «Très prochainement, l’arrivée en force de l’imprimante 3D dans notre quotidien pourrait représenter une véritable révolution industrielle. Et si la Suisse en prenait le leadership? »
Enza testa haegi, éditrice du magazine «L’Extension» et présidente du Cercle des dirigeants d’entreprises
97. Indépendance et adaptation
«Je suis optimiste pour la Suisse. Elle a toujours cultivé, en même temps, le sens de l’indépendance et celui de l’adaptation. Paul Morand la compare à un nœud de bois, très dur, qui résiste à la scie du charpentier. C’est son côté fermé. Mais il y a son autre atavisme: ouvert, pragmatique et commerçant. Comment se fera cet équilibre dans la relation avec l’Europe? Nul ne peut le prévoir. Personne, ou presque, n’a vu venir les bouleversements de 1789, de 1848 ou de 1989.»
Darius Rochebin, journaliste
98. Une terre d’asile
«J’ai peut-être de la Suisse une vision d’immigrée. Mais, pour moi, l’avenir de la Suisse, inspiré des leçons du passé, c’est qu’elle reste cette terre d’asile pour d’innombrables persécutés, qui le lui ont bien rendu en mettant à son service des dons techniques, médicaux, littéraires. Et le meilleur moyen de préserver nos acquis est de faire en sorte que la Suisse n’ait pas peur d’encourager ses enfants, d’où qu’ils soient venus, à penser et à cultiver notre plus précieuse matière première: l’intelligence.»
Anne Cuneo, écrivain
99. Nous avons perdu notre coussin conjoncturel
«L’immigration a été un facteur de soutien essentiel à l’économie suisse lors de la crise de 2008-2009, lorsque certaines branches de l’industrie d’exportation ont vu leurs volumes d’affaires s’effondrer. Nous n’aurons plus ce coussin (reposant sur le dynamisme de l’économie intérieure) pour amortir les chocs. Cela dit, tout dépendra au final des gains de productivité qui pourront être réalisés. Une forte amélioration sur ce front pourrait compenser, au niveau global, la perte (ou une partie de la perte) de création de richesse qu’entraînera le tassement de l’immigration.»
Claudine Amstein, Directrice de la CVCI
100. La prospérité n’est pas innée
«Nous ne nous rendons pas suffisamment – viscéralement – compte que notre prospérité n’est pas innée, que nous sommes en compétition avec d’autres nations très ambitieuses et travailleuses et que nous pourrions tout perdre très rapidement. Il y a tellement d’exemples, dans l’histoire, de civilisations qui ont décliné rapidement.»
Philippe Monnier, directeur exécutif de Greater Geneva Berne Area
101. Tournant énergétique à reconsidérer
«Il faut reconsidérer la politique énergétique actuelle. La décision de sortir, en Allemagne et en Suisse, du nucléaire tourne au cauchemar. Jamais autant de centrales nucléaires traditionnelles n’ont été mises en chantier dans le monde.
Ce développement intervient dans les pays les moins sûrs du point de vue de la sécurité. En même temps, une partie de l’Europe démobilise ses compétences dans cette technologie au moment où il faudrait démanteler les centrales existantes. Un espoir cependant: la recherche sur les centrales au thorium, le nucléaire vert, progresse en Chine et en Inde, la Suisse traînant les pieds dans ce domaine. L’Allemagne augmente sa charge polluante et déstabilise le marché des énergies, renouvelables ou non. La première énergie renouvelable suisse, l’hydraulique, est mise en danger. Et le tout est financé par des hausses de prélèvements sur le prix de l’énergie. Ajoutez à cela que la transition énergétique prévoit un recours accru au gaz naturel accroissant le risque géopolitique de dépendance de la Russie.»
Pascal Couchepin, ancien président de la Confédération