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Court sur pattes, mais long destin

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Jeudi, 25 Septembre, 2014 - 05:52

Automobile. La Mazda MX-5, le roadster sportif le plus vendu de l’histoire, se renouvelle vingt-cinq ans après son lancement. La formule reste inchangée: simplicité, légèreté.

1989, ses hits de Tears for Fears et Simply Red, sa Game Boy, ses Simpson, son mur de Berlin en miettes libératrices. Mais aussi, en première mondiale au Salon de Chicago, une petite voiture de sport baptisée Miata aux Etats-Unis et MX-5 sur le reste de la planète. Le goût pour les roadsters s’était pourtant estompé dans la décennie précédente. La formule, popularisée par MG, Triumph ou Lotus – le coupé décapotable deux places à moteur à l’avant et roues arrière motrices –, était considérée comme sans avenir par les constructeurs.

Sauf par Mazda, au Japon, qui a eu l’idée de relancer ce type d’automobile légère, vive, excitante à conduire et abordable. Tout en lui garantissant une fiabilité que n’avaient pas, mais alors pas du tout, les roadsters britanniques des swinging sixties. Bien que, dans les faits, la première Mazda MX-5 fut loin d’être parfaite.

Fragilité remarquable

Je le sais: j’en ai eu un exemplaire, vert bouteille, au milieu des années 90. La capote était d’une fragilité remarquable, la carrosserie vulnérable comme une feuille d’alu et les phares escamotables à l’avant refusaient parfois de fonctionner, tant leur système d’ouverture était caractériel. La barquette poids plume (950 kg) était délicate à piloter sous la pluie, décrochant brutalement de l’arrière à la moindre contrariété.

La mécanique nippone était en revanche solide. L’important était le plaisir incomparable – toutes catégories confondues – au volant de la bestiole. Sa direction directe, sa commande boîte courte, sa nervosité, la position de conduite idéale lui donnaient un caractère unique. Le capital de sympathie était tel que la MX-5 a tout de suite été un succès massif, alors que Mazda avait longuement hésité à la commercialiser.

Elle est même devenue, en vingt-cinq ans, le roadster le plus vendu de l’histoire, frisant aujourd’hui le million d’exemplaires. Elle a à peine changé de silhouette au fil de ses trois générations successives. Les optiques mobiles ont été vite abandonnées pour de banals phares en amande, des airbags ont été installés dans l’habitacle, le moteur a gagné en puissance et la voiture en poids. Il existe même une version roadster coupé dotée d’un toit rigide rétractable, laquelle représente 80% des ventes en Grande-Bretagne, pays où l’humidité est loin d’être relative.

Lancée en 2005, retouchée depuis lors à deux reprises, la troisième mouture de la petite Mazda est toujours aussi agile. Elle est plus stable, sa capote est cette fois d’excellente qualité et elle propose notamment une motorisation 2 litres de 160 chevaux, ainsi que divers niveaux d’équipements sportifs.

En panne de ventes

L’absence de prise USB sur le tableau de bord ou entre les deux sièges-baquets trahit toutefois son ancienneté. Huit ans pour un modèle, ça commence à être long. Ecoulée à 9300 unités en Suisse depuis 1990, la barquette ne se vend plus guère par ici: entre 200 et 300 par année.

Mazda croit toujours dans le potentiel de son roadster. Le constructeur a présenté début septembre une toute nouvelle MX-5, dont la commercialisation est attendue au troisième trimestre 2015. Les rondeurs héritées de la Lotus Elan ont disparu au profit d’une ligne plus tendue, en phase avec la philosophie du kodo («l’esprit du mouvement») prônée par la marque depuis quelques années. Plus sculpté, effilé, le roadster a également été raccourci, abaissé et débarrassé d’une centaine de kilos. La MX-5 renoue ainsi avec ses origines, elles-mêmes héritées du credo de sir Colin Chapman, créateur de la marque Lotus: «Simplifier, puis alléger!»

Grâce à une capote moins lourde que la précédente (aussi solide?) et à un repositionnement du moteur, le centre de gravité a été abaissé, avec toujours une répartition idéale des masses: 50% à l’avant, 50% à l’arrière. Les dimensions de l’habitacle restent inchangées, mais celui-ci gagne une tablette tactile et une bonne connectivité pour les téléphones portables. Des haut-parleurs ont été installés dans les appuie-têtes: parfait pour écouter de la musique en plein air. Every-body Wants to Rule the World de Tears for Fears?

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La colocation Alzheimer, une première en Suisse

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Jeudi, 25 Septembre, 2014 - 05:52

Reportage. Chaque année en Suisse, quelque 27 000 nouvelles personnes sont atteintes de démence. Qu’ils soient autonomes ou pas, la cohabitation offre une solution adaptée aux aînés concernés. Visite à Orbe, où l’on mène un projet pilote nommé Topaze.

Mme Dumont* est rayonnante, ce mardi après-midi d’août. Légère, souriante, elle nous salue puis file s’installer sur la terrasse. Cette insouciance, elle la doit sans doute à son nouveau logis. Un lieu de vie installé sur les rives de l’Orbe, au pied de la ville du même nom. A droite, un immeuble de locataires. A gauche, des propriétaires. Et, au sommet du bâtiment central, deux appartements spécialement conçus pour accueillir six personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. Un projet pilote qui porte le nom de colocation Topaze. Ouvert en avril dernier, il vient compléter l’offre de cohabitation pour les aînés, notamment les appartements Domino, cette colocation qui, depuis 1998, abrite à Sierre des personnes âgées sans trouble cognitif majeur.

Dans le cas de Topaze comme dans celui des Domino, l’objectif reste le même: prolonger l’autonomie des anciens tout en préservant leur bien-être et leur sécurité. Au chemin des Rigoles 14B, à Orbe, les troisième et quatrième étages ont ainsi été conçus de manière adaptée aux aînés. Aucun seuil entre les pièces, un frigo et un four à hauteur de taille et une rambarde vitrée sur le balcon. Chaque colocataire dispose de sa chambre, meublée à sa guise. Salon et cuisine se partagent. De même que les tâches quotidiennes, réalisées avec l’aide d’accompagnants externes.

Une nouvelle option

«Ce lieu n’entre pas en concurrence avec les offres déjà existantes, mais il représente un palier supplémentaire qui peut s’insérer entre la vie à domicile et l’entrée en établissement médico-social (EMS)», précise André Allmendinger, directeur de la Fondation Saphir. «Il nous importe que les colocataires disposent d’un mode de vie le plus autonome et normal possible, qu’ils se sentent chez eux.» Inspiré de structures existantes dans les pays scandinaves et en Allemagne, ce domicile est ainsi celui de personnes âgées atteintes de démence, trop vulnérables pour gérer leur quotidien seules. Un concept inédit en Suisse, né d’une collaboration étroite entre l’Association Alzheimer Suisse, instigatrice de l’idée, Patrice Lévy, chef du projet et directeur de la société Apress et, enfin, la Fondation Saphir, porteuse de l’expérience.

Une palette de points positifs

«La Fondation Saphir est très active dans le domaine de la psychogériatrie. Elle dispose des structures adéquates et d’une expérience importante. En cas de besoin, elle peut assurer le suivi clinique, mobiliser les acteurs nécessaires ou encore proposer à sa clientèle d’autres lieux de vie plus adaptés, explique Patrice Lévy. C’est un travail de réseau, tout se gère et se décide en équipe.» Un mode de fonctionnement collectif qui marque d’ailleurs l’un des principaux avantages de cette nouvelle pratique. Autre qualité de cet espace de cohabitation, il permet de réduire l’isolement social et relationnel de chacun des colocataires. Et ils ne sont pas les seuls à bénéficier de ce système. La famille, «qui endure une grande partie de la souffrance du parent atteint de démence, ressent un réel soulagement à l’idée que son proche puisse habiter dans un lieu comme celui-ci et éviter une entrée trop précoce en EMS», estime André Allmendinger.

Au-delà du cercle familial, les colocataires bénéficient de la présence permanente d’une petite équipe, nettement inférieure en nombre à la dotation d’un EMS. On compte ainsi deux accompagnants pour six habitants au sein de la colocation Topaze, contre un plein temps par résident en EMS. Quant aux soins, ils sont assurés par le centre médicosocial. «Les personnes qui travaillent ici ne sont pas des soignants. C’est un choix justifié par notre envie d’offrir un cadre de vie «comme à la maison», souligne Annelise Givel, responsable de la structure à Orbe. Les accompagnants travaillent donc en binôme et en relais, de 7 à 22 heures. La nuit, une veille dormante est assurée par un responsable. «Mais également par un système de sécurité domotique qui se veut le moins intrusif possible, complète Patrice Lévy. Lorsqu’une personne quitte son lit, un détecteur de mouvements s’enclenche. Si, au bout de quinze minutes il ne perçoit plus aucune activité dans l’appartement, une alarme réveille le veilleur.» Des solutions efficaces qui ne font pourtant pas exploser les tarifs.

Entre les aides étatiques et les frais pris en charge par le porteur de projet, la colocation garde un net avantage sur la pension en EMS. Ainsi, au 14B, chemin des Rigoles à Orbe, le séjour mensuel d’une personne revient à 6000 francs, contre 9000 en EMS. «Nous voulons être ouverts à tous, quelle que soit la capacité financière de chacun», confirme Patrice Lévy.

Un Pari réussi

«Nous sommes aussi là pour pallier les angoisses et apporter une présence rassurante et aidante», note Annelise Givel. Courses, balades, cuisine. Les activités se font au maximum en commun. «Nous aimerions également organiser trois après-midi par semaine avec des bénévoles, qui pourraient apporter d’autres activités», ajoute Klara Fantys, membre du comité de direction de la Fondation Saphir. Reste que la cohabitation n’est pas toujours aisée. «En ce moment, elles sont quatre femmes à partager les lieux», poursuit Annelise Givel. Les tensions peuvent être de mise et, «comme les colocataires se contiennent énormément, le risque existe qu’elles décompensent». Mais pour l’heure rien à signaler. Au contraire, la difficulté principale réside dans le fait de convaincre une personne allant mieux de rester en colocation, l’amélioration de son état étant justement dû à cet environnement. Le bilan intermédiaire de ce projet est donc positif. Tant mieux. Car l’évolution démographique de la Suisse le confirme: la démence sera le défi principal de notre société de demain. D’ici à 2050, le pays pourrait ainsi compter plus de 300 000 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de pathologies apparentées. Aujourd’hui, on estime qu’elles sont 113 000, dont quelque 20 000 vivent seules. Des chiffres inquiétants qui pourraient toutefois être revus à la baisse si la création future de structures similaires au projet Topaze est acceptée.

«Une deuxième colocation devrait ouvrir ses portes en janvier 2015 à Sierre», annonce Patrice Lévy. Voisine des appartements Domino, elle sera gérée par le Centre médicosocial de Sierre. «La clientèle est la même qu’à Orbe et la stratégie est commune. Mais les conditions-cadres dépendent de chaque canton», nuance Patrice Lévy. Qu’elle soit vaudoise ou valaisanne, la colocation Alzheimer devrait parfaitement s’inscrire dans le programme politique de santé sociale des cantons. Et pourrait être en passe de devenir l’un des modèles types du logement pour personnes âgées souffrant de démence. Ce d’autant que la colocation leur offre un chez-soi et la possibilité d’y rester le plus longtemps possible. Ce qui bouleverserait les statistiques. Dans le canton de Vaud, une personne reste en moyenne deux ans en EMS avant de mourir. Cette moyenne pourrait diminuer avec l’émergence des structures de cohabitation.

Seize heures sonnent: confortablement installées sur le canapé rouge du salon, les colocataires savourent leur goûter. Et, l’air de rien, semblent se réjouir de nous voir partir pour enfin retrouver le calme de leur logis.
* Nom d’emprunt
www.alz.ch


Un projet emblématique

Le temps des établissements médicosociaux ordinaires est révolu. Place aux structures de demain. Des espaces qui, à l’image de la future construction Bellevue, à Yverdon, réunissent générations et prestations diverses.

Centre d’accueil temporaire, soins à domicile ou, plus récemment, colocation pour les aînés atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’autres formes de démence. Le canton de Vaud est particulièrement actif dans le maintien des personnes âgées à domicile. Acteur central dans la région du Nord vaudois, la Fondation Saphir se montre également très entreprenante en la matière. Elle travaille en ce moment sur un nouveau concept, emblématique de cette politique de santé sociale: le projet Bellevue. Une construction gigantesque qui réunira sur son site, à Yverdon-les-Bains, une palette d’hébergements allant du centre d’accueil temporaire pour les personnes âgées à un établissement médicosocial, en passant par une colocation alzheimer ou encore des logements pour étudiants, afin de favoriser les liens intergénérationnels, mais aussi de dédramatiser le vieillissement et ses aléas.

«Ce sont les fondations du futur, relève André Allmendinger, directeur de la Fondation Saphir. Nous souhaitons tout réunir afin de créer un pôle de prestations et d’obtenir une synergie des compétences. Pour les personnes âgées, cela nous permettra notamment de faciliter les transferts et de les accompagner au fil du temps.» Prévu en partie pour le mois de juillet 2015, ce projet s’inscrit dans une dynamique nouvelle, qui vise tant le social que le médicosocial.

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L’Ecole 42 importe l’«American dream» en Europe

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Jeudi, 25 Septembre, 2014 - 05:53

Décodage. Concept novateur, l’Ecole 42 propose une formation gratuite d’informatique n’exigea  nt aucun diplôme préalable. Derrière cette vision utopiste se cachent pourtant des méthodes quasi militaires de recrutement.

Lena Würgler

L’Ecole 42, créée en 2013 par Xavier Niel, fondateur de Free, vend le rêve américain à des milliers de jeunes Européens âgés de 18 à 30 ans, fascinés par des perspectives d’emploi chez Google, Microsoft, Apple ou Facebook.

Son slogan «Born 2 code» (né pour programmer) promet de donner plus que des compétences à ses étudiants: c’est un destin tout trouvé qui leur tend les doigts. Jusqu’au 30 juin 2014, 15 000 candidats ont tenté de passer les tests d’entrée sur l’internet. Parmi eux: Mattia, Arnaud, Eduardo et Gabriella. Sélectionnés, ces quatre jeunes Suisses romands ont même franchi la deuxième étape de sélection en juillet. A la suite de ce mois intensif passé à Paris, ils entameront leur première année d’études en novembre, en même temps que 850 autres étudiants. «Pour moi, le concept de l’école s’est vendu tout seul, affirme Mattia. Il m’a immédiatement convaincu.» Sous ses airs utopistes, l’Ecole 42 cache pourtant des méthodes de recrutement presque militaires et répond à des desseins plus économiques qu’idéologiques.

La Face blanche

Le fonctionnement de base de l’école: l’enseignement «peer to peer» (P2P). Les étudiants ne suivent pas de cours, mais reçoivent des exercices et des projets à réaliser avec l’aide de quelques fichiers théoriques et, surtout, avec le soutien de leurs camarades. «Si quelqu’un galère, tu dois l’aider, mais sans lui donner la réponse», confirme Mattia. Un système qui a déjà conquis les étudiants suisses. «J’ai l’impression d’avoir mieux progressé que dans une école traditionnelle, estime Eduardo. Avant, j’étais un grand débutant en programmation. Après deux semaines dans l’école, j’étais déjà capable de trouver un algorithme pour résoudre un sudoku.»

En trois ans, les étudiants seront formés à tous les domaines de l’informatique, de la cryptographie à l’intelligence artificielle en passant par les algorithmes, l’architecture de réseau, le design de jeux vidéo, etc. «C’est le programme le mieux adapté à la vraie vie que j’ai jamais vu», s’enthousiasme Arnaud. Seul problème: les certificats décernés ne sont pas reconnus par l’Etat français. Mais, après une année, l’école tisse déjà des liens avec des institutions publiques réputées, comme la HEC de Paris, avec laquelle elle a conclu un partenariat.

Enfin, l’école veut donner sa chance à tous. Tout d’abord, elle est gratuite, pour éviter une sélection en fonction de la situation financière des candidats. Xavier Niel a investi une somme estimée entre 20 et 50 millions d’euros pour le permettre. Ensuite, l’accès à la formation ne nécessite aucun diplôme préalable. Les étudiants en difficulté scolaire, qui auraient échoué dans les institutions classiques, constituent même une cible privilégiée de l’école, convaincue qu’elle peut y dénicher des talents hors pair.

Un recrutement militaire

Pour procéder à un tri, l’école plonge les 1700 candidats issus de la première sélection dans la «piscine», une phase de recrutement inspirée des «swim qualifications» des commandos de marines américains. Pendant un mois, les étudiants vivent dans le Heart of Code, le bâtiment ultramoderne de l’école. Là, leur cadre quotidien se résume à trois clusters, de grandes salles ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre et remplies de centaines d’ordinateurs flambant neufs.

Un mois complet, week-ends compris, à consacrer l’entier de leurs journées à tenter de terminer les travaux pratiques que l’école leur soumet. «On pouvait voir combien de temps on passait en moyenne par jour sur les ordis, témoigne Gabriella. Pour moi, c’était environ quinze heures.»

A la fin de la «piscine», sélection naturelle oblige, seuls les plus résistants passent à l’étape suivante. «Au bout de quelques jours, un tiers des participants jettent déjà l’éponge, déclare Olivier Crouzet, directeur pédagogique. Notre programme n’est pas pire que certaines classes préparatoires pour de hautes écoles en France. L’objectif de la «piscine» est de tester le degré de motivation des candidats. Nous voulons les plonger dans une atmosphère qui correspond à celle des trois ans d’études à venir.»

un flou perpétuel

Les étudiants s’investissent donc sans compter. Pourtant, si les résultats des travaux pratiques entrent dans l’équation finale, les étudiants ont conscience qu’ils n’en constituent qu’une partie. «C’est très fatigant et stressant, parce que tu ne sais jamais où te situer par rapport aux autres», reconnaît Mattia. D’ailleurs, les notes reçues frisent souvent la médiocrité, voire l’absurdité. «On se mange beaucoup de zéros», témoigne Eduardo. Certains reçoivent même des notes négatives, en particulier des -42.

«Les notes sont principalement là pour décourager, pense Arnaud. Pour des gens très scolaires, habitués à recevoir de bonnes notes, cela peut se révéler assez choquant et démoralisant.» Le staff lui-même avoue ne pas vouloir fixer de critères trop précis pour l’évaluation des candidats. «Nous voulons conserver une certaine souplesse, argumente Olivier Crouzet. Cela permet de garder une grande diversité de profils, chose nécessaire pour favoriser la créativité et l’innovation.»

des punitions gênantes

Parmi les critères – subjectifs – sur lesquels l’école insiste explicitement se rangent la capacité à travailler en groupe, la sociabilité et l’hygiène. «Nous sanctionnons les étudiants qui contreviennent aux principes de base de la vie en communauté, comme le respect du matériel et des autres participants», souligne Olivier Crouzet. Les punitions infligées, appelées «TIG» (pour travaux d’intérêt général), sortent complètement de l’ordinaire. «J’ai dû chanter dans l’ascenseur pendant deux heures, raconte Gabriella. J’ai été punie parce que je m’étais assise sur le rebord d’une fenêtre et que, comme mes pieds touchaient le mur blanc, j’aurais pu faire une tache.»

Les exemples ne manquent pas: enlever les petits cailloux dans la pelouse, chanter La Marseillaise sur le toit de l’école, mesurer le périmètre du bâtiment à l’aide de tickets de métro, etc. «Ils débordent d’imagination, c’est très drôle», rigole Gabriella. Tellement enthousiastes de faire partie de l’aventure, les étudiants acceptent ces punitions sans broncher. D’après Arnaud, «les TIG font plus peur aux gens que les sanctions administratives traditionnelles». Quoi de plus normal que de préférer le blâme en privé que l’humiliation en public! «Nos punitions doivent être assez gênantes pour que l’étudiant n’ait pas envie de commettre son erreur une nouvelle fois, justifie Olivier Crouzet. Et nous ne voulons pas faire ça en catimini afin que les autres candidats voient ce qu’il est possible de faire ou non. Mais notre but n’est pas d’humilier.»

Une silicon valley en Europe?

Se sentant privilégiés, redevables, les étudiants se montrent prêts à tout donner d’eux-mêmes pour avoir la chance de mettre un pied dans une école qui, pourtant, demande encore à faire ses preuves. Une chose est sûre: l’institution répond à une réelle pénurie.

Pour la France, d’abord, qui aura besoin de 191 000 informaticiens d’ici à 2022, selon une étude de France Stratégie.

Pour la Suisse, ensuite, qui devra quant à elle repourvoir quelque 87 000 postes d’informaticiens d’ici à 2022, selon le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO).

Pour Xavier Niel, enfin, qui cofinance actuellement, avec la Caisse des dépôts et consignations, le développement d’une pépinière d’entreprises à Paris. Rassemblant un millier de start-up numériques, elle s’ouvrira en 2016, au moment même où la première volée de l’Ecole 42 terminera son cursus. Des étudiants qui, pendant trois ans, auront soumis des centaines de projets dans l’incubateur de start-up que possède l’Ecole 42. Coïncidence? Sûrement pas. «Niel veut faire en sorte que Paris et l’Europe fassent concurrence aux grands Américains, ose Gabriella. C’est plus grand qu’une utopie, c’est irréel, c’est délicieux!»


«Wanted: étudiants paumés»

L’Ecole 42 est ouverte à tous types de profils. Elle s’adresse même en particulier aux élèves qui ne trouvent pas leur place dans les institutions traditionnelles, y compris en Suisse romande. Témoignages.

Mattia (22 ans, Neuchâtel) a essayé plusieurs formations, comme l’électronique, la musique, la philosophie et, enfin, l’informatique au CPLN. «C’était trop lent pour moi. A la «piscine», j’ai enfin pu aller à mon rythme et gazer à fond.»

Eduardo (22 ans, Peseux) a fait un certificat de culture générale avant d’essayer d’entrer au lycée, puis de faire le bac français. Mais il a tout abandonné. Pour lui, «42 se présente comme un moyen de réussir, même si tu n’as pas fait de grandes études».

Arnaud Schenk (20 ans, Lutry) a pris, pendant son gymnase, une année sabbatique qui s’est transformée en deux, puis trois ans. «J’ai enchaîné les petits boulots dans des start-up, où j’ai fait du codage. J’ai postulé pour améliorer mon niveau de programmation.»

Gabriella (25 ans, Genève, Paris) a déjà obtenu un MBA en marketing et e-business. Elle s’est inscrite à 42 pour compléter ses compétences. «J’espère trouver une sorte de job du futur, que personne ne connaît encore.»

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Bruno Coutier GNO / Picturetank
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L’icône que le PDC ne vénère plus

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Jeudi, 25 Septembre, 2014 - 05:54

Analyse. Le PDC ne la suit plus comme un seul homme? L’USAM et economiesuisse tentent de la déstabiliser? Il en faut davantage pour ébranler la solide Doris Leuthard.

Ouf, elle a gagné, Doris Leuthard. Une nouvelle fois. En faveur de l’écologie. Contre economiesuisse. Mais aussi contre les infidèles de son parti. Comme elle avait partiellement gagné contre l’Union suisse des arts et métiers (USAM) et son président Jean-François Rime, conseiller national (UDC/FR), dans le dossier de la redevance radio-TV.

Ce matin-là, 18 septembre, elle a pourtant eu chaud. Une poignée de démocrates-chrétiens, largement influencés par economiesuisse, avaient lâché leur conseillère fédérale et décidé, avec la majorité de la Commission de l’environnement du Conseil des Etats, de ne pas entrer en matière sur le contre-projet préparé par ses services pour répondre à l’initiative des Verts «Pour une économie verte». Or, au Parlement fédéral, ne pas entrer en matière claque comme une gifle. Mais gare à celui qui ose lever la main sur Doris Leuthard. Loin de tendre l’autre joue, la démocrate-chrétienne frappe à son tour, jouant sur deux tableaux. La méthode douce d’une part, celle des tête-à-tête, mélange d’arguments rationnels, tactiques et de battements de cils. Il arriverait même à la ministre de cuisiner, chez elle, pour des parlementaires. Ils adorent ça. Mais elle manie aussi la méthode rentre-dedans, se montre parfois donneuse de leçons en plénum.

Comme ce 18 septembre. Aux sénateurs qui célébraient la Suisse comme un modèle d’écologie et ne voulaient pas imposer de nouvelles règles à l’économie, elle a asséné quelques vérités. «Ne rien faire a un coût! L’assainissement des sols pollués coûte des millions. Qui les paie? Les pouvoirs publics, le contribuable. Parce que les exploitants des installations difficiles ne sont plus là, ont fait faillite ou placé leur fortune ailleurs.» Ou encore: «La Suisse, avec 700 kilos de déchets pas personne et par an, a la plus grande montagne de détritus d’Europe. Seuls les Américains nous dépassent. Un super résultat?»

Ce matin-là, elle a donc gagné, Doris Leuthard. Elle a pu partir le cœur plus léger pour inaugurer la gare de Cornavin puis la chaire en efficience énergétique de l’Université de Genève, où elle a défendu la même ligne qu’au Parlement: ne pas gaspiller, réduire sa dépendance envers l’étranger, mieux utiliser les ressources indigènes, pour l’énergie comme pour les matières premières. Un credo similaire à celui qu’elle défend quand elle critique l’économie qui, depuis le vote du 9 février contre l’immigration de masse, ne recruterait pas assez de personnel en Suisse.

Malgré ce credo raisonnable, gagner, pour Doris Leuthard, s’avère de plus en plus ardu. Pourquoi? Parce qu’elle a changé. Et parce que son parti a changé aussi.

Moins de patience

La jolie Doris, celle qui faisait distribuer du gel douche à son effigie pour gagner l’élection au Parlement fédéral, s’est transformée en femme d’Etat déterminée et, surtout, émancipée. Terminée, l’idylle avec le milieu des affaires, quand, ministre de l’Economie, elle ouvrait des portes aux entreprises de par le monde. Enterrés, les espoirs des vieux barons de l’électricité: l’ex-avocate de l’atome a décidé de sortir du nucléaire. Pire, il lui arrive de tancer ces milieux. Enfin, touchée par le syndrome du ministre expérimenté, elle aurait moins de patience et de tolérance pour l’incompétence ou la mauvaise foi de ceux qui la contrent.

Doris Leuthard a passé du statut de star incontestée du PDC à celui de magistrate chargée de l’environnement, de l’énergie et des transports, soucieuse du sort des générations futures. Dès lors, paradoxe, elle a gagné en format, mais perdu en influence sur son parti. Ses collègues du PDC, les ingrats, ne s’inclinent plus devant leur icône d’antan, la présidente qui sauva le parti de l’oubli, la belle ministre charismatique qui tirait les siens aux élections.

Son combat pour la Loi sur l’aménagement du territoire et contre les résidences secondaires lui avait déjà mis à dos le Valais, berceau PDC. L’approche des élections fédérales de 2015 ne va rien arranger.

L’abandon du nucléaire annoncé par leur conseillère fédérale ou encore sa volonté d’augmenter le prix de l’essence causent bien du souci. Surtout aux représentants de l’aile droite qui se demandent comment résister à l’UDC dans leurs cantons conservateurs. «En Argovie, le canton de Doris Leuthard, on a perdu des voix depuis l’annonce de la sortie du nucléaire», glisse un ténor alémanique du PDC. Alors ils se gênent de moins en moins de voter contre elle au Parlement. Histoire de montrer à leurs électeurs qu’ils se distancient d’une ministre trop «verte» à leur goût.

Présidence en 2017?

Désormais, les meilleurs défenseurs de Doris Leuthard se trouvent surtout à gauche: les Verts Robert Cramer ou Adèle Thorens, les socialistes Roger Nordmann ou Géraldine Savary, comme bien d’autres, relèvent sa maîtrise des dossiers, son courage, sa volonté d’aller de l’avant. Elle permet le développement des transports publics, leur financement à long terme. Elle vient de présenter son projet pour un fonds similaire pour les routes et les projets d’agglomération. Il n’y a guère que le non à la vignette à 100 francs qui l’ait déstabilisée. Quant à son dossier phare, celui de la politique énergétique et de la sortie du nucléaire, il avance en commission, malgré les centaines d’amendements, et arrivera au National en décembre. «Au final, seul le dispositif d’incitation aux économies d’électricité n’a pas passé la rampe», précise Roger Nordmann.

La doyenne du Conseil fédéral n’a que 51 ans, dont huit seulement passés au gouvernement. Alors, n’en déplaise aux ambitieux de son parti qui louchent sur son siège, il faudrait davantage que leurs infidélités pour ébranler Doris Leuthard et la pousser à partir avant 2017, sa seconde année présidentielle.

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Priorité à l’anglais? L’avis des Romands

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Jeudi, 25 Septembre, 2014 - 05:55

Analyse. Après les attaques contre l’enseignement du français, un sondage révèle la colère et la lucidité des Romands: l’anglais fait partie de notre vie, mais pas question d’en faire une langue nationale, et l’allemand devrait être beaucoup mieux enseigné.

Chantal Tauxe

Ils ont voulu en avoir le cœur net. A l’occasion des 10 ans de l’association Défense du français, ses membres ont commandé à l’institut M.I.S Trend une étude sur la perception du français et l’avancée de l’anglais en Suisse romande. Les résultats tombent à pic, alors que la polémique sur l’enseignement des langues nationales enfle depuis plusieurs mois. L’initiative lucernoise réclamant qu’une seule langue étrangère soit enseignée à l’avenir à l’école primaire, au lieu de deux actuellement, a abouti.

Les Romands s’accommodent de l’anglais, surtout à l’oral, mais ne concèdent rien sur la priorité à donner à l’apprentissage des idiomes nationaux, même s’ils reconnaissent de graves lacunes pratiques. Et ils disent fermement que les cantons alémaniques qui ont décidé de rétrograder le français attaquent la cohésion nationale.

Dès lors, ils estiment à 92% que le combat de Défense du français vaut la peine d’être mené, et rares sont ceux qui pensent qu’il est perdu d’avance (18%). Dans la guerre des langues qui secoue la cohésion nationale, les Romands font le choix de la fermeté.


Cliquez pour agrandir


Débat le 26  septembre

L’association Défense du français fête ses 10 ans et organise la discussion sur les résultats du sondage.

C’est dans le cadre du Comptoir suisse que l’association Défense du français, présidée par le conseiller aux Etats Didier Berberat (PS/NE), fête ses 10 ans.

Elle présentera et commentera les résultats du sondage, le vendredi 26 septembre, à 16 h 30, au Comptoir suisse (Grand Restaurant, Halle 4).

Prendront part au débat: Monika Maire-Hefti, cheffe du Département de l’éducation et de la famille (Neuchâtel), Pascal Corminbœuf, ancien conseiller d’Etat (Fribourg), le professeur François Grin, président de la Délégation à la langue française, directeur du Programme européen sur le multilinguisme (Genève), et Laurent Flutsch, rédacteur à Vigousse, qui a animé en 2004 le lancement de Défense du français (Vaud).

Renseignements sur le site de l’association: www.defensedufrancais.ch


«Attention au délitement du projet politique suisse.»

Réaction. Spécialiste des questions linguistiques, François Grin vient de publier un texte résumant les enjeux politiques, économiques et pédagogiques du conflit déclenché outre-Sarine par quelques cantons voulant supprimer l’enseignement du français à l’école primaire.

Michel Guillaume

L’apprentissage de plusieurs langues est plébiscité par 91% des sondés, qui considèrent que c’est un enrichissement plutôt qu’une surcharge.

C’est un chiffre élevé, mais qui doit être pondéré par le fait que tous les participants au sondage l’ont fait sur une base volontaire. Ce sont ceux qui sont les plus conscients de la richesse du plurilinguisme, les autres – ceux qui n’ont pas répondu – se sentant probablement moins concernés. Cela dit, il faudra toujours le rappeler: sans plurilinguisme, pas de Suisse!

67% estiment que l’allemand n’est «pas vraiment bien», voire mal enseigné en Suisse romande.

On pourrait faire beaucoup plus pour souligner la pertinence de l’allemand, la première langue de l’UE avec près de 100 millions de locuteurs. Concrètement, il faut ouvrir assez rapidement des filières bilingues travaillant en immersion avec des enseignants bilingues ou germanophones: verticalement, je suggère de procéder par capillarité, en commençant plutôt par le haut, soit par le gymnase, pour redescendre ensuite vers les degrés inférieurs. Horizontalement, il importe d’étendre la démarche aux filières de l’apprentissage, où l’allemand prend ici tout son sens pratique. Mais, pour tous les élèves, la possibilité d’entrer par la suite dans une telle filière bilingue donne du sens aux cours d’allemand dès l’école primaire.

50% de gens jugent une initiation au dialecte suisse allemand nécessaire, voire indispensable.

Cette initiation est souhaitable, et cela dès un très jeune âge, car les petits enfants n’ont pas ce snobisme linguistique qu’affichent les ados et les adultes. Il faut insister sur la complémentarité entre le bon allemand et le dialecte, qui est un facteur d’identité individuelle et collective chez les Alémaniques.

66% des Romands ne trouvent pas vraiment normal que l’anglais devienne une langue de communication en Suisse.

Ce résultat illustre la lucidité des Romands, leur conscience que la langue ne consiste pas qu’en un transfert d’informations. Ils nous disent qu’ils tiennent à un monde divers et multipolaire. Ils refusent l’uniformité linguistique et ils ont raison, car cette uniformité risque d’engendrer une pensée unique qui bride la créativité et l’innovation.

En Suisse, l’anglais ne peut pas servir de ciment pour notre «nation de volonté» («Willensnation»), un projet original, lié à nos langues nationales, dont le sens réside dans le fait d’aller à la rencontre de citoyens d’autres langues et cultures, avec l’état d’esprit et les efforts que cette démarche requiert. L’anglais peut certes nous permettre d’échanger toutes les informations qu’on voudra, mais pas de nous connaître réciproquement.

72% de Romands disent non à la primauté de l’anglais par rapport à la deuxième langue nationale.

C’est rassurant. Repousser l’enseignement du français de l’enfance à l’adolescence, comme veulent le faire quelques cantons alémaniques, est certainement le prélude à en faire à terme une branche facultative, un statut qui le condamnera à une marginalisation outre-Sarine. De plus, il est impossible de comparer la situation d’aujourd’hui avec celle d’il y a trente ans, lorsque la plupart des Suisses apprenaient la deuxième langue nationale en secondaire. A l’époque, l’anglais ne jouissait pas d’une primauté par rapport à celle-ci, comme c’est le cas aujourd’hui en Suisse alémanique.

76% de gens sont d’avis que l’abandon du français en primaire porte atteinte à la cohésion nationale.

Ce serait effectivement faire courir de sérieux risques de délitement au projet politique que constitue la Suisse. Théoriquement, on pourrait accepter cette solution prétendument pragmatique, à condition que la langue introduite tardivement soit enseignée dans des conditions très favorables (avec des mesures de soutien), ce qui est totalement irréaliste dans le contexte actuel des mesures d’économie. Dire qu’on apprendra cette langue mieux qu’avant alors même qu’on retarde son enseignement, c’est faire preuve de beaucoup d’optimisme, ou de naïveté, ou encore de malhonnêteté. Et se donner bonne conscience à bon compte.


En savoir plus

«Le débat sur les langues en quinze questions: arguments, faits et chiffres», de François Grin, sur le site de l’Université de Genève: www.elf.unige.ch


François Grin
Professeur d’économie à la faculté de traduction et d’interprétariat de l’Université de Genève.


Fiche technique

L’enquête a été réalisée par questionnaires autoadministrés sur l’internet auprès d’une sélection de 6100 adresses de courriel situant leurs bénéficiaires en Suisse romande. L’étude a été conduite entre le 10 et le 16 juin 2014 sans rappel nécessaire compte tenu du taux de retours suffisant. Au total, 1103 Romands âgés de 15 ans et plus ont répondu à cette recherche. Cela représente un taux de participation de 18,1%.

La durée de l’interview s’élevait à une petite dizaine de minutes.

Les résultats ont été pondérés pour redonner à chaque catégorie d’âge son poids démographique réel, puis ventilés selon plusieurs critères sociodémographiques.

La marge d’erreur maximale pour un échantillon de 1103 répondants est de +/- 3,0%. Les personnes ayant participé à l’étude sont représentatives des principaux sous-groupes de la population et les résultats obtenus peuvent donc aisément être extrapolés à l’ensemble de la Suisse romande.

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Peter Piot: "Une mutation du virus Ebola qui laisserait les patients survivre quelques semaines de plus est imaginable: un malade risquerait alors d’infecter beaucoup plus de gens."

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Jeudi, 25 Septembre, 2014 - 05:56

Interview. Dans des circonstances aventureuses, le Belge Peter Piot découvrait il y a trente-huit ans le virus Ebola. Il redoute aujourd’hui que l’épidémie tropicale ne se propage à de larges portions de la planète.

Propos recueillis par Rafaela von Bredow et Veronika Hackenbroch

Jeune chercheur à Anvers, vous avez découvert le virus Ebola en 1976. Comme cela s’est-il passé?

Je m’en souviens parfaitement: un jour de septembre, un pilote de Sabena nous a apporté un thermos et une lettre d’un médecin de Kinshasa, capitale de ce qui était le Zaïre. Le thermos contenait les prélèvements de sang d’une nonne belge tombée malade d’une étrange maladie à Yambuku, une région perdue du nord du pays. Le médecin nous suggérait de dépister la fièvre jaune.

De nos jours, le virus Ebola n’est testé que dans des laboratoires de haute sécurité. Comment vous étiez-vous protégé?

Nous n’avions aucune idée de la dangerosité du virus et il n’y avait pas de labo de haute sécurité en Belgique. Quand nous avons ouvert le thermos, la glace avait déjà fondu et une des éprouvettes était cassée. Nous avons repêché l’autre éprouvette, intacte, dans ce brouet et testé le sang, en quête de l’agent pathogène.
Ce n’était donc pas la fièvre jaune…

Les tests de fièvre de Lassa et le typhus étaient aussi négatifs. Qu’est-ce que ça pouvait être? Nous espérions pouvoir isoler le virus lui-même et l’avons injecté à des souris. Dans un premier temps, il ne s’est rien passé. Puis un animal après l’autre sont morts et nous avons compris que ces tests étaient vraiment risqués.

Mais vous avez continué.

Nous avons ensuite obtenu d’autres échantillons de sang de la nonne, entre-temps décédée. Alors que nous étions prêts à identifier le virus au microscope électronique, l’OMS nous a ordonné d’envoyer tous nos échantillons à un labo de haute sécurité à Londres. Or, mon chef voulait à tout prix achever notre travail. Il a saisi une éprouvette contenant le matériel viral, mais sa main tremblait et il l’a laissée tomber sur le pied d’un collègue! Elle s’est cassée. Nous avons tout désinfecté et, par chance, il ne nous est rien arrivé.

Finalement, vous aviez bel et bien en main la photo du virus livrée par le microscope électronique.

Oui, un virus très grand, très long, en forme de ver, qui n’avait rien à voir avec la fièvre jaune. Il ressemblait au très létal virus de Marburg, qui cause lui aussi une fièvre hémorragique. Dans les années 60, ce virus avait tué plusieurs chercheurs du laboratoire de Marburg.

Vous avez eu peur?

A l’époque, je ne savais presque rien du virus de Marburg. Le Centre américain pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) a ensuite établi qu’il ne s’agissait pas de ce virus-là mais d’un virus inconnu. Dans l’intervalle, la nouvelle est arrivée de Yambuku que des centaines de personnes avaient déjà succombé.

Et vous avez été un des premiers chercheurs à partir pour le Zaïre.

Oui, quand le gouvernement belge, ancienne puissance coloniale du Congo, a décidé d’envoyer quelqu’un sur place, je me suis porté volontaire. J’avais 27 ans, je me sentais un peu comme Tintin, le héros de mon enfance. Et j’étais très excité à l’idée de faire quelque chose de tout à fait nouveau.

Mais vous étiez en souci?

Nous étions conscients qu’il s’agissait d’une des maladies les plus létales que le monde eût jamais vues. Et nous nous doutions qu’elle ne se propageait que par le biais des fluides corporels. Nous portions des vêtements de protection, des gants et je me suis même pourvu de lunettes de motocycliste. Dans la chaleur de la jungle, on ne pouvait pas porter de masques à gaz. Mais même ainsi, les patients victimes du virus Ebola que je traitais étaient sans doute aussi effrayés par mon apparence que moi par leurs souffrances. J’ai prélevé du sang sur une dizaine de ces patients. A un moment donné, j’ai souffert de fièvre élevée, de céphalées et de diarrhée…

Comme pour Ebola?

Tout juste. Je me suis dit: «Je suis foutu!» Puis j’ai tenté de garder mon sang-froid, je savais que de tels symptômes pouvaient avoir d’autres causes. Alors je me suis isolé dans ma chambre et j’ai attendu. Le lendemain, ça allait déjà un peu mieux: ce n’était qu’une infection intestinale. C’est le mieux qui puisse vous arriver dans la vie: vous regardez la mort dans les yeux mais vous y échappez. Ce jour-là, toute ma vision de l’existence a changé.

Vous avez ensuite découvert que c’était la nonne qui avait propagé le virus.

Dans le dispensaire où elle travaillait, les femmes enceintes se voyaient administrer des vitamines à l’aide de seringues non stérilisées. Beaucoup de jeunes femmes ont ainsi été infectées. Nous avons expliqué aux nonnes leur terrible faute. Les hôpitaux où les règles d’hygiène ne sont pas observées ont été les catalyseurs d’autres épidémies d’Ebola, ils en ont souvent été à l’origine. Dans l’épidémie actuelle en Afrique de l’Ouest, les hôpitaux ont aussi joué ce rôle funeste.

Il y a pourtant une bonne recette pour limiter les effets d’Ebola: isoler les malades et contrôler leur entourage. Comment en est-on arrivé à cette catastrophe?

Dans cette épidémie, il y a eu d’emblée beaucoup de facteurs défavorables. Une partie des pays touchés sortent de terribles guerres civiles, une partie de leurs médecins ont fui et leurs systèmes sanitaires se sont effondrés. Les régions frontalières entre Guinée, Liberia et Sierra Leone sont densément peuplées et leurs habitants très mobiles, ce qui complique encore le dépistage. La tradition veut que les morts soient ensevelis dans leur village d’origine, si bien que des dépouilles infectées ont été transportées par la route par-delà les frontières.

Pour la première fois, le virus atteint de grandes villes comme Monrovia et Freetown. Est-ce que ça pourrait être encore pire?

Dans une grande ville, en particulier dans ses bidonvilles, il est impossible d’identifier toutes les personnes en contact avec les malades. C’est pourquoi je me fais beaucoup de souci pour le Nigeria, avec ses mégapoles comme Lagos et Port Harcourt. Si le virus y trouvait asile, ce serait un désastre inimaginable.

L’épidémie est-elle définitivement hors de tout contrôle?

Je suis un optimiste. Je pense que nous n’avons pas d’autre choix que de tout tenter. Il est bon que les Etats-Unis et quelques autres pays réagissent enfin. Mais nous devons être conscients que ceci n’est plus une épidémie, c’est une catastrophe humanitaire. Il ne faut pas uniquement du personnel soignant, mais des logisticiens, des camions, des jeeps, des denrées alimentaires. L’épidémie peut déstabiliser toute la région. Nous devons imaginer de nouvelles stratégies: les soignants ne parviennent plus à traiter tous les malades, aussi les proches aidants doivent-ils apprendre tant bien que mal à se protéger de l’infection. Ce travail d’information sur place est pour l’heure le plus grand défi.

Doit-on craindre une pandémie?

A coup sûr, des malades d’Ebola viendront chez nous en quête de soins. Et peut-être infecteront-ils aussi quelques personnes ici. Mais une telle épidémie peut rapidement être circonscrite en Europe et en Amérique du Nord. Je me fais plus de souci pour les nombreux Indiens actifs dans le commerce en Afrique de l’Ouest. Il suffit que l’un d’eux, infecté sans le savoir, parte voir sa famille en Inde pendant le temps d’incubation et qu’il y finisse dans un hôpital public. Là-bas, les médecins et infirmières ne portent souvent pas de gants de protection.

L’agent pathogène modifie sans cesse son patrimoine génétique. Il est probable qu’une mutation se produise au fil des infections…

… ce qui faciliterait encore la propagation. Oui, c’est là le véritable scénario de fin du monde. Par exemple, une mutation qui laisserait les patients survivre quelques semaines de plus est parfaitement imaginable: un malade risquerait alors d’infecter beaucoup plus de gens.

Louis Pasteur disait: «Les microbes auront le dernier mot.»

On est évidemment encore loin d’avoir vaincu les bactéries et les virus. Le sida est toujours là. Les bactéries sont toujours plus résistantes aux antibiotiques. Et comme à Yambuku il y a trente-huit ans, on laisse les gens mourir dans leurs huttes. C’est très déprimant. Mais cela me motive à agir. J’aime la vie et c’est pourquoi je mets tout en œuvre aujourd’hui pour convaincre les puissants de ce monde d’envoyer enfin en Afrique des secours suffisants. Maintenant!

©Der Spiegel
Traduction et adaptation Gian Pozzy

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Un fantôme réveille la question des comptes dormants

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Jeudi, 25 Septembre, 2014 - 05:57

Enquête. Les héritiers du politicien indonésien Adam Malik attaquent UBS pour un compte en déshérence. La Suisse deviendra bientôt plus transparente en la matière.

Le fantôme d’Adam Malik a bien choisi son moment pour venir frapper à la porte d’UBS. Alors que les banques suisses s’apprêtent à appliquer de nouvelles règles en matière de fonds en déshérence, les héritiers de ce vice-ministre de l’Indonésie décédé en 1984 viennent de porter plainte contre la banque devant un tribunal de Californie, le 12 septembre dernier. Ils l’accusent d’avoir perdu – ou fait semblant de perdre – toute trace d’un magot de 5 millions de dollars et de lingots d’or que leur père aurait caché en Suisse dans les années 70 et 80, sous le régime autoritaire et corrompu du président Suharto. La plainte ne s’arrête pas à la fortune personnelle de cette figure historique de l’Indonésie, acquise dans des conditions troubles. Lancée sous la forme d’une action collective, la procédure demande un règlement global, ouvert à tous les détenteurs de compte en déshérence d’UBS, calqué sur l’accord qui avait débouché sur le versement de 1,25 milliard de dollars par les banques suisses aux victimes de l’Holocauste en 1998.

Selon les héritiers d’Adam Malik, la plainte vise à punir «la pratique de tromperie et de violation des lois internationales» de la banque, qui a consisté à «s’approprier les avoirs de clients en profitant du climat d’opacité qui régnait en Suisse, du manque de documentation remise aux clients, et du fait que ceux-ci étaient peu susceptibles de se plaindre du fait de leur désir de maintenir secrète l’existence de leurs comptes».

En toile de fond de ces griefs se dessine une question qui taraude la Suisse depuis plus de quinze ans: après avoir accepté de régler collectivement le cas des clients disparus lors de l’Holocauste, les banques suisses devront-elles un jour faire de même pour tous les autres détenteurs de comptes dont les avoirs ont aussi été perdus au fil des décennies et qui dorment toujours dans leurs coffres? Le séisme de l’affaire des fonds juifs avait poussé le Conseil fédéral à mandater une commission d’experts pour rédiger un projet de loi réglant une fois pour toutes la question des avoirs non réclamés. En 2004, ces experts avaient proposé de rétrocéder ces avoirs à la Confédération après un délai de trente ans. L’idée n’avait pas été retenue. Au lieu de cela, l’Association suisse des banquiers (ASB) avait été chargée de rédiger les directives qui régissent toujours le système aujourd’hui.

Après dix ans sans nouvelles, les coordonnées des clients disparus sont transmises à l’ombudsman des banques, qui les maintient dans un registre. Les éventuels ayants droit peuvent s’adresser à lui. S’ils disposent des informations nécessaires et que celles-ci concordent, les avoirs leur sont rendus. Sinon, les fortunes perdues continuent de dormir dans les comptes de la banque.

Gros remous

Il n’existe aucune estimation fiable du montant des fonds en déshérence dans les banques suisses. L’ombudsman reçoit un peu moins de 500 demandes chaque année. En 2013, 330 concordances ont été retrouvées et 47 millions de francs rendus, ainsi que le contenu de 36 coffres. La fin du secret bancaire, qui a contraint les banques à clarifier le statut de leur clientèle, a fait émerger bien des cadavres. En 2009 par exemple, UBS avait reconnu qu’elle avait perdu le contact avec les détenteurs de 7236 comptes sur les 52 000 qu’elle gérait pour des Américains. Ces comptes abritaient 151 millions de dollars. Face à l’émergence de ce problème, le Conseil fédéral a décidé d’inclure une modification aux directives de 2004 dans la révision de l’ordonnance sur les ban-ques, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain.

«Cette révision introduit des nouveautés importantes, explique David Laufer, fondateur de la société LMD Search, spécialisée dans la recherche de titulaires et d’héritiers de comptes en déshérence. D’abord, les banques auront désormais un devoir de diligence inscrit dans la loi, et non plus seulement dans les directives de l’ASB. Ensuite, l’obligation de conserver le contact échoit désormais à la banque, et non plus au client.» La nouveauté la plus symbolique de cette révision prévoit la publication des noms des ayants droit de comptes dormants après un délai de cinquante ans. Après soixante ans, les avoirs seront reversés à la caisse générale de la Confédération. «La publication des noms représentera un changement de paradigme complet pour les banques, observe David Laufer. Cela ne va pas sans créer de gros remous.» Les héritiers d’Adam Malik, dont les noms ne sont pas révélés dans la plainte, disent avoir tout tenté pour récupérer leurs avoirs selon les règles actuelles. L’ombudsman des banques leur a indiqué n’avoir rien retrouvé, tout comme la banque. Les plaignants soupçonnent que les comptes ont pu être masqués de façon à éviter qu’ils ne soient retrouvés. Un porte-parole d’UBS n’a pas souhaité commenter ces accusations.

La révélation des affaires financières d’Adam Malik pourrait avoir des «répercussions politiques considérables en Indonésie», affirment les héritiers, en réveillant le passé de corruption généralisée du régime Suharto. Ils estiment que cette situation rendrait impossible un procès impartial, tant en Suisse que dans leur pays.

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Le virus de l’indépendantisme

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Jeudi, 25 Septembre, 2014 - 05:58

Analyse. Selon Guy Sorman, c’est parce que nous sommes passés de l’Etat de droit à l’Etat providentiel que certains peuples se laissent tenter par l’indépendance.

Le résultat du référendum écossais ne met pas un terme au débat, ce qui importe étant le fait qu’une question aussi absurde ait pu être posée aux Ecossais, lesquels ne sont que les premières victimes d’une épidémie qui gagne l’Europe, de la Catalogne à l’Italie du Nord, en passant par la Corse, la Belgique et les pays basques. Victimes? Oui, car la tentation indépendantiste est un virus Ebola de nature politique qui détruit brusquement plusieurs siècles de sagesse accumulée. Celle-ci consista, aux environs du XVIIe siècle – en particulier avec le traité de Westphalie –, à comprendre qu’un Etat était un contrat passé entre les citoyens et leurs dirigeants pour assurer leur sérénité. Ce contrat naquit des guerres civiles qui ravageaient l’Europe et de la réflexion philosophique (John Locke et Thomas Hobbes, notamment): dorénavant, l’Etat moderne, aussi imparfait fût-il, en contrepartie de l’impôt et du service militaire, mettait un terme aux guerres de religion et aux exterminations ethniques. L’Etat moderne en Occident n’est pas fondé sur l’ethnicité, la langue ou la religion, mais sur la loi.

Malheureusement, ce que l’on appelle l’Etat de droit, l’alliance de la démocratie, de la paix civile et de la solidarité sociale, s’est banalisé. De même que l’on ne se rappelle le goût de la liberté qu’après sa suppression, l’Etat de droit ne fait sens que s’il disparaît. C’est ainsi que les Ecossais ont totalement oublié pourquoi ils étaient membres d’un Royaume-Uni.

Cette inculture politique a particulièrement progressé en Europe depuis une génération. La paix y étant considérée comme définitivement acquise, du moins pour les membres privilégiés de l’Union européenne et de l’OTAN, les gestionnaires des Etats nationaux ont cru nécessaire de se doter d’une vocation nouvelle, celle de la providence: l’Etat de droit est devenu un Etat providentiel. Cet Etat providentiel ne garantit plus seulement le droit, il distribue des avantages. Si le droit, par définition, est le même pour tous, les avantages, par définition, sont inégaux: chacun en veut toujours plus et estime ne pas en recevoir suffisamment. De cette jalousie sont nés les mouvements indépendantistes en Europe.

Ce n’est pas du tout parce que les Ecossais sont de race ou de culture écossaise – impossible à distinguer de la civilisation britannique – qu’est né le mouvement indépendantiste écossais. C’est parce que les «résidents» écossais ont estimé qu’ils obtiendraient plus d’avantages matériels grâce à l’indépendance. Les démagogues indépendantistes ne s’y sont pas trompés: leur campagne fut entièrement fondée sur des promesses matérielles. C’est ainsi que le virus avance masqué et qu’il s’étend en Occident, jusqu’en Ukraine, sous couvert de la différence culturelle, alors qu’il ne s’agit que de la redistribution matérielle de ressources évidemment utopiques.

Comment éradiquer cet Ebola indépendantiste? Sans doute en mettant un terme pratique à la confusion, générale en Europe, entre l’Etat et l’Etat providence. Et en restaurant la connaissance et la pratique de la philosophie politique. Quelle extraordinaire parabole, en effet, de constater que les Lumières ont failli s’éteindre là où elles furent allumées, en Ecosse, au XVIIIe siècle, à Glasgow et Edimbourg, quand Adam Smith y publia La richesse des nations et David Hume son Traité de la nature humaine. Parfois, l’histoire bégaie et la connaissance régresse.


Guy Sorman

Chroniqueur de la mondialisation et spécialiste de la Chine, Guy Sorman a enseigné l’économie à Sciences-po Paris et dans de nombreuses autres universités. Il est notamment l’auteur du Bonheur français, Le progrès et ses ennemis ou encore Le génie de l’Inde.

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Emilio Morenatti / Keystone
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Deuxième pilier: vais-je toucher l’entier de ma retraite?

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Jeudi, 25 Septembre, 2014 - 06:00

Décodage. Les réformes engagées par Alain Berset mettent en lumière les multiples manquements du système. Pourtant, les experts jurent qu’il est parfaitement solide. Où sont les défauts?

Dans un salon feutré d’un bel hôtel lausannois, l’attention de la vingtaine de participants est rivée sur les propos de l’élégante économiste zurichoise qui leur fait face sur l’estrade. Costumes sombres, mines concentrées. Le thème tourne autour de l’état de l’économie mondiale et du devenir des marchés financiers ces prochains mois. «La reprise est là, mais elle va être lente. Les actions américaines et suisses sont chères, mais les européennes peuvent encore progresser», prévient l’oratrice.

Bienvenue dans l’une de ces multiples présentations – en l’occurrence celle de DWI, une fondation d’investissement zurichoise – sur l’état des marchés financiers, que suivent avec grand intérêt les gérants des caisses de pension. De la réussite d’une politique de placements dépend la réussite, ou l’échec, d’un fonds de prévoyance professionnelle à remplir ses promesses vis-à-vis de ses cotisants.

Si la fortune que ces derniers constituent au fil de leurs cotisations salariales a été bien investie et offre un bon rendement, les rentes pourront non seulement être assurées, mais peut-être même améliorées. En revanche, une mauvaise année peut signifier, à terme, des promesses rabaissées pour les futurs assurés.

C’est ce monde au fonctionnement bien huilé que vient bousculer la réforme du système de retraite lancée par Alain Berset (lire encadré en p. 11). Chargé des assurances sociales, le conseiller fédéral a non seulement la responsabilité du bon fonctionnement de la machine, mais aussi de la pérennité de son financement, garant de rentes sûres.

Fondée sur les trois piliers que sont l’AVS (système par répartition), la prévoyance professionnelle (ou 2e pilier, système par capitalisation) et le 3e pilier (épargne défiscalisée jusqu’à un certain plafond), le régime des retraites suisse est célébré par la Banque mondiale comme l’un des meilleurs du monde. «Le système est très bien construit. Il est équilibré, même s’il doit certainement évoluer pour répondre aux nouveaux modes de travail», affirme Aldo Ferrari, du comité directeur du syndicat Unia et président de l’Association des représentants du personnel dans les institutions de prévoyance (ARPIP).

Tout bien construit qu’il soit, ce système doit relever plusieurs défis, à commencer par l’allongement régulier de l’espérance de vie et par les transformations du monde du travail. Le premier élève les coûts, les secondes obligent à intégrer les salariés à temps partiel ou ayant de multiples employeurs, qui passent encore entre les mailles du filet.

Et, comme cette machinerie est d’une redoutable complexité, le simple fait de toucher à un seul de ses composants a des répercussions sur l’ensemble du système. Et risque d’affecter des myriades d’intérêts. Ceux des assurés bien sûr, qui se demandent si les rentes promises vont leur être versées. Et ceux des gérants de caisses de pension, assureurs, banquiers, gérants de fonds, actuaires et conseillers patrimoniaux, ces milliers de professionnels qui gagnent leur vie en faisant fonctionner le tout.

Le moment est crucial. Le projet précis du Conseil fédéral est attendu avant la fin de cette année, après la clôture de la procédure de consultation en mars dernier, sur la base d’un rapport présenté en novembre 2013. En attendant, les groupes d’intérêt affûtent leurs arguments tandis que les assurés s’interrogent. Revue en quatre grandes questions.

Les rentes vont-elles diminuer?

En principe, non. La réforme vise à maintenir le niveau des rentes (le total du 1er et du 2e pilier) au niveau actuel. C’est-à-dire «environ 60%» du dernier salaire brut, comme l’explique le Conseil fédéral dans le rapport qui a lancé la réforme en 2011.

Cette règle ne s’appliquera toutefois qu’aux personnes qui entendent partir à la retraite à l’âge de référence, en principe à 65 ans. Les départs anticipés seront possibles dès 62 ans au prix d’une réduction des rentes en raison d’un total de cotisation moindre. En revanche, les départs plus tardifs seront récompensés par une élévation des retraites.

Attention: cette garantie de maintien du revenu ne s’applique qu’à une tranche bien précise de la prévoyance professionnelle, la part obligatoire, dont les minima sont fixés par la loi. Reste l’autre partie, dite «surobligatoire», ou «libre», où la marge de manœuvre des caisses de retraite est beaucoup plus importante. Or, rien ne dit que cette partie-là pourra maintenir ses prestations au niveau actuel. Les pressions à la baisse sont même extrêmement fortes.

La première est économique. Les bases de calcul de la rémunération minimale des avoirs de retraite remontent à une époque où les taux d’intérêt étaient plus élevés qu’actuellement. Désormais proches de zéro, les rendements des placements sans risques contraignent les responsables des institutions  de prévoyance à prendre des paris toujours plus osés pour payer les rémunérations du capital retraite exigées par la loi. Aussi ces responsables cherchent-ils à ajuster vers le bas les différentes variables de cette machinerie redoutablement complexe.

La principale manette, le taux technique, sert à calculer la progression dans le temps du capital de couverture des retraites (pour la partie obligatoire, s’entend), et donc des rentes qui seront versées dès l’âge de la retraite. Il est actuellement fixé à 1,75% au minimum, bien en dessous des 4% qui s’appliquaient à l’instauration de la prévoyance professionnelle en 1985. Or, chaque année, la fixation de ce taux par le Conseil fédéral est l’occasion de vifs débats entre experts, entre ceux qui préconisent sa diminution pour refléter la difficulté des temps et ceux qui préconisent une plus grande générosité, quitte à prendre davantage de risques.

Les caisses de pension ont la possibilité de rémunérer davantage les avoirs de leurs cotisants, à condition de disposer des moyens nécessaires. C’est le cas de la plupart d’entre elles. La majorité des 3,4 millions d’assurés d’institutions de droit privé (excluant les salariés du secteur public) bénéficiaient de taux techniques supérieurs à 3% en 2012, selon les derniers chiffres de la statistique des caisses de pension de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Ils étaient même 197 834 à bénéficier d’un taux d’au moins 4%.

La raison en est de bonnes performances des placements dans presque toutes les classes d’actifs depuis 2012. L’indice LPP 25, qui sert de référence car il reproduit le portefeuille type d’une caisse de prévoyance, affiche une progression de 4,43% en 2013 et encore de 6,6% de janvier à août de cette année. Toutefois, il reste très délicat de calculer la progression d’avoirs de prévoyance sur trente ou quarante ans.

Certains experts mettent naturellement en avant le fait que la valeur des actions suisses a quintuplé depuis 1990 et que celle des obligations et des placements immobiliers a doublé. Néanmoins, ces performances ne suffisent pas encore à assurer un équilibre stable et sûr.

Quantité d’autres paramètres influent sur les calculs des caisses, comme la pyramide des âges de leurs membres, le nombre de ces derniers qui choisissent de partir avec leur capital plutôt que les rentes, etc. Que la caisse soit confrontée à un afflux d’arrivées ou à une vague de départs à un moment où les performances de ses placements sont à un point d’inflexion (au plus bas ou au plus haut), et tous ses calculs de rentes sont à revoir. Idem en cas de fusions de caisses.

Le défi le plus important est démographique. L’espérance de vie s’allonge en moyenne d’une année tous les quatre ans, soit «un quart d’heure par heure de vie», comme l’image Albert Gallegos, responsable du conseil patrimonial et de la prévoyance à la Banque cantonale de Genève et auteur, avec le journaliste Pierre Novello, du Guide de votre prévoyance*. Or, les caisses de retraite sont placées devant le défi de financer le surcroît de rentes à verser à des membres vivant toujours plus longtemps.

Les réponses diffèrent donc parfois fortement d’une caisse à l’autre. Non seulement à la lumière de ces contraintes objectives, mais aussi en raison de «la différence des sensibilités aux risques entre responsables d’institutions de prévoyance. Les écarts sont même sensibles entre la Suisse alémanique, qui anticipe beaucoup les risques, et la Suisse romande, où les caisses sont d’ordinaire plus généreuses, mais aussi plus réactives aux changements des conditions de marché», expose Jacques-André Monnier, patron de la société de gestion d’avoirs de prévoyance Synopsis, à Lausanne. Pourtant, dans l’ensemble, les caisses de pension tendent à abaisser les prestations des futurs assurés, une décision qui est de leur compétence, pour maintenir celles des rentiers, lesquelles sont garanties par la loi, relève Swisscanto dans son dernier rapport sur les caisses de pension, publié mi-septembre. A tel point que l’écart entre le rendement versé aux cotisants et celui qui est servi aux retraités s’élève à 3,4 milliards de francs en 2013, selon Swisscanto. Soit 7,2% des 46,76 milliards de francs de cotisations versées l’an dernier.

Aussi, quelles que soient les solutions envisagées pour sauvegarder le 2e pilier, les assurés se verront davantage sollicités.

Les cotisations doivent-elles vraiment augmenter?

C’est pour ainsi dire incontournable. Comment, sinon, payer l’allongement de la vie? Une autre solution aurait été de diminuer les rentes. Or, le peuple n’en a pas voulu en mars 2010, en acceptant massivement le référendum lancé par les syndicats contre l’abaissement du taux de conversion. Ce taux sert à déterminer la rente qui sera versée aux retraités jusqu’à la fin de leurs jours sur la base du capital qu’ils ont accumulé durant leur vie active.

Le peuple avait rejeté une solution qui lui faisait porter l’essentiel des conséquences financières du défi démographique. Or, le Conseil fédéral remet cette proposition sur le tapis, ce qui fait grincer les dents des anciens opposants. «Attention à ne pas transformer la baisse du taux de conversion en arme idéologique, en arguant que seule sa diminution permettrait d’éviter l’explosion du système!» avertit Aldo Ferrari.

Mais, cette fois-ci, le gouvernement a prévu une compensation: la diminution, voire la suppression, de la déduction de coordination. Celle-ci calibre les contributions des salariés et de leurs employeurs aux caisses de retraite pour les adapter à l’objectif final, faire en sorte que les prestations minimales permettent à chacun de recevoir des rentes totales en accord avec les exigences légales minimales (60% environ du dernier salaire). Une baisse de la déduction de coordination a pour effet d’augmenter la part de la rémunération à partir de laquelle sont calculées les primes.
Les affiliés aux caisses de prévoyance vont donc payer davantage. Leurs avoirs de prévoyance vont s’accroître plus vite et seront mieux dotés à l’heure du départ à la retraite. Mais les futurs retraités ne toucheront pas des prestations plus élevées pour autant, à cause de la baisse du taux de conversion prévue par la réforme Berset (voir encadré en p. 11). S’ils sont insatisfaits, ils peuvent toujours choisir de partir à la retraite avec leur capital. Encore faudra-t-il que cela soit toujours autorisé, ce qui n’est plus du tout certain.

Pourra-t-on encore prélever son capital avant la retraite?

Depuis qu’Alain Berset a mentionné en juin dernier, lors d’une conférence de presse et sans vraiment approfondir, l’idée d’interdire tout retrait du capital, les esprits fulminent. «Cette proposition pose un vrai problème, car elle veut empêcher les gens de décider librement de l’usage qu’ils veulent faire de leur argent», soulève Albert Gallegos.

A ce stade, la question n’est absolument pas tranchée. Il n’est même pas certain qu’elle soit retenue dans le projet que le Conseil fédéral soumettra aux Chambres, en principe cet automne. Si l’idée est retenue en l’état, elle a toutes les chances de se faire balayer lors des débats parlementaires. Mais, même en estimant ses chances minimes, elle soulève des questions de fond sur le financement de la retraite.

«La possibilité de retirer son capital de prévoyance a toujours été une question sensible, due à la tension entre la libre disposition d’un avoir bénéficiant d’avantages fiscaux et le versement d’une rente viagère de retraite. Elle s’est posée dès les origines de la prévoyance professionnelle, au début du XXe siècle, alors même que ce système était loin d’être obligatoire pour les salariés suisses», explique Jacques-André Schneider, avocat spécialisé dans les assurances sociales à Genève et professeur à l’Université de Lausanne. La pratique reste pour l’heure très libérale. L’assuré peut retirer tout ou partie de son avoir en fonction des rentes qu’il espère, des impôts qu’il devra payer, voire de ses attentes en matière d’espérance de vie! Certaines caisses poussent même au retrait afin de ne plus avoir à assumer le risque de devoir payer des rentes pour des retraités devenant vraiment très âgés…

Mais Alain Berset a un autre souci. Certains retraités ayant retiré leur capital avant l’âge de la retraite se retrouvent démunis après avoir consommé leur avoir. Ils ne peuvent compter que sur leur AVS. Et, lorsqu’elle est insuffisante, ils doivent faire appel aux prestations complémentaires, qui sont à la charge de l’Etat (et donc du contribuable).

Cela dit, de combien de personnes s’agit-il? Les statistiques sont assez claires concernant les quelque 8000 à 12 000 individus qui lancent une activité indépendante avec leur 2e pilier: une sur dix environ échoue à faire prospérer son affaire et n’a plus d’avoir au moment d’arriver à la retraite. En revanche, des quelque 35 000 personnes qui, chaque année, financent leur logement à l’aide de leur avoir de libre passage, la situation est moins nette. Le rapport du Conseil fédéral de 2011 indique simplement que 19,5% des personnes retraitées «se sont retrouvées fortement restreintes» et qu’«une partie au moins de ces personnes seront tributaires des prestations complémentaires».

Le système coûte-t-il trop cher aux assurés?

Assurance sociale, la prévoyance professionnelle est aussi une industrie gérant une fortune totale de 787,9 milliards de francs fin 2012, soit 1,4 fois le PIB de la Suisse. Elle génère donc un chiffre d’affaires se calculant en milliards de francs et occupe des milliers de personnes. Mais il est difficile d’y voir clair, car les données, lorsqu’elles sont disponibles, peuvent se contredire selon les sources, même quand elles sont officielles!

Commençons par le nombre d’employés. Les caisses de pension salarient 2218 personnes (dont deux tiers à plein temps) pour leurs tâches administratives, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Mais combien de personnes s’occupent des autres tâches, comme la gestion des avoirs ou les calculs actuariels, et sont employées par les banques, les assurances et la myriade d’entreprises indépendantes de conseil et de gestion? L’Hebdo a questionné nombre d’institutions, d’administrations et d’associations professionnelles. Nul ne le sait.

Le même flou règne au niveau du volume d’affaires généré par la gestion du système de retraite. Dans son dernier rapport explicatif (novembre 2013), le Département fédéral de l’intérieur chiffre, pour 2009, à 1,8 milliard de francs les coûts d’exécution du 2e pilier, à quoi s’ajoutent encore 3,9 milliards de francs de frais de gestion de fortune. Soit un total de 5,6 milliards de francs. C’est davantage que les dépenses militaires. Et c’est aussi le double des résultats calculés par l’OFS, qui totalise pour l’exercice 2012 des frais totaux de 2,8 milliards.

Ces frais sont engendrés par les coûts des multiples intervenants. Les institutions de prévoyance ont des employés qu’il faut salarier. Les banques et autres gérants de fortune facturent des commissions pour leur travail, pour rémunérer leurs propres spécialistes – assez confortablement parfois – et pour assurer leurs marges. Ces frais ne sont pas plafonnés. Mais l’impitoyable concurrence que ces professionnels de la finance se livrent maintient les tarifs sous un certain contrôle. De combien? Les chiffres divergent. Ils s’élèveraient à 0,56% de la valeur des fonds gérés, selon le rapport du Conseil fédéral, ce qui est plutôt élevé. L’OFS livre un tarif nettement plus bas, 0,14%.

Contrairement à celle des banques et des gérants de fortune, la rémunération des assureurs des avoirs de prévoyance est strictement réglementée. Sous le nom de «quote-part légale», ou «legal quote», elle permet à ces derniers de garder pour eux 10% de la marge résultant de la différence entre les primes encaissées et les prestations garanties en faveur des assurés.

Or, le projet d’Alain Berset prévoit l’abaissement de cette quote-part à 8%, voire 6%, afin d’alléger ce coût à la charge des assurés. Bien entendu, l’Association suisse d’assurance plaide pour le maintien du taux actuel. «C’est la seule manière de mettre à disposition le capital-risque nécessaire pour les sûretés de garantie de l’assurance complète», argumente-t-elle dans un communiqué publié en mars dernier. Autrement dit: si cette part diminue, les assurances ne trouveront plus leur intérêt et risquent de se retirer peu à peu du 2e pilier.

Comme dans n’importe quel marché, tous les moyens légaux sont bons pour gagner de nouveaux clients. Y compris jouer sur la peur du lendemain. C’est ce que semblent pratiquer un certain nombre d’acteurs, comme des banques et des compagnies d’assurance. Fin août, Credit Suisse organise une présentation de presse d’un sondage consacré aux priorités des caisses de pension. Après avoir détaillé leurs inquiétudes, notamment celle de ne plus pouvoir dégager des rendements suffisants, la banque prévient que, selon des projections de l’Office fédéral de la statistique, les revenus des cotisations seront insuffisants pour couvrir les prestations de retraite dès 2035.

Or, ce que la banque n’a pas précisé d’emblée, c’est que ces projections n’incluent pas les rendements des placements. Pourquoi? «On ne sait pas où se situeront les marchés à ce moment-là», répond une spécialiste. Cela est certain. Mais, paradoxalement, la banque enchaîne, au cours de la même conférence, sur une présentation des stratégies visant à dégager des rendements de long terme. Interrogée sur cette contradiction, la spécialiste affirme ne pas y voir de problème.

De toute évidence, certains prestataires de services tentent d’effrayer les futurs rentiers pour les amener à diminuer leurs attentes de rentes, laissant une plus grosse part de leurs avoirs à la discrétion des gérants ou des assureurs. Cette stratégie de court terme recèle cependant un gros risque, celui de bloquer la machine. «Il ne faut pas ébranler la confiance du public dans ce système», insiste Aldo Ferrari. Or, celle-ci est essentielle pour justifier l’adhésion du public. Mais cette base demeure fragile. La machinerie est si complexe que tenter de la comprendre est en soi un défi. Si, en plus, les divers intervenants (cotisants, rentiers, gérants, actuaires, assureurs, banquiers, surveillants, etc.) en brouillent l’image en ne cherchant qu’à défendre leurs intérêts propres, le public ne saura plus à quel saint se vouer.

* «Guide de votre prévoyance. Comment financer ses projets de vie et se préparer une belle retraite».
Ed. Pierre Novello, Le Temps, 2013.


Et le 3e pilier? Et les assurances vie?

La constitution d’une épargne retraite défiscalisée en plus de l’AVS et de la prévoyance professionnelle est ouverte à tous. A la condition de pouvoir se l’offrir et d’accepter des rendements de placement moindres.

C’est l’option offerte aux indépendants et le sucre pour tous les cotisants au 2e pilier qui ont les moyens de s’offrir un complément de retraite. Le 3e pilier est une épargne défiscalisée, dont les apports peuvent être déduits des impôts sur le revenu jus-qu’à une certaine limite (6739 francs pour toute personne soumise à la LPP, 20% du revenu annuel avec un plafond à 33 696 francs pour les autres). L’épargne ainsi placée est libérée dès que le détenteur atteint l’âge de la retraite. Elle est même taxée à un taux réduit.

Cependant, son rendement est inférieur, parfois de manière considérable, à celui du 2e pilier. Un compte de 3e pilier est rémunéré en moyenne aux alentours de 1,1%, les taux variant d’une banque ou assurance à l’autre. Le plus élevé est servi par la Banque de la Suisse italienne (1,75%), le plus bas par la Banque alternative (0,75%). Au contraire du 2e pilier, le 3e ne couvre pas spécifiquement les cas d’invalidité ou de décès, à moins que ces derniers ne soient spécifiquement inclus dans une prestation d’assurance, notamment d’assurance vie.

Ces dernières n’offrent pas de rendements notoirement plus élevés. Le taux technique maximal est limité par la Finma à 1,25% par an. Les assurances en déduisent leurs frais et ajoutent une participation aux excédents des rendements des placements de la fortune.

Restent les prestations de 3e pilier libre, ou 3e pilier B, dont les systèmes et régimes fiscaux dépendent d’une institution et d’un canton à l’autre. Des formules tout à fait intéressantes peuvent être dénichées, mais elles dépendent très fortement de la situation individuelle de chacun et de l’institution qui les offre. Il convient de les étudier avec grand soin.

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Lorenzo et Stefano Stoll, deux frères en marche

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Jeudi, 25 Septembre, 2014 - 06:00

Rencontre. L’un est directeur de Swiss pour la Suisse romande, l’autre du festival Images à Vevey. Pour travailler dans des domaines différents, les frères Stoll se nourrissent en permanence de leurs propres expériences, jetant des ponts entre l’économie et la culture.

Le premier a une silhouette carrée, une voix forte, fume le cigare et se lève tôt. Le second est longiligne, barbu, parle en pesant ses mots, ne fume pas du tout et se lève moins tôt. Pour dire les choses autrement, le premier s’occupe de finance, le second de culture. Après, tout se complique.

Mais dans le bon sens. Les deux frères Lorenzo et Stefano Stoll ont développé ces dernières années une étonnante collaboration qui dépasse le lien familial, très étroit, pour gagner le champ professionnel, alors même que leurs domaines respectifs sont si différents. Comme le note Stefano: «Nous nous construisons désormais l’un avec l’autre. Ce qui nous opposait autrefois nous unit aujourd’hui.»

Lorenzo Stoll, 43 ans, est depuis octobre dernier le directeur de la compagnie Swiss en Suisse romande. Formé à l’Ecole hôtelière de Lausanne, il s’est occupé des ventes et du marketing de Montreux-Vevey Tourisme avant de rejoindre Nestlé. De Findus à Cailler, de Henniez à Nestlé Waters Suisse, il a grimpé nombre d’échelons dans la multi-nationale avant d’être appelé à Genève par la compagnie aérienne. Dans le but exprès de renforcer l’assise de Swiss en terres romandes, d’engager du personnel, d’ouvrir de nouvelles lignes et de tenter de damer le pion au remuant easyJet.

Stefano Stoll, 40 ans, est depuis 2004 le délégué à la culture de la ville de Vevey. Il porte à bout de bras – qu’il a très longs – le festival de photographie Images, dont l’édition 2014 bat son plein jusqu’au 5 octobre, suscitant l’admiration dans toute l’Europe et aux Etats-Unis. Il serait un candidat idéal à la succession de Sam Stourdzé à la tête du musée vaudois de l’Elysée.

Ses études, à l’Université de Lausanne, suggèrent que la ligne de partage professionnel, au sein de la fratrie, n’est pas si appuyée que cela. Après une année de médecine qui a tourné court en raison d’une incompatibilité avec les sciences physiques, Stefano Stoll est entré en lettres, rayon histoire de l’art. Non sans avoir auparavant demandé conseil au directeur, à l’époque, du Musée Jenisch de Vevey, filiforme comme lui: Bernard Blatter. Grand connaisseur de l’art, esthète mais autodidacte (il était à l’origine décorateur), Bernard Blatter n’avait pas découragé le jeune homme. Mais il lui avait conseillé de suivre en même temps des études d’économie.

«J’avais trouvé cela étrange, se souvient Stefano Stoll. J’étais même choqué! Entrer à HEC, c’était bien la dernière chose que je voulais faire. Mais si Bernard Blatter, pour lequel j’avais une admiration sans borne, me le conseillait, c’est que la suggestion était fondée. Alors j’ai demandé l’autorisation de suivre à la fois HEC et lettres. J’ai souffert chaque jour à HEC, car je détestais les chiffres. Mais il fallait que je les empoigne. Bernard Blatter m’avait dit que la culture, c’est aussi savoir parler d’argent aux politiciens, aux banquiers, aux artistes. Il fallait que je possède ces deux outils, l’art et l’économie. Je voulais aussi prouver quelque chose à Lorenzo.»

En ces années-là, les deux frères n’étaient pas très complices. Stefano Stoll était davantage proche de son petit frère Luca, né en 1978, et de sa petite sœur Alessandra, née en 1980. «Lorenzo était le grand frère dans tous les sens du terme, note le responsable de la culture veveysanne. Il ouvrait le chemin, mais il prenait beaucoup de place, sûr de lui et conquérant. A table, en famille, c’est lui qui racontait des histoires, s’imposait facilement. Moi, j’étais timide, plus silencieux. J’ai sans doute voulu lui répondre, à ma manière, en glissant vers son domaine dur et concurrentiel: la finance et l’économie. C’est peut-être freudien, comme le fait d’avoir loupé mes examens de médecine. Il faudrait que je demande à ma mère.»

«Proto-suisses»

Giovanna Stoll est une psychiatre reconnue, notamment auteur de recherches sur la perversion narcissique dans les familles. A vrai dire, tout portait Stefano Stoll vers la médecine. Son père était gynécologue, ses grands-parents étaient aussi médecins. Son illustre arrière-grand-père, Arthur Stoll, a créé à Bâle la division pharmaceutique de l’entreprise Sandoz, aujourd’hui Novartis. Tout en étant le codécouvreur, avec Albert Hofmann, du LSD. Arthur Stoll était aussi un grand collectionneur d’art, en particulier d’œuvres de Hodler et d’Anker, ainsi que membre de la Commission fédérale des beaux-arts. Sa collection a été vendue au siècle dernier. Stefano Stoll mesure l’ironie du destin lorsqu’il aperçoit, dans les photos et interviews de Christoph Blocher réalisées chez le tribun de l’UDC, des toiles d’Albert Anker qui appartenaient autrefois à sa famille.

Nés à Zurich, mis à l’école dans le canton alémanique, ensuite établis avec leur famille à La Tour-de-Peilz, Lorenzo et Stefano Stoll sont des «proto-Suisses», comme dit le plus jeune. «Mon cerveau est alémanique, mon cœur tessinois et mon corps romand», sourit Stefano Stoll. Leur mère étant d’origine tessinoise, coutumiers des vacances dans la vallée de la Maggia, tous deux parlent couramment les trois langues confédérales. Ainsi que l’anglais, sabir universel qu’ils utilisent facilement dans leurs innombrables mails et coups de téléphone réciproques, «pour aller plus vite».

«C’est mon caractère: je me décide rapidement, relève Lorenzo Stoll. Le monde des affaires est binaire. C’est oui ou non. Ce projet est profitable ou ne l’est pas. Alors que la culture repose plus sur l’intuition, la perception fine, la réflexion longue. La relation à l’autre y est plus difficile à modéliser. Même si l’intuition m’est très utile dans ma vie professionnelle.»

Stefano Stoll prend une image: «Un de mes premiers boulots a été d’assister Nicole Minder au Cabinet vaudois des estampes. J’ai pu voir de près des gravures de Rembrandt. Elles ne sont ni noires ni blanches, mais réalisées avec une infinité de nuances dans les gris. Voilà ce qui me sépare de mon frère. Tant mieux, car il m’a beaucoup appris.»

«En fait, j’ai donné à Stefano des armes pour aller à la guerre, remarque Lorenzo Stoll. Le monde de l’économie est rugueux, porté sur la confrontation et très rapide. Or, la négociation, c’est un ensemble de techniques. Comme le sont la prise de contact ou la finalisation d’un projet. C’est là que je peux être utile à mon frère.»

Rationalité et créativité

Celui-ce renvoie la balle: «Longtemps, Lorenzo n’a pas été très sensible au monde de l’art et de la création. Il n’en avait pas besoin lorsqu’il travaillait chez Nestlé. Mais la donne a changé chez Swiss. Il doit faire preuve de créativité pour améliorer l’image de la compagnie en Suisse romande. Il sollicite mon avis lorsqu’il s’agit d’inventer un slogan, de concevoir le merchandising, d’améliorer l’accueil à bord des avions ou d’examiner une demande de sponsoring.»

«La culture, c’est l’imagination, mais aussi un moyen de toucher un grand nombre de personnes par des actions de mécénat, confirme Lorenzo Stoll. Lorsqu’un soutien à une manifestation populaire est réussi, cela renforce la part de créativité de ma propre entreprise. Mais il faut que cela fasse sens. Et qu’il y ait un retour sur investissement, surtout en termes d’image. Stefano m’a demandé si Swiss serait intéressé de soutenir le festival Images 2014 à Vevey. Nous avons eu des idées folles, comme de coller des photographies sur des avions. Mais c’était trop cher, trop compliqué, pas assez pertinent.»

«J’ai en revanche décidé d’appuyer un projet d’exposition filmée par des drones, poursuit Lorenzo Stoll. Les photos sont disposées sur les toits de Vevey; les visiteurs peuvent les découvrir grâce aux caméras des drones, par l’entremise de masques vidéo. Il y a ici les idées du point de vue vertical, du déplacement aérien et de l’enjeu du drone civil, qui sera bientôt utile aux compagnies aériennes, par exemple pour examiner les fuselages. Bref, l’idée était bonne. Je l’ai acceptée. C’est ainsi que nous nous complétons l’un l’autre, Stefano et moi. Nous avons dépassé le stade du rationnel (moi) et du créatif (lui) pour atteindre une autre relation, plus riche. Ici, 1 + 1 égale bien davantage que 2.»

«Je crois que j’ai ouvert les yeux à Lorenzo sur le rôle déterminant de la culture dans la vie publique, insiste Stefano Stoll. Elle crée de la valeur intellectuelle, politique, sociale, mais aussi économique. Elle est aujourd’hui l’un des piliers de la nouvelle identité de Vevey. Le festival Images, c’est un enjeu artistique et urbanistique, puisqu’il se déroule pour l’essentiel en plein air. Il est aussi une petite PME au service de l’économie locale. Nous devons par conséquent gérer des ressources, avoir une politique de communication, régler sans cesse des questions de comptabilité, de budget, de management.»

1 + 1 égale bien plus que 2, certes. Reste tout de même la relation d’un grand frère à son petit frère, et inversement. «Lorenzo, je sais qu’il sera toujours là en cas de coup dur, conclut Stefano Stoll. Il est mon moteur, mais aussi ma sauvegarde, mon back-up. Nous sommes une famille unie, plutôt fiers les uns des autres. Mon propre petit frère Luca, qui a longtemps vécu à New York, est saxophoniste. Il vient de me consulter pour la pochette de son prochain CD: je suis si content de pouvoir l’aider à mon tour. J’ai découvert il y a quelques jours le cabinet qu’a ouvert ma sœur vétérinaire à Yvonand. Nous avançons chacun de notre côté. Mais ensemble!»


Lorenzo Stoll

Né en 1971 à Zurich, Lorenzo Stoll est diplômé de l’Ecole hôtelière de Lausanne. Après s’être occupé des ventes de  Montreux-Vevey Tourisme, il a pris diverses responsabilités chez Nestlé. Il a été nommé directeur de la compagnie Swiss pour la Suisse romande en octobre 2013.

Stefano Stoll

Né en 1974 à Zurich, Stefano Stoll est diplômé en lettres et HEC de l’Université de Lausanne. Cocréateur des Journées photographiques de Bienne, chef de projet à Expo.02, il est depuis 2004 délégué à la culture à Vevey. Il dirige le festival biennal de photographie Images dans la même ville. 

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L’irrésistible ascension d’une dynastie

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:45

Domaines Rouvinez, Sierre et Martigny. Début septembre, à Berne, les Domaines Rouvinez ont été la première PME romande à recevoir le Family Business Award, un trophée remis par le distributeur d’automobiles Amag, en hommage à son fondateur. La preuve que la famille Rouvinez s’est désormais installée dans le paysage vitivinicole valaisan, dont elle est le principal acteur privé.

Ce trophée tombe au moment où la troisième génération entre en force dans l’entreprise. Mi-août, Frédéric et Philippe Rouvinez, fils de Jean-Bernard, ont orchestré l’inauguration du nouvel espace de vente des Caves Orsat, à Martigny. Leur sœur, Véronique Besson, avait fait le voyage depuis Shanghai, où cette jeune mère de famille, qui a eu son troisième enfant en Chine, accompagne son mari dans un projet industriel jusqu’en automne 2015.

L’origine du premier domaine, à la colline de Géronde près de Sierre, créé en 1947 par Bernard et Hermine Rouvinez, est modeste. Dès les années 70 et l’achèvement de leurs études d’œnologie et de viticulture à Changins, leurs fils Jean-Bernard et Dominique assureront l’expansion de l’entreprise à un rythme soutenu. Parmi leurs réussites, deux assemblages en blanc et en rouge. Le premier, la Trémaille, et l’autre, le Tourmentin, lancé en 1983, «font le buzz par leur packaging et le marketing utilisé à l’époque, et sont encore des best-sellers de la maison», explique Philippe Rouvinez. S’y ajoutent depuis 2011 deux nouveaux assemblages haut de gamme, Cœur de Domaine blanc et rouge, tirés des meilleurs raisins de plusieurs terroirs, non pas élevés en barriques, mais en grands fûts de chêne suisse.

Un portefeuille de domaines

Dès la fin des années 80, les premiers domaines d’un seul tenant sont achetés, tel le Château Lichten, près de Loèche, en 1990, puis Crêta-Plan, à Sierre, en 1994. Premier président de Vitiswiss, le label de la production intégrée – respectueuse de l’environnement, sans être bio –, Jean-Bernard Rouvinez replante le vignoble de Château Lichten, où il effectue de nombreux essais, comme le goutte-à-goutte à la vigne et l’élimination des herbicides racinaires. Aujourd’hui, parmi le domaine Rouvinez, quelque 15 hectares sont cultivés en bio pur.

La reprise d’Orsat en 1998 (lire l’encadré) amène dans la corbeille de la mariée de beaux domaines, comme Montibeux, Ravanay et l’Ardévaz, soit une trentaine d’hectares situés dans les meilleures expositions, entre Leytron et Chamoson. Tous seront replantés en fonction du principe «un terroir, un cépage». Au total, le domaine Rouvinez représente aujourd’hui 110 hectares de vigne. Les vins qui en sont issus sont vendus dans une gamme propre. Parallèlement, Rouvinez reprend un autre sierrois, Imesch, dont une partie de la gamme subsiste. Puis Charles Bonvin et Fils, à Sion, qui garde son indépendance (lire en page 53).

Des activités centralisées à Martigny

A leur zénith, les Caves Orsat, à Martigny, recevaient chaque année la vendange de quelque 1800 fournisseurs. Ils sont 1200 aujourd’hui, à périmètre viticole égal, de sorte qu’un kilo de raisin sur dix produit en Valais y est vinifié. La gamme Primus Classicus est restée sous la marque Orsat. La troisième génération des Rouvinez – une famille originaire du val d’Anniviers – est fière d’avoir été choisie, cette année, pour cultiver la vigne de la bourgeoisie de Martigny, qui sera replantée en païen, le savagnin blanc aussi connu en Valais sous son nom alémanique de heida, moins exigeant en termes de choix d’exposition et de culture que la petite arvine.

Et que reste-t-il de la petite cave sierroise? Sur la colline de Géronde, les assemblages de prestige sont encore élevés en barriques et en fûts. C’est là aussi que les Rouvinez reçoivent leurs hôtes, dans des locaux rénovés en 2008. Le tunnel à barriques s’ouvre sur un jardin dominant la ville de Sierre et la plaine du Rhône. Des vignes des fondateurs est toujours tiré un pinot noir.

Une grande entreprise moderne

L’ensemble des activités occupe plus d’une centaine de collaborateurs. «La philosophie est restée la même: terrienne, familiale, qualitative, innovante», explique le dernier arrivé dans l’entreprise l’an passé, Philippe. Au contraire de leur père et de leur oncle, sexagénaires toujours présents, les trois enfants trentenaires de Jean-Bernard ont une formation hors milieu vitivinicole, en sciences économiques, à Saint-Gall, pour Philippe, et à Lausanne, pour Frédéric. Depuis six ans en cave, Véronique Besson-Rouvinez, responsable en œnologie et qualité, est diplômée de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich en sciences alimentaires et a parfait sa formation en œnologie à Changins.

«Les vignes replantées arrivent à l’optimum de leur âge et donnent des raisins pour élaborer les meilleurs vins», se félicite l’œnologue «sénior» Dominique Rouvinez. Pour son neveu Philippe, l’un des objectifs est aussi de passer à l’œnotourisme: «Nous devons faire venir les gens sur nos domaines. Nous avons besoin d’ambassadeurs. Nous avons une histoire qui mérite d’être vue et sue avant d’être bue.»

Sur l’internet: www.rouvinez.com
et www.cavesorsat.ch


Grandeur et décadence d’orsat

Ce fut une des grandes caves valaisannes, une cave historique, capable de vinifier jusqu’à un quart de la vendange du Vieux-Pays. Mais au début des années 80 la faillite menace, jusqu’à la reprise, en 1998, par les frères Rouvinez.

Ce fut une des plus grandes caves du Valais, dès les années 1920, jusqu’à son effondrement brutal au milieu des années 1980. Fondée en 1874, à Martigny, par Alphonse Orsat, en plus de cultiver ses domaines propres, la cave fonctionna comme une sorte de coopérative, grâce à sa constitution en société anonyme (SA) au capital ouvert aux fournisseurs de vendanges. On disait alors d’Orsat qu’elle était la cave des radicaux, alors que Provins était celle des conservateurs. A la constitution de la coopérative, voulue par le conseiller d’Etat Maurice Troillet, en 1930, Orsat avait déjà la capacité de vinifier 3 millions de litres, soit un quart de la vendange valaisanne d’alors. En 1980, les installations de Martigny, gigantesques, pouvaient en accueillir 8 millions.

Les vendanges pléthoriques de 1982, puis de 1983 conduisirent l’entreprise au bord de la faillite. Après des épisodes d’annonce de reprise rocambolesques, Orsat passa dans les mains des frères Rouvinez en 1998. Derniers descendants dans l’entreprise qu’ils durent quitter au plus fort de la tempête, les frères Jacques-Alphonse et Philippe Orsat réapparaissent alors à la Cave Taillefer SA, à Charrat. Début 2014, ils vendent cette raison sociale, qui s’est muée en Cave Renaissance SA. Cette dernière est présidée par Léo Farquet, qui conduit également Les Fils Maye SA, à Riddes, une cave fondée en 1889 et devenue société anonyme en 1937, toujours entre les mains des descendants des trois familles à son origine.


Sommaire:

Gilliard, Sion.
Une empreinte vaudoise, puis alémanique

Bonvin 1858, Sion.
La plus ancienne cave de pure souche

Varone, Sion.
En attendant une nouvelle vitrine

Defayes-Crettenand, Leytron.
Une famille à la vigne

Adrian Mathier Nouveau Salquenen.
Un patronyme tout simplement incontournable dans le Haut-Valais

Domaines Rouvinez, Sierre et Martigny.
L’irrésistible ascension d’une dynastie

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Un patronyme tout simplement incon tournable dans le Haut-Valais

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:46

Adrian Mathier Nouveau Salquenen. A Salquenen, on est déjà outre-Raspille, ce cours d’eau qui marque la frontière des langues, et donc dans le Haut-Valais.

Des Mathier, dans le vin, il y en a plusieurs. Aujourd’hui, le plus connu est sans doute Diego. A la tête d’Adrian Mathier Nouveau Salquenen depuis 2001, il a été sacré deux fois Vigneron de l’année au Grand Prix du vin suisse, en 2007 et en 2011. Seul Provins-Valais a fait aussi bien, en 2008 et 2013.

Les deux entreprises ont en commun d’avoir été fondées en 1930. L’arrière-grand-père de Diego, Ferdinand, contrôleur des vignes pour le Haut-Valais, lança sa cave avec ses frères. Auparavant, l’aîné avait légué son nom à Albert Mathier & Fils, qui s’est signalée, ces dernières années, en réhabilitant les techniques d’élevage des vins en amphores de terre cuite enterrées. Quant à la raison sociale originelle, devenue Théophile Mathier, elle fut revendue à Gregor Kuonen.

Petit-fils de Ferdinand, Adrian Mathier construit un bâtiment à son propre nom en 1956. Personnage influent du PDC valaisan, il a rénové la manière d’élaborer (et de vendre) du vin, et singulièrement du pinot noir, cépage emblématique de Salquenen. Dans les années 70, sa commune fut la première à introduire des limites de rendement, préfigurant celles de l’AOC Valais de 1991, et à adopter un règlement de Grand Cru. Dès 1972, la cave, propriétaire aujourd’hui d’une trentaine d’hectares, mais qui achète aussi de la vendange, s’était résolument tournée vers la vente en bouteilles. L’un de ses pinots, l’Ambassadeur des Domaines, fut un des premiers à être élevés en barriques de chêne, dès 1988.

Des parrains prestigieux

Les trois fils d’Adrian Mathier ont tous suivi la filière des hautes études économiques de Saint-Gall. Etabli dans la région zurichoise, Pierre-Alain s’est formé chez Mondavi, en Californie. Depuis près de vingt ans, ce consultant en entreprises est aussi le président de la Cave Amann, à Bischofszell (TG), et possède le Domaine des Virets, à Saint-Léonard (VS). Ivo, qui fit ses premières armes chez Antinori, en Toscane, est à la tête de la cave Fin Bec, à Pont-de-la-Morge. Quant à Diego, avant d’être couronné deux fois roi du vin suisse, il s’en est allé à la Romanée-Conti voir comment les Bourguignons domptent le pinot noir.

Ombre au tableau, la famille Mathier a été éclaboussée, ces derniers mois, par des accusations portées par un ex-partenaire viticole. La justice valaisanne a été saisie de ce contentieux.

Sur l’internet: www.mathier.com


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Gilliard, Sion.
Une empreinte vaudoise, puis alémanique

Bonvin 1858, Sion.
La plus ancienne cave de pure souche

Varone, Sion.
En attendant une nouvelle vitrine

Defayes-Crettenand, Leytron.
Une famille à la vigne

Adrian Mathier Nouveau Salquenen.
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Domaines Rouvinez, Sierre et Martigny.
L’irrésistible ascension d’une dynastie

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Une famille à la vigne

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:47

Defayes-Crettenand, Leytron. Parmi les professionnels de la vigne en Valais, un tiers sont des vignerons-encaveurs. A Leytron, Defayes-Crettenand occupe une position particulière. Toute la famille est occupée à la vigne ou en cave.

La cave de Leytron fête cette année ses 50 ans. Sa particularité est d’être centrée depuis 1964 sur les «spécialités valaisannes». «Mon père, Marc Crettenand, était contremaître au Domaine du Grand-Brûlé. Famille radicale, on livrait tout à Orsat, dont nous étions actionnaires», raconte Ida Defayes-Crettenand, 88 ans, qui a «tenu la maison» durant près de quarante ans. C’est son mari, Edmond (décédé en 2001) qui tente l’aventure économique de la cave, avec son beau-frère Jean Crettenand (décédé en 2011). Forte personnalité, ce dernier a enseigné durant trente ans la dégustation à Changins. Il fut le seul à porter le titre d’«œnologue fédéral», inofficiel mais conforme à la place centrale qu’il occupait en Suisse.

Une cave sans fendant ni dôle

Au pays de la dôle et du fendant, les deux beaux-frères préfèrent des cépages historiques, en voie de disparition. Leurs premiers vins sont une humagne blanche et une rouge ainsi qu’un muscat. Suivent la syrah, le cornalin, la petite arvine, le riesling, puis le cabernet franc. Lausannois, Jean Crettenand assure les conseils de cave. C’est son neveu Stéphane, 54 ans, qui a repris la cave et un peu moins de 6 ha de vigne, après avoir suivi l’Ecole de Châteauneuf et le cours d’œnologie à Changins. Corinne, son aînée de trois ans, demanda à son oncle Jean Crettenand de pouvoir suivre Changins. «Pas question, ça n’est pas un métier de femme! m’a-t-il répondu. Mais il m’a quand même ménagé un rendez-vous à l’école.» Elle sera la première femme de Suisse titulaire du diplôme d’ingénieur œnologue, en 1979. A Changins, elle rencontre son mari, Pierre Clavien, devenu lui aussi vigneron-encaveur. Puis elle entre à l’Etat du Valais où, en 2008, elle obtient le titre d’«œnologue cantonale», unique en Suisse. Corinne Clavien déguste de 20 000 à 30 000 échantillons (!) par an et dispense ses conseils. Un travail qu’elle assure aussi au Domaine du Grand-Brûlé, terrain expérimental au service de l’Etat, ainsi que pour la cave familiale.

De cette famille vigneronne, la sœur aînée, Claudine, était «la rebelle»: «Je ne voulais pas entendre parler de vignes!» Cette année, elle récolte les raisins de sa… trentième vendange, à Fully, parmi les ceps de son mari, Yvon Roduit. Celui-ci s’est lancé comme vigneron-encaveur à 50 ans, il y a dix ans. A l’enseigne de la Rodeline («Ro» pour Roduit, «de» pour Defayes, «ine» pour Claudine…), le couple vient d’inaugurer une cave moderne et signe plusieurs cuvées remarquables, dans ces cépages valaisans qu’on appelle «spécialités». Mères de famille, Claudine et Corinne n’ont pas d’enfants qui se destinent à la vitiviniculture. Mais François, le fils de Stéphane, à 28 ans, est déjà bien installé, après une formation à Changins, que s’apprête à rejoindre sa sœur, Julie, 25 ans. A Leytron, l’histoire continue…

Sur l’internet: www.defayes.com


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Gilliard, Sion.
Une empreinte vaudoise, puis alémanique

Bonvin 1858, Sion.
La plus ancienne cave de pure souche

Varone, Sion.
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Defayes-Crettenand, Leytron.
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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:48

Varone, Sion. L’an prochain devrait marquer l’aboutissement d’un projet attendu depuis plusieurs années. Les maisons Bonvin et Varone, associées dans les Celliers de Sion, retrouveront, au nom de l’œnotourisme, un toit et une vitrine commune, à l’est du chef-lieu valaisan.

Le projet de nouvel espace devrait montrer aux dégustateurs et aux touristes de passage un chai à barriques, dans une structure qui tiendra compte de toutes les avancées de l’œnotourisme moderne, un peu à l’image de ce que sait faire à merveille la Napa Valley, devenue la première région touristique des Etats-Unis, sorte de Disneyland voué au culte de Bacchus.

Des pionniers de la bouteille

Reprise dès 1989 par Philippe Varone, de la quatrième génération et désormais seul aux commandes, la maison familiale est active dans le vin depuis le milieu du XIXe siècle. Germain-François Varone était employé, comme métral, au Domaine du Mont-d’Or, à Pont-de-la-Morge, là où le premier commerce fut fondé en 1900 par son fils Frédéric. Les Varone vendaient aussi des fruits et légumes: ils y renoncent quinze ans plus tard, quand ils rachètent un négoce de vins à Sion, où ils s’implantent.

Alors que la plupart des négociants valaisans traitent des vins en vrac, livrés en fûts aux auberges et bistrots, la maison sédunoise est parmi les premières à proposer du «litre scellé», puis divers flaconnages, dès 1925. Elle dépose les marques Soleil du Valais, pour le fendant, et Dôle Valéria, deux ans plus tard. Jean-Pierre Varone reprend le commerce en 1961, à la suite d’Henry. La cave en ville de Sion est agrandie.

Indépendante, mais en commun

En 1992 débute une nouvelle ère, avec un partenariat logistique avec la maison Charles Bonvin. Les deux enseignes s’implantent sous un même toit, construit à l’écart de la ville, à Grand-Champsec, et partagent les installations techniques, tout en gardant leur indépendance. Ensemble, elles créent, sous le nom des Celliers de Sion, la ligne Bibacchus pour la grande distribution, tandis que Varone met en valeur les vins de ses propres vignes sous l’étiquette Héritage. Cette situation durera vingt ans, jusqu’à la vente de l’immeuble en 2012.

Provisoirement, Varone trouve alors à se loger chez Rouvinez-Orsat à Martigny, qui, entre-temps, a racheté Bonvin. Les deux maisons sédunoises retrouveront une vitrine d’ici à quelques mois, à l’est de Sion, sous le vignoble de Clavau. Comme Bonvin, qui a aménagé sa guérite Brûlefer au milieu de son domaine, sur le bisse de Clavau, et rénové les mazots du Clos du Château, Varone a fait aménager sur les hauts de Sion, au milieu des vignes, le Cube, ouvert à toutes les expériences culinaires en liaison avec les vins.

Sur l’internet: www.varone.ch


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Gilliard, Sion.
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Bonvin 1858, Sion.
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Varone, Sion.
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La plus ancienne cave de pure souche

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:49

Bonvin 1858, Sion. Charles Bonvin et Fils, aujourd’hui connue sous Bonvin 1858, revendique d’être la plus ancienne des maisons de vin en exercice appartenant à des Valaisans.

Par rapport aux vignerons-encaveurs, souvent de grande notoriété, les maisons traditionnelles sont les premières à avoir constitué un patrimoine vitivinicole. Ainsi, «contrairement à d’autres, la famille Bonvin n’a pas appliqué le droit sucessoral à la valaisanne. Les vignes en propriété n’ont donc pas été partagées au fil des générations. Nos 15 hectares en propriété, avec leurs murs en pierres sèches et leurs tablars (terrasses), parfois très escarpés, justifient la notion de «domaines» qui, de tout temps, a été associée au nom de Bonvin», explique aujourd’hui le directeur, André Darbellay.

Une famille sans héritiers directs

Depuis son 150e anniversaire, en 2008, la maison sédunoise n’appartient plus à la famille Bonvin, mais aux frères Rouvinez, de Sierre et Martigny. Les derniers descendants, dont Jacques Guhl, à la fois homme de lettres et grand sportif, fondateur de l’école de football du FC Sion, mais surtout directeur de la maison durant trente ans, faute d’héritier direct, décidèrent de transmettre leur patrimoine. Toutefois, Bonvin 1858 a gardé son équipe dirigeante: André Darbellay, en place depuis 1990, l’ancien footballeur international Christophe Bonvin, à la vente, et l’œnologue Thierry Delalay. Vinifiés chez Orsat, à Martigny, les vins vont retrouver, dès 2015, des locaux d’élevage «visibles» dans la «vitrine» que Bonvin s’apprête à construire avec Varone, à l’entrée est de Sion, au pied des vignes de Clavau (lire en page 54).

Le patrimoine de la maison s’est constitué par étapes. Au milieu du XIXe siècle, proche du pouvoir radical, Alphonse Bonvin achète les premières vignes. Son petit-fils, Charles, construit quant à lui une cave à Sion et acquiert les domaines de Plan Loggier (4 ha), à Saint-Léonard, et du Château (1 ha), à Conthey. Après la crise vitivinicole des années 1920, ses deux fils, Charles et Félix, consolident les domaines de Brûlefer (4 ha) et du Clos du Château (10 ha), à Sion.

Une dernière pépite historique

L’an passé, Bonvin 1858, dont la société est présidée par l’ancien conseiller d’Etat radical Serge Sierro, a racheté les 2 hectares de vigne du Domaine de Diolly, fondé par un des artisans historiques du milieu vitivinicole valaisan, Henry Wuilloud (1884-1963). Premier ingénieur agronome valaisan, puis professeur au Poly de Zurich, le Dr Wuilloud développe les connaissances vitivinicoles du Vieux-Pays et y introduit la syrah, venue de Tain-l’Ermitage (côtes du Rhône septentrionales). Il sera chef de la viticulture du canton durant six ans, de 1921 à 1927, puis, en désaccord avec le pouvoir, il se mettra ensuite au service de l’Union des négociants en vins du Valais, dont il sera secrétaire durant trente ans. Sur son domaine de Diolly sur Sion (qui a donné son nom au cépage Diolinoir), il élabore des vins dont une banderole transversale proclame, avec fierté, qu’ils ne sont «ni sucrés ni filtrés».

Sur l’internet: www.bonvin1858.ch


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Une empreinte vaudoise, puis alémanique

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:50

Gilliard, Sion. Fondée à Sion, Gilliard fut d’abord «lémanique» avant de passer récemment dans des mains alémaniques. Une histoire riche en rebondissements.

Elle revient de loin, cette maison connue pour ses deux vins emblématiques, la Dôle des Monts et le fendant Les Murettes. La gazette éditée à l’occasion de ses 125 ans, fêtés en 2010, ne cache pas que, après un développement constant durant plus d’un siècle, Gilliard entra dans une zone de fortes turbulences. «L’entreprise n’a pas de tableau de bord, prend des choix aléatoires, réduit ses équipes commerciales et ses dépenses marketing, stoppe les investissements.» La chute s’accélère et le négoce connaît plusieurs exercices déficitaires. Il ne subsiste qu’en passant, en 2006, sous le contrôle d’un commerce familial d’origine schwytzoise, Schuler Caves Saint-Jacques, qui cultive une tradition de près de trois siècles d’importation de vins, notamment italiens, par le Gothard.

Des vins médaillés depuis plus d’un siècle

C’est à ce moment que Christophe Darbellay, président du PDC suisse, prend la tête du conseil d’administration, appuyé par la libérale Chantal Balet, qui, enfant, habitait au-dessus de la cave, où son père était directeur technique. Avec Stéphane Maccaud, une nouvelle direction redynamise les ventes dès 2008, année où un nouvel œnologue, Hansueli Pfenninger, reprend les vinifications. Zurichois d’origine, formé en viticulture et en œnologie à Wädenswil, enseignant pour un temps à Changins, établi en Valais, il crée une ligne de monocépages élevés en fûts de chêne, Les Tonneliers.

Ces vins décrochent de nombreuses distinctions dans les concours, renouant avec une tradition centenaire, puisque ses premières médailles d’or, la maison les remporta en 1905 et en 1906 aux expositions internationales de Liège (Belgique) et de Milan (Italie). Preuve que la soif de reconnaissance internationale qui doit rejaillir sur les ventes indigènes ne date pas d’hier.

Un clocher vaudois sur le fendant

Aujourd’hui, Gilliard cultive, pour moitié en propriété, pour moitié en location, une cinquantaine d’hectares. Dès le millésime 2012, ces vins «de domaine» sont identifiés dans la gamme Les Grands Murs. Ses plus beaux vignobles, Gilliard les doit à François. Fondateur du FC Sion, premier vice-président radical du chef-lieu, il achète, dès 1953, plusieurs domaines, dont celui de la Cochetta (ou Cotsette). Ses murs de pierres sèches de plus de 20 mètres de haut ont été édifiés à la fin du XIXe siècle par des moines cisterciens venus de Savoie. Le lieu garde aujourd’hui toute sa magie: on y accède par un tunnel qui débouche sur une terrasse-carnotzet d’où la vue est époustouflante, portant jusqu’au val d’Hérens, par-dessus la ville de Sion.

La maison sédunoise fut fondée en 1885 par Edmond Gilliard, 38 ans, originaire de Fiez près de Grandson, au pied du Jura vaudois. D’emblée, celui-ci diffuse en bouteilles, fait rare pour l’époque, l’ancêtre de la Dôle des Monts, à l’origine baptisé Clos des Monts. Quant à son fils Robert, qui lui succède, il lancera le fendant Les Murettes, créé pour le Tir fédéral de Bex (VD) de 1920, dans une bouteille vaudoise, avec une étiquette représentant aujourd’hui encore le clocher de ce bourg du Chablais.

Sur l’internet: www.gilliard.ch


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Les grandes familles du vin du Valais

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:51

Texte Pierre Thomas
Photos Sedrik Nemeth

Dossier. Avec un peu moins de 5000 hectares, soit le tiers du vignoble suisse, le Valais est le seul canton où la viticulture joue un rôle économique prépondérant. Aussi mouvementée soit-elle, son histoire autour de la vigne, plantée depuis des siècles, est récente.

En 1880, la Suisse comptait le double d’hectares de vigne, soit 32 000 ha, et le Valais trois fois moins qu’aujourd’hui, soit moins de 4% de la surface viticole du pays. Et, de fait, les plus vieux domaines valaisans sont certes centenaires, mais on est loin de l’ancienneté du pays de Vaud, de Neuchâtel ou de Genève, où des châteaux viticoles se sont transmis d’une génération à l’autre depuis plusieurs siècles. La première constitution d’entités viticoles valaisannes date de la sécularisation des biens de l’Eglise catholique, lors de la révolution radicale de 1848.

A cette époque, les vignes des coteaux de la vallée du Rhône sont exploitées par des familles de paysans de montagne, qui descendent travailler leurs parchets depuis les vallées latérales et remontent leurs vins pour leur consommation annuelle. Un des premiers à croire dans le potentiel du vignoble valaisan est un Vaudois, le sergent-major François-Eugène Masson, venu de Territet près de Montreux durant la guerre du Sonderbund. Il achète des vignes à Pont-de-la-Morge et constitue le domaine du Mont-d’Or en 1848. Aujourd’hui, ce joyau est toujours la propriété de Vaudois, puisqu’il appartient au groupe Schenk, de Rolle. Ensuite, l’arrivée du train par la ligne du Simplon contribuera à désenclaver le Vieux-Pays et à l’ouvrir au commerce des vins en vrac, puis en bouteilles vers la Suisse.

Le vignoble à l’horizon 2020

Plus d’un siècle et demi plus tard, en 2014, le Valais planche sur un scénario nommé Viticulture 2020, qui sera présenté fin novembre, puis validé au printemps prochain par l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais. Dans une étude précédente (2009), des chiffres montraient que les 80 000 parcelles d’un vignoble très morcelé par la répartition des terres par succession des familles (souvent nombreuses) étaient entre les mains de plus de 22 000 propriétaires; 12 500 exploitations comptaient moins d’un hectare de vigne cultivée par des «vignerons du samedi». Ils sont pour la plupart (3800) sociétaires de Provins, dont la fondation fut encouragée en 1930 par le conseiller d’Etat Maurice Troillet. La coopérative encave un cinquième de la production valaisanne (10% de la production suisse, soit une dizaine de millions de litres). D’autres livrent à des commerces de vin.

Dans les pages qui suivent, il a fallu faire un choix entre les entreprises. Les informations historiques sont tirées de l’Histoire de la vigne et du vin en Valais, des origines à nos jours, ouvrage collectif paru en 2009 (Editions Infolio).

Pour qui veut approcher la réalité du principal canton viticole, l’exposition «Etre vigneron en Valais» offre des pistes complémentaires. Elle se tient au Musée valaisan de la vigne et du vin, à Sierre, jusqu’au 30 octobre 2014, et présente le travail photographique d’une vingtaine de portraits de Bertrand Rey, complété par un ouvrage sous le même titre, aux Editions Infolio.


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Le retour hype du balluchon

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:52

Zoom. Aujourd’hui, en ville, tous les jeunes ou presque ont leur balluchon, ce sac de gym de notre enfance, devenu accessoire de mode. Si sa renaissance s’est faite dans les boutiques de Tokyo, comme «shopping bag», il devrait bientôt être décliné en versions haut de gamme.

Léna Würgler

Depuis quelques mois, Ivan Bolbas passe beaucoup de temps à flâner dans les friperies, les marchés aux puces, les tapissiers ou les cordonneries. Il est à la recherche de tissus particulièrement originaux pour réaliser ses propres balluchons. Le jeune homme de 23 ans lancera bientôt sa propre marque: Armor. «Je veux faire primer la qualité. Mes sacs ne sont pas conçus comme des produits de consommation mais sont faits pour durer.» Car le temps où seuls les enfants portaient des balluchons simples et fragiles, composés d’une mince toile en nylon et de fines cordelettes, est révolu; l’accessoire est devenu un véritable objet de mode. «En Suisse, un pic a été atteint ce printemps, estime Jeff Gaudinet, designer indépendant et intervenant à la Haute école d’art et de design de Genève (HEAD). Le balluchon n’a jamais été aussi visible que depuis lors.»

Ceux d’Ivan Bolbas sont en coton, doublés, et contiennent une pochette intérieure. Comme lui, beaucoup de marques, créateurs ou collectifs tentent aujourd’hui de se démarquer en proposant des balluchons sans cesse plus travaillés, dans des matériaux, des couleurs et des motifs de plus en plus variés. De Thanks Skateboard à 22DSGN, en passant par Balthazar Chapon et thSTNDRT (The Standart), la plupart sont basés à Genève. «Nous avions envie de créer un accessoire spécifique pour nos clients, à savoir des jeunes qui se déplacent
à vélo ou à skate ou qui vont à la plage», précise Miguel Santiago, fondateur de thSTNDRT.

De la rue au haut de gamme

Moins encombrant qu’un sac à dos, plus spacieux que des poches de vêtement et plus pratique qu’un sac à main, le balluchon est apprécié autant des hommes que des femmes. «Il n’existait pas vraiment de sacs à main pour homme avant», s’enthousiasme Ivan Bolbas, tombé sous le charme du concept durant l’Electron de Genève, en avril 2013. A cette occasion, des balluchons en coton recyclé, griffés thSTNDRT, étaient vendus 10 francs à l’entrée du festival. «Nous avons vendu plus de 400 pièces, raconte Miguel Santiago. Ensuite, pendant trois mois, nos sacs n’étaient plus accessibles nulle part, mais nous continuions à voir des gens en porter dans la rue.» Le tout jeune collectif, fondé fin 2012, réalise alors qu’il détient un bon filon et fait du balluchon la pièce maîtresse de sa collection.

C’est un phénomène semblable, mais à plus grande échelle, qui explique la renaissance du balluchon au niveau mondial. «Cette mode est apparue lorsque, à Tokyo, les boutiques les ont utilisés comme des shopping bags un peu plus élaborés que les traditionnels sacs plastique», retrace Jeff Gaudinet. Apple fera de même dans ses Apple Stores. Profitant d’une grande surface unie pour apposer leur logo, les marques y trouvent un excellent outil marketing. Petit à petit, surtout depuis deux à trois ans, les gens se réapproprient ces shopping bags améliorés pour leur propre usage. «Le balluchon suit le cycle classique de la mode, commente Jeff Gaudinet. D’une utilisation d’abord fonctionnelle et peu réfléchie dans la rue, il est ensuite développé et décliné par quelques marques.»

Si, pour l’instant, la plupart d’entre elles s’adressent aux jeunes, le public cible devrait s’élargir dans les années à venir. Le designer genevois envisage des versions haut de gamme, ultratechniques pour le sport et, surtout, dans des versions homme et femme, car «la tendance n’est pas androgyne, au niveau des silhouettes». L’accessoire devrait donc abandonner son caractère unisexe, lequel a pourtant joué un rôle essentiel dans son succès. Dans tous les cas, pour le monde de la mode, le succès du balluchon est extrêmement intéressant. «C’est un produit peu réfléchi, sans grande ambition mais extrêmement efficace, décrit Jeff Gaudinet. J’ai tendance à croire que cela deviendra un classique.» Pour l’instant, en tout cas, il s’est trouvé une place de choix sur le dos des jeunes et ne semble pas près de les quitter.

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Journalisme: les recettes trash de «Vice»

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:53

Décodage. Le magazine «Vice» fait dans la provocation, et ça fonctionne. Reportages décalés, sujets insolents, journalisme gonzo et, surtout, vidéos en ligne assurent son succès.

Clément Bürge New York

L’attaché de presse de l’Etat islamique a l’air sympathique. Il est jeune, parle d’une voix joviale, porte une casquette aux couleurs militaires et un gilet pare-balle. «Les Américains ne doivent pas être des lâches; venez vous battre en personne plutôt que d’envoyer des drones, lance-t-il, presque en souriant, sur la vidéo. Envoyez vos soldats, nous allons vous humilier et faire flotter le drapeau d’Allah sur le toit de la Maison Blanche.» Dans la scène suivante, ce charmant jeune homme prend sa mitraillette, court sur le haut d’une colline et se met à tirer sur des soldats syriens.
Les journalistes se sont immergés durant plusieurs semaines au sein de l’Etat islamique. Leur documentaire est osé et révélateur, il a été produit par Vice, un magazine basé à Brooklyn, aux Etats-Unis. Il fait partie d’une série d’autres reportages exceptionnels du magazine. En mai 2013, en Corée du Nord, il avait organisé un match de basketball entre une équipe de NBA et des joueurs du pays communiste, sous les yeux amusés de son dictateur, Kim Jong-un.

Vice est aujourd’hui un vrai empire médiatique, et il est même présenté comme le futur du journalisme aux Etats-Unis. Cet été, Disney, Time Warner et 20th Century Fox se sont d’ailleurs affrontés pour sa reprise. Une guerre qui s’est soldée par un investissement de 500 millions de dollars de Technology Crossover Ventures et A+E Networks.

Pourtant, rien ne prédestinait Vice à un tel succès. Créé en 1995 à Montréal sous le nom de The Voice of Montreal, le magazine n’était à la base qu’une feuille locale. C’est l’arrivée d’un nouvel employé, Shane Smith, aujourd’hui CEO de la société, qui a changé la destinée du magazine. Il a grandi, a changé de nom et s’est déplacé à New York en 1999. Aujourd’hui, son quartier général se trouve à Williamsburg, la capitale mondiale des hipsters.

Sa mutation, le magazine l’a faite en se forgeant une identité provocatrice, souvent «pipi-caca». Les reporters travaillent en immersion, dans la tradition du journalisme gonzo. Les articles irrévérencieux et à connotation sexuelle sont devenus une image de marque. Comme par exemple le minifilm The Biggest Ass in Brazil, pour lequel les reporters de Vice sont partis à la recherche, vous l’aurez compris, du plus gros des derrières; ou encore Sex Donkey, un reportage à la découverte d’un village colombien où les hommes ont des relations sexuelles avec… des ânes. L’audience est plus que bonne: les deux films ont récolté à eux deux 16 millions de vues sur YouTube.

Conquête d’un nouveau public

Mais ce n’est pas dans ce contenu décalé que réside la véritable innovation de Vice. Le magazine s’est emparé d’un média jusque-là délaissé par les autres journaux: la vidéo en ligne. Son genre de documentaire – d’une durée allant de trois minutes à plus d’une heure – a proposé un traitement différent des sujets et permis de toucher une audience plus jeune d’amateurs de vidéos en ligne. «Vice a conquis le groupe des «milléniaux», ces jeunes de 18 à 34 ans qui se sont détournés des médias traditionnels, passent bien plus de temps sur l’internet et que les annonceurs s’arrachent», explique Rebecca Lieb, une analyste d’Altimeter Group.

Surtout, la vidéo leur a permis de bâtir un modèle d’affaires très lucratif. «Les publicités qui apparaissent au début d’une vidéo en ligne sont un marché en pleine expansion et les annonceurs paient très cher pour y insérer leurs messages», explique Ken Doctor, un spécialiste de l’industrie. En 2013, le marché de la publicité vidéo en ligne aux Etats-Unis atteignait 2,8 milliards de dollars, soit une augmentation de 19% par rapport à 2012. En 2014, la firme prévoit de générer un chiffre d’affaires de 500 millions de dollars.

Pour une somme allant de un à cinq millions de dollars, une marque peut sponsoriser ses propres vidéos sur le site internet de Vice, donnant naissance à un produit mi-journalistique mi-publicitaire. La marque The North Face a, par exemple, financé une série de documentaires lors desquels les journalistes de Vice explorent les régions les plus reculées de la planète.

Aujourd’hui, de nombreux autres journaux ont commencé à suivre le chemin tracé par Vice avec la vidéo en ligne, à l’image de Vocativ et de Fusion. Et les grands groupes traditionnels comme le Financial Times et le New York Times misent désormais eux aussi massivement sur la vidéo dans leurs éditions numériques.

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Jacques Attali: "Prenons notre vie en main pour en faire une œuvre originale. Soyons véritablement uniques.

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:54

Interview. Dans «Devenir soi», l’essayiste français donne des raisons de croire que l’apocalypse n’est pas une fatalité et peut-être même une chance.

Antoine Menusier

Cela fait longtemps que l’ex-confident de François Mitterrand a entamé sa mue vers un monde qu’il souhaite débarrassé des «vieux concepts». Social-démocratie ou libéralisme, plus rien de cela, dit-il, ne tient à l’heure de l’hyperempire et de l’hyperconflit qui sonne au clocher de la planète. De cette anarchie faisons quelque chose, enjoint Jacques Attali. Place à «l’individu dans sa totalité», décrète l’ex-sherpa présidentiel, féru de méditation, à la tête de PlaNet Finance, un organisme d’encouragement au microcrédit. Les ressources sont en nous, ne laissons pas la résignation gagner la bataille. Tel est le message, tel est le chemin tracé dans Devenir soi, le dernier essai de ce prophète laïque.

La figure de départ de votre livre est un héros fatigué, qu’il s’agit de réveiller: le résigné-réclamant. De quoi cet être-là est-il fait?

L’être résigné-réclamant, c’est ce que nous sommes tous plus ou moins dans les sociétés occidentales développées et même dans d’autres pays. Il y a des gens qui sont résignés à accepter leur aliénation, qui pensent n’avoir aucune chance de trouver les moyens de se développer eux-mêmes et qui se contentent de réclamer le maximum de l’Etat, de l’armée, des entreprises. Souvent, cette attitude est masquée dans l’idéologie de la consommation et dans celle de l’assistance.

A cet être passif, vous dites de «renoncer à quoi que ce soit de qui que ce soit». N’est-ce pas proprement sur­humain, comme programme?

Nous n’avons qu’une vie. L’expérience montre que des tas de gens sans ressources et sans relations peuvent trouver ce qu’ils sont, ce qu’ils ont d’unique et réaliser leurs rêves, autrement dit faire de leur vie une œuvre originale.

En quoi l’accomplissement personnel des uns favorise-t-il la vie des autres?

Prenons l’exemple d’un orchestre: quand les musiciens de cet orchestre prennent conscience qu’il faut jouer mieux, ils jouent mieux et l’orchestre tout entier joue mieux.

Certes, mais vous prenez là l’exemple d’un collectif, alors que les personnes que vous citez, de tous horizons – le pianiste et chanteur Ray Charles, le peintre Jean-Michel Basquiat, le romancier Stephen King ou encore Jihade Belamri, un entrepreneur lyonnais fils d’ouvrier algérien – témoignent de trajectoires individuelles.

Il se trouve que l’important, c’est de réussir notre vie. Accessoirement ou en même temps, le fait de réussir notre vie aide les autres à réussir la leur. Ce n’est pas contradictoire. L’égoïsme intelligent est une forme d’altruisme et réciproquement. Quand on trouve en quoi on est unique, on n’est pas en situation d’écraser les autres, on est en situation de trouver ce en quoi les autres ne peuvent pas agir à votre place.

C’est sans doute le cas du syndic de Lausanne, Daniel Brélaz, dont vous saluez la détermination à perdre du poids.

C’est en effet un exemple de prise en main de soi-même.

«Devenir soi», est-ce un existentialisme pour une époque apocalyptique?

Notre époque est apocalyptique mais elle est aussi extraordinairement créatrice. Je suis très frappé de voir que des millions de gens sont dans la création de quelque chose, dans les arts, la politique, l’entreprise, l’économie sociale ou l’associatif. Le fait d’être dans un monde apocalyptique nous pousse encore plus à agir parce que nous ne pouvons plus attendre que les autres nous donnent une solution, qui ne viendra pas.

Est-ce que la survie de la démocratie dépend de la possibilité d’un devenir soi?

Sans aucun doute. Car la vraie démocratie, ce n’est pas seulement voter une fois tous les ans ou à tous les référendums possibles comme en Suisse. C’est créer les conditions pour que chacun puisse devenir soi.

Nous aurions un capital de départ qu’il s’agit de faire fructifier…

Il s’agit de le trouver. Nous ne le connaissons pas au départ. Pour cela, il faut prendre conscience de son aliénation, de son unicité et d’autres choses encore dont je parle dans le livre. Cela passe par une série de méthodes, dont la méditation et le projet à long terme font partie. C’est vrai pour des individus mais aussi pour des organisations. Une entreprise qui n’aide pas ses salariés à devenir soi va les perdre. Une nation qui n’aide pas ses gens à devenir soi les perdra également, car les gens iront devenir soi ailleurs.

Vous-même, est-ce que vous méditez?

Oui, tous les jours. Les leçons que je donne dans le livre, je les suis moi-même.

Vous inscrivez-vous dans une démarche bouddhiste?

Non, laïque.

Votre approche du monde est plutôt libérale, alors que l’époque semble davantage à la restauration du collectif, souvent à petite échelle. De même, votre vision des choses ne va-t-elle pas à l’encontre des vertus qu’on nous enseigne, l’humilité et la tempérance?

Si l’humilité, c’est la résignation, oui, ma vision est contraire à cela. Si la tempérance, c’est accepter la domination des autres, oui, aussi. Je suis révolutionnaire par rapport à ces valeurs qui sont des valeurs d’aliénation totale. De même, si le collectif consiste à gérer l’ensemble dans la conformité à la norme, oui, je suis contre. Il faut sortir des concepts «social-démocrate» ou «libéral», qui sont une rémanence du XIXe siècle, voire du XVIIIe siècle. Pourquoi faudrait-il vivre au XXIe siècle avec de tels concepts?

Avec quels concepts vivre, alors?

Le concept qui est en train d’apparaître, c’est l’émergence de l’individu dans sa totalité. Et une des dimensions de la totalité de la vie, c’est évidemment l’altruisme.

Le «devenir soi», ce peut être aussi la dérive, et notamment la dérive sectaire, à l’image de l’Etat islamique autoproclamé, ou les horreurs que furent le nazisme et le communisme réel. Ça peut être meurtrier, le devenir soi, non?

Les exemples que vous citez ne sont justement pas des devenir soi. Si on réfléchit aux conditions de sa liberté, jamais on ne fera quoi que ce soit de ce que vous dites.

Parmi les devenirs entravés, on trouve la Syrie et l’Irak. Comment voyez-vous l’évolution de ces pays?

Dans mon livre Une brève histoire de l’avenir (Editions Le Livre de Poche), paru il y a huit ans, j’avais décrit exactement ce futur d’un monde hyperglobal, en situation d’anarchie, ressemblant de plus en plus à la Somalie. Nous sommes dans ce monde sans Etats, qui ne peut être qu’un chaos généralisé. J’espère que cette accélération de l’histoire, qui a amené cette période que j’avais appelée l’hyperempire, et le basculement de l’hyperempire à la phase suivante, l’hyperconflit dans lequel nous entrons, va accélérer le passage à la phase ultérieure, l’hyperdémocratie, où l’altruisme prendra sa place.

Est-ce que l’accélération de l’histoire peut aider à résoudre le conflit israélo-palestinien?

C’est un conflit parmi d’autres, pas plus important que d’autres. Il ne doit pas être considéré comme la mère de tous les conflits, même si certains, cachant un honteux comportement interne, vont chercher à faire de ce conflit le bouc émissaire de tous les autres.

Vous faites allusion à l’antisémitisme.

A l’antisémitisme ou au fait que certains régimes arabes aient préféré désigner le conflit israélo-palestinien à la vindicte de leur propre peuple plutôt que d’essayer de créer une démocratie chez eux.

Dans votre vie professionnelle, rencontrez-vous des entrepreneurs du Moyen-Orient?

PlaNet Finance a des bureaux au Caire, en Palestine, en Jordanie, à Dubaï. Les entrepreneurs sociaux de ces pays sont des gens formidables.

Etes-vous pour ou contre le maintien de l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022 au Qatar?

La FIFA est selon moi une organisation corrompue. C’est l’exemple typique de ce que ne doit pas être une gouvernance mondiale. Je regrette que la FIFA donne un si mauvais exemple.

De quoi serait faite la gouvernance mondiale que vous appelez de vos vœux?

La Suisse est le meilleur exemple. Elle a mis trois siècles à créer une nation du bas vers le haut, l’Europe est en train de le faire depuis cinquante ans. Il faudra sans doute beaucoup de temps pour que le monde le fasse.

Entre la Russie et l’Ukraine, le chaos est pour l’heure contenu. Comment analysez-vous cette crise qui pourrait un jour nous toucher de très près?

J’estime que nous n’avons aucune raison d’humilier la Russie. La Russie de Poutine n’est pas l’Allemagne de Hitler. C’est une Allemagne juste avant celle de Hitler. Si nous, Occidentaux, continuons sur notre lancée, nous aurons la Russie de Hitler. C’est une immense erreur que d’isoler la Russie. Il est urgent de trouver un accord sur le fédéralisme ukrainien. La Russie et l’Ukraine ont leur place en Europe.

«Devenir soi». De Jacques Attali. Editions Fayard, 188 p.


Jacques Attali

Economiste, haut fonctionnaire et écrivain né le 1er novembre 1943 à Alger. Il a notamment été conseiller spécial de François Mitterrand de 1981 à 1991, puis fondateur et premier président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Actuellement, il dirige les groupes PlaNet Finance et Attali & Associés. Il a publié plus de 65 essais, romans et biographies.

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