Reportage. Sa politique pionnière en matière de stupéfiants a fait de la Suisse un modèle. A l’âge où d’autres prolongent leurs siestes, elle se lance dans une bataille à l’échelle mondiale pour casser les cartels du narcotrafic. Début septembre, l’ancienne présidente de la Confédération défendait, à New York, un document explosif qu’elle a contribué à rédiger. Puis elle est allée le présenter au Guatemala, pays ravagé par les effets pervers de la politique prohibitionniste. «L’Hebdo» l’a suivie.
Textes Anna Lietti Guatemala
Photos Santiago Albert
Il est 22 heures à Ciudad Guatemala. Ruth Dreifuss, 74 ans, fraîche comme un gardon après une journée bien tassée, attaque, au bar de l’hôtel Camino Real, un sandwich au churrasco de facture internationale. Dans les années 90, rappelle-t-elle, elle s’est retrouvée «aux manettes» au pire moment d’une épidémie mortelle: «Le sida faisait des ravages et à Zurich, on trouvait des seringues dans les bacs à sable. Il y avait urgence sanitaire!» C’est ainsi que la Suisse, avec les locaux d’injection et la prescription de méthadone, est devenue pionnière dans cette réponse à la drogue appelée politique de réduction des risques. On le sait aujourd’hui: elle sauve des vies sans encourager de nouveaux usagers. «Je n’ai pas inventé le concept, je ne suis pas une visionnaire; par contre, pour mettre en œuvre des projets concrets, je suis assez bonne», sourit cette assistante sociale de formation devenue, en 1999, la première présidente de la Confédération.
Ruth Dreifuss n’a peut-être pas inventé le concept mais elle a puissamment, et avec un courage rare, contribué à le faire triompher. La voici, vingt ans plus tard, invitée (comme observatrice) à la 46e Conférence extraordinaire de l’Organisation des Etats américains sur la drogue, où la Suisse est citée en exemple et où la conviction de l’ancienne ministre de l’Intérieur, autrefois révolutionnaire, fait l’objet d’un large consensus: oui, le problème de la drogue doit être abordé d’abord comme un enjeu de santé publique.
On peut le dire: en faisant rayonner son expérience, l’ancienne ministre de l’Intérieur est devenue une femme d’influence à l’échelle planétaire. «Quand elle nous raconte comment elle a réussi à faire avancer les choses dans son pays, nous sommes tous fascinés», raconte le médecin français Michel Kazatchkine, son plus proche complice au sein du prestigieux cénacle international dont il est question plus bas. Et elle, évoquant avec un enthousiasme intact ses années au Conseil fédéral: «J’ai adoré avoir les mains dans le cambouis. La politique, c’est chouette!»
Le défi suivant est à une autre échelle: il s’agit rien de moins que de couper la tête à la pieuvre criminelle internationale qui terrorise les populations et gangrène les Etats de droit. Une autre paire de manches.
New York, 9 septembre
Ruth Dreifuss n’est pas seule dans ce combat, bien sûr. Ses camarades s’appellent Kofi Annan, Ernesto Zedillo, Louise Arbour, César Gaviria, Mario Vargas Llosa (lire, en encadré, la liste complète). Une flamboyante brochette d’esprits libres réunis au sein de la Commission globale de politique en matière de drogues. Le cénacle comprend pas moins de huit anciens chefs d’Etat, à commencer par Fernando Henrique Cardoso, qui fut président du Brésil et qui préside le groupe après avoir été l’un de ses initiateurs. Ils ne sont mandatés par personne et n’ont aucun pouvoir concret, mais misent, avec succès, sur l’influence et la compétence. Ils parlent haut et clair, à mille lieues de la prose onusienne. Et n’hésitent pas à dire, comme Cardoso: «Quand j’étais président, j’ai misé sur la répression et je me suis trompé.»
Le 9 septembre dernier à New York, dans une salle du Museum of Modern Art, ils étaient dix de la Commission globale – Ruth Dreifuss souveraine au milieu, à la droite du président – pour présenter leur quatrième rapport. Le premier, publié en 2011, avait «brisé le tabou» avec fracas: la «guerre aux drogues» décrétée en 1971 par Richard Nixon est un échec lamentable, affirmait-il. Des centaines de milliers de morts plus tard, le marché des substances illicites n’a jamais été aussi florissant. Il est temps de faire le deuil d’une utopie, celle d’un «monde sans drogue», dont les effets pervers répètent le désastre de la prohibition de l’alcool.
Pour rappel: au moment où ce premier rapport était publié, le paroxysme de la violence était atteint au Mexique. Pour frapper l’opinion, les narcos ne se contentaient plus de tuer, ils exposaient dans les rues les têtes coupées et les corps démembrés de leurs victimes. Cette déferlante d’homicides sans précédent constituait la réponse du crime organisé au président Calderón, qui s’était flatté de liquider le problème de la drogue en déployant l’armée dans les rues. Depuis 2006, on estime que la violence liée au narcotrafic a fait 80 à 100 000 victimes au seul Mexique. Cette guerre-là ne peut être gagnée par la force militaire et policière, car les cartels disposent, contrairement aux Etats, d’un réservoir humain inépuisable, poussé par la pauvreté et le manque de perspectives sociales.
Après un deuxième et un troisième rapport plus analytiques, ce quatrième document présenté à New York retrouve un ton acéré et franchit la ligne rouge: il prône une «régulation légale responsable» du plus grand nombre de drogues possible. C’est la seule manière, explique-t‑il, de s’attaquer aux racines de la violence et de la corruption. Les gouvernements ont le choix: soit «prendre le contrôle» (c’est le titre du rapport) du marché de la drogue, soit laisser ce business de 230 milliards de dollars aux mains des empereurs du crime. «Il n’existe pas de troisième option, dans laquelle les marchés des drogues disparaîtraient.» Or, pour réguler le marché, il faut réformer les conventions internationales, ce «bébé» étasunien jusqu’ici intouchable. L’occasion s’en présentera en 2016, lors de la Session extraordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU sur la drogue. La Commission exhorte les gouvernements à la saisir.
Après la présentation du rapport, Tony Newman, de la Drug Policy Alliance, commentait dans le Huffington Post: «Le génie est sorti de sa boîte. Grâce à la Commission globale, le débat sur notre manière d’affronter le problème de la drogue ne sera plus jamais le même.»
Ciudad Guatemala, 18 septembre
Ce matin, Ruth Dreifuss, seule membre de la Commission globale invitée à la 46e Conférence extraordinaire de l’OEA, présente le quatrième rapport à un forum organisé à l’Université Rafael Landívar. La Conférence des Etats américains proprement dite commence seulement demain. Son ambition est de trouver un consensus en vue du rendez-vous de 2016.
Très à l’aise devant un public de responsables et d’étudiants, l’ancienne ministre de l’Intérieur déploie ses arguments: «Il faut réguler le marché non parce que les drogues ne sont pas dangereuses, mais précisément parce qu’elles le sont.» Contrôler les substances et les comportements à risques, c’est un rôle fondamental de toute autorité gouvernementale, poursuit-elle. Chaque pays doit pouvoir, progressivement et sous contrôle scientifique strict, mener des expérimentations adaptées à sa réalité. L’expérience des uns profitera aux autres et c’est ainsi qu’on avancera. Mais actuellement, le modèle unique de l’idéologie prohibitionniste est une «camisole de force» qui a pour effet de freiner les initiatives.
Au sein même des avocats de la régulation, certains prônent une attitude moins frontale: les conventions internationales sont obsolètes et inadaptées, certes, mais on peut les changer «de facto» en évitant la confrontation idéologique, plaide John Collins, co-auteur d’un rapport antiprohibitionniste publié ce printemps par la London School of Economics.
L’Uruguay a montré la voie, en devenant, en 2013, le premier pays à légaliser la consommation, la production et la vente de la marijuana. Les Etats du Colorado et de Washington l’avaient précédé en 2012. La preuve, comme le répètent aujourd’hui les Etats-Unis, qu’il suffit de se montrer souple dans l’interprétation des conventions sans tout remettre en question? Ruth Dreifuss est sceptique: «Les Etats-Unis se montrent souples surtout quand ça les arrange. Le Colorado et Washington, de fait, violent les conventions internationales. Mais quand le mauvais élève est un pays faible, le grand frère gardien des conventions le punit volontiers par des mesures de rétorsion indirectes.»
Durant la matinée, il sera encore rendu hommage au président guatémaltèque Otto Pérez Molina, l’un des avocats déclarés d’un changement de politique de la drogue en Amérique latine. Il a créé, et c’est une première, une commission nationale chargée de tracer la voie d’une nouvelle approche.
A la sortie du colloque, un petit cercle d’étudiants s’est formé autour de l’ancienne présidente helvétique. Le mal le plus grave qui ronge notre pays n’est pas la drogue elle-même, mais la corruption dans son sillage, expliquent-ils. Elle acquiesce: «Vous vous sentez pris dans un cercle vicieux. Mais les cercles vicieux, croyez-moi, on peut en sortir!» Poignées de mains, sourires et vœux. Brenner Camposeco, étudiant en relations internationales, la regarde s’éloigner: «C’est une femme redoutable. Le Guatemala a besoin de gens comme elle.»
A 13 heures, à l’hôtel, au moment de partir chez l’ambassadeur de Suisse, Ruth Dreifuss s’aperçoit qu’elle a une tache sur sa veste beige nacre. Vite remonter dans sa chambre se changer? Bof, d’un geste paresseux, elle fait mine de cacher l’affaire et l’oublie aussitôt.
Les deux «anges gardiens» mandatés par le ministère de l’Intérieur et qui ne la quittent pas d’une semelle depuis son entrée au Guatemala ont suivi la scène: une ancienne présidente aussi «simple», ils n’en reviennent pas.
Autour de la table de l’ambassadeur Jürg Benz, il sera question de la spirale de corruption qui ronge le Guatemala, des bandes criminelles jusqu’aux institutions. De la violence qui décime les familles (17 morts par jour) et dont les femmes paient le prix fort: la traite des blanches prospère, les mules, victimes criminalisées, croupissent en prison par milliers. Et dans les quartiers tenus par les «marras», les mafieux soutirent un impôt aux parents contre la promesse que leurs filles ne seront pas violées.
Terre de transit pour la drogue produite notamment au Pérou et en Colombie, le Guatemala, tout comme les pays pourvoyeurs, en a assez de payer le prix fort d’une guerre qui n’existe que parce que des millions de consommateurs attendent leur dose dans les pays riches. La bonne nouvelle, c’est que ceux de l’Amérique d’en bas commencent à faire entendre leur voix. Et la grande force de la Commission globale, c’est de conjuguer deux sources d’énergie: cette soif de justice émergente et l’expérience des pays européens.
Dans l’après-midi, rencontre – hors micros – entre l’ancienne présidente helvétique et le chilien José Miguel Insulza, secrétaire général de l’Organisation des Etats américains. Ils se félicitent et s’apprécient. S’il n’en tenait qu’à eux, c’est sûr, l’ONU n’aurait qu’à bien se tenir. Mais chaque pays a ses échéances électorales et ses fils à la patte. Au moment de s’accorder sur les actions futures, ils peinent à se mettre d’accord.
Le soir, devant un guacamole, Ruth Dreifuss évoque sa précédente visite au Guatemala. C’était dans les années 70, après le grand tremblement de terre. Elle rentrait d’une mission pour la coopération technique au Honduras. Elle dit la dévastation, son sentiment d’impuissance, ses larmes de désespoir. Voyager comme spectatrice, ce n’est pas son truc. Et même le travail à la coopération technique, au bout de quelques années, a fini par lui peser: «Je n’ai plus supporté l’idée que si quelque chose tournait mal, je rentrais dans mon pays et mes partenaires restaient là, à payer le prix fort. J’avais un sentiment d’irresponsabilité. Si on fait quelque chose, il faut avoir des comptes à rendre.» C’est pour ça, voyez-vous, que la politique, c’est «chouette».
Il est l’heure d’aller dormir. Madame l’ancienne conseillère fédérale cherche des yeux ses deux «anges gardiens». Elle a veillé à ce qu’ils aient une table et paie leur repas de sa poche. «Todo bien?» Parce qu’elle parle espagnol, bien sûr.
On peut y aller. Elle se lève, elle n’a pas fini son seul verre de vin.
Ciudad Guatemala, 19 septembre
Ce matin, c’est Richard Branson, l’industriel milliardaire écolo, qui flotte au ciel du petit-déjeuner. Ruth Dreifuss, voyageuse intensive, raconte un court séjour enchanté dans sa maison bio des îles Vierges. Un type extra, ce Branson. «On rencontre des gens bien dans cette commission. Et l’échange est intense. Par exemple, quand on leur a envoyé le projet du dernier rapport, ils ont réagi et envoyé des suggestions.» Où l’on comprend, entre les lignes, que Ruth Dreifuss a joué un rôle central dans la rédaction même du texte.
Et qui finance la Commission? Pour presque la moitié, la fondation Open Society du financier philanthrope magyaro-américain George Soros. Les autres donateurs sont Richard Branson et le président de la Commission lui-même, Fernando Henrique Cardoso, via leurs fondations respectives. Il y a encore un «leader économique» qui tient à l’anonymat. Non, elle n’en dira pas plus. «Ce qui est sûr, rigole-t-elle, c’est que ce n’est pas un trafiquant de drogues, il aurait tout à perdre du succès de nos idées.»
Dix heures. La 46e Conférence extraordinaire des pays de l’OEA sur la drogue a commencé. Le délégué étasunien plaide, comme prévu, pour une interprétation souple des conventions, suivi par le Pérou et le Chili. La déléguée canadienne en rajoute dans le rôle de première de classe de la doxa onusienne. L’Argentin envoie des roquettes verbales contre la stratégie militaro-prohibitionniste made in USA: «Tout ce que nous sommes arrivés à faire, c’est criminaliser la pauvreté» (Noam Chomsky). Le représentant de l’Uruguay a l’élégance de ne pas en rajouter dans la provocation anti-onusienne. Nous avons certes réglementé le marché du cannabis, dit-il en substance, mais «nous n’aspirons pas à être un modèle». Car précisément, le modèle unique, on n’en veut plus.
Et voici le délégué d’un autre pays en délicatesse avec les conventions, la Bolivie. Chapeau andin haut sur la tête, longue tresse noire coulant sur sa nuque digne, l’homme plaide pour le droit de son pays à prendre des «décisions souveraines». «De quel droit les USA nous critiquent-ils? Qu’ont-ils fait chez eux pour réduire la demande?»
A propos de la Bolivie, il faut savoir que ce pays a trouvé, en 2012, un ingénieux tour de passe-passe pour légaliser l’usage traditionnel de la feuille de coca, sorte d’équivalent andin du verre de blanc bien de chez nous: elle s’est retirée de la convention qui l’interdit, pour y rentrer immédiatement après avec une réserve sur ladite feuille de coca. La bonne nouvelle, c’est que deux tiers des pays de l’ONU l’ont appuyée.
A la fin de la journée, il est clair que les pays de l’OEA n’iront pas au rendez-vous de 2016 en réclamant d’une seule voix la révision des conventions onusiennes. Mais le texte de leur résolution affirme la nécessité de développer des approches nouvelles et adaptées aux réalités nationales, insiste sur la santé, les droits de l’homme, la proportionnalité des peines et la volonté de concentrer les efforts sur les mafias et leurs relais financiers. Par rapport au credo unique éradication-prohibition-répression d’il y a encore vingt ans, c’est un progrès.
«Le ton a changé, les mentalités évoluent, plus vite même qu’on ne pouvait l’espérer en 2011», se réjouit Ruth Dreifuss. Ailleurs dans le monde aussi. L’Iran, l’Ukraine, l’Australie ont adopté une approche de réduction des risques, le Portugal et la Belgique frôlent le modèle uruguayen, et tout cela s’est produit durant les quinze dernières années.
Et Genève? Tout indique qu’elle devrait bientôt réussir elle aussi une percée sur le front du cannabis. Une commission interpartis planche sur un modèle qui permettrait d’en réguler la consommation, la production et la vente. Et qui se prononcera sur la pertinence dudit projet? Ruth Dreifuss elle-même, à la tête de la commission consultative fraîchement nommée. Ravie de ce retour actif sur son terrain. Pour finir le travail commencé, en quelque sorte.
A l’heure du café sans caféine et du verre à moitié vide, nous parlons des ados de chez nous et de la fumette. Légaliser la drogue, c’est clairement la solution pour lutter contre la violence dans les pays producteurs. Mais pour les jeunes adultes d’ici en mal de limites? Elle admet qu’une légalisation peut constituer un risque pour les plus fragiles. Elle note que pour d’autres, à l’inverse, l’interdit est un stimulant. Nous vivons dans des sociétés hautement addictives, c’est un fait: «Il faudra y aller pas à pas, mettre des garde-fous, tirer les leçons de chaque expérience.»
Mais la régulation est la seule voie, elle en est convaincue. Ne serait-ce que parce que l’immense majorité des victimes de la drogue ne sont pas des consommateurs. «La demande vient des pays riches et ce sont les pays pourvoyeurs qui sont dévastés, c’est inacceptable. Mais le crime organisé, corrupteur et violent, est un cancer pour toutes les démocraties, la menace est planétaire.»
Il se fait tard. On dirait que l’air conditionné et la sono pourrie ont épuisé tout le monde, sauf elle. On sous-estime l’importance de l’endurance physique dans une destinée politique.
Antigua, 20 septembre
Journée tourisme, journée cadeau. Ruth Dreifuss arpente, sous le soleil, les rues d’Antigua, l’ancienne capitale, le nez levé vers la couronne de volcans alentour. «Quelle beauté. Que de trésors dans ce pays.» Le Guatemala lui est moins familier que d’autres pays d’Amérique centrale ou latine, elle apprécie, s’émerveille, jamais blasée.
La rencontre marquante de la journée est celle de José Ricardo Pokorny, fils d’émigrés tchèques et héritier d’une «finca» productrice de café en voie de reconversion en centre de culture biologique. José Ricardo a créé une école sur le domaine, participe au projet de l’ONU Villes sûres, persuadé que c’est en créant des espaces de vie enrichissants et solidaires qu’on empêche les jeunes de devenir dealers. Sa femme, une Anglaise, enseigne aux paysans à murmurer à l’oreille des chevaux: quand l’homme cesse de maltraiter ses bêtes, la violence familiale diminue, c’est ce qu’est en train de vérifier une chercheuse américaine qui consigne l’expérience.
Trente-six ans de guerre civile ont laissé des traces, les armes se sont tues il y a moins de dix ans au Guatemala. José Ricardo: «Les enfants d’ici ont les yeux baissés. Quand ils redressent la tête et nous regardent, nous avons l’impression d’avoir réussi quelque chose.»
Les pieds sur l’herbe de la pépinière, le nez dans une jacinthe, la visiteuse suisse écoute et approuve. «Quel homme extraordinaire, dit-elle en partant. Le Guatemala a besoin de gens comme lui.»
La Aurora-Cointrin, 21-22 septembre
En quittant l’hôtel ce matin, elle a arrosé tout le monde de pourboires et donné les cadeaux gouvernementaux à ses anges gardiens. Hier soir, en quittant le photographe mandaté par L’Hebdo, elle a même vérifié que la rédaction ne se rendait pas coupable d’exploitation caractérisée de collaborateur free-lance. Ruth Dreifuss est le genre de personne dont on rêve de devenir la femme de ménage.
En vol, entre deux somnolences, elle évoque son père bien-aimé, qui faisait les cent pas dans le salon en lisant à sa fillette Cervantès, Shakespeare et Dante. Elle ne comprenait rien mais elle a reçu sa dose d’amour, c’est clair. Ruth Dreifuss est le genre de personne qui n’a pas besoin de se shooter à l’ego.
Plus tard, nous parlons de ses prochains voyages: rien que d’ici la fin de l’année, il y aura encore Vienne, Londres, Strasbourg, peut-être Paris et Madrid, toujours dans le cadre de son mandat pour la Commission globale, dont le bureau européen, qu’elle conduit avec Michel Kazatchkine, est à Genève. Dans le hub de Schiphol, Amsterdam, elle apprend que le quatrième rapport vient d’être traduit en islandais. Alors, il y aura l’Islande aussi, «je me réjouis».
A Amsterdam elle a acheté des bulbes de tulipes qu’elle projette de planter sur le balcon de son appartement des Pâquis. Mais tout à coup, en contemplant son agenda: «Il va falloir que je trouve un système d’arrosage automatique un peu plus performant, je suis tout le temps absente…» Les voyages, ces temps-ci, occupent une bonne moitié du temps de l’ancienne présidente.
Et avec tout ça, on n’a pas encore parlé de la Commission internationale contre la peine de mort, où Ruth Dreifuss côtoie avec délice Robert Badinter, entre autres personnages remarquables. «J’ai un profond besoin d’agir. Je suis née, juive, à quelques kilomètres d’un pays où j’aurais été envoyée à la mort, pas étonnant que je sois obsédée par toutes les discriminations, la torture, l’esclavage et les génocides. Ma veine, c’est d’avoir réussi à transformer mes fissures et mes angoisses en volonté d’action.»
Appelons ça de la veine. En tout cas, comme dit son ami Pierre Leuzinger, «elle vieillit bien, Ruth». La politique, ça conserve? Les convictions, et le courage, ça conserve: nuance.
anna.lietti@hebdo.ch
Un cénacle de haut vol
«Prendre le contrôle: sur la voie de politiques efficaces en matière de drogues» est le titre du dernier rapport de la Commission globale de politique en matière de drogues, disponible sur son site: www.globalcommissionondrugs.org
La commission est composée de: Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations Unies, Ghana. Louise Arbour, ancienne haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, Canada. Pavel Bém, ancien maire de Prague, République tchèque. Richard Branson, entrepreneur et philanthrope, fondateur du groupe Virgin, Royaume-Uni. Fernando Henrique Cardoso, ancien président du Brésil. Maria Cattaui, ancienne secrétaire générale de la Chambre de commerce internationale, Suisse. Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération helvétique. César Gaviria, ancien président de Colombie. Asma Jahangir, ancienne rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Pakistan. Michel Kazatchkine, ancien directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, France. Aleksander Kwasniewski, ancien président de la Pologne. Ricardo Lagos, ancien président du Chili. George Papandréou, ancien premier ministre de Grèce. Jorge Sampaio, ancien président du Portugal. George Schultz, ancien secrétaire d’Etat, Etats-Unis. Javier Solana, ancien haut représentant de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité commune, Espagne. Thorvald Stoltenberg, ancien ministre norvégien des Affaires étrangères et haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Mario Vargas Llosa, écrivain, Pérou. Paul Volcker, ancien président de la Réserve fédérale américaine et du Conseil pour la reconstruction économique, Etats-Unis. John Whitehead, ancien secrétaire d’Etat adjoint, ancien coprésident de Goldman Sachs & Co., Etats-Unis. Ernesto Zedillo, ancien président du Mexique.