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Hebdo.ch » revue de blogs de la semaine

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Jeudi, 15 Août, 2013 - 05:53

La bataille de Bremgarten

Morgarten, 1315. Les Schwytzois, aidés par les confédérés d’Uri, réduisent à néant la cavalerie lourde du duc Léopold Ier d’Autriche, bien décidé à les envahir. Cette première grande victoire sur la dynastie des Habsbourg assura la pérennité de la Confédération des III cantons, cet embryon de la Suisse moderne, amené à croître par la suite. Bremgarten, 2013. C’est une bataille autrement symbolique pour la Suisse qui se joue actuellement en terre argovienne. Une bataille pour les droits fondamentaux.

Le 6 août dernier, la petite commune de 6500 âmes voyait s’ouvrir sur ses terres un centre de requérants d’asile. Selon un accord passé entre la Confédération et la commune, ces derniers n’ont pas le droit de pénétrer dans les installations scolaires et sportives les jours de semaine, de 7 à 18 heures. Si la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a exclu une interdiction de piscine pour les requérants, il n’en fallait pas plus pour provoquer l’ire de nos blogueurs qui, à l’instar de Cesla Amarelle, se sont élevés contre ce «délire sécuritaire»: «La Suisse n’échappe pas à la tendance croissante qui existe partout en Europe de restreindre la liberté de mouvement des demandeurs d’asile. (...) Le hic, c’est que les limitations légales ne sont prévues que pour ceux qui troublent l’ordre public. (...) Or, dans le cas de Bremgarten, les restrictions s’appliquent pour tous les demandeurs d’asile sans même requérir l’existence d’indices. (...) Plus largement, la meilleure façon de pallier les potentiels problèmes serait de leur permettre de travailler ou, à tout le moins, de mettre en place des programmes d’occupation crédibles.»

Une situation intolérable pour Jacques Neirynck, qui fustige la Suisse, ce paradis fiscal avéré se payant le luxe de ne pas respecter les droits de l’homme. «Elle n’est même plus politiquement  correcte. Les démentis officiels furent lamentables. (...) Eduqués par des instituteurs droit-de-l’hommistes, certains Suisses ingurgitent du bout des lèvres l’impératif catégorique selon lequel tous les hommes sont égaux. (...) Mais d’autres maîtres à penser leur inculquent aussi l’excellence de leur pays parmi tous les autres. (...) Et donc dans leurs petites têtes chahutées, ils opèrent une synthèse simplifiée: certes tous les hommes sont égaux, mais nous sommes plus égaux que les autres.»

Egalité. C’est précisément l’acception de ce terme-là qui pose problème dans la bataille de Bremgarten, déplore Johan Rochel. Selon lui, ce ne sont ni l’hygiène, ni le comportement alcoolique ou violent qui donnent lieu à des restrictions, mais seulement le fait d’être Autre. «A ce titre, il n’est pas surprenant que les esprits s’échauffent autour de la «piscine», lieu hautement symbolique. C’est en effet dans la piscine que les corps se touchent et, par l’intermédiaire de l’eau, se mélangent. (...) C’est là que l’Autre se fait le plus clairement voir et sentir comme Autre. Mais c’est également là que les plus sombres histoires de ségrégation remontent à la surface. En cet été 2013, il faut mener et gagner la bataille de Bremgarten.»

S’il milite pour le rapprochement des corps, c’est dans un tout autre registre que Patrick Morier-Genoud mène son combat: «J’ai souvent rêvé qu’une femme m’aborde et, sans préliminaires, me demande si je veux coucher avec elle. Vous imaginez comme cela serait sympathique si tous et toutes nous allions ainsi droit au but? Sans circonvolutions, sans fausse pudeur, franchement. Plutôt que de fantasmer semaine après semaine sur les si belles sensuelles sexy serveuses, plutôt que de minauder platement avec ses collègues de bureau, plutôt que d’inventer mille prétextes pour inviter la voisine (...), plongeons-y: voulez-vous coucher avec moi?» Persévère, Patrick, un jour tu la remporteras, ta bataille.


Blogs» Politique» Suisse - Union européenne
les politiciens suisses sont-ils encore crédibles?

Nos dirigeants politiques se comportent comme si la Suisse était seule au monde.
René Jost

Ueli Maurer claironne ouvertement qu’il faut s’éloigner de l’Europe et il s’envole démonstrativement à Pékin, pour aller caresser dans le sens du poil les dirigeants de la Chine et les féliciter de leurs succès économiques. (…) Christophe Darbellay attaque quant à lui de manière abominable notre ministre des Affaires étrangères qui a osé dire timidement que la Suisse doit aller à la rencontre de l’UE, si elle entend enfin régler le problème institutionnel qui pourrit depuis des années nos relations avec l’Union (…). Christoph Blocher, le plus indigne ancien conseiller fédéral de tous les temps, a annoncé, il y a une année déjà, qu’il conduirait la lutte «contre le contrat colonial» sur l’approvisionnement en électricité, de manière tout aussi «répugnante» que celle qu’il a menée il y a vingt ans contre l’adhésion à l’EEE. (…) Le président du Conseil des Etats, Filippo Lombardi, dénonce la rage de régulation dont fait preuve l’admin­istration bruxelloise tout en avouant que l’administration fédérale serait également atteinte par ce virus. (…) Tout le monde se comporte comme si nous étions seuls au monde, mais aussi en Europe. Comme si nous n’avions plus besoin de nos voisins du fait que désormais la lointaine Chine nous aime tellement. Et les politiciens suisses ne semblent plus être conscients que, pour conclure un contrat, il faut au moins deux partenaires (…). En outre, ils semblent ignorer que chaque partie sacrifie au profit de ses intérêts une partie de sa «souveraineté». (…) Personne ne pose la question des conséquences prévisibles en cas d’un détachement de l’économie de notre pays du marché interne européen avec ses 500 millions d’habitants. De plus, personne ne semble se préoccuper de ce qu’il adviendrait de la subvention d’un milliard d’euros accordée par l’UE sur dix ans à l’EPFL pour la recherche sur le cerveau, au cas où l’accord sur la coopération scientifique et technologique passerait à la trappe en même temps que les six autres accords bilatéraux I. (…) N’oublions pas non plus que le fait de n’être entouré que par des pays de l’UE donne à notre pays une sécurité extérieure bien plus efficace que celle que la «meilleure armée du monde», chère au président de la Confédération, ne pourra jamais nous offrir. Contrairement aux milliards que coûtera l’avion de combat suédois Gripen, si ardemment voulu par le chef du Département militaire, la Suisse peut laisser ses voisins supporter les coûts engendrés par cette sécurité extérieure
si efficace qu’ils nous fournissent gratuitement.


Blogs» Culture» Les lumières de la ville
La cinémathèque est à Locarno

L’institution lausannoise a contribué à de nombreux projets présentés dans le cadre du Festival du film.
Frédéric Maire

Permettez-moi un peu d’autopromotion. (…) La Cinémathèque suisse est présente en force à Locarno. Elle participe à la grande rétrospective proposée par le festival (en collaboration avec le Museo del Cinema de Turin) et consacrée à George Cukor; et elle contribue à l’édition du livre édité par Capricci en marge de la rétrospective qui sera ensuite présentée en septembre à Lausanne (et à Genève, au Grütli). Elle propose aussi deux récentes restaurations de films d’Alexander Seiler, l’un des pères du nouveau cinéma suisse et du cinéma documentaire en particulier (…). La Cinémathèque s’affiche aussi sur l’écran puisqu’elle a contribué, par la mise à disposition de documents d’archives, au film très attendu de Jean-Stéphane Bron, L’expérience Blocher (…). En plus, cette année, elle s’est retrouvée impliquée dans la finalisation du nouveau film de Pippo Delbono, Sangue, qui a été invité… en compétition officielle. C’est en grande partie à Lausanne, avec la participation de Casa Azul Films et de Fabrice Aragno, que ce film a été monté, mixé, finalisé. (…) Voilà pourquoi je ne me permettrai pas d’émettre un quelconque avis critique sur les films de la compétition. D’une part, parce que j’en suis! Et de l’autre parce que je trouve assez malvenu de la part d’un ancien directeur de venir commenter la sélection d’un de ses successeurs! Donc je me contenterai cette année de regarder Locarno de biais (…).


Blogs» Economie & Finance» Post Scriptum
Sept Sages? Mon c…, comme dirait Zazie

Autoriser la plantation d’OGM en Suisse serait scandaleux.
Michael Wyler

Dans sa suprême sagesse, le Conseil fédéral veut autoriser la plantation d’OGM dès 2018, pour le plus grand plaisir des milieux économiques, dont la clairvoyance nous a si souvent fichus dans la m… La résistance est encore maigrelette: un député UDC et les Verts. Or, qui dit OGM dit Monsanto, une boîte pourrie de chez pourri, malgré son «code de déontologie» qui fait 35 (sic) pages et montre bien que Boileau se plantait en affirmant «Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément.» Monsanto salaud? Certainement pas, si l’on en croit son site Internet. Plutôt des bienfaiteurs de l’humanité, enfants spirituels de l’abbé Pierre et de sœur Emmanuelle. (…) Je ne sais pas si les OGM sont de la m… ou pas. Mais je sais que Monsanto ment, triche, falsifie des études, ruine des fermiers et claque des millions pour influencer les gouvernements. Cela me suffit pour dire STOP!

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Le vinyle, un art déco

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Jeudi, 15 Août, 2013 - 05:54

PHENOMENE. Un son granuleux. Un format peu pratique. On l’a dit fini. Et pourtant, le 33 tours fait un retour remarqué… dans le monde de la décoration.

Vicky Huguelet

Le vinyle est de retour. Non, on ne va pas vous rabâcher les oreilles avec le son rond du microsillon, ni avec les cadres dans lesquels des puristes les exposent depuis des années. Aujourd’hui, les 33 et 45 tours sont devenus les objets indispensables pour décorer les maisons des nostalgiques les plus branchés.

Pour Thierry Ayer, patron du magasin Vinyl à Neuchâtel, «un disque rassemble deux œuvres d’art: la musique et la pochette. Prenez la fameuse couverture d’Andy Wharol pour le Velvet Underground. Sur l’originale, on pouvait décoller la pelure pour découvrir la banane!» Le design qui a marqué Jean-Sébastien Monzani, graphiste freelance à Lausanne? «Celui des Pink Floyd. Storm Thorgerson (qui a réalisé la majorité des pochettes du groupe, dont celle, devenue mythique, de Dark side of the moon) a révolutionné une manière de communiquer, en mêlant musique et surréalisme».

Des couvertures qui, aujourd’hui, sont souvent rééditées pour leur fonction décorative: «Je n’ai pas de tourne-disque. Et certaines pochettes que j’ai achetées sont vides», s’amuse Billy, un Neuchâtelois de 23 ans. A la Fnac d’ici, comme dans les magasins new-yorkais d’Urban Outfitters, le nostalgique trouvera les 33 tours de Jimi Hendrix, des Beatles, ou encore des Rolling Stones: des couvertures vintages et historiques prisées pour leur côté très mode.

Un format intéressant. Si les groupes légendaires voient leurs microsillons re-pressés, les plus jeunes musiciens se lancent dans leurs premiers essais. Les Neuchâtelois de The Rambling Wheels ont réalisé leur double-vinyle récemment, non sans problèmes: «L’étiquette de la phase A était affichée sur la phase B, et inversement! Nous avons  2000 microsillons fichus que nous utilisons comme  objets décoratifs, sous-plats…», s’amuse Sunny O’Bron, batteur.

Le design du double-vinyle du groupe a été imaginé par Lionel Gaillard. Ce graphiste fribourgeois a également travaillé sur des pochettes de CDs, mais préfère la taille des vinyles: «C’est plus spectaculaire à regarder, ça laisse plus de possibilités.» Alain Jean-Mairet, du magasin genevois Sounds Records, en rajoute: «Un CD c’est moche, c’est en plastique. Donc autant payer dix francs de plus pour avoir un bel objet!»

Francis Baudevin, peintre et professeur à l’ECAL (Ecole Cantonale d’Art de Lausanne), fait une autre comparaison: «Avec la pochette de microsillon, il y a le plaisir du recto-verso qu’on ne trouve pas dans la peinture.» En plus de cela, une pochette d’album est carrée, «ce qui est rare dans la peinture et qui plaisait tant à Andy Wharol parce qu’il n’y a pas à choisir entre la longueur et la largeur».

Quand le sillon se déforme. La couverture n’est pas le seul attrait visuel du disque. Cathy, Neuchâteloise de 27 ans, fabrique des saladiers avec ses 45 tours. Rien de plus simple. «Je préchauffe mon four a 200° et dépose sur une plaque un vinyle tout bête (attention de ne pas utiliser votre version collector des Stones!) sous laquelle j’ai placé un pot de confiture. Et je laisse chauffer dix minutes.» Dans le même esprit, des boutiques en ligne comme Funky Vinyl ou Lockengelöt proposent des horloges, bols, cendriers et autres supports de papier toilette fabriqués avec des microsillons.

Bien sûr, le vinyle peut encore être utilisé pour…écouter de la musique. Mais, au final, pour le graphiste Jean-Sébastien Monzani, «l’intérêt du microsillon, c’est l’objet. La musique ne change pas vraiment selon les supports.» Mais les puristes vous jureront que oui.

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Xavier Voirol
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Amazon, la nouvelle tribune de Jeff Bezos

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Jeudi, 15 Août, 2013 - 05:55

POUVOIR. Les poids lourds de la Silicon Valley sont en quête de débats et d’influence politique. C’est ce que démontre l’acquisition du «Washington Post» par le fondateur d’Amazon.

Markus Brauck, Jan Friedman, Thomas Schulz

Au jour J +1 après la vente du Washington Post à Jeff Bezos, patron d’Amazon, les commentateurs utilisaient déjà des termes de manuel d’histoire: ils parlaient de tournant, d’ère, de césure. Le sauveteur venu de l’internet est ovationné puisque, dit-il, il croit non seulement à l’avenir du Washington Post mais à celui des journaux en général. Au jour J +4, le débat n’a pas progressé d’un pouce car aucun journal n’a posé la vraie question: que retire Jeff Bezos de l’opération?

On observe depuis quelque temps une tendance nette: riches à milliards, blasés de leurs succès et surpuissants, les poids lourds de la Silicon Valley s’efforcent de reporter leur influence économique et culturelle sur la scène politique.

Jusqu’alors, leur devise était: pourquoi se mêler des affaires de Washington où ne se côtoient que les médiocres qui ne réalisent rien? Mais peu à peu certains d’entre eux ont laissé deviner un avis différent. Ils se sont aperçus que la révolution numérique qu’ils pilotent changeait bel et bien le monde; qu’ils pouvaient bel et bien mettre en œuvre leur philosophie de la transparence totale. Mais que, pour ce faire, il leur fallait de l’influence politique. D’un coup, on a vu tous les grands noms du secteur s’intéresser à la politique: Mark Zuckerberg, de Facebook (et sa fidèle Sheryl Sandberg), la patronne de Yahoo!, Marissa Mayer, le président exécutif de Google, Eric Schmidt.

Jeff Bezos en fait aussi partie. Il a une vision d’entrepreneur qui ressemble à un projet politique. Son idée d’une disponibilité de toute chose en tout temps et en tout lieu, à laquelle il subordonne toute autre considération, est le projet hautement politique d’un commerce sans limites. Bezos n’est plus seulement le roi du commerce en ligne, il est associé à des projets spatiaux, aux recherches sur l’ordinateur quantique et à nombre d’autres innovations.

Du rejet à l’implication. Kevin Hartz fait partie de ces entrepreneurs actifs dans les IT (information technologies). A la fin des années 90, il revendait sa première société. Puis il s’est associé à des start-up qui, avec son aide, sont devenues des géants: PayPal, Pinterest, Airbnb. «Nous avons longtemps perçu la politique comme une baudruche, un processus bureaucratique. Qu’on nous laisse travailler, disait-on à la Silicon Valley. Mais nous avons maintenant compris que nous devions gagner en influence à Washington. C’est juste que nous n’en comprenons pas encore bien les mécanismes, nous sommes en train d’apprendre.»

L’achat d’un quotidien influent et prestigieux est une manière de faire ses classes en politique. Les prix des journaux se sont effondrés. En 2007, le groupe de presse du milliardaire Sam Zell, comprenant le Chicago Tribune et le Los Angeles Times, était encore estimé à 8,2 milliards de dollars. En Allemagne, cette année-là, le modeste Braunschweiger Zeitung valait 210 millions d’euros, nettement plus que le Washington Post aujourd’hui.

Le printemps dernier, Eric Schmidt, président de Google, a publié avec Jared Cohen, directeur de Google Ideas, The New Digital Age, qui constitue surtout une réflexion politique sur l’avenir de Google (et Sheryl Sandberg, de Facebook, a aussi pondu un ouvrage traitant des femmes en politique et du monde du travail).

L’œuvre de Schmidt et Cohen est une lecture éclairante qui montre pourquoi l’arrivée en politique des ténors du numérique est essentielle: l’évolution qu’ils prévoient pour les années à venir n’influencera pas seulement l’économie, elle remet foncièrement en cause la question des droits fondamentaux, car il en ira toujours plus de la fusion entre l’homme et la machine.

De leur côté, Mark Zuckerberg, de Facebook, et Marissa Mayer, de Yahoo!, se retrouvent dans un lobby appelé FWD. us actif dans la politique d’immigration et l’amélioration des formations scolaire et universitaire. Mais cela ressemble plus à un laboratoire chargé d’analyser comment s’organise l’influence politique. Et Zuckerberg a utilisé les colonnes du Washington Post pour donner de l’écho à ses idées: «Pour une nation d’immigrés, nous avons une curieuse politique d’immigration.»

Ce que l’on voit là est une révolution copernicienne par rapport aux générations précédentes de l’internet, sous l’égide de Steve Jobs et de Bill Gates. Les icônes de la Silicon Valley se tenaient ostensiblement à distance de la scène politique. L’an dernier encore, un dirigeant d’Apple disait qu’il était du devoir de son groupe de fabriquer les meilleurs produits, pas de résoudre les problèmes de l’Amérique. Ce temps est passé.

La nouvelle ambition est de montrer à un monde politique atone qu’il doit régler sa cadence sur celle de la Silicon Valley. L’élite du numérique n’a jamais été apolitique, elle ne s’est simplement pas occupée de politique. En vérité, elle est profondément idéologique. Ses racines plongent dans la contre-culture des années 60 à San Francisco. Aujourd’hui encore, elle est imprégnée de fantaisies utopistes et sous l’influence de penseurs libertaires ultra-individualistes. Elle voit les technologies comme le sommet du progrès de l’humanité, comme la poursuite de l’évolution par d’autres moyens. Selon la devise: «Pour chaque problème il existe une appli.»

©Der Spiegel
Traduction et adaptation: Gian Pozzy

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Reed Saxon, Keystone
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Le Français qui murmure à l’oreille d’Eveline

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Jeudi, 15 Août, 2013 - 05:56

COULISSES. Enfant de la République devenu binational, Sébastien Leprat conseille désormais Eveline Widmer-Schlumpf dans le contentieux avec la France sur le droit successoral. Ce qui fait grincer des dents au PLR, sa famille politique.

On ne l’a entrevu qu’une fraction de seconde sur les images du TJ le 11 juillet dernier à l’occasion de la signature d’une nouvelle convention sur les successions. L’homme qui est assis juste à la gauche d’Eveline Widmer-Schlumpf, reçue ce jour-là à Bercy par le ministre français de l’Economie et des Finances Pierre Moscovici, c’est Sébastien Leprat. Une place de choix pour un collaborateur scientifique au parcours extraordinaire. Ce Franco-Suisse de 42 ans – qui aurait pu se retrouver de l’autre côté de la table si l’amour n’était pas passé par là – conseille désormais la cheffe du Département fédéral des finances sur les questions fiscales et financières liées à l’UE et à la France.

En quittant le secrétariat général de la conseillère d’Etat vaudoise Jacqueline de Quattro pour aller rejoindre Eveline Widmer-Schlumpf en juin dernier, Sébastien Leprat n’a pas choisi la facilité. Le voici plongé au cœur d’un dossier explosif, notamment en Suisse romande. Il doit défendre une convention dont les plus féroces détracteurs viennent du PLR, le parti dont il a été secrétaire latin durant huit ans.

Le meilleur avocat d’Eveline Widmer-Schlumpf. Dans son bureau du Bernerhof, Sébastien Leprat reste pourtant très zen au seuil de sa campagne d’explications auprès des députés des deux Chambres fédérales. Même s’il ressent un impérieux besoin de mettre beaucoup de choses au point: «Je n’ai pas du tout vécu la signature de cette convention comme une capitulation de la Suisse face à la France. Les médias ont complètement passé sous silence la reprise d’un dialogue sur les nombreuses questions encore ouvertes», insiste-t-il. Un point très positif pour la Suisse, qui a de plus obtenu un report de l’entrée en vigueur de la convention, de manière à pouvoir procéder à une éventuelle votation populaire.

Face aux critiques qui s’abattent en Suisse romande sur Eveline Widmer-Schlumpf, Sébastien Leprat est désormais son meilleur avocat. A Berne, pourtant, personne n’aurait parié un centime sur son retour au sein du secrétariat général de la Grisonne. N’était-ce pas elle qui, à peine élue au Conseil fédéral, l’avait engagé avant de s’en séparer au bout d’un an seulement? En l’absence de tout commentaire de part et d’autre à l’époque, on avait supposé que le courant n’avait pas passé entre ces deux personnalités que tout oppose. Autant la conseillère fédérale apparaît sèche et austère, autant le Franco-Suisse est jovial, convivial et tout en rondeur. Autant elle affronte les conflits sans crainte de s’y blesser, autant il préfère les éviter.

Des critiques au sein du PLR. Revoici donc Sébastien Leprat au cœur du pouvoir à Berne. Rien pourtant ne le prédestinait à devenir un haut commis de l’administration suisse. Bien qu’ayant eu des grands-parents helvétiques, ce Parisien du Vésinet est un pur enfant de la République. Fils de fervents gaullistes, il fait la Sorbonne en faculté de droit et entame une préparation pour entrer à l’ENA. Il finit par porter son choix sur sa petite sœur, les Instituts régionaux d’administration (IRA). C’est l’amour qui le fait dévier d’une voie toute tracée dans l’Hexagone!

Au début des années 90, un certain Adolf Ogi, ancien moniteur de ski ayant donné des cours à la maman de Sébastien Leprat, se souvient de cette femme. Il cherche une famille d’accueil pour sa nièce – Barbara Marti – qui veut apprendre le français à Paris. Les flèches de Cupidon n’atteignent les deux jeunes tourtereaux qu’au deuxième séjour de la belle dans la Ville lumière, en 1996.

Sébastien Leprat ne restera que trois ans secrétaire de mairie en France. Très vite, sa carrière bascule en Suisse. Il travaille notamment pour le PLR et pour la conseillère vaudoise Jacqueline de Quattro, qui en fait son secrétaire général. Il laisse un excellent souvenir à ses collègues. «C’est un bon stratège, un immense bosseur, un homme d’équipe d’une loyauté irréprochable, incapable du moindre coup tordu», disent tous ceux qui l’ont côtoyé.

Tout dernièrement, Sébastien Leprat s’est pourtant fait quelques solides inimitiés au sein de sa propre famille politique. En aparté, les plus critiques expriment une double amertume. Par deux fois désormais, le Franco-Suisse est parti travailler «chez l’ennemi», soit une conseillère fédérale que la majorité du groupe n’a pas élue au Conseil fédéral en 2007 face à l’UDC Christoph Blocher. Pire: Sébastien Leprat défend bec et ongles une convention sur les successions avec la France qui est «clairement défavorable» à la Suisse. Et cela leur est insupportable.

Ce binational n’a-t-il pas le cœur encore trop français? Est-il capable de gérer le conflit d’une double loyauté? «Il a peut-être été submergé par l’émotion de se retrouver quasiment dans la peau d’un vice-ministre en face de Pierre Moscovici. Cela se traduit par une certaine maladresse dans son attitude face aux parlementaires romands fustigeant cette convention», suppose un conseiller national. Ce que l’ex-vice-président du Parti radical suisse Léonard Bender, lui aussi double national franco-suisse, ne croit pas une seconde. «Sébastien Leprat est désormais un haut commis de l’Etat en Suisse d’une loyauté au-dessus de tout soupçon. Sa parfaite connaissance des mœurs politiques françaises est un atout pour Eveline Widmer-Schlumpf.»

Un binational convaincu. Interrogé sur ses références, le collaborateur de la ministre des Finances admet qu’elles sont avant tout françaises. Tout en précisant qu’il a voté «oui» au Traité de Maastricht en 1992, il ne cache pas son admiration pour le souverainiste Philippe Séguin, «ce rassembleur charismatique qui incarnait le mieux un gaullisme à la fois social et patriote». Sébastien Leprat cite aussi les intellectuels Raymond Aron et Pierre Rosanvallon.

Cela dit, Sébastien Leprat souligne qu’il se sent «pleinement binational» et ne pourrait, ni ne voudrait, devoir choisir pour l’un des deux pays. «Je me sentirais apatride. En Suisse, j’apprécie beaucoup la démocratie directe et le fédéralisme. De la France, je retiens un débat davantage axé sur les valeurs, alors qu’en Suisse, on a tendance à confondre celles-ci avec une politique d’intérêts.»

Eveline Widmer-Schlumpf a désormais un collaborateur à l’identité plurielle qui l’aidera à renouer des rapports plus cordiaux avec la France. Pas sûr pourtant qu’elle fera ratifier cette convention par le Parlement sur le front intérieur.


PROFIL

1971 Naissance à Paris.
1996 Maîtrise de droit (master) à la Sorbonne.
2000 Secrétaire au PLR, responsable pour la Suisse latine.
2008 Collaborateur personnel d’Eveline Widmer-Schlumpf au DFJP.
2009 Secrétaire général du Département de la sécurité et de l’environnement du canton de Vaud.
2013 Collaborateur scientifique au Département fédéral des finances.

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Charly Rappo, arkive.ch
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L’Unification, quatre ans après l’Europe

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Jeudi, 15 Août, 2013 - 05:57

TRAFIC DES PAIEMENTS. Dès l’an prochain, l’Union européenne ne connaîtra plus qu’un seul système. La Suisse, embrouillée dans une multitude de normes, ne s’alignera qu’à partir de 2018.

Adieu, bulletins rouges et roses, LSV et débits directs, qui enchantent nos fins de mois. Et bienvenue, bulletin de versement unifié! La Suisse s’apprête à simplifier ses systèmes de paiement. Elle mettra ainsi un terme à des décennies de fragmentation coûteuse, marquée par une concurrence tenace entre les deux acteurs, Postfinance et les banques, chacun se réservant la moitié de ce marché.

Les paiements se feront via un formulaire unique. Au lieu du numéro de compte bancaire ou postal, l’utilisateur devra inscrire le numéro IBAN (le numéro de compte international) de son correspondant. Et pour l’aider, son bulletin comportera un code QR (Quick Response), qui permettra un décodage rapide via un œil électronique.

Le hic de ce beau rêve, c’est qu’il faudra attendre 2018 pour qu’il se réalise. Voire 2020 pour que les dernières étapes soient franchies. Quatre à six ans après les autres pays européens. Le 1er février prochain, les 28 membres de l’Union européenne, auxquels s’ajoutent les alliés de la Suisse au sein de l’AELE (Norvège, Islande, Liechtenstein) et Monaco se convertiront à un système unique baptisé SEPA, pour Single Euro Payment Area. Outre un système de paiement unifié, il offrira un format unique de cartes de débit et de crédit et de systèmes de paiement mobiles. Une simplification considérable, qui va évidemment permettre une substantielle réduction de coûts.

C’est en 2005 que la Suisse a adhéré à ce programme, lancé par l’UE cinq ans plus tôt en prévision du lancement de l’euro. Non sans hésitations, notamment liées au secret bancaire: les solutions techniques ne risquent-elles pas de permettre la transmission d’informations sur les comptes de clients?, s’interrogeait-on alors. En fait, le principal obstacle à une harmonisation en Suisse réside dans la redoutable complexité de l’architecture helvétique des systèmes de paiement.

Celle-ci résulte d’un long affrontement. «Il y a toujours eu une certaine tension entre Postfinance et les banques», résume Matthias Finger, professeur de management de la technologie à l’EPFL. Alors simple service de La Poste, la première s’est emparée de cette activité dès 1906 et s’en est fait l’une de ses principales raisons d’être.

Les établissements bancaires sont arrivés plus tard, et quelque peu dans le désordre. Ce n’est qu’en 1987 qu’ils se sont finalement réunis dans le Swiss Interbank Clearing (SIC), système de compensation chapeauté par la Banque nationale.

Résultat: cinq formats différents de paiement se côtoient, les cartes de crédit emploient encore la signature manuscrite, les automates à billets ne sont compatibles entre eux que depuis récemment. Autant d’aberrations qui appartiennent déjà largement au passé chez nos voisins.

Craintes sur le sercret bancaire. Bref, la Suisse, l’une des principales places financières du monde et championne de la logistique, n’a pas été capable d’édifier un système de trafic des paiements simple et bon marché!

Conséquence, les coûts sont nettement plus élevés qu’ailleurs. Selon Credit Suisse, la facture globale annuelle s’élève à 1,9 milliard de francs. Lorsque la Suisse sera mise en conformité avec le système SEPA, ces coûts pourront être réduits de moitié, affirment ses promoteurs.

Si ces économies n’ont pas été recherchées plus tôt, «c’est que la pression politique a fait défaut», soutient Matthias Finger. La Confédération ne s’est jamais activement impliquée dans ce dossier. Et pour l’UE, dans ce domaine, la Suisse n’est qu’une périphérie. Même si les transactions effectuées sur la plateforme SIC ont atteint le montant astronomique de 30 243 milliards de francs l’an dernier, elles n’ont guère représenté que 4% du trafic européen total.

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Alessandro Della Bella, Keystone
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Les coûteuses surprises des frontaliers suisses

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Jeudi, 15 Août, 2013 - 05:58

IMMOBILIER. Chaque année, des milliers d’Helvètes s’installent en France pour accéder à des logements moins chers. Avec des conséquences administratives et économiques inattendues. Et parfois lourdes.

Geneviève Ruiz

Devenir frontalier représente désormais un changement de statut banal pour beaucoup de Genevois. Ils traversent la frontière pour se loger à bas prix et reviennent travailler quotidiennement dans leur pays d’origine. La vision du Grand Genève et la représentation d’une région uniforme en matière de population, de culture et d’activités ont petit à petit effacé la frontière dans les esprits.

Mais sur le plan administratif, la démarcation reste bien présente: s’installer en France engendre des changements de couverture sociale et, bien sûr, d’imposition.

L’an dernier, ils étaient près de 2600 à quitter Genève pour s’établir en France voisine. Un chiffre en augmentation constante, selon le bureau genevois de l’information statistique régionale. Derrière ces destins individuels, on retrouve quasiment toujours les mêmes raisons de départ: des besoins d’habitat qui évoluent en fonction des étapes de la vie, le plus souvent la famille qui s’agrandit, et l’impossibilité de trouver un logement qui corresponde aux souhaits et au budget à Genève. La tentation est évidente: «Les objets immobiliers sont en moyenne 50% moins chers de l’autre côté de la frontière, observe Gregor Korulski, directeur de Chambésy Conseils, une agence qui accompagne les Suisses qui souhaitent acheter en France. Les prix ont beaucoup augmenté, notamment dans les zones proches de la frontière, mais l’offre reste abondante.»

Pour acquérir une maison, traverser la frontière représente donc encore une aubaine, même si certains professionnels de l’immobilier soulignent la moindre qualité des objets et les problèmes techniques auxquels sont souvent confrontés leurs clients.

Qu’en est-il du statut de frontalier? «Les choses ont beaucoup évolué depuis les années 70, où il n’existait rien à proprement parler, raconte Jean-François Besson, secrétaire général du Groupement transfrontalier européen. Il existe de moins en moins de lacunes au niveau de la retraite et des allocations familiales par exemple. Les impôts sont plus ou moins équivalents des deux côtés.»

Mauvaises surprises à la chaîne. Aucun problème donc, pour les Suisses qui deviennent frontaliers. Mais Jean-François Besson confie: «Si les grands combats sont derrière nous, nous sommes actuellement confrontés à des évolutions législatives défavorables. L’Etat français est très centralisateur et construit ses lois sans prendre en compte les minorités.» Il se trouve également dans une situation dans laquelle il est prêt à tout pour renflouer ses caisses.

Le premier exemple concerne la couverture maladie. Dans le but d’augmenter ses revenus de 500 millions d’euros par année, le gouvernement français a annoncé un changement du régime de la couverture maladie pour les frontaliers, qui a semé la stupeur et provoqué des manifestations.

Actuellement, dans le cadre des bilatérales, les frontaliers bénéficient d’un droit d’option leur permettant de choisir entre la Sécu, la LAMal ou une couverture privée. Or ce droit arrivera à échéance fin mai 2014, également pour les Suisses domiciliés en France. L’assurance privée étant la moins chère des possibilités, 84% des frontaliers l’avaient choisie, contre 10% à la Sécu et 6% à la LAMal. Les assurés à la LAMal pourront y rester, mais les frontaliers en assurance privée vont automatiquement basculer à la Sécu. Avec pour conséquence des primes élevées (plus de 8% du salaire – des rumeurs font état d’un taux à 13,5% à l’avenir –, le tout sans aucune complémentaire) et l’impossibilité de se soigner en Suisse, sauf urgence.

Une famille de deux frontaliers avec deux enfants qui perçoit un revenu annuel de 150 000 francs paie actuellement 5000 francs de cotisation annuelle en assurance privée, qui lui laisse le choix de se faire soigner en Suisse ou en France. Si elle passe à la Sécu, cela lui coûtera 11 000 francs à un taux de 8% et 18 000 francs à 13,5%. Ce montant annuel s’élèverait aux alentours de 10 000 francs si la même famille avait choisi la LAMal.

«Nous avons été consternés par cette nouvelle, raconte Jean-François Besson. Ce sera notre prochaine grande bataille. Nous allons rencontrer les équipes de François Hollande pour les convaincre de garder l’ancien système.» Un combat évidemment loin d’être gagné.

Pour les frontaliers suisses assurés à la LAMal, la situation n’est pas rose non plus: «Beaucoup de caisses maladie suisses refusent d’accepter les frontaliers dans les complémentaires, ou ne leur donnent pas l’option de la franchise», observe Eric Maugué, avocat spécialiste en droit des assurances sociales à Genève.

Successions en question. La deuxième mauvaise surprise que 2014 réservera aux Suisses résidant en France est la modification de la convention franco-suisse sur les successions. Dans le but de lutter contre les expatriés fiscaux, la France a proposé un projet de loi qui taxerait dès 2014 non seulement les Français qui habitent en Suisse, mais aussi les Suisses installés en France. L’héritage est imposé à 45% en France, voire même à 60% s’il n’existe aucun lien de parenté direct.

«Cette loi ne concerne pas uniquement les riches mais également les classes moyennes, considère Benjamin Lebreton, avocat spécialiste en droit fiscal à Nice et à Lausanne. Lorsqu’on a des parents propriétaires d’un appartement dans l’Arc lémanique, le montant d’un héritage s’élève vite à un million. Imaginez les sommes dont on parle! Il faut absolument intégrer le paramètre du nouveau droit des successions franco-suisse avant de prendre une décision d’établissement en France. Car l’impact sur le patrimoine familial peut être significatif.»

Une mauvaise nouvelle attend encore les Suisses ayant déménagé en France, lorsqu’ils se retrouvent au chômage: ils ne peuvent pas s’inscrire à l’office de l’emploi suisse, mais doivent le faire à son équivalent français Pôle emploi. Simple différence administrative? Les indemnisations françaises s’élèvent à 57% du dernier salaire, contre 70 à 80% côté suisse. Et comme le raconte François Duc dans le témoignage ci-dessous, les mesures de réinsertion françaises ne sont pas prévues pour le marché de l’emploi suisse. Même chose lorsqu’un Suisse résidant en France devient incapable de travailler ou qu’il donne naissance à un enfant handicapé: il ne touchera pas l’AI, mais son équivalent français, nettement plus bas.

Un déménagement qui ne vaut pas toujours la peine. Une autre polémique énerve les frontaliers suisses depuis quelque temps: plusieurs banques suisses, notamment la Raiffeisen, ont introduit des taxes s’élevant jusqu’à 300 francs annuels pour les clients domiciliés fiscalement à l’étranger. Elles invoquent des «frais administratifs pour les clients non-résidents». Certains frontaliers suisses rapportent même que des établissements auraient tout simplement refusé de leur ouvrir un compte.

Ce que relèvent de nombreux Suisses qui ont déménagé en France, ce sont aussi les problèmes de saturation du trafic et le manque d’infrastructures de transports publics. «Il s’agit d’un nœud de tension important, précise Jean-François Besson. La région a vingt ans de retard dans ce domaine. Nous espérons des améliorations avec le CEVA.» En attendant, beaucoup de frontaliers doivent conduire plus d’une heure et demie et compter avec le stress des embouteillages avant d’arriver à leur travail.

Si on additionne tous ces aspects, le déménagement en France en vaut-il toujours la peine? Probablement oui, si l’on est en bonne santé, que l’on ne connaît pas le chômage et que l’on ne va pas hériter de ses parents en Suisse. Egalement si l’on ferme les yeux sur le manque d’infrastructures de transports publics et le trafic totalement saturé de la région frontalière, et sur le fait que les enfants vont étudier dans un autre système scolaire et qu’il faut se rendre jusqu’à Lyon pour de nombreux documents administratifs. Cela fait beaucoup de si.

«Les personnes qui partent habiter en France ne prennent souvent pas le temps d’une réflexion globale, observe Eric Maugué, qui doit régulièrement défendre des frontaliers suisses pour des problèmes administratifs. Il n’est d’ailleurs pas simple de trouver un avocat qui connaisse bien les systèmes juridiques suisse et français. Il serait opportun qu’il existe une brochure d’information à l’attention de toutes ces jeunes familles qui souhaitent s’établir en France.» Jean-François Besson ajoute: «A Genève, un climat antifrontalier s’est développé de façon générale ces dernières années. En Suisse comme en France, il n’y a pas d’acteur politique majeur qui défende les questions transfrontalières. Les frontaliers sont une population peu représentée démocratiquement.»

Un message clair.«Je regrette que des milliers de Genevois quittent le canton pour s’établir de l’autre côté de la frontière», reconnaît le conseiller d’Etat genevois François Longchamp, qui ne compte donc pas publier de brochure pour ses concitoyens qui souhaitent émigrer. «D’autant que, pour certains, ce n’est pas forcément un choix et qu’ils préféreraient vivre à Genève si le marché était moins exsangue. Il s’agit d’une perte sèche pour notre société et notre économie. Et je suis désolé pour ceux qui ont des problèmes en France. Mais la frontière n’est pas une limite avec laquelle on peut jouer pour n’en tirer que des avantages. On ne peut pas s’exiler en France pour se loger moins cher et vouloir les mêmes avantages que les résidents suisses. Si nous octroyons des avantages aux Suisses qui déménagent en France, que dirons-nous à ceux qui ont choisi de rester?»


Patrice Burtin, 66 ans, Thonon

«Je vais revenir en Suisse»

A 66 ans, Patrice Burtin profitait d’une retraite paisible depuis quelques années à son domicile de Thonon. Il a mené toute sa vie professionnelle à Genève, chez le même employeur, la TSR. Jusqu’à ce qu’il découvre par hasard, grâce à un ami, que parce qu’il résidait en France, il n’aurait pas droit à une place dans un EMS suisse.

«Il y a quelques années, j’ai accompagné ma mère dans ses dernières semaines à l’hôpital de Thonon. Les conditions n’étaient pas bonnes, je préfère nettement les hôpitaux suisses! Lorsque j’ai appris qu’il fallait vivre en Suisse depuis au moins cinq ans pour pouvoir entrer dans un EMS, je me suis mis à chercher un appartement dans le canton de Vaud. J’ai 66 ans et je commence à entrer dans une zone de turbulences. Ce sont des choix que je dois faire maintenant. Et je n’ai aucune envie de causer un quelconque souci à ma fille durant les dernières années de ma vie.»

Dans quelques semaines, Patrice Burtin partira à Leysin, où il s’est trouvé un appartement. Il constate que des connaissances de son entourage ont également rebroussé chemin vers leur pays d’origine: «Certains de mes amis sont revenus vivre en Suisse lorsqu’ils ont atteint un grand âge ou qu’ils étaient malades. En France, pour celui qui n’a pas les moyens de se payer un EMS privé, il n’existe pas grand-chose.»


François Duc, 57 ans, Annemasse

«J’ai réalisé mon statut de frontalier lorsque je me suis retrouvé au chômage»

Lorsque François Duc, 57 ans, a perdu son emploi d’électromécanicien il y a deux ans, il s’est «pris une claque». Ce père de deux adolescents a toujours travaillé sur Genève. Quand il a décidé d’acheter son logement à Annemasse il y a quelques années, il ignorait les conséquences. «C’est lorsque je me suis retrouvé au chômage que j’ai réalisé que je devais m’inscrire à Pôle emploi et que je n’allais avoir droit qu’à 57% de mon dernier salaire.» Surtout, les prestations et les mesures de réinsertion du système français n’ont rien à voir avec celles de l’Office cantonal de l’emploi de l’autre côté de la frontière: «J’ai dû attendre 6 mois pour pouvoir rencontrer un conseiller, et lorsque ce rendez-vous a enfin eu lieu, il s’agissait uniquement de m’expliquer le fonctionnement administratif de Pôle emploi!» Et lorsque François Duc a émis l’idée de suivre des cours d’allemand, on lui a répondu que ce genre de mesures n’étaient pas prévues. «Tout le système est conçu depuis Paris, il n’est pas du tout adapté aux spécificités régionales, et encore moins au marché suisse.» En tant que frontalier, il estime qu’il est plus difficile de trouver un emploi à Genève: «Même avec la nationalité suisse, c’est le lieu de résidence qui compte aux yeux de certains employeurs.» François Duc confie qu’il a pensé à déménager en Suisse: «Toute ma vie se trouve à Genève. Mais je ne peux pas me permettre d’y loger.»

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Un cinéaste embarqué dans les lignes ennemies

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Jeudi, 15 Août, 2013 - 05:59

Comment filmer un politicien dont on ne partage ni les idées ni les convictions? C’est la première question que s’est posée Jean-Stéphane Bron lorsque le projet lui est venu de consacrer un film à Christoph Blocher. L’UDC zurichois s’en est posé, lui, une autre: ce Welsche de gauche ne va-t-il pas me dépeindre comme le diable? «Vous n’êtes ni un diable ni un ange. Je veux vous montrer comme un homme», lui assure alors le cinéaste. Convaincu de sa bonne foi, l’ex-conseiller fédéral accepte alors de se laisser filmer lors de ses apparitions publiques, mais aussi chez lui ou encore dans sa voiture, où il passe forcément beaucoup de temps.

Sur le papier, cette proposition de cinéma faisait peur: Jean-Stéphane Bron n’allait-il pas entrer en empathie avec Christoph Blocher au point d’en faire un portrait flatteur, du moins équilibré et nuancé? Le documentariste a visiblement eu les mêmes craintes, d’où une rupture radicale entre L’expérience Blocher et les deux longs métrages qui ont fait sa réputation.

Alors que dans Mais im Bundeshuus (2003) et Cleveland contre Wall Street (2010) son regard se faisait neutre, qu’il y avait une constante distance entre le filmé et le filmeur, ce nouveau long métrage est à la première personne. Ce n’est pas un film sur Christoph Blocher, mais un film de Jean-Stéphane Bron sur Christoph Blocher. Réalisant qu’il allait être embarqué, «embedded» comme disent les Anglo-Saxons, le Lausannois a décidé de ne pas se laisser guider comme un journaliste suivant une armée en guerre convaincue du bien-fondé de son action.

Privé de sa propre parole. A l’apparente objectivité qui caractérisait jusque-là son cinéma s’est ainsi substituée une totale subjectivité. Laquelle passe d’abord par une voix off, procédé généralement évacué des documentaires de création, afin que les images ne soient jamais parasitées mais qu’elles parlent par elles-mêmes.

Dès les premiers plans, Jean-Stéphane Bron s’adresse à son sujet, engage une conversation à sens unique. C’est lui qui résumera sa vie, son parcours dans l’économie privée puis en politique, c’est même lui qui résumera certaines de leurs discussions. Comme pour priver le tribun, si à l’aise à l’oral, de sa propre parole.

C’est moi, Jean-Stéphane Bron, qui vais dire qui vous êtes, ce que vous représentez et ce que vous avez apporté à la Suisse. Le portrait, dès lors, sera sombre: c’est vous qui avez divisé la Suisse en menant campagne contre l’adhésion à l’Union européenne en 1992. C’est vous qui avez mis en place une politique d’exclusion stigmatisant systématiquement l’Autre. Vous vous réclamez du peuple mais vous avez pratiqué un libéralisme économique outrancier dans le seul but de vous enrichir, au mépris des classes ouvrières. Votre populisme n’est qu’une façade. Vous êtes un prince qui rêve d’avoir une cour acquise à sa cause.

Alors que les politiques aiment relire leurs propos et les corriger lorsqu’ils s’adressent aux journalistes, pas question pour Jean-Stéphane Bron, donc, de laisser Christoph Blocher écrire le film qu’il aimerait voir. Lorsque l’UDC lui fait une confidence avant de lui dire qu’il n’aimerait pas la retrouver à l’écran, le cinéaste intègre tout de suite la séquence dans le montage final. Vous voyez, je suis libre, veut-il affirmer, mais sans que l’on sache s’il l’a été durant la totalité des dix-huit mois qu’a duré le tournage, avec comme point d’orgue les élections fédérales de 2011.

Pour enfoncer le clou, le Lausannois use d’une bande-son anxiogène et d’une photographie évacuant soleil et ciel bleu. On est dans la nuit, le gris, le pluvieux. Car Christoph Blocher est un homme à la pensée sombre. Les mots aussi sont précautionneusement choisis: avec vos idées, vous avez «contaminé» la Suisse. Alors non, peut-être que L’expérience Blocher, beau titre qui résume parfaitement la démarche du réalisateur, ne révèle finalement pas grand-chose.

Reste que ce film très personnel est d’une grande beauté formelle, qu’il assume admirablement sa subjectivité, tout en résumant finalement assez bien les paradoxes et le parcours d’un politicien parmi les plus controversés, donc intéressants, de la Suisse contemporaine.

De Jean-Stéphane Bron. Suisse, 1 h 40. Sortie le 17 octobre en Suisse alémanique et le 30 en Suisse romande.

Lire aussi: Locarno, un Blocher crépusculaire

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Carlo Reguzzi, Ti-Press
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Locarno, un blocher crépusculaire

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Jeudi, 15 Août, 2013 - 06:00

CINEMA. Etrange et sombre regard que porte Jean-Stéphane Bron sur le patron de l’UDC. Peu de propos politique, mais le parcours d’un homme solitaire qui attire les foules. Qui ne veut pas, ne peut pas, s’arrêter.

La socialiste Susanne Leutenegger Oberholzer devrait mieux respirer, elle qui ne supportait pas l’idée que la Confédération donne de l’argent public à un film consacré à Christoph Blocher. Quant à tous les politiciens jaloux comme des poux de ne pas camper le sujet d’un long métrage projeté sur la glamoureuse Piazza Grande de Locarno, ils vont pousser un petit soupir de soulagement. Parce que personne n’aurait envie de se mirer dans ce miroir-là, dans ces eaux si sombres qui vous emmènent vers la fin. Personne ne souhaite se voir filmé de la sorte, à dormir comme on s’éteint, le souffle comme un râle.

Sombres, et même menaçantes, les chutes du Rhin que l’enfant Blocher voyait chaque jour depuis chez lui, lugubre, le château sur la falaise d’en face. Ce serait d’ailleurs pour cela qu’il parle aussi fort, pour couvrir les décibels du bruit de l’eau. Et pour se faire entendre parmi ses dix frères et sœurs. A Laufen, il ira se consoler sur le petit banc d’un cimetière. Drôle d’endroit pour un enfant. Aujourd’hui, le château de Rhäzüns, propriété d’Ems-Chemie, son ancienne entreprise, n’a rien de rassurant non plus. Mais il impressionne les visiteurs, surtout quand Christoph Blocher leur offre une réception avec chanteurs et cantatrices, «comme un prince du Moyen Age» (Blocher dixit).

Pas d’états d’âme. Le film L’expérience Blocher ne devrait pas servir la cause de Christoph Blocher, ni celle de son parti. Même si ses adeptes persisteront à y discerner un grand homme. Même si ses ennemis le trouveront toujours trop gentil. En vérité, il fait plutôt froid dans le dos, tant ce parcours de vie montre une ascension fulgurante qui ne s’encombre pas d’états d’âme, celle d’un homme qui s’enrichit de 3 millions par semaine depuis sa reprise de l’entreprise Ems-Chemie, étend son empire dans la Chine communiste, achète, restructure puis revend des firmes. Un homme de son temps, qui fait fructifier le capital plutôt que le travail, avec son compagnon d’alors, le financier Martin Ebner.

Aux personnes qui suivent de près ou de loin la carrière de celui qui a transformé l’UDC paysanne en un mouvement nationaliste, antieuropéen, anti-Etat et qui attise la haine de l’étranger, le film de Jean-Stéphane Bron n’apprend presque rien de vraiment nouveau. Le Vaudois n’a pas mené d’enquête, il ne montre pas la méthode Blocher qui a tissé sa toile, quartier par quartier, village par village. Ce n’est pas son propos. Mais il observe, filme la voiture qui sillonne le pays, grappille quelques phrases du patron de l’UDC qui dit sa fierté quand ses affiches provocatrices échauffent les esprits, qui, au téléphone dans sa voiture, parle de guerre contre la place financière suisse et le secret bancaire.

Etrange film, en fait, qu’un long métrage sur le personnage qui a sans doute le plus influencé la politique suisse ces vingt dernières années, mais dont le réalisateur n’aborde pas de front les idées politiques. Bron ne se lance pas dans l’arène du débat, il n’entre pas dans un dialogue politique avec son protagoniste, il ne questionne pas ses convictions, la mission que s’est donnée Christoph Blocher. Le spectateur non averti, surtout s’il ne vit pas en Suisse, ne comprendra pas bien pourquoi Christoph Blocher a séduit tant d’Helvètes.

Pas de confidences. Non. Bron constate, déroule les faits. Les succès politiques, dont le non à l’Espace économique européen reste le plus retentissant car l’UDC luttait alors seule contre tous et convaincra les Suisses de refuser cette adhésion, divisant du même coup les Romands et les Alémaniques. A star is born. Il rappelle l’essai raté d’une première entrée au Conseil fédéral, quand Blocher déborde de hargne et promet de se venger, citant Jules César. Puis l’élection en 2003, triomphe pour les siens, désastre pour les autres.

Etrange, décidément, que ce Christoph Blocher qui prononce des discours-fleuves devant ses partisans, mais ne dit presque rien à Jean-Stéphane Bron. Qui se laisse filmer, jusque dans sa salle de bains, dans sa piscine, en robe de chambre, mais qui ne se livre pas. Son épouse en dit encore moins. Elle semble sceptique face à L’expérience Blocher. Elle qu’on connaît pour ne pas avoir la langue et les idées dans sa poche desserre rarement les lèvres. Il n’y aura que ses larmes, le jour où la police perquisitionne la maison, pour soupçon de violation de secret bancaire, à la suite de l’affaire de l’ancien président de la Banque nationale suisse Philipp Hildebrand.

Non. Christoph Blocher ne confie rien à Jean-Stéphane Bron, si ce n’est quelques cauchemars, rien sur l’humiliation suprême de son éviction du Conseil fédéral par exemple. D’ailleurs Bron ne lui demande rien. Et pourtant le maître penseur de l’UDC révèle une partie de sa personne. En fait, elle se révèle, comme sur du papier photo. Quand il dit qu’il faudrait peut-être attendre qu’il soit mort pour parler de lui, comme Mozart, un autre grand homme.

Ou quand il se laisse filmer si souvent seul, ou seulement avec sa femme. Seul la nuit avec ses insomnies, dans sa piscine à l’aube, dans la voiture qui le mène d’une foule à l’autre. Seul, vieux, face au lac, face à ses tableaux, comme s’il communiait avec Albert Anker ou Ferdinand Hodler, comme s’il ressentait la défaite de Marignan dans sa chair. Même s’il cherche à montrer qu’il sait rire, comme lorsqu’il exerce son français avec sa femme, il reste souvent goguenard. Le vrai plaisir qu’il semble éprouver se niche dans la ferveur des autres. Quand il dit que les gens vont presque le manger, on sent qu’il aime cela, que les gens l’adulent, comme les autres politiciens.

Jacques Neirynck connaît la méthode Bron pour l’avoir éprouvée lors du documentaire que le cinéaste avait tourné devant la porte des réunions d’une commission du Conseil national qui traitait des organismes génétiquement modifiés (OGM). «Il nous posait une dizaine de fois la même question, comme pour un interrogatoire de police. A la fin, vous vouliez juste que cela s’arrête, alors vous ne disiez plus ce qui ferait plaisir à votre parti ou à vos électeurs, mais la vérité.» Et de comparer ce travail à la psychanalyse. Blocher va d’ailleurs donner une information à Bron. Enfant, il a vécu dans la maison où le psychiatre C. G. Jung avait habité durant ses cinq premières années.

Un sentiment de pitié. A la fin du film, on se surprend presque à éprouver un sentiment de pitié pour ce solitaire, quand on entend ses anciens fidèles, comme Oskar Freysinger qui l’enterre déjà, imaginant à voix haute, sur les ondes de la radio, que la grandeur de Blocher se révélera après sa mort, qu’on lui érigera une statue. Ou quand Adolf Ogi, UDC et ex-conseiller fédéral lui aussi, lui recommande de céder sa place aux jeunes, on découvre un Christoph Blocher mal, qui s’agite dans son siège.

A suivre Christoph Blocher durant ces derniers vingt ans, on a observé un politicien porteur d’un projet politique, homme de conviction croyant à l’initiative individuelle, à la responsabilité de chacun, abhorrant l’Etat, et encore plus les réunions d’Etats comme l’ONU ou l’Union européenne. Un politicien persuadé d’être investi d’une mission, celle de sauver la Suisse de toute emprise étrangère, économique ou politique, quitte à pratiquer le déni de réalité face à la mort du secret bancaire, quitte à isoler dangereusement son pays. Un politicien qui insuffle un vent de patriotisme post-soixante-huitard, qui dit aux Suisses d’être fiers d’eux et de leurs différences.

Presque rien de tout cela ne subsiste, le film de Bron ne donne pas dans le credo blochérien mais rappelle le parcours d’un homme blessé par l’exclusion de son pasteur de père par ses paroissiens, un homme qui fut pauvre, un agriculteur sans terre et qui prend sa revanche, qui sert ses intérêts, s’enrichit, grimpe tout en haut de l’Etat, puis qui tombe, se fait exclure à son tour, par sa propre faute. Oui. Presque pitié. Sauf que, en conclusion, Bron constate en substance que si l’étoile de Christoph Blocher s’éteint, ses idées, elles, se banalisent et enveniment la politique.

A l’image de la Suisse. On sent bien que notre pays, isolé, ressemble de plus en plus au politicien enfermé dans son bunker doré avec vue sur le lac de Zurich. Alors Bron s’éclipse, laissant Blocher à ses secrets, à ses ombres. Il sait qu’il ne les a pas percés. Mais il a livré sa vision du personnage, forcément partielle, forcément partiale, mais diablement troublante.

Lire aussi: Un cinéaste embarqué dans les lignes ennemies

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Athlétisme: et de 8 pour Bolt!

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:48

Les faits

Trois médailles d’or en une semaine. Six jours après avoir glané le titre de champion du monde du 100 m, Usain Bolt a remporté celui du 200 m samedi, à Moscou. Il faut encore ajouter aux exploits de l’Eclair le relais du 4 x 100 m gagné dimanche avec l’équipe jamaïcaine. Ainsi, Usain Bolt, avec huit titres mondiaux à son palmarès, rejoint le podium des plus grands aux côtés des Américains Michael Johnson et Carl Lewis.

Les commentaires

Sur l’échelle des victoires, Michael Johnson est le premier: que des médailles d’or aux mondiaux. L’Eclair est mieux placé que King Carl: «Il a une paire de médailles d’argent, alors que Lewis en a une d’argent et une de bronze», détaille le Los Angeles Times. De quoi faire enrager l’Américain qui, après les trois médailles d’or de Bolt à Pékin, avait déclaré au magazine Sports Illustrated: «Je pense qu’il y a quelques problèmes. (…) Des pays comme la Jamaïque n’ont pas de contrôle antidopage aléatoire, aussi peuvent-ils rester des mois sans être testés. (…) Je ne suis pas en train de dire qu’ils ont fait quelque chose de façon certaine. Je ne sais pas.» Après sa victoire au 200 m de Moscou, le Jamaïcain a contre-attaqué: «Je vais dire maintenant quelque chose qui va prêter à controverse: Carl Lewis, je n’ai aucun respect pour lui.» Et de poursuivre: «Qu’un athlète dise des choses comme cela sur d’autres, cela me met vraiment en colère. A mon avis, il ne cherche qu’à attirer l’attention parce qu’on ne parle pas vraiment beaucoup de lui», rapporte Le Monde.

A suivre

Comme pour énerver encore plus King Carl, Usain Bolt a déclaré qu’il allait «continuer de dominer. Je vais encore travailler dur.» Les autres athlètes ont du souci à se faire.

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Lucy Nicholson, Reuters
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Chine: Bo Xilai, un dirigeant déchu bientôt jugé

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:49

Les faits

Le procès de Bo Xilai, l’ancien responsable du Parti communiste de la ville de Chongqing (33 millions d’habitants), s’est ouvert ce jeudi. Au cœur d’un retentissant scandale politique, Bo a été inculpé fin juillet pour corruption et abus de pouvoir: il devra notamment répondre d’un détournement de 25 millions de yuans (4 millions de francs). En 2012, l’ambitieux notable, qui était l’un des 35 membres du puissant Bureau politique du Parti communiste, avait déjà été exclu de ses fonctions et avait fait l’objet d’une enquête après l’implication de son épouse Gu Kailai dans le meurtre de l’homme d’affaires britannique Neil Heywood.

Les commentaires

«Le charisme inhabituel de Bo, qui avait promu à Chongqing une “culture rouge” néomaoïste, ne faisait pas l’unanimité au sein du parti, même s’il n’y manquait pas de soutien», relève Libération. Selon Le Quotidien du peuple, organe officiel du Parti communiste chinois, le procès de Bo Xilai a dans ce sens quelque chose d’exceptionnel. C’est en effet la corruption au niveau local qui est au cœur de la lutte contre les dessous-de-table qui gangrènent tous les échelons du parti: «Tuer une mouche est plus facile qu’un tigre, mais comme elles sont plus nombreuses, il faut davantage de persistance. (...) Si les grands procès font plus de bruit (...), il ne faut pas oublier  que le travail anticorruption s’axe sur les petites provinces.»

A suivre

D’après les experts, Bo Xilai sera vraisemblablement condamné au terme du procès. Les tribunaux opérant sous le contrôle de la direction communiste, les juges ne se risquent pas à discuter les accusations du parti unique.

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Jason Lee, Reuters
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La Chaux-de-Fonds: l’élu tout nu

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:50

Les faits

Le gouvernement de La Chaux-de-Fonds a retiré ses fonctions à son collègue UDC Jean-Charles Legrix, le privant de la présidence de la ville et de la gestion de son Département des infrastructures et de l’énergie. Une décision motivée par le résultat d’un audit qui, sur la base de 47 témoignages, accuse l’élu de harcèlement moral envers ses collaborateurs.

Les commentaires

«Du courage politique, enfin!» titre Le Matin. «Au fond, l’affaire Legrix est presque une bonne nouvelle! Car, pour une fois, elle a été réglée avec célérité, efficacité et courage.» Et de rappeler l’affaire Hainard ou celle de la crise à l’Université de Neuchâtel qui, elles, ont traîné. Dimanche, Jean-Charles Legrix contre-attaque. Invité du 19:30 de la Radio télévision suisse, le politicien conteste les accusations «d’humiliations publiques et de terreur». Il ne démissionnera pas, il a «la conscience tranquille». Le lendemain, dans Le Temps, il admet son perfectionnisme et son manque de patience, et indique qu’il avait proposé de se faire coacher. Pas étouffé par la modestie, l’homme se compare à deux personnalités fortes: «J’ai une corpulence forte et grande, ce qui peut susciter des craintes. Comme celles que suscitaient un Jean Studer ou Hayek père, pour qui j’ai travaillé.» L’UDC juge sa destitution «disproportionnée». «Un coup de salaud» parce qu’il est UDC, chrétien évangélique et aurait pris des mesures «anti-copinage dans l’attribution des travaux». Bref, il dérangerait.

A suivre

Jean-Charles Legrix va prendre un avocat et, en sa qualité d’élu à l’exécutif, continuer à participer aux séances du gouvernement et du Parlement de la ville. Intenable à moyen terme.

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Sandro Campardo, Keystone
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Données volées: le nouveau casse-tête

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:50

Les faits

Encore un dossier qui coince pour la ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf. Après ses déboires avec la Lex USA et l’accord sur les successions avec la France, voilà que ressurgit le problème des données de clients fraudeurs volées à des banques. Le 14 août, le Conseil fédéral a en effet présenté une proposition de loi visant à faciliter l’assistance administrative fiscale. Or, selon l’avant-projet, Berne accepterait de donner suite à des demandes d’entraide basées sur des données volées. Le Conseil fédéral a pris soin de mettre une condition: que l’Etat demandeur ne se soit pas procuré ces données de manière active. Mais le flou est trop important pour la droite, qui saute au plafond.

Les commentaires

«La première séance du Conseil fédéral après la pause estivale a commencé par un coup de tonnerre», note le Blick. Selon le quotidien, cela signifie que «l’Etat de droit est un levier. Le Parlement est désavoué. La démocratie est conduite ad absurdum.» Ce qu’il y a de véritablement «explosif», pointe le Tages-Anzeiger, «c’est que la Suisse coopérerait aussi dans les cas où les données ont été volées avant l’entrée en force de la disposition»… Ce qui concernerait notamment les informations transmises par Hervé Falciani (ex de HSBC Suisse) à divers pays. «Le Conseil fédéral fait volte-face», titre la Basler Zeitung, qui rappelle qu’Eveline Widmer-Schlumpf assurait il y a quelques mois que la Suisse n’accorderait aucune entraide basée sur des données dérobées.

A suivre

Le timing est serré: l’exécutif entend faire passer la loi d’ici à la mi-octobre. L’OCDE menace en effet de placer la Suisse sur une liste noire si elle ne répond pas à ses normes minimales d’échange d’informations d’ici là.

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Klaus Ohlenschläger, Keystone |DPA
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Hebdo.ch » revue de blogs de la semaine

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:51

Ce qu’il restera de Locarno

Plus de 100 films diffusés, 160 000 entrées, des dizaines de soirées mondaines où se mêlent gens de la branche et personnalités politiques ou économiques, un Léopard d’or attribué au film espagnol Histoire de ma mort d’Albert Serra: le 66e Festival du film de Locarno a vécu, le tapis rouge est remballé. L’heure est au bilan. Que restera-t-il de Locarno 2013? Un duo de réalisateurs qui puise dans le passé une source inépuisable d’éléments pour parler du présent, un documentaire sur le politicien suisse le plus controversé de l’histoire, et le coup de gueule d’un cinéaste: voilà ce qui a marqué les blogueurs de L’Hebdo.

Enthousiasmé, Frédéric Maire l’a été par Pays barbare, le dernier film du couple d’auteurs les plus rares et méconnus du cinéma contemporain, Yervant Gianikian et Angela Ricci: «Les cinéastes exploitent l’histoire et les images qu’il en reste pour construire une réflexion en miroir sur notre réalité. Celle d’un nouveau fascisme qui rejette tout autant que le Duce la figure de l’autre (…) Un néoracisme porté par certains partis et certains parlementaires sans que le gouvernement ne s’émeuve vraiment. Le film s’achève dans le noir. La voix nous interroge: «Nous ne savons pas où nous allons. Et vous?.»

Un film à voir en miroir de L’expérience Blocher, présenté en avant-première sur la Piazza Grande. Si elle n’a attiré que 6000 spectateurs – ils ont été bien plus nombreux pour Jennifer Aniston en stripteaseuse dans We’re the Millers – la dernière production de Jean-Stéphane Bron était on ne peut plus attendue par les observateurs politiques. Un documentaire plongeant le spectateur dans l’intimité du tribun zurichois, était-ce bien nécessaire? François Cherix se montre perplexe: «Certes Jean-Stéphane Bron est un cinéaste talentueux, mais son film peut-il dépasser la redite des tourments connus? (…) Il est à craindre que ceux qui voient les dangers du blochérisme ne trouveront rien de neuf dans le film alors que les admirateurs du Chef éprouveront à sa vue les frissons justifiant leur sentiment (…). Ce film constitue certainement un travail esthétique de haute qualité. Reste une question pressante (...): quand les forces vives de la démocratie suisse oseront-elles enfin se détacher de la fable blochérienne et clore “l’expérience nationaliste”?»

Des frissons, le directeur du Festival international du film de Fribourg, Thierry Jobin, en a aussi eu lors de la cérémonie de clôture du festival, au moment où le cinéaste Yves Yersin a pris la parole: «(…) J’ai une pensée pour lui qui a mis plusieurs décennies à revenir après Les petites fugues et qui doit, en ce moment, souffrir d’une nouvelle malédiction. (…) Le Festival du film l’aurait appelé samedi à 8 heures du matin pour l’enjoindre à revenir au Tessin car il allait remporter un Léopard d’argent avec son très beau documentaire Tableau noir. Sauf qu’en chemin, un second téléphone lui aurait précisé que, en fait, il ne remporterait qu’une mention. (...) Une pensée aussi pour mon homologue Carlo Chatrian, car, quoi qu’il soit vraiment arrivé et qui justifie ou non la violence d’Yves Yersin sur la Piazza Grande, un festival n’est jamais une machine de précision.»

Point de trophées mais du cinéma, aussi, et une ultime révérence, dans les écrits de Patrick Morier-Genoud: «Haji était brune et sexy. Sa beauté sauvage m’avait cloué sur le siège inconfortable du cinéma où j’étais allé, au milieu des années 70, voir Faster, Pussycat! Kill! Kill!, de Russ Meyer, (…) connu pour la taille des seins de ses actrices. Haji est morte le 10 août, elle avait 67 ans. Deux seins de plus au ciel, comme deux nouvelles étoiles dans la voie lactée; il faudra que j’y envoie un peu de ma semence en hommage.» Cela vaut presque un trophée, après tout.


Blogs» Politique» Une Suisse en mouvement
Juges étrangers: coup tactique de l’UDC

Le parti agrarien construit et désigne un ennemi inexsitant.
Johan Rochel

L’UDC a présenté à la presse ses réflexions sur les défis que le droit international et les fameux «juges étrangers» posent à la Suisse. Dans ce qu’elle appelle un «document de fond», l’UDC esquisse les manières pour la Suisse de «reprendre le contrôle» de son droit national. (…) A l’aune d’une pointe de cynisme et de stratégie politique, le papier de position présenté par l’UDC se lit comme un coup tactique dans une partie qui s’annonce très longue, dépassant largement l’échéance des élections de 2015. J’interprète la stratégie de l’UDC de la manière suivante: reprenant à son compte les aventures de don Quichotte, le parti agrarien s’invente en constructeur de moulin. Il y met pêle-mêle le droit international général, les droits de l’homme, les «juges étrangers» et l’interdiction de la torture. Le moulin tient à peine debout tant ses fondations sont tremblantes. (…) Le coup tactique consiste donc à créer un objet de discussion qui, en tant qu’unité, n’existe pas. (…) Avec ce papier, la distinction entre droit national et droit international se retrouve à l’avant-plan (…), les juges internationaux deviennent des «juges étrangers» (…), les droits de l’homme sont imposés de l’extérieur à la Suisse, perçue comme étant incapable d’assurer elle-même la défense de ses citoyens. (…) Il faut remettre radicalement en question le moulin lui-même et expliquer pourquoi il n’existe pas en tant que moulin. En d’autres mots, il faut reséparer ce que l’UDC tente de traiter d’un bloc. Ce travail – de toutes les interviews, de toutes les discussions – passe par une intraitable exigence sur la langue. Chaque détail doit être combattu, afin de ne pas laisser s’installer dans le débat de fausses idées. (…) S’agit-il de détails académiques réservés
à quelques élus? Loin s’en faut! A sous-estimer la bataille des concepts et de la langue, on s’étonnera un jour de ne même pas être convoqués à la guerre pour laquelle on se prépare tant. Car la guerre du droit international n’aura peut-être pas lieu: les forces progressistes de ce pays l’auront déjà perdue.


Blogs» Economie & Finance» Les non-dits de l’économie
L’Allemagne décrédibilise la BCE

35 000 Allemands ont déposé un recours contre le soutien de la BCE à la zone euro.
Sergio Rossi

En politique monétaire, la crédibilité de la banque centrale est un atout majeur pour assurer l’efficacité de ses interventions ayant pour objectif la stabilité des prix et, de là, contribuer à la stabilité macroéconomique. Le «nouveau consensus en macroéconomie», qui s’est imposé au sein de la profession, affirme que l’indépendance de l’autorité monétaire est cruciale pour asseoir la crédibilité de la politique menée par la banque centrale. Ce consensus est particulièrement bien établi en Allemagne, où la Banque centrale européenne (BCE) a son siège et où se trouve la banque centrale nationale (Bundesbank) la plus intégriste qui existe à cet égard. Or, le recours déposé par environ 35 000 citoyens allemands à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en Allemagne, contre l’implication de la BCE dans le mécanisme de soutien de la zone euro remet en question l’indépendance de l’autorité monétaire européenne, contredisant ainsi, ouvertement, le principe de l’indépendance des banques centrales. Nul n’a besoin d’être économiste pour comprendre que cette contradiction, une fois découverte par les marchés, affaiblira la crédibilité de la BCE et donc le dispositif «pare-feu» mis sur pied tardivement avec son aide. (…)


Blogs» Politique» Blog dans le coin
Je ne voudrais pas être Superman ces derniers temps

Il est plus sage de poser des questions que de poser des bombes.
Vincent Pellissier

J’avoue ne pas trop savoir quoi penser des héros modernes que sont les «lanceurs d’alertes». Héros romanesques, héros parfois flamboyants, mais héros avec leurs zones d’ombre… Edward Snowden, ancien collaborateur de la CIA et de la NSA, dénonce par médias interposés les programmes d’écoute d’internet de la première puissance mondiale. Le mythe de Big Brother se matérialise: un Etat déployant des pratiques portant atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée. Les USA sont dans leurs petits souliers avec leur population, leurs alliés européens et se fâchent avec les Russes. Le soldat Bradley Manning a fourni des milliers d’informations classées confidentielles au site Wikileaks qui les a divulguées en clair sur la Toile. Le fondateur du site, Julian Assange, est un héros pour certains et… un violeur pour d’autres. (…)  Tout au long de l’histoire, des personnes ont justifié des actes illégaux au nom d’idéologies. Pourtant, deux écoles s’affrontent. La première approche de la désobéissance civile est non violente. Le Mahatma Gandhi en est l’incarnation. L’autre approche intègre aussi des actes illicites, voire violents. Pour Robin des Bois, c’était assez simple. Il volait aux riches pour redistribuer aux pauvres. Mais alors, dans quelle catégorie classer par exemple quelqu’un comme Pierre Condamin-Gerbier? Franchement, être super-héros et devoir sauver le monde aujourd’hui, ça doit être un super casse-tête. Superman, il doit taper sur la tronche de qui en Egypte ou en Syrie? A mon avis, il est plus sage de poser des questions que de poser des bombes. (…)

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«Nous sommes toutes des héroïnes de François Ozon!»

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:52

«JEUNE ET JOLIE». Les adolescentes d’ici et maintenant s’identifient-elles à Isabelle, qui se prostitue par plaisir? «L’Hebdo» a vu le film avec quatre Romandes de son âge.

Isabelle se débarrasse de sa virginité avec un flirt de vacances l’été de ses 17 ans. Déception. De retour à Paris, elle se met à coucher contre de l’argent avec des inconnus dans des chambres d’hôtels sans que personne ne se doute de rien au lycée. Ses parents finissent par le découvrir, et Isabelle tente de reprendre des relations normales avec des garçons de son âge. Le nouveau film de François Ozon pose des questions dérangeantes. Les jeunes filles rêvent-elles de prostitution? Sont-elles prêtes à coucher pour se payer les sacs Prada en vitrine? Se reconnaissent-elles en Isabelle? Nous avons vu Jeune et jolie avec quatre adolescentes de 17 à 18 ans domiciliées dans la région lausannoise. Si elles ont «adoré» le film, Isabelle, ce n’est pas elles.

Le film

Charlotte: «On s’identifie tout de suite à l’héroïne, elle vit comme nous, elle garde pour elle une partie de ce qu’elle vit.» Marine: «Elle est à la fois grande mais touchée lorsque ses parents lui amènent un gâteau d’anniversaire. Elle sait qu’elle n’est plus une enfant et qu’elle perd quelque chose.» Caroline: «Le film montre des choses qui nous concernent et que l’on voit peu au cinéma. Comme la masturbation féminine.»

La première fois

Caroline: «La première fois, ça change une fille. Pour l’héroïne du film, c’est une désillusion qui la pousse peut-être à se lancer dans la prostitution.» Marine: «Il vaut mieux le faire avec un garçon à qui l’on tient: comme d’un point de vue sexuel ce n’est pas génial, ça passe mieux. Je craignais de ne pas tomber amoureuse assez tôt! Passé 17 ou 18 ans, on se demande si on est normale si on est encore vierge. Mais ensuite, on se sent libérée et on n’hésite pas à avoir des relations sans être amoureuse.» Caroline: «Les filles que je connais et qui l’ont fait avec le premier venu le regrettent.» Marine: «Une amie avait pris rendez-vous sur le Net avec un inconnu juste pour que ce soit fait…» Estelle: «C’est un poids en moins.» Marine: «Les garçons sont flattés si on leur donne notre virginité. Nous, ça nous est égal.»

Pourquoi Isabelle se prostitue

Estelle: «On la voit lire Les liaisons dangereuses: je pense qu’elle veut manipuler les hommes, jouer avec eux.» Caroline: «Elle pense que ce sont eux les coupables, les dégueulasses qui la sollicitent, pas elle. C’est vrai qu’un homme reste un homme, même s’ils ne sont pas tous comme ça. Elle se dit que si un homme paie, c’est qu’il la veut vraiment. C’est valorisant.» Marine: «Elle fait cela pour ressentir des émotions, se sentir désirée.» Estelle: «L’argent est symbolique, puisqu’elle ne le dépense pas.» Charlotte: «C’est une manière de se prouver sa valeur. Ce n’est pas coucher qu’elle aime, c’est le tout, le jeu, découvrir l’hôtel. Lorsqu’elle a un copain de son âge, il l’agace parce qu’il n’est pas valorisant.»

C’est grave, docteur?

Marine: «C’est son âge qui me choque. Si elle avait 30 ans, cela changerait tout.» Charlotte: «C’est bizarre de commencer sa vie sexuelle de cette manière. Je ne m’imagine pas à sa place.» Estelle: «Aujourd’hui, on est trop pressé, les jeunes ont envie de tester de plus en plus vite des choses extrêmes sans profiter de simplement faire l’amour.» Marine: «Si une amie me disait qu’elle se prostitue, j’aurais peur pour elle, qu’elle ne se rende pas compte du danger, des agressions, etc.» Caroline: «Je serais inquiète mais je ne la jugerais pas. Je ne lui dirais pas d’arrêter. C’est sa vie, son corps.»

Isabelle est-elle une pute?

Charlotte: «Pas vraiment, puisqu’elle ne fait pas cela pour de l’argent…» Estelle: «De l’extérieur, oui, mais dans sa tête, non.» Caroline: «C’est une fille qui se cherche.» Marine: «Les putes, même les garçons de 19-20 ans y vont. Ils trouvent normal de faire cette expérience, parfois c’est un cadeau d’anniversaire que les autres leur offrent.»

Coucher sans être amoureuse

Caroline: «C’est personnel, certaines aiment le faire, d’autres préfèrent qu’il y ait du sentiment.» Estelle: «Il y a une différence entre les filles et les garçons. Les garçons qui couchent à gauche et à droite sont des players, on les admire. Mais ils sont super critiques si les filles font pareil.» Marine: «Les garçons disent que s’ils apprennent qu’une fille couche avec un autre, ils ne la voudront plus.» Marine et Caroline: «On ne juge pas, eux oui! Cela montre la domination des hommes sur les femmes! Alors qu’on a bien le droit de se faire plaisir aussi.»

Le feraient-elles pour un sac Prada?

Charlotte et Estelle: «Non, même en cas de grand besoin d’argent, il y a toujours une autre solution.» Caroline: «Cela peut être pour certaines filles une manière de se sentir plus matures, mais je me sentirais mal dans mon corps de le faire.» Marine: «Parfois ma mère s’inquiète, me demande si des hommes m’abordent…»

Les films pornos

Caroline: «Quand j’avais 11 ans, il y avait déjà des images qui circulaient en classe. Un ami m’a dit qu’à force de voir des filles dans des vidéos, il avait envie que les vraies filles leur ressemblent. J’étais déçue.» Marine: «Tous les mecs ont des photos de filles en bikini comme fond d’écran pour frimer. Mais ces films peuvent perturber. Nous-mêmes, à force de voir des filles crier, on se demande si on est normales de ne pas pousser autant de cris!»


Ceci est mon corps

Pourquoi, un beau jour, Isabelle décide-t-elle de devenir Léa et de faire commerce de son corps? Ne comptez pas sur François Ozon pour dresser un portrait psychologique de son personnage, encore moins pour tenter une approche moralisatrice du thème sensible de la prostitution adolescente. Après avoir fait du spectateur, dès le premier plan, subjectif, un complice et voyeur, le cinéaste filmera son héroïne sans jamais la montrer en train de s’expliquer. Sortir de l’enfance, revendiquer sa liberté et son droit d’user de son corps à sa guise: voilà ce que semble finalement vouloir Isabelle. Ozon est un cynique, un manipulateur, diront encore ses détracteurs. Alors que le talent du cinéaste est immense, on en veut pour preuve la manière dont il parvient à guider notre regard sans jamais nous asséner de vérité univoque.

De François Ozon. Avec Marine Vacth et Géraldine Pailhas. France, 1 h 34. Sortie le 28 août. Le 22 août à Lausanne (Pathé Galeries, 19 h), première en présence de Marine Vacth et Frédéric Pierrot.

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Alain et Myriam, le grand désamour

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:53

DESTINS. Un livre, un couple, deux versions de l’histoire: «Fontaine blanche», signé Alain Campiotti et feu Myriam Meuwly.

A mon mariage, le 10 septembre 2009, mon amie Myriam rayonnait dans sa robe rouge sang, rouge passion. Elle était amoureuse, mais pas de son mari, et une maladie du sang allait l’emporter un an plus tard.

Trois ans après son décès, leurs deux noms figurent toujours sur la boîte aux lettres de l’appartement du veuf, avenue de l’Elysée à Lausanne – «Alain Campiotti. Myriam Meuwly.» Le journaliste, grand reporter, ancien rédacteur en chef du Nouveau Quotidien, n’a rien changé dans le bureau où sa femme, journaliste comme lui, travaillait. Il a repris son numéro de portable à elle. La chatte qu’ils ont recueillie à New York et baptisée Chappaqua, nom de la ville de résidence des Clinton, se frotte à ses pieds dès qu’il enlève ses chaussures. Il jure que s’il n’a pas déménagé, c’est par «commodité», et que la parution du «livre» va peut-être le décider à quitter cet endroit.

Le «livre», c’est sa croix et sa renaissance, sa douleur et sa rédemption. Au lendemain du décès de Myriam, il trouve dans son ordinateur des mails qui parlent d’un amour pour un autre, d’un «baiser mortel» enfin reçu de l’homme qu’elle «aime passionnément». Et puis un long texte intitulé Une Passion qui le brûle instantanément «à longues flammes»: des lignes lucides et cruelles sur la lente érosion de leur couple, leurs années en Chine, trente ans auparavant, leur vie à New York, juste avant Obama, dans cet Amérique qui les fascine et dont ils couvrent l’actualité pour les médias romands. Leur guerre intime, le désert qu’est devenue leur vie sexuelle, son impatience à elle devant sa dépression chronique.

Répondre à une morte. Et puis sa passion pour l’Enchanteur, alias le ténor vaudois Eric Tappy, qu’elle écoute depuis toujours, sur qui elle écrit un de ses premiers articles lorsque le chanteur décide, en pleine gloire, de quitter la scène, et à qui elle a consacré un livre (Eric Tappy, l’Enchanteur, Favre) paru après son décès. Une Passion décline les rencontres fugaces avec Tappy, l’extase en l’écoutant interpréter Ottavio dans le Don Giovanni de Mozart, jusqu’à une étreinte dans les vignes, un jour d’automne 2009.

Alain Campiotti ressent «tout» ce qu’on peut ressentir en découvrant Une Passion: colère, révolte, douleur, désespoir. «J’ai retrouvé notre couple, nos déchirements. Je me suis rendu compte qu’elle m’avait quitté depuis longtemps.» Surtout: il découvre sa passion pour l’Enchanteur. Lui qui avait vu sa femme s’échiner durant sa dernière année de vie sur le livre consacré au chanteur, qui a assisté aux tensions entre l’auteur et son sujet, aux larmes de Myriam, comprend qu’il a été le spectateur extérieur d’un amour fou qu’il comprend enfin, après coup, trop tard. «Cette passion l’avait fait renaître, même si ce livre l’épuisait.»

Il fuit alors sur la côte atlantique, et décide qu’il va écrire sa propre version de leur histoire. Pour «la rejoindre» – non pas au sens sentimental ou ésotérique du terme, mais pour la «suivre» dans le mouvement qu’elle a indiqué, celui de l’écriture, du dépassement de soi. Son récit, intitulé Un exil, placé sous le signe de son vieux frère Leonard Cohen – «He wants to write a love song/An anthem of forgiving/A manual for living with defeat» – s’ouvre sur la scène terrible de la mort de Myriam Meuwly, à l’hôpital, après une année de souffrance liée à une leucémie foudroyante. «L’après»? L’appartement vide, la chatte qui miaule, l’enterrement, le souvenir à vif de cette dernière année. Il raconte à son tour le couple «énigmatique» qu’ils formaient aux yeux des autres, New York, les orages qui rythment leur vie. Il est «odieux», elle le lui dit dans des scènes «brisantes» qui le laissent «pantelant». Revenir à Lausanne est un désastre. Il part seul pour le Proche-Orient apprendre l’arabe, vivant comme un étudiant. Ils échangent de longs mails. Lui: «Je ne suis qu’une boule d’angoisse.» Elle: «Avec toi, j’ai l’impression de risquer de sombrer.» Au cœur de leurs deux récits, une scène saisissante où on le voit, après une séance catastrophique chez un thérapeute, se taillader le corps avec un rasoir au milieu de la nuit dans le lit conjugal, elle dormant à côté. Elle ne lui pardonnera jamais son acte. Il a voulu le raconter, pour «s’expliquer», enfin.

A la mort de sa femme, le livre sur Tappy n’est que textes bruts et documents épars sur la table du salon. Pour elle, il trouve un éditeur, fait en sorte que cet «autel» à sa passion secrète voie le jour. Son livre à lui, son livre de veuf floué, il «devait» le faire. «Ecrire est une voie vers l’apaisement, vers une réconciliation avec Myriam. Au-delà du travail de deuil, elle m’a forcé, avec l’écriture, à faire un travail d’autoanalyse. J’avais un champ de ruines à reconstruire.» Le publier allait de soi. «J’ai toujours écrit pour être lu, pourquoi changer?»

Nu dans la rue. Il a rêvé récemment qu’il se retrouvait nu dans la rue. Ce livre troublant, aux qualités littéraires évidentes tant ses auteurs sont de grands professionnels de la plume, montre de manière unique les deux faces de la même médaille et pousse à l’exhibitionnisme cet homme secret, sombre et taciturne. «Je suis prêt aux conséquences.» Il ne fera pas de signatures en public. «Ça n’a aucun sens sans Myriam.»

Sa fille adulte, psychiatre, le laisse faire. C’est son histoire, lui dit-elle. Myriam l’a-t-elle rendu heureux? «C’est une question compliquée. Je ne sais pas ce qu’est le bonheur. Mais nous avons vécu tant de choses fortes! Elle était intense, passionnée, forte, autoritaire. Manipulatrice, mais d’une générosité énorme – dont elle ne se rendait pas compte qu’elle pouvait être étouffante. Mon fond pessimiste lui faisait mal. Nous ne pouvions vivre ni ensemble ni sans l’autre.»

Myriam Meuwly avait envoyé Une Passion aux Editions Zoé, qui avaient trouvé le texte trop personnel pour le publier. Aujourd’hui, Alain Campiotti termine un documentaire sur le communiste suisse Reynold Thiel, dit Thiel le Rouge, auquel il travaille depuis deux ans avec la cinéaste Danielle Jaeggi.

Il reste avec ses questions, et le mystère d’une correction faite dans Une Passion. Dix mois avant sa mort, Myriam écrit que les lie «quelque chose comme de l’amour». Dans la version confiée à quelques proches, retouchée, elle écrit que «l’amour est désormais sans espoir, puisque le mari n’en a jamais voulu». Amour, pas amour? «Je ne saurai jamais.» Le veuf s’est «expliqué» avec l’Enchanteur, objet de la passion de sa femme. Le ténor a «minimisé» toute l’affaire.

«Fontaine blanche». De Myriam Meuwlyet Alain Campiotti. L’Aire, 242 p. En librairie le 27 août.

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Sophocle en Anniviers

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:54

FAIT DIVERS. Un cadavre en décomposition en bas d’une falaise. Une épouse et un amant en préventive, un drame de la jalousie: que s’est-il passé sur cette route du val d’Anniviers?

Vicky Huguelet

C’est une vieille chapelle, au bord d’une ancienne route en cul-de-sac que plus personne n’emprunte. Sans voiture, c’est une demi-heure de car postal depuis la vallée. Le petit bâtiment fut érigé là au sortir de la guerre, en 1947. Notre-Dame des Pontis était supposée protéger les voyageurs suivant alors cet itinéraire difficile qui sinue vers le fond du val d’Anniviers. Mais pour D. C., 39 ans, Sierrois, père de trois enfants, Notre-Dame n’a rien pu faire.

Derrière l’édifice, il faut passer par un tunnel dans la roche; il reste alors un bout de vague barrière rouillée. Il y a le soleil écrasant de l’été, la chaleur dure des pierres, le silence. Mais un frisson prend, cependant: la falaise est là, gueule ouverte prête à avaler l’imprudence, un vide dangereux de plusieurs dizaines de mètres.

C’est là que, le 6 août dernier, en contrebas, le corps de D. C., mort depuis deux mois, a été retrouvé. Décomposé déjà. A moitié dévoré par les bêtes, un spectacle d’horreur absolue. Il a fallu une équipe spécialisée de la police valaisanne, avec technique de rappel, pour aller faire les premiers constats, puis le remonter.

Johnny et ses enfants. Depuis, on est chez Sophocle en Anniviers. Parce que la tragédie et la mort. Parce que les secrets des trois personnages impliqués sont opaques. Aussi bien la police cantonale que le Ministère public valaisan informent le moins possible sur l’affaire: nous sommes dans la région sierroise, et l’histoire du terrible accident de car, au printemps 2012, a laissé quelques mauvais souvenirs à certains en termes de communication.

On sait cependant que la police n’est pas arrivée à la chapelle par magie ou hasard. Une source lui a indiqué d’aller y faire un tour utile. Et l’information ne venait pas d’un promeneur ou d’un chasseur local.

Une amie de l’amant de l’épouse de D. C. avait parlé. Parce que l’amant s’était vanté de cette mort.

Qui était D. C.? Vague expérience de cuisinier, sans travail, mais problème de santé. Crises d’épilepsie, et il vivait ces derniers temps sur sa rente AI. Un gars à boucles d’oreilles, queue de cheval, tatouages. Encrées dans sa peau, ses deux passions: Johnny Hallyday, qu’il défendait parfois avec véhémence sur l’internet, et ses enfants. Il en avait trois. Mais les histoires d’amour, avec lui, finissaient mal, en général.

Il avait eu une première fille, il y a quelques années. Une maman très jeune. Mais on lui avait retiré la responsabilité de cet enfant. En bas, à Sierre, un oncle de D. C. se montre assez carré: «Il m’avait dit qu’on lui retirait la garde de sa fille de 13 ans. Je lui ai répondu qu’il n’avait pas de travail et qu’il n’était pas mature, que je ne voyais pas comment il pouvait s’occuper d’un gosse.» Le portrait que font de lui ceux qui l’ont connu est contrasté: bon gars, mais cependant capable de fortes violences verbales.

Drame passionnel? Sa cousine Gladys est la seule à prendre franchement sa défense: «Il était fils unique et ça l’a passablement affecté. Je l’ai beaucoup vu après la mort de sa mère, en 2009. Il voulait un mariage et des enfants. Mais il est passé par de nombreux déboires amoureux. Il sortait avec des filles qui avaient besoin d’un toit. Il les entretenait, puis elles le quittaient. Il ne savait pas se défendre. Il n’avait pas la faculté d’analyser les choses. Il croyait tout ce qu’on lui disait.» 

Enfin, il pensait avoir trouvé le grand amour, il y a un peu plus de trois ans. C. était jolie, encore une fois très jeune, et s’est retrouvée enceinte de lui à 17 ans. Un garçon. Et puis encore un deuxième. Mais l’histoire recommence. Difficulté de couple. Gladys: «Il passait des journées entières à préparer de bons repas sains pour ses gosses. Une fois, sa femme m’a dit que si, un jour, elle devait le quitter, il garderait les enfants. Qu’il était trop bien avec eux. Elle m’a dit qu’elle l’aimait, qu’elle ne le quitterait pas. Et deux semaines après, en octobre 2012, elle était loin.» Avec les enfants.

Lui demeure amoureux, harcelant, sans doute parfois jaloux ou en colère. C. s’est remise avec quelqu’un. Elle obtient de la justice qu’il ne puisse plus l’approcher à moins de 500 mètres. La tragédie ordinaire, le trio classique, Sophocle et ses vertiges qui se mettent en place.

Les deux garçonnets ont été placés dans une famille d’accueil valaisanne il y a trois, quatre mois. Les choses s’étaient vaguement tassées. D. C. avait réussi ces derniers temps à reprendre un peu contact avec sa femme.

Inhumain. Mais, depuis début juin, plus personne n’avait de nouvelles de lui. Gladys ne cache pas sa frustration: «Pour moi, cela voulait dire qu’il allait bien, car quand il va mal, il m’appelle. Maintenant, je sais pourquoi. C’est inadmissible et inhumain.» D. C. n’avait jamais parlé de sa vie de cette chapelle des Pontis. Il n’avait même pas son permis de conduire pour monter là-haut. D’ailleurs, on n’y a trouvé aucun véhicule.

La police a ainsi rapidement appréhendé sa femme et son amant, qui vivaient discrètement chez une dame de Sion. Le Ministère public valaisan a ouvert une enquête, et n’entend rien communiquer pour l’instant. Mais l’hypothèse d’un drame passionnel domine complètement les investigations. Que s’est-il passé, un jour de juin dernier: une bagarre, un accident, des mots trop durs, la jalousie de D. C. ou de l’amant qui explose? Ce dernier aurait ainsi poussé son rival dans la falaise. Et quel rôle a pu jouer sa compagne, la femme de D. C.? L’autopsie et les analyses, difficiles dans un cas de ce genre, vont prendre encore des semaines avant de livrer d’éventuels éclaircissements et cruautés: D. C. était-il vivant ou mort au moment où il est tombé dans le vide, là-haut vers les Pontis? «Nous ne sommes, nous tous qui vivons ici, rien de plus que des fantômes ou que des ombres légères», faisait dire Sophocle à Ajax.

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Vicky Huguelet / Jean-Yves Gabbud, Le Nouvelliste
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Locarno, du soleil et un peu d’ombre

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:55

FESTIVAL DU FILM. Le bilan artistique de la manifestation est excellent. Sur le plan organisationnel, il reste cependant quelques points noirs qui doivent être rapidement améliorés.

La compétition internationale, d’abord. Pour sa première année à la tête du Festival du film de Locarno, l’Italien Carlo Chatrian a habilement su y réunir jeunes cinéastes et auteurs confirmés, œuvres de création et longs métrages plus classiques dans leur manière d’aborder le récit. Seul bémol, peut-être, vouloir inviter au Tessin des grands noms du cinéma a beau être une initiative plus que louable, il ne faudrait pas que Locarno devienne un refuge pour les films que d’autres festivals ont refusés.

Si le Japonais Kiyoshi Kurosawa et le Sud-Coréen Hong Sang-soo ont offert aux festivaliers suisses des réalisations à la hauteur de leur talent, le Français Emmanuel Mouret a par exemple déçu avec son poussif Une autre vie. Fallait-il lui offrir une place en compétition alors qu’il se murmure que la Mostra de Venise n’a pas voulu de son film? Non, évidemment. Mais force est de constater que sur les vingt films du concorso internazionale, les vraies déceptions n’étaient pas légion. Sans parler du reste de la programmation – rétrospectives (tout Cukor, quel bonheur), concours Cinéastes du présent, hommages et autres – qui a frisé l’excellence. Quant au palmarès, même si le Léopard d’or attribué à l’Espagnol Albert Serra pour son hypnotique Historia de la meva mort a surpris certains observateurs, il est des plus équilibrés. Il ne faudrait cependant pas que la réussite artistique du festival occulte ce qui a moins bien fonctionné. Car, à l’heure où le président Marco Solari répète à l’envi que sa seule stratégie est celle de la croissance, certains détails d’importance se doivent d’être améliorés.

Les cérémonies officielles ont été, pour une grande partie des spectateurs de la Piazza Grande, proches de la séance de torture. Mal préparées, longues et ennuyeuses, elles ont frôlé l’amateurisme total, à l’instar de la remise des Quartz du cinéma suisse en janvier dernier à Genève – mais là, au moins, on avait tenté une vague mise en scène. Lorsque le Vaudois Yves Yersin, lauréat d’une mention spéciale pour son émouvant documentaire Tableau noir, est monté sur scène pour expliquer, énervé, qu’on lui avait dit de revenir à Locarno chercher un Léopard d’argent et non un simple diplôme, ce qui n’aurait pu être qu’une anecdote devenait alors symptomatique d’un vrai problème organisationnel. Pour le cinéaste Jacob Berger, le discours de Yersin a également eu le mérite de montrer «la souffrance et la frustration du cinéaste suisse, dont la vie consiste à se lever en se demandant comment il va être humilié aujourd’hui, par quel producteur, distributeur ou fonctionnaire».

Gérer les sponsors. Autre point noir dans le bilan ensoleillé du festival, le rapport aux sponsors. Dépendant historiquement des aides publiques, la manifestation semble empruntée face à l’économie privée. Alors que certains partenaires, comme les appelle Marco Solari, se plaignent de n’être pas toujours bien traités, d’autres ont pris une telle ampleur qu’ils agacent le public et les professionnels.

Il en va ainsi de cette grande marque de champagne qui a eu droit à un spot publicitaire plus long que l’hommage à l’acteur recevant le prix honorifique qu’elle soutient.

Mieux vaudrait, à l’image de ce qui se fait ailleurs, offrir une meilleure présence quotidienne discrète à tous les partenaires du festival, par exemple au travers d’un simple carton promotionnel. Cela éviterait que certains logos soient surreprésentés au détriment d’autres.

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Egypte: «Ils ne savent que tuer»

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:56

INTERVIEW. Abu Al-Futuh voit dans la destitution du président Morsi un putsch organisé par Al-Sissi. Un général qui, selon lui, gouverne le pays d’une main de fer.

Propos recueillis par Christoph Reuter

Etes-vous surpris de ce qui s’est passé?
Seule l’ampleur du massacre m’a surpris. C’était prévisible, nous avions mis en garde. Croire que les généraux vont nous rendre la démocratie est une hérésie. La destitution du président Morsi le 3 juillet était un putsch. Nos maîtres momentanés ne savent que tuer mais échouent même à enterrer les gens. Ils les laissent pourrir dans la rue.

Pourquoi l’armée a-t-elle frappé si fort? Elle avait déjà le pouvoir.
Le général Al-Sissi est devenu le seul maître de l’Egypte, il gouverne d’une main de fer.

Vous étiez vous-même opposé à la politique de Morsi, vous avez appelé à manifester contre lui.
Oui, je m’opposais à lui avec véhémence, surtout quand il a tenté de faire passer subrepticement la charia comme fondement de la Constitution, quand il s’est attribué de plus en plus de pouvoirs d’exception et a mis le peuple en colère. Mais je voulais que nous le battions dans les urnes.

Comment pensiez-vous procéder contre lui?
Au parti de l’Egypte forte, nous avions lancé une campagne dans tout le pays pour expliquer aux gens ce qu’on allait entreprendre: un sit-in, des manifestations, une grève générale. Nous aurions paralysé le pays, mais pacifiquement. Nous avons eu des élections libres, un président élu, un Parlement élu. J’étais opposé à Morsi mais je respecte tout de même la légitimité de la fonction, ce qu’Al-Sissi ne fait pas. Les généraux ne respectent strictement plus rien, ils entendent tuer tous ceux qui sont contre eux. Nous demandons qu’Al-Sissi et le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ibrahim, soient traduits en justice pour ce massacre. Mais je condamne aussi les Egyptiens et les Etats étrangers qui prétendent défendre les droits de l’homme et la démocratie et qui, aujourd’hui, se taisent.

L’armée est-elle seule responsable?
Non. Morsi a tout gâché. S’il avait renoncé le 30 juin, même encore le 3 juillet, Al-Sissi n’aurait pu opérer son coup d’Etat. Quelques heures avant le putsch, j’ai encore demandé à Morsi d’accepter des élections anticipées ou un référendum. Mais il a ignoré tous les avertissements. C’est son entêtement qui a rendu possible cette nouvelle dictature. Le problème de Morsi, c’est que les Frères musulmans n’ont jamais voulu décider s’ils étaient une organisation religieuse ou un parti politique. On ne peut être les deux. Morsi voulait utiliser la religion comme outil pour conserver son pouvoir. Ça ne pouvait pas marcher.

Et maintenant?
C’est un combat entre dictature et liberté. Nous exigeons des élections aussi vite que possible. Nous refusons que quelque parti en soit exclu en raison de ses idées. Seuls les individus qui ont du sang sur les mains ou sont accusés de corruption doivent être exclus. Y compris le général Al-Sissi.

Croyez-vous que les Frères musulmans soient encore prêts à respecter les règles de l’Etat de droit?
J’ai peur que, parmi eux, des groupes se radicalisent. Mais c’est justement la voie qu’Al-Sissi leur indique. Ce n’est peut-être pas son intention, mais c’est ainsi qu’il est compris: si tu veux avoir une opinion politique divergente, tu dois être armé, sans quoi nous te tuons. Ce que nous vivons maintenant, c’est le passage de la tentative de Morsi d’établir la dictature d’un parti à une junte militaire. L’un et l’autre sont faux.

Comment cela va-t-il continuer?
Le colonel Nasser et ses officiers ont donné l’exemple en 1952: on a cru qu’ils resteraient six mois, puis qu’il y aurait des élections; il en a résulté soixante ans de pouvoir militaire.

Lire aussi "Egypte: la guerre civile"

©«Der Spiegel»
Traduction et adaptation: Gian Pozzy

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Khaled Desouki, AFP
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Egypte: la guerre civile

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:57

BOULVERSEMENTS. Avec le massacre des islamistes, c’est une nouvelle phase de la répression qui a commencé. Le retour à la dictature militaire menace. Si le réveil démocratique sur les bords du Nil devait échouer, c’en serait sans doute fait des autres printemps arabes aussi.

Dieter Berdnarz, Juliane von Mittelstaedt, Christoph Reuter, Daniel Steinvorth

Devant la morgue centrale du Caire, à Sainhum, les secouristes supplient qu’on ne leur apporte plus de corps: les cadavres encombrent chaque recoin et même la rue où s’alignent sur 100 mètres des linceuls blancs, des sacs noirs et des cercueils ouverts. Il fait 34 degrés, les dépouilles gisent en plein soleil parmi les mouches et leurs proches fouillent à la recherche de l’un des leurs. Mohammed Riad a amené son cousin, un coup de feu en pleine tête, victime de l’évacuation sanglante, mercredi dernier, du sit-in de la place Rabaa al-Adawija.

Le temps manque pour faire son deuil car, comme ici chaque cortège funéraire tourne à la manif, la bureaucratie kafkaïenne fait tout pour retarder la restitution des dépouilles. S’il y a eu peu d’enterrements le vendredi, les adeptes des Frères musulmans sont des dizaines de milliers à protester, place Ramsès, au Caire. D’ici au samedi matin, on comptera encore plus de 80 morts. Nul ne cherche à infléchir l’escalade: ni les Frères qui ont appelé à un «vendredi de la colère» ni les forces de sécurité qui tirent à balles réelles. A croire qu’après ce 14 août de sang, l’Egypte est à la veille d’une guerre civile.

On parle de plus de 900 morts, dont 43 membres des forces de l’ordre, mais les Frères évoquent plus de 2000 victimes, la plupart tuées d’une balle dans la tête ou le torse. Et 4200 personnes sont blessées. La réaction n’a pas tardé: des dizaines d’églises coptes et de propriétés de chrétiens ont été incendiées, bon nombre de policiers lynchés. Depuis mercredi dernier, l’Egypte est un pays divisé. Deux camps s’affrontent sans espoir de réconciliation: l’armée et ses partisans laïques d’un côté, les Frères musulmans et leurs disciples de l’autre. Les jeunes activistes de la place Tahrir et les libéraux ne jouent plus aucun rôle. D’ailleurs, l’un de leurs représentants, Mohamed el-Baradei, a démissionné de la vice-présidence mercredi dernier en avertissant: «La violence engendre la violence.»

Une démocratie difficile à instaurer. L’armée répète les erreurs de la brève période d’hégémonie des Frères musulmans. Elle se réfère avec arrogance à un prétendu «mandat donné par le peuple» et ne cherche pas le compromis. Comme si elle pouvait opprimer les 30% de la population qui se réclament des Frères sans brimer les libertés civiles. Si elle persiste, la dictature militaire est à la porte.

Mais, peut-être, l’armée ne s’était-elle jamais vraiment retirée dans ses casernes depuis la chute de Hosni Moubarak il y a deux ans et demi. C’est du moins ce que donnent à penser le putsch du 3 juillet et la tragédie du 14 août. Ce serait alors l’échec avéré du mouvement démocratique ou, comme le dit la Yéménite Tawakkul Karman, Prix Nobel de la paix: «La destruction de la révolution égyptienne, c’est la mort du printemps arabe.»

Certes, en Occident aussi, il a fallu des siècles pour que s’établisse la démocratie. Mais, dans le monde arabe, l’expérience démocratique semble décidément tourner court. Après deux assassinats politiques, la Tunisie paraît plonger dans le chaos alors que s’affrontent islamistes et laïques. En Libye, malgré les élections, ce sont toujours les chefs de tribu qui font la loi et le pays reste le plus grand libre-service d’armes du monde. La Syrie a sombré dans une guerre totale qui a déjà fait 100 000 morts et des réfugiés par millions. L’Irak et le Liban paraissent eux aussi à la veille d’une guerre civile sur la ligne de rupture de la haine inter-religieuse. Et ce n’est sans doute pas un hasard si des Etats autoritaires comme l’Arabie saoudite, le Koweït et les Emirats ont été les premiers, au lendemain du putsch de juillet en Egypte, à verser une aide financière de 12 milliards de dollars: une prime au rétablissement de l’ancien régime.

Un objet de vénération. L’année de présidence de Mohamed Morsi ressemble à un accident de parcours. Depuis le renversement du roi Farouk en 1952, il aura été le seul et unique président civil du pays. Car le président intérimaire Adli Mansour n’a pas grand-chose à dire face à l’homme fort qu’est le général Abdel Fatah Khalil al-Sissi, 58 ans, chef des armées, vice-premier ministre et ministre de la Défense. En Egypte, nombreux sont ceux qui soutiennent la répression qu’il a engagée contre les islamistes et le voient déjà à la présidence. Dans une lettre ouverte «au nom de 30 millions d’Egyptiens», une fille de l’ex-président Nasser le supplie de poser sa candidature. On voit partout dans le pays des affiches qui le représentent au côté du défunt tribun du peuple. Du reste, Nasser avait également assis son pouvoir en réprimant brutalement les Frères musulmans.

Manifestement, l’armée reste un objet de vénération. Et un adage reprend de l’actualité. «L’Egypte n’a pas une armée, c’est l’armée qui a un pays.» Aucune institution égyptienne n’est aussi puissante: 440 000 hommes sous les drapeaux, dont une moitié de conscrits. Ceux qui deviennent officiers supérieurs accèdent à un statut d’élite: yacht-clubs, centres de loisirs, cliniques privées. Propriétaire de fabriques, de cimenteries, d’hôtels, de stations-services, l’armée est un des acteurs économiques majeurs du pays. Elle ne publie jamais son budget et prend ses décisions stratégiques à huis clos.

Radicalisation. Comme s’il n’y avait jamais eu le soulèvement populaire de février 2011, l’Egypte paraît revenue soixante ans en arrière. A l’époque, la crainte des islamistes servait de justification à la dictature militaire et à l’omnipotence des services secrets. Au bout du compte, aujourd’hui, l’armée a suscité exactement ce qu’elle prétendait empêcher: un islamisme plus radical que jamais. Cependant, le retour du régime militaire ne signifie peut-être pas retour au statu quo d’avant 2011 mais bien une période encore plus sombre. «Le régime militaire vise à anéantir les Frères musulmans, les détruire en tant que force politique, estime Shadi Hamid, à la Brookings Institution. La persistance des troubles sert de justification à la guerre contre l’ennemi intérieur et extérieur, réel ou imaginaire.» Comme pour confirmer ces propos, le mardi 20 août, au Caire, la police arrêtait Mohamed Badie, le guide suprême des Frères musulmans.

Lire aussi l'interview d'Abu Al-Futuh

©Der Spiegel
Traduction et adaptation: Gian Pozzy

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Scott Nelson, Der Spiegel
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Jack Clemons: "Bata enregistre une croissance à deux chiffres"

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Jeudi, 22 Août, 2013 - 05:58

Mode. Le leader mondial de la chaussure est dirigé depuis Lausanne. D’ordinaire ultradiscret, le groupe familial lève un coin du voile sur son modèle d’affaires.

La marque est parmi les plus connues du monde: Bata, leader indisputé de la chaussure, écoule en moyenne 1 million de paires par jour autour du globe. Ce qui est moins connu, c’est que l’entreprise familiale, fondée par le Tchèque Tomás Bata en 1894, est basée à Lausanne depuis 2003. Une installation liée au parcours de son petit-fils, Thomas G. Bata, actuel président du groupe, de nationalité suisse et établi à Aubonne. A la veille du 120e anniversaire de cet empire industriel ultradiscret, son directeur général, Jack Clemons, lève exceptionnellement le voile sur ses affaires et son fonctionnement.

Cela fait un siècle que Bata domine le marché mondial de la chaussure. Comment faites-vous pour vous maintenir au sommet alors que la globalisation rend la concurrence de plus en plus féroce?
Notre secret, c’est que nous sommes toujours à l’écoute de nos clients. A travers nos 5000 magasins répartis dans 85 pays nous les écoutons, leur parlons, leur mettons des chaussures aux pieds – ce que toutes les marques ne font pas. Nous restons aussi très proches de nos différents marchés.

Quels sont les marchés les plus porteurs pour vos affaires?
Nous sommes bien implantés partout – sauf en Amérique du Nord que nous avons quittée il y a quelques années. L’Europe reste importante, mais nous sommes aussi très présents en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie, avec notamment 1200 magasins en Inde et 550 en Chine.

Dans les années 70, Bata comptait une nonantaine d’usines dans le monde. Aujourd’hui, fabriquez-vous toujours les chaussures que vous vendez?
Au niveau de la conception des modèles, tout se fait chez nous, essentiellement dans nos ateliers italiens, chiliens, indiens, indonésiens et chinois. Pour ce qui est de la fabrication, nous disposons de 25 usines à travers le monde, y compris en Europe (République tchèque et Pays-Bas), qui produisent plus de la moitié de ce que nous vendons. Le reste vient de nos fournisseurs. Ce modèle nous permet d’une part de rester à la pointe d’un savoir-faire plus complexe qu’il n’y paraît, d’autre part d’avoir la flexibilité qu’impose le secteur de la mode.

Vous parlez de savoir-faire. A quel niveau votre valeur ajoutée est-elle la plus forte?
A plusieurs niveaux. Dans beaucoup de régions d’Afrique, les enfants ont par exemple besoin d’une paire de chaussures dans lesquelles ils peuvent marcher 10 km par jour pour aller à l’école mais aussi jouer au foot. Celles-ci doivent en plus durer toute l’année et être bon marché. Seul Bata sait faire des chaussures comme ça. Dans un autre registre, nous sommes très actifs sur le segment professionnel. Nous fabriquons des souliers pour des mineurs sud-africains, les monteurs des chaînes de production VW ou le personnel de plateformes pétrolières norvégiennes. C’est un segment high-tech à fort potentiel.

Quels sont les autres segments dans lesquels vous voyez un important potentiel de croissance?
Nous sommes de très loin le numéro 1 en Inde, en Indonésie, au Bangladesh et au Pakistan, une région qui compte 2 milliards d’habitants, dont la classe moyenne se développe rapidement. Un des grands moteurs de notre croissance dans cette région est le changement de statut des femmes, qui commencent à travailler, à gagner leur vie, à sortir de chez elles. Du coup, elles n’achètent plus deux paires de chaussons par an, mais trois ou quatre paires de vraies chaussures. Nous misons aussi sur une diversification. A terme, les accessoires de type ceintures, sacs et foulards pourraient représenter 20% de nos ventes.

Sur quel chiffre d’affaires tablez-vous pour 2013?
Nous ne communiquons pas nos résultats. Mais nous enregistrerons une croissance à deux chiffres cette année, comme les années précédentes, et notre bénéfice croît encore plus vite que nos ventes. Nous sommes d’ailleurs en train de développer nos activités dans de nouveaux pays. Cette année, nous avons ouvert des magasins au Vietnam, Rwanda, Ghana, Soudan, Myanmar, Swaziland ou encore en Ethiopie. Au total, nos surfaces de vente croîtront de 6%.

Vous dépasserez donc bientôt le million de paires par jour?
Peut-être. Même si ce n’est pas l’indicateur le plus pertinent. Ces dernières années, le nombre de paires vendues globalement n’a guère évolué. Mais, il y a vingt ans, on vendait beaucoup de tongs en plastique tandis que maintenant on vend une proportion bien plus importante de chaussures en cuir, qui coûtent beaucoup plus cher. Nos produits les meilleur marché sont vendus moins de 2 dollars, les plus chers près de 400.

La taille de vos effectifs, en revanche, a fortement chuté. Bata comptait plus de 120 000 employés dans les années 60, contre 30 000 aujourd’hui. Une tendance qui va se poursuivre?
J’imagine que cela restera stable mais je n’en suis pas certain. La production a beaucoup évolué. Aujourd’hui, elle occupe 12 000 personnes, mais nous travaillons aussi avec des robots dans notre usine hollandaise. D’une manière générale, il faut souligner que, pour nous, la question de la croissance ne se pose pas en termes de demande des clients, mais de personnes.

Vous manquez de personnel qualifié?
Nous manquons de personnes qui connaissent nos valeurs, notre culture, et nous permettent de nous développer en les respectant. Nous avons d’ailleurs récemment lancé une procédure de recrutement de jeunes à fort potentiel, que nous formons et auxquels nous offrons des carrières très internationales.

Bata est une entreprise familiale. A l’échelle d’un aussi grand groupe, cela fait-il une différence?
Oui. D’abord, parce que nous avons une vision des affaires à très long terme. Il y a des pays, comme l’Ouganda, où nous avons été nationalisés et «dénationalisés» deux fois! Ensuite, dans cette entreprise, nous avons le sentiment d’appartenir à une grande famille. Nous sommes proches les uns des autres, et la hiérarchie est très plate. Nous ne perdons pas de temps en comités de réflexion et autres groupes stratégiques. Les structures de décision sont légères et efficaces.

Le fondateur, Tomás Bata, était un visionnaire qui, il y a 120 ans, avait déjà une conscience aiguë de la responsabilité sociale de son entreprise. Que reste-t-il de cette culture?
Un grand respect de nos employés, mais aussi des régions et des pays dans lesquels nous travaillons. Quand nous opérons par exemple au Kenya, ce n’est pas pour maximiser les profits que nous pouvons faire sortir du pays, c’est avant tout pour que le Kenya et les Kényans en profitent, pour que cela améliore leur quotidien. Là où nous sommes présents, nous finançons donc aussi des infrastructures, comme des écoles, dans lesquelles nous sommes très impliqués. Nous avons une forte culture du bénévolat et de l’engagement personnel. Cela va bien au-delà de l’enveloppe que l’on donne à telle ou telle association.

Le nom de Bata est l’un des plus connus du monde mais l’identité de la marque paraît un peu floue. Cherchez-vous à la renforcer?
Bata, en tant que marque, est synonyme de savoir-faire, de mode, de confort et de prix abordables. Nous travaillons actuellement à la création d’une expérience plus claire pour les clients qui viennent dans nos magasins. D’abord à travers le renforcement des collections premium (ce qui a très bien marché en Chine), ensuite par la rénovation de nos magasins. L’objectif est notamment de rendre plus lisible les technologies que nous utilisons dans nos chaussures.

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Darrin Vanselow
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